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Nos amies les bêtes sont-elles des frères ?

Je vois, comme vous je l’espère, que personne ne parle des animaux. Dans cette funeste campagne électorale, du moins. Voilà qu’on polarise l’attention publique pendant quelques mois, prétendant aborder les questions les plus essentielles de l’époque, et voilà qu’on ignore nos frères, les bêtes. C’est étrange. C’est instructif.

J’ai employé le mot frères sans réfléchir, et j’ai eu tort. Car il est tout sauf anodin. D’un côté, il est absurde, car il trace un trait d’égalité entre qui commande, frappe et tue – nous – et qui ne cesse de recevoir le knout – eux. De l’autre, il est juste en ce qu’il exprime mon rêve fou d’un monde réconcilié avec lui-même, laissant à chacun l’espace et le temps nécessaires pour mener une existence digne d’être vécue. Je n’y peux rien : je me sens fraternel avec les animaux, tous les animaux de la création. Et les végétaux, pour sûr. En règle générale, on ne tue pas son frère. Sauf si on s’appelle Caïn, mais on voit les conséquences.

Donc, pas un mot, de la part de nos chers politiciens, sur la barbarie totale infligée à ceux qui nous ont pourtant tout donné. Je parle là des seuls animaux domestiqués par notre noble espèce. Nous butons environ 1 milliard et 100 millions d’individus chaque année en France pour permettre à la Sécurité sociale de faire face aux authentiques épidémies de cancers, maladies cardiovasculaires, diabètes dont notre monde ne saurait désormais se passer. Quand je dis qu’on les bute, c’est qu’on les bute jusqu’au fond des chiottes* que sont nos vastes abattoirs. Et avant cela, bien sûr, l’on nie toute forme de personnalité à ces êtres considérés comme des morceaux, des choses, des amas. En les entassant comme des sacs – non, on ferait plus attention -, en les piquant d’antibiotiques et de tant d’autres produits goûteux, en leur enlevant leurs gosses en fonction des calculs commerciaux, etc.

Nous sommes des barbares, mais comme la version officielle est que la France est un pays cultivé, éduqué, démocrate jusqu’à l’os, emplie jusqu’à la gueule de prétentions universelles, il vaut mieux s’abstenir de parler du sort fait aux bêtes. Pourtant ! Depuis leur domestication, aux origines plus mystérieuses qu’il n’y paraît – qu’on se plonge dans les livres de Jacques Cauvin ! -, les animaux d’élevage ont offert aux sociétés humaines leur peau, leurs plumes et sabots, leur chair, leur extraordinaire présence quotidienne, si nécessaire à notre relatif équilibre. Et que dire de leur force de travail ?

Sans la force contrainte de nos esclaves animaux, aucune civilisation n’aurait émergé. Ni l’Égypte des Pharaons qui vénérait, avec plus de sagesse que nous, le taureau Hap. Ni la Grèce antique et son invention de la démocratie. In fine, le glorieux viaduc de Millau – humour – n’aurait pas même vu le jour. Ils nous ont tout donné, et nous ne cessons pourtant de les martyriser. La dette que nous avons accumulée au fil des millénaires ne sera jamais acquittée, mais au moins, on pourrait commencer à faire les comptes.

Il n’y a pas d’avenir humain sans eux. Sans une radicale transformation de notre attitude à leur égard, qui impose de vrais bouleversements de notre psyché. Ce qui signifie, car il me reste un soupçon de lucidité, qu’un long chemin improbable attend les défenseurs de la vie sur terre pour tous. Il va de soi que le petit espace qu’une main invisible nous a octroyé doit être partagé. Il va de soi que les hommes doivent accepter de reculer là où c’est possible, et de faire place à ce qui n’est pas eux. Pensez qu’un pays comme la France, pour cause de déroute de la civilisation paysanne, dispose désormais, pour la première fois depuis des siècles, de millions d’hectares où les humains ne pénètrent plus guère ! Et pensez que quelques braillards, avec des arguments rationnels à la clé, hurlent à l’idée que 150 loups, peut-être 200, sont enfin revenus au pays après en avoir été chassés par le fusil et le poison ! 150, quand il y avait en France, voici deux siècles, plus de 15 000 loups !

