Rajout le 26 janvier, suite à un petit mot de mon ami Hacène. Il me reproche d’évoquer un avenir pulvérulent pour le lac Poyang, constatant à juste titre qu’il pleut encore 1 000 mm d’eau sur la région chaque année. Je ne change rien, et il le comprendra je pense, car j’ai déjà évoqué la grande distance – incommensurable – qui existe entre notre temps si chichement compté et celui des écosystèmes. Mon propos était une image.
Un événement domine tous les autres, qui réduit nos débats picrocholins à leur triste condition : l’état du lac Poyang, situé dans la province de Jiangxi (Chine). Avant de vous en dire plus, et je suis navré de devoir enfoncer ce clou empoisonné : l’élection présidentielle française, Son Excellence Jean-Luc Mélenchon comprise, est un comice agricole franchouillard, où les prétendants se filent des torgnoles pour rire, tout en arborant leur air avantageux et leurs plumes dans le derrière. J’ai honte. Je ne devrais pas, car tous ces candidats me sont bien peu, mais j’ai honte pourtant.
La France, dans ma mémoire profonde, est un pays de révoltés. Je ne dresserai pas la liste de toutes ses barricades, qui m’ont tant fait rêver. Je dois rappeler tout de même qu’il fut un moment de l’histoire où notre pays se pensait universel. Où il trouvait les mots – et les actes – pour parler bien au-delà de ses pauvres frontières géographiques et mentales. Tel n’est plus le cas. Gavé, perdu dans sa goinfrerie perpétuelle, il se contente de radoter. Sarkozy est un Rastignac de troisième division, Hollande un Mitterrand de pacotille, Mélenchon un Robespierre de banlieue. Ce n’est même pas drôle.
Le lac Poyang, donc. Allons à l’essentiel : il est crucial, il est vital pour les hommes et les animaux. Nous parlons d’un géant de 160 kilomètres de long et de 16 de large en moyenne. Soit le plus grand lac d’eau douce de ce pays d’1 milliard 400 millions d’habitants. Je ne sais pas, et je ne crois pas d’ailleurs qu’on sache bien, en Chine, combien d’humains sont abreuvés par ses eaux. Disons beaucoup, et je suis certain de ne pas me tromper. Disons des millions, et je suis bien sûr de ne pas exagérer. La province du Jiangxi, peu connue, se trouve au sud-ouest de Shanghai, et compte environ 45 millions d’habitants. Pour les oiseaux migrateurs, les chiffres sont raisonnablement plus précis : l’hiver, 500 000 d’entre eux et de 52 espèces différentes se gorgent de nourriture et de graisse sur ses rives et son imposante surface. Dont la merveilleuse et si menacée grue de Sibérie. Regardez ci-dessous cette beauté.
Le Poyang abrite également 140 espèces de poissons et supporte la vie de 600 autres espèces animales (ici, en anglais). Que se passe-t-il là-bas ? Une catastrophe dont aucun mot humain ne peut s’approcher. Au printemps 2011, une sécheresse historique a frappé la région, asséchant 90 % de la superficie du lac. 90 % d’un lac de 160 kilomètres de long, je le rappelle. Je dois être en veine de photographies : regardez celles-ci, piquées à un site officiel chinois. Elles datent du 28 mai 2011 pour la première, et du 27 juin 2010 pour la seconde (ici), bien entendu prises au même endroit. Le lac est simplement devenu une prairie, avant peut-être de se changer en désert pulvérulent.
Cela, c’était donc au printemps dernier. Et maintenant, c’est pire. Jamais le lac n’avait été aussi désespérément sec un mois de janvier. Les pêcheurs n’ont pas eu à sortir leurs barques, car l’eau n’y est plus (voir le reportage photo). La sécheresse n’est pas la seule explication, de loin. Le barrage des Trois-Gorges, l’insupportable barrage des Trois-Gorges (ici) joue un rôle-clé dans cette tragédie. Or ce barrage, c’est nous aussi. Car Alstom, l’entreprise franchouille dont Chevènement s’est fait le héraut a vendu aux canailles de la bureaucratie chinoise 12 des 26 turbines géantes des Trois-Gorges. Avis aux crapules de gauche et de droite qui défendent le travail « français ».
Pourquoi les Trois-Gorges sont-ils en cause ? Mais parce que le lac Poyang se situe à l’aval du lac de barrage, long de centaines de kilomètres ! Tout l’équilibre de ce qui fut un grandiose écosystème est rompu. À jamais, du moins à vue humaine. Une considérable partie des eaux est désormais retenue, au lieu d’irriguer les terres, et d’alimenter nappes et lacs. Même la Chine officielle s’en émeut, c’est dire ! Jetez un regard à cet article estampillé par Pékin, mais en langue française (ici), et notamment à ces mots terribles : « Le projet du barrage des Trois-Gorges n’a pas pris la mesure complète de son impact sur l’environnement durant sa phase de conception, a admis un fonctionnaire hier. Il a ajouté que cet impact pourrait néanmoins être minimisé par des rejets d’eau du réservoir appropriés dans le fleuve Yangtsé. Le plus grand projet hydroélectrique du monde a contribué à la diminution du niveau d’eau dans le lac Dongting du Hunan et dans le lac Poyang du Jiangxi, a déclaré Wang Jingquan, inspecteur adjoint du Bureau de prévention des inondations et de la sécheresse affilié au Comité des ressources hydrauliques du Yangtsé ».
Autrement dit, les communistes au pouvoir reconnaissent à demi-mots, mais vingt ans après les courageux qui osèrent l’écrire au risque de leur liberté et même de leur vie, que les Trois-Gorges sont un crime de masse. Je ne les déteste pas, je les hais. Je sais que dans une société (faussement) pacifiée comme la nôtre, il ne fait pas bon assumer un tel sentiment. C’est barbare. Pis, c’est vulgaire. Mais moi, pour être franc, je m’en fous. Je n’aurai pas vécu pour faire plaisir au monde des bien-nés et des bien-élevés.
Et je continue. La situation est si grave que, sans état d’âme apparent, les divines autorités de la province de Jianxi envisagent désormais…un barrage pour que le lac Poyang ne verse plus ce qui lui reste d’eau dans le Yangtsé, le fleuve martyrisé par les Trois-Gorges. Un barrage contre le barrage ! Nous sommes bel et bien dans le monde des Shadoks (ici, en anglais). Au total, si l’on en croit la presse officielle du régime, 243 lacs d’une surface de plus d’un kilomètre carré chaque ont disparu en Chine depuis cinquante ans (ici, en français).
Je vous le dis bien calmement : la Chine est en train de vivre un krach écologique au regard duquel nos angoisses ne pèsent rien. La crise financière dont tant de gens discutent chaque matin chez nous n’est absolument rien en face du grand désastre planétaire dont nous sommes coresponsables, au premier plan. Je vois, comme vous j’espère, que pas un candidat à notre funeste élection présidentielle ne s’intéresse si peu que ce soit à ce qui commande pourtant notre avenir commun. Autant dire que je les envoie tous au diable, du premier – de la première – au dernier – à la dernière. Je ne sais plus bien qui a dit cette phrase limpide, que je fais mienne : « Si le mensonge règne sur le monde, qu’au moins cela ne soit pas par moi ». Et en effet, au moins cela.