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Le gouffre du nucléaire (sur le fric)

Ce qui suit est un article paru le 11 janvier dans Charlie-Hebdo. Mais en tout cas, il est de moi, et mon petit doigt me dit que tous les lecteurs de Planète sans visa ne lisent pas cet hebdo. Mon papier a été écrit – et même publié – avant celui de La Tribune, hier. Le quotidien économique révélait l’essentiel d’un rapport de la Cour des Comptes, à paraître fin janvier. En résumé, l’opacité est reine. On ne sait rien de sérieux sur le coût du démantèlement des vieilles centrales. On n’en sait pas davantage sur le prix qu’il faudra payer pour « sécuriser » les milliers de tonnes de déchets nucléaires. Bref, mais vous le savez déjà, les imbéciles ingénieurs et les odieux politiques qui nous ont plongés dans ce désastre sont bien imbéciles et odieux. Je vous laisse avec mon papier de Charlie.

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La bonne blague de la semaine passée : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demande des travaux lourds dans les centrales nucléaires, exigeant des « investissements massifs » dans notre parc de 58 réacteurs. Combien de fric  ? L’ASN n’a pas osé chiffrer, de peur d’embêter EDF. Laquelle a aussitôt perdu pied en Bourse, avant de présenter une addition de 10 milliards d’euros, évidemment sous-évaluée. Ce qui est déjà énorme, car la note s’ajoute aux 40 milliards d’euros nécessaires pour pousser la durée de vie des centrales nucléaires à 60 ans, alors qu’elles étaient conçues pour 30. Soit 50 milliards, juste pour continuer comme avant. Commentaire avisé de Lacoste, patron de l’ASN : « Je n’imagine pas que les milliards d’euros nécessaires pour augmenter la sécurité du parc de centrales d’EDF n’aient pas une traduction sur son prix de revient ».

En somme comme en résumé, le cochon de payant verra sa facture d’électricité exploser pour les beaux yeux de Proglio, le copain que Sarko a mis à la tête d’EDF. Au fait, pourquoi l’ASN sort-elle un rapport ? À cause de Fukushima, pardi. Une partie des nucléocrates admet désormais sans détour qu’une cata monstre est parfaitement possible chez nous. Benjamin Dessus et son compère Bernard Laponche, excellents connaisseurs du dossier et néanmoins antinucléaires, aiment à rappeler ce constat imparable (1) : le calcul de probabilité officiel n’imaginait que 0,014 accident grave au cours des trente dernières années. Or de l’Ukraine au Japon, quatre réacteurs ont pourtant pété, soit 286 fois plus que ce que les servants de l’atome juraient sur la tête de leurs pauvres gosses. Les mêmes assuraient au bon peuple que la qualité française interdisait toute mauvaise surprise.

Le nucléaire est donc bien le royaume du mensonge obligatoire. Cette cruelle vérité ne doit pas faire oublier le reste,. Qui est donc André-Claude Lacoste, le chef de l’ASN ? Un type du sérail, évidemment, puisque le nucléaire ne connaît que cela. Ingénieur des Mines, comme l’ont été les grands pontes de l’atome français, de Guillaumat à Giraud, il a fait toute sa carrière au ministère de l’Industrie, haut lieu de la révolte et de l’incandescence comme on sait. En 1993, Eurêka, Lacoste prend la direction de la Sûreté nucléaire. La majuscule s’impose, car bien sûr, la structure est indépendante. La preuve par DSK, qui le nomme à ce poste juste avant de quitter sa place de ministre de l’Industrie et devenir lobbyiste pronucléaire, payé par EDF (2).

Morale de l’affaire : si un anarchiste de la trempe de Lacoste réclame tant de mesures de sûreté, c’est que ça craint.  Si un homme élevé au biberon nucléaire admet la possibilité du drame, et exige des milliards, peut-être des dizaines de milliards d’euros d’investissements, c’est parce que le feu est au lac. Et pendant ce temps perdu, l’Allemagne.

Tout le monde – ou presque – s’extasie sur les performances économiques du voisin outre rhénan, mais personne – ou presque – ne semble voir ce qui se prépare. Or pendant que Sarko, Proglio and co claquent notre argent commun dans une aventure du passé, Berlin prépare hardiment le seul avenir concevable. En investissant massivement dans les énergies éolienne et solaire. Il est de bon ton en France de nier la puissance à venir de ces nouvelles énergies, mais les Allemands s’en foutent, et ils ont bien raison.

En renonçant au nucléaire, la mère Merkel n’a pas oublié de chouchouter ses industries de demain. À elles seules, les éoliennes ont produit là-bas 7,5 % de l’électricité au cours du premier semestre 2011 et le soleil 3,5 %, soit déjà 11 %. À comparer aux grandioses chiffres français au même moment :  2,2 % pour le vent et 0,1 % pour le solaire. Les Allemands misent d’ores et déjà sur 35 % d’électricité renouvelable en 2020, dans huit ans, quand nous ne saurons toujours pas payer le démantèlement du monstre Superphénix ni traiter les montagnes de déchets radioactifs. Et carrément 100 % en 2050, quand Proglio aura été oublié depuis des lustres.