Mais je m’égare, puisque de l’animal domestique, sujet du jour, je suis passé sans prévenir au sublime Canis lupus. Revenons à nos moutons. Où plutôt au cochon. Il y a de cela trois ans – je crois -, je suis allé rendre visite à un éleveur de cochons du côté du cirque de Navacelles, entre Hérault et Gard. Je suis arrivé fort tôt le matin, alors que grondait un formidable tonnerre au-dessus de villages déserts. L’éleveur, Éric Simon, menait son vaste troupeau d’une manière prodigieuse, au milieu d’une garrigue géante. Je l’ai suivi quand il donnait à manger à ses animaux, et j’en avais la chair de poule, au milieu des cochons. Car ces derniers vivaient, tout simplement. Les mères se retiraient dans des abris pour mettre au monde leurs enfants. Les jeunes partaient en bande déconner dans les bois voisins. Un gros verrat prenait son bain de boue dans une sorte de piscine à même le sol. Et chacun gambadait dans le sens qui convenait à son humeur du jour, jusqu’au bout de l’horizon. Je ne suis pas près d’oublier la beauté de ce monde naissant, entre orage et soleil levant.

* Tout le monde ne connaît pas nécessairement l’anecdote : au cours d’une conférence de presse tenue en 1999, Vladimir Poutine avait déclaré qu’il fallait « buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes ».

PS : en complément, je vous suggère de réfléchir à certaines grandes figures inventées par nous pour désigner au fond une seule et même horreur. Nous feignons tous de croire qu’il est sans importance d’attribuer aux animaux nos tares les plus viles. Mais il n’en est évidemment rien. Plutôt que de reconnaître pleinement notre responsabilité, et nos si évidentes limites, nous préférons donc matraquer par les mots ceux qui échappent encore un instant au Grand Massacre. Et cela donne, mais vous complèterez :

La Bête de l’Apocalypse – sept têtes et dix cornes – est le symbole d’un pouvoir exercé par Satan lui-même. Bienvenue en enfer.

La Malbête, qu’on retrouve dans tant de témoignages fiables – ou beaucoup moins – est non seulement le loup sauvage, mais aussi, et finalement, tout ce qu’on redoute affreusement sans nécessairement le voir. Par certains côtés, un synonyme de l’angoisse.

La Bête humaine, formidable roman de Zola, où le mécanicien finit par ne plus faire qu’un avec sa locomotive, sur la ligne Paris-Le Havre. Cette Bête-là est bien proche de l’idée de « progrès » industriel.

La phrase de Brecht : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ». La bête, pour cet écrivain qui finit sa vie en triste stalinien, c’est le fascisme allemand, le nazisme. Mais le fascisme n’est pas une bête. C’est un homme.

Encore une minute (sur Jean-Luc Mélenchon)

Je sais. Il est mal de revenir une énième fois sur le cas Mélenchon. Mais je vois autour de moi, et parmi les lecteurs de Planète sans visa, tant de gens de bonne foi qui s’apprêtent à voter pour cet homme que je m’interroge une fois encore. En bonne compagnie, si cela peut vous rassurer, car je pense en ce moment à Rainer Maria Rilke, et à cette phrase pour moi essentielle, tirée du livre Les cahiers de Malte Laurids Brigge. Brigge se pose la question suivante : « Est-il possible, pense-t-il, qu’on n’ait encore rien vu, rien su, rien dit qui soit réel et important ? Est-il possible qu’on ait eu des millénaires pour regarder, pour réfléchir, pour enregistrer et qu’on ait laissé passer ces millénaires comme une récréation dans une école, pendant laquelle on mange sa tartine et une pomme ? Oui, c’est possible. »

L’affaire Mélenchon, car c’est toute une affaire, illustre bien cet extrait. Voilà un professionnel de la politique qui affirme haut et fort son amour pour François Mitterrand. Qui en a fait un modèle absolu dans quantité de discours et de textes écrits. Qui le considère comme l’un des grands hommes du siècle passé. À ce stade, qu’ajouter ? Vous tous, qui comptez voter pour lui, n’avez-vous donc rien appris ? L’expérience menée voici bientôt 31 ans par le parti socialiste, à laquelle Mélenchon a apporté toute sa flamme pendant des décennies, cette expérience n’a donc laissé aucune trace ? Vous seriez prêt, vous êtes prêt à rempiler ? Sans analyse aucune des raisons de fond qui ont conduit au désastre qu’on sait, financiarisation du monde comprise ? Réellement, vous acceptez de reprendre le lourd collier de la soumission à l’autorité, pour une génération supplémentaire ? Sincèrement, vous pensez que la crise écologique qui est en train de submerger toutes les digues humaines sera en de bonnes mains si trois ministres communistes – et peut-être Le Grand Leader lui-même – se glissent dans un éventuel gouvernement socialiste ?

Je vous prie de m’excuser, mais je ne vois dans l’attrait pour cet homme  – et une politique mitterrandienne qu’il revendique – qu’abaissement de la pensée, et affaissement de la volonté commune. Désolé, tel est bien mon sentiment.

Eva Joly et Thomas Sankara (liens croisés)

Je plains sincèrement Eva Joly, car je vois comme tout le monde que sa candidature est encalminée, probablement jusqu’au terme de cette pitoyable campagne présidentielle. Je le regrette. Et j’ajoute, peut-être à la surprise de certains lecteurs de Planète sans visa, que j’aurais pu voter pour elle. Plus exactement, j’y ai pensé, quelque jour déjà lointain.

Cette femme n’est évidemment pas une écologiste*, mais comme aucun candidat ne l’est, cela limite, vous en conviendrez, les possibilités. J’aurais pu voter pour elle, mais non en raison d’idées écologistes qu’elle n’a pas. Il m’aurait suffi que, s’appuyant sur son passé, elle fasse campagne autour des relations infernales entre le Nord et le Sud de la planète. Et qu’elle relie ce combat évident à la nécessité de faire reculer concrètement la corruption, qui mine la France après bien d’autres pays. Cela m’aurait suffi, puisqu’il m’est interdit de voter pour mes idées.

Mais tel n’aura pas été le cas. Entourée par de piteux apparatchiks verts semblables à Boa constrictor étouffant sa proie – mais ce dernier est incomparablement plus beau -, elle s’est donc perdue en route, ballottée d’imbécillités en insignifiances. Baste ! il n’y a rien à faire. Pensant un peu à elle, j’ai convoqué à moi le spectre d’un être étrange et merveilleux qui s’appelait Thomas Sankara. Pardon à ceux qui connaissent le personnage, mais je dois bien sûr penser aux autres. Sankara est né en 1949 dans ce que notre si belle colonisation avait appelé la Haute-Volta à la suite d’un simple décret.

Dans ce pays qui n’avait jamais existé, Sankara était un Peul-Mossi. Une réunion à lui seul de deux peuples, les Peuls – des éleveurs – et les Mossi, ou plus exactement les Moagha, antique population africaine. Je ne vais pas livrer ici sa biographie, mais quelques étapes sont nécessaires. Militaire, fougueux, rebelle, il fonde une association clandestine appelée Rassemblement des officiers communistes ou ROC. Personne n’est parfait, même pas lui. Car en deux ans, de 1981 à 1983, c’est par une série de putschs militaires à l’africaine qu’il parvient finalement au pouvoir.

Nous sommes en août 1983, et Sankara est président du Conseil national révolutionnaire. Il va régner sur le Burkina Faso, nouveau nom du pays – dont la traduction signifie  « pays des hommes intègres » – , jusqu’au 15 octobre 1987, date de son assassinat. Je gage volontiers qu’il ne fut pas seulement un Archange de la beauté et de l’harmonie. Mais je sais deux choses, et même un peu plus, de lui. Un, il avait imposé à ses ministres de rouler dans une R5 Renault, alors que tous les corrompus du continent s’affichent dans de grosses cylindrées, Mercedes de préférence. Et deux, il avait longuement reçu mon cher ami Pierre Rabhi, agroécologue bien connu, à qui il avait ouvert les portes du pays. Et de la mobilisation de ses paysans. Car Rabhi a mené sur place quantité de programmes de formation à l’agroécologie, au départ grâce à Sankara.

Oh, il n’est que trop clair que Sankara incarnait alors un tiers-mondisme daté, marxiste, anti-impérialiste comme l’on disait, cruellement aveugle à tout ce qui sortait de la mythologie. Mais il aimait les gens, son peuple, et vomissait ces innombrables petites crapules blacks qui ont si bien pris la place de nos innombrables petites – et grandes – crapules blanches du temps des belles colonies. Sankara ne plaisantait pas avec le fric que le pouvoir d’État faisait miroiter devant lui. Relisons ensemble cet extrait de l’un de ses discours consacré à la dette qui étrangle et affame les plus pauvres : « La dette, c’est encore les néocolonialistes ou les colonisateurs qui se sont transformés en assistants techniques. En fait, nous devrions dire qui se sont transformés en assassins techniques. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer le développement chez d’autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés. On nous a présenté des montages financiers alléchants, des dossiers. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.

Mais la dette, sous sa forme actuelle, contrôlée et dominée par l’impérialisme, est une reconquête savamment organisée, pour que l’Afrique, sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. On nous dit de rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale, ce n’est point une question de ce prétendu honneur que de rembourser ou de ne pas rembourser ».

Je ne sais pas pour vous, mais moi, comme on dit aux Amériques, I buy it. Je marche, même si cela ressemble à bien des discours convenus. Je marche, car je sais que Sankara croyait à ces paroles, à la différence de tant de phraseurs. Mais d’autres que moi s’en étaient rendu compte en temps réel, et parmi eux nos grands socialistes, dont cet Immense Mitterrand que messieurs Hollande et Mélenchon se disputent à coups de menton en ce mois de février 2012. Nul ne veut se souvenir du Mitterrand atlantiste de l’après-guerre, quand il défendait la politique américaine par tous les moyens à sa disposition. C’est alors qu’il noua des liens avec de futurs satrapes de l’Afrique, comme Houphouët, qu’il devait retrouver plus tard. C’est alors qu’il défendit bec et ongles l’Empire que nous avaient légué nos massacreurs. Élu président en 1981, sur un programme de « rupture avec le capitalisme » – hi, hi, rires préenregistrés -, que fit-il de nos relations avec l’Afrique ? Eh bien, il commença par lourder ce pauvre Jean-Pierre Cot, son premier ministre de la Coopération, qui entendait, ce sot, mettre en cause la Françafrique. Juste avant de le remplacer par Christian Nucci, héraut de l’affaire de corruption – sur fond de nuits africaines – connu sous le nom de Carrefour du développement.

Passons. Il ne faudrait pas, mais passons. Sankara a été assassiné en 1987, à l’époque où Mitterrand était président et Chirac Premier ministre. Le premier avait choisi Guy Penne pour être son « Monsieur Afrique ». Franc-maçon, ce qui n’est pas un compliment sous ma plume, Penne était à sa façon un parfait françafricain. Quant au second, Chirac, il disposait des admirables services de Jacques Foccart, qu’on ne présente plus. Imagine-t-on que nos gouvernants de l’époque auraient pu laisser Sankara enflammer les jeunesses africaines sans réagir ? À vous de voir. Le certain, c’est que Sankara fut emprisonné une première fois au Burkina en mai 1983, peu après une visite sur place de Penne. Hasard ? C’est la thèse de certains. Conséquence ? Telle est l’idée d’autres.

Plus ténébreuse est la suite. Le 18 novembre 1986, Mitterrand quitte le Burkina furieux, après sa première visite officielle dans le Pays des hommes intègres. Il est en colère, car au cours d’une réception, Sankara s’est lancé dans un discours au ton bien peu diplomatique. Vous en trouverez le texte complet ici, dont j’extrais ceci : « C’est dans ce contexte, Monsieur François Mitterrand, que nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours ». Il va de soi que pour un homme comme Mitterrand, une telle mise en cause valait déclaration de guerre.

Beaucoup de rumeurs ont depuis circulé. Sur le rôle de Penne. Sur le rôle d’Houphouët, le vieux complice ivoirien de Mitterrand. Je n’ai bien entendu aucune certitude. Au reste, qu’importe ? L’assassinat de Sankara, en octobre 1987, servait indiscutablement les intérêts d’une certaine France, représentée autant par Chirac que par Mitterrand. Et l’ordre régna de nouveau sur le Burkina Faso. Mais je vois que j’ai fait un considérable détour pour vous parler de madame Eva Joly, et de cette déplorable campagne pour l’élection présidentielle de mai 2012. Oui, je crois qu’elle aurait fait des voix si elle avait su être elle-même. Il est évidemment désastreux de prétendre représenter une idée aussi haute que l’écologie alors qu’on n’y connaît strictement rien. Cela ajoute – qui ne le voit ? – à la détestation désormais générale de la politique.

Oh oui, elle aurait pu concentrer son propos sur ce qu’elle a vu. L’affaire Elf – je rappelle qu’Elf est désormais dans Total, services spéciaux made in Africa inclus -, la corruption de nos élites, si massive, et l’impérieuse nécessité d’un retour à la morale commune. Par exemple. Cela aurait fait du bien à tout le monde, et je gage qu’elle aurait obtenu bien au-dessus de 5 %, seuil retenu pour être remboursé des dépenses électorales. Bon, c’est bel et bien terminé, mais je veux ajouter un point. Un point infime, mais qui pourrait, qui eût pu réunir quelques forces dispersées, mais saines en tout cas. Je veux parler des hôtels de région. Vous voyez ce que je veux dire ? Je vous explique : les régions de France ont tapé vertigineusement dans la caisse publique pour construire des hôtels-vitrines.

Je me fous bien sûr de la couleur politique de ses présidents, le plus souvent de gauche. Eussent-ils été de droite que cela n’aurait rien changé, pensez. Mais regardez plutôt. 164 millions d’euros pour l’hôtel de région à Lyon. 32 millions d’euros pour la seule extension de celui de Toulouse, hors taxes. À Lille, 164 millions d’euros pour le bâtiment inauguré en 2006, et ainsi de suite. Je n’ai pas le courage de chercher tous les coûts de ces monstres. Auxquels il faut inclure l’entretien de dizaines de milliers de mètres carrés à chaque fois, le chauffage, etc.

Est-ce populiste de mettre en cause cette frénésie ? Je ne le crois pas une seconde. De la même manière que le défunt Sankara obligeait les ministres à rouler dans de petites bagnoles, je crois qu’un point de départ possible d’une nouvelle aventure commune serait de tirer le bilan de ces années-bacchanales au cours desquels tant de roitelets ont dilapidé sans état d’âme. Nommer la dépense, dénoncer la corruption – en France, elle n’est jamais bien loin -, tel est à mon sens l’un des préalables à l’action pour un autre monde. En somme, vive Sankara ! Mais pas vive Eva Joly, qui a définitivement perdu l’occasion de nous aider à rassembler nos forces.

* Je précise pour ceux qui ne me connaissent pas que le mot écologiste contient pour moi un sens exigeant, si exigeant même qu’il faudra bientôt trouver un terme neuf pour désigner ceux qui entendent vraiment sauver les équilibres de la vie. En attendant, personne, dans la campagne en cours, ne mérite ce qualificatif admirable.

Mélenchon l’écologiste soutient la vente d’avions de guerre (si)

Qu’on se rassure, ce sera bref. Nombreux sont ceux, ici même, qui pensent sincèrement que Jean-Luc Mélenchon a fait sa mue, et qu’il représente à sa manière l’écologie. Je n’en pense évidemment rien, pour d’innombrables raisons, que je suis loin d’avoir toutes exposées sur Planète sans visa, malgré ce que certains jugent comme une obsession. Eh bien, deux choses pour aggraver mon cas. Un, j’ai lu la biographie signée Lilian Alemagna et Stéphane Alliès, Mélenchon le plébéien (Robert Laffont, 20 euros). Ce n’est pas le livre de l’année, mais quiconque est de bonne foi, l’ayant lu, comprendra aisément qui est Mélenchon, et ce qu’il ne sera jamais. Je suis sorti de cette lecture accablé, malgré tout ce que je savais déjà. Que chacun agisse donc en son âme et conscience !

Au passage, le livre revient sur l’incroyable proximité existant entre le sénateur de l’Essonne Jean-Luc Mélenchon et le sénateur de l’Essonne Serge Dassault. Quelle merde, franchement ! J’ai du coup été moins époustouflé d’entendre Mélenchon, sur France-Inter, se féliciter de l’achat, pour l’heure virtuelle, de 126 avions Rafale par l’Inde, pour un montant de 12 milliards de dollars (ici, à partir de la minute 7). On le sait, ces Rafale fabriqués par Dassault et payés par les Français n’ont pour l’heure jamais été vendus à un autre pays que le nôtre.

Vous faut-il un commentaire ? Il est évident, oui, ÉVIDENT, que Mélenchon appartient à cette race patriotarde qui a marqué toute l’histoire du mouvement socialiste. Non content de défendre la Chine totalitaire, le Venezuela caudilliste, le Cuba stalinien, il est donc copain avec notre plus grand marchand d’armes. Dites-moi, à quoi serviraient les Rafale indiens, en toute hypothèse ? À se battre contre les deux autres puissances nucléaires de la région, soit le Pakistan et la Chine. Telle est la réalité. Cet homme défendu par une partie du mouvement altermondialiste applaudit quand un gouvernement pourri décide de détourner une colossale fortune au détriment des 650 000 villages de l’Inde réelle, qui en auraient tant besoin. Un commentaire ? Mais lequel, franchement ?

PS : J’oublie ce détail, qui figure dans la biographie évoquée plus haut. Le Parti de Gauche de monsieur Mélenchon est démocratique. Si démocratique qu’il faut un minimum de 20 % des voix au Conseil national du mouvement – composé de secrétaires mélenchonistes, et donc verrouillé – pour que les adhérents puissent recevoir d’autres textes que ceux de la hiérarchie officielle. Avec cette belle méthode, Mélenchon n’aurait jamais pu avoir un courant dans le parti socialiste, où il n’a jamais dépassé 15 % des voix, descendant parfois bien au-dessous de 10 %.

Les biocarburants, la morale et l’élection présidentielle

Que notre monde soit au bout de sa route, l’affaire des biocarburants en apporte une preuve dont je me serais bien passé. Je ne veux surtout pas dire que nos sociétés vont disparaître rapidement. Leur temps et leurs soubresauts se moquent bien de l’échelle qui est la nôtre. Mais elles sont entrées dans un processus de dislocation qui ne peut désormais s’arrêter. En plus de tout le reste, que vous connaissez comme moi, qu’il s’agisse de la crise écologique ou des impasses de « l’économie » officielle, il y a ce que nous appelons communément la morale.

Aucun groupe humain ne se maintient longtemps sans un ciment invisible, omniprésent pourtant, qui permet d’accepter l’obligation sociale. Qui donne aux existences un minimum de sens cohérent, de manière que la vie de chaque jour, le reflet dans le miroir, l’adresse aux enfants demeurent acceptables ou mieux encore désirables. Or tout se dissout. Les voleurs d’en haut s’emplissent les poches, légalement ou non, et profitent du butin, tandis que les Apaches, d’ici ou d’ailleurs, partent aux galères pour avoir vendu du shit ou dérobé un téléphone portable. Mais pour en revenir à la question du jour, les biocarburants éclipsent tout.

Je rappelle l’excellent principe : dans un monde toujours plus dévasté par la faim, des hommes bien nourris – beaucoup au Nord, certains au Sud – ont imaginé la transformation de plantes alimentaires en carburant automobile. Que cela soit un crime complet, et même un assassinat, qui pourrait donc le contester, et avec quels arguments ? Il est possible, il est même probable – mais nullement démontrable – que des centaines de milliers d’hommes ont été achevés sur l’autel de cette nouvelle industrie. Je me refuse à évoquer des données précises, car nous sombrerions alors dans la statistique, dans cet habituel voyeurisme des gavés que nous sommes. La faim. Celle qui tenaille pour de vrai, pendant des semaines et des années. Qui rend fou quand il devient impossible de donner quelque chose au mioche qui réclame. Allons nous plaindre après cela de la cuisson de notre steak quotidien.

Je sais cela, et dans le détail, car j’ai publié en septembre 2007, à l’époque du si lamentable Grenelle de l’Environnement, un livre dont je suis fier : La faim, la bagnole, le blé et nous, Une dénonciation des biocarburants (Fayard). Je crois y avoir révélé l’essentiel. Soit la constitution d’un lobby jusqu’au cœur de l’État, piloté par l’agriculture industrielle, en panne de débouchés pour ses si goûteux produits. Soit la grossière manipulation de l’opinion, à qui l’on a vendu cette idée ridicule que les biocarburants seraient bons pour le climat, quand ils aggravent le dérèglement en cours. Soit la destruction accélérée de milieux naturels prodigieux – par exemple les forêts pluviales d’Indonésie – afin de les remplacer par des plantations, comme des palmiers à huile, matière première des biocarburants. Ou la vente de millions d’hectares d’un tenant dans le bassin du Congo, pour y planter jatropha, manioc ou Dieu sait quoi, aux mêmes fins en tout cas. Soit l’annonce de famines terriblement aggravées par la concurrence entre des terres à vocation agricole et des terres sacrifiées à cette putain de bagnole.

Voilà que la Cour des Comptes française s’en mêle. Longtemps après une poignée de grands scientifiques, qui ont tordu le cou aux légendes commerciales et industrielles au sujet des biocarburants. Et bien loin derrière les institutions, souvent ultralibérales pourtant, comme la FAO, l’OCDE, le FMI, etc. qui toutes se sont attaquées aux mythologies associées au monstre. Il n’empêche : notre Cour des Comptes, donc. Et que dit-elle (ici) ? Un, nos conseillers si bien rémunérés ne savent que ce qu’ils lisent, et ils lisent apparemment peu. Ainsi ne peuvent-ils prendre en compte le désastre écologique global, humain, moral que représente cette invention du diable. Ils se contentent, avec la prudence qui est consubstantielle à leur confortable état, de noter : « Si, en France, le bilan coût / avantages des biocarburants du point de vue de leur effet sur l’environnement donne lieu à certaines critiques, la contestation qui environne cette question dans les autres pays du monde est beaucoup plus forte et va croissant ». Ajoutons que leur (nov)langue est à faire peur, mais c’est une autre histoire.

Se préoccupant avant toute chose de pognon, la Cour note avec une tranquille désapprobation (ici) que les exonérations fiscales en faveur des biocarburants ont coûté 3 milliards d’euros au budget commun entre 2005 et 2010. Au seul profit du lobby de l’agriculture industrielle. Rappelez-vous, si vous l’avez oublié, que le président en titre du « syndicat » agricole FNSEA, Xavier Beulin, est le patron de Sofiproteol, holding pesant plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010, et dont le cœur de métier est la prolifération des biocarburants.

Moi, lorsque j’ai publié mon livre – je l’ai déjà écrit ici, mais je me dois de le marteler -, j’ai alerté tous les responsables de l’écologie en France. Quand je dis tous, j’exagère bien sûr. Mais pour les autres, il y avait tout de même mon livre. J’ai alerté, comme on dit, et suggéré quantité d’actions concrètes, auxquelles j’aurais volontiers participé au premier rang. Elles n’étaient pas toutes légales, non pas. Mais il me semble que face à une offensive planétaire du crime organisé, il faut accepter de risquer. Ses biens et sa liberté, pour commencer. Ne croyez pas que je verse avec facilité dans la grandiloquence. J’exprime ce que je pense. Et si même je devais reculer en telle ou telle circonstance, cela ne déconsidérerait que ma personne. Ni ma cause, ni les moyens proposés.

Une conclusion ? Les mouvements écologistes officiels et tous ces braillards de gauche ou d’extrême-gauche qui donnent des leçons à l’univers et prétendent incarner le bien, toutes ces excellentes personnes acceptent sans seulement moufter l’une des agressions les plus totales contre la vie et la morale élémentaire qu’on puisse imaginer. Et quand la barbarie montrera le bout de son groin, quel que soit ce groin, les mêmes, avant de s’enfuir, trouveront encore le moyen de justifier leur lâcheté et leur petitesse. Ils auront encore raison, car telle est la définition qu’ils se sont octroyé : toujours retomber sur ses pattes. Mais moi, je les exècre.

PS : Allez donc voter, je crois que j’ai autre chose à faire.