Autre anodine différence entre la France et l’Allemagne. Cette dernière a vu sa consommation d’énergie globale diminuer de 4,6 % en 2011, ce qui s’appelle faire plus avec moins. En France, en 2010, la consommation d’électricité a augmenté de 5,5 %. Certes, l’électricité n’est qu’une partie de l’énergie, mais la leçon reste claire : EDF doit à tout prix fourguer son électricité nucléaire, fût-ce sous la forme d’un imbécile chauffage qui achève de ruiner les pauvres. Le serpent se mord la queue, et même le reste.

(1) Voir notamment : http://www.global-chance.org/spip.php?article250

(2) Charlie n’invente rien. DSK a bien été payé par EDF pour vanter les mérites du nucléaire, notamment chez ses copains allemands du SPD.

Une signature vaut mieux que rien (Michelin en Inde)

ATTENTION, LES SIGNATURES DOIVENT ÊTRE ENVOYÉES ici

Je vous prie tous, amis lecteurs, de relayer la pétition ci-dessous, que j’ai signée bien entendu. J’ai pu d’ailleurs écrire un article sur le sujet, qui me tient au cœur. Il ne s’agit plus du lointain et méchant Monsanto. Il s’agit de Michelin. Il s’agit bien de nous. Prenez le temps de lire. Prenez le temps de signer, et de diffuser. Merci.

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Bonjour à toutes et tous,
Toute une région du Tamil Nadu est actuellement mobilisée contre l’implantation d’une usine Michelin, ruinant la survie de milliers de villageois. Toute la population, hommes et femmes, s’est mobilisée. Il y a eu plusieurs grèves de la faim. Des militants ont été mis en prison. Nous vous demandons de diffuser largement cet appel à signatures et de nous adresser votre signature ici.

En soutien aux initiatives citoyennes indiennes, nous lançons un appel à tous ceux et celles qui refusent la loi du plus fort

                                     Michelin ne doit pas construire cette usine en Inde !

Le mouvement social ne peut plus se contenter de dénoncer abstraitement la délocalisation de l’économie. Non seulement cette dernière ruine l’emploi chez nous, mais elle détruit souvent à la racine les conditions de vie des plus pauvres au Sud. En Inde, un conflit terrible oppose un village d’Intouchables – les plus méprisés de ce pays de castes – et Michelin, notre grande transnationale du pneu.

Thervoy Kandigai est un bourg du Tamil Nadu, État du sud de l’Inde. Il compte environ 1500 familles, qui vivent depuis toujours des pâturages et forêts proches de Thervoy. Tel est leur territoire, que Michelin s’apprête à détruire pour l’éternité avec cette usine. Non seulement la forêt, espace indispensable à la survie de cette population sans terre, est confisquée mais elle a déjà commencé à être détruite, risquant par la même de tarir les lacs approvisionnant les villages locaux en eau. Notre transnationale a en effet réussi à convaincre les autorités fédérales, et entend bâtir une usine ultramoderne de pneus en lieu et place de la forêt des Intouchables. L’espace est déjà clôturé, des bâtiments déjà en construction, le centre de formation déjà ouvert.

Les villageois se battent seuls depuis deux ans, multiplient les actions, grèves de la faim. En retour, ils subissent la répression : coups, présence policière, emprisonnement, certains depuis février 2011. Ils viennent d’élire un Panchayat – sorte de maire – ouvertement opposé à l’installation de Michelin. Et ils appellent à l’aide internationale. La France est en première ligne, et les signataires de cette pétition demandent, comme les habitants de Thervoy Kandigai l’annulation du projet. Michelin India proclame sur son site internet : « Une des valeurs essentielles de Michelin, c’est le respect des personnes ». Le moment est venu de prouver que ces paroles ne sont pas que de la propagande commerciale. Ne touchez pas à la forêt des Intouchables de Thervoy Kandigai !

Les  soussignés exigent :
L’annulation de ce projet de construction d’une usine Michelin à Thervoy Kandigai
la restitution des terres aux villageois
l’indemnisation des villageois pour les terres détruites
la libération des 8 emprisonnés, l’amnistie pour les 61 en attente de jugement et l’arrêt de toute violence contre la population !

Premiers signataires

Thébaud-Mony Annie, sociologue, présidente de l’association Henri Pézerat, santé – travail – environnement, Fontenay-sous-bois

Nicolino Fabrice, journaliste, association Henri Pézerat, Fontenay-sous-bois

Roudaire Josette, présidente du Comité Amiante Prévenir et Réparer, Auvergne, association Henri Pézerat

Roca François, CGT Michelin, Clermont Ferrand

Souzon Thierry, CGT Michelin

Chevalier Michel, CGT Michelin

Gascuel Jean-Sébastien, hebdomadaire Paysan d’Auvergne

Serezat Jean-Pierre, Université populaire, Clermont Ferrand

Panthou Eric, Historien,Syndicaliste FSU, Clermont-Ferrand
Quinson Laurent, Bibliothécaire, Syndicaliste FSU, Lyon

Védrine Corine, ethnologue, Saint-Etienne

Avis en passant aux réparateurs de vélocipèdes (sur le rôle des rustines)

Exceptionnellement, j’entends rester dans les limites si pauvrement étroites de notre France. Où l’on verra, je pense, que la sociologie et la politique ordinaires mènent tout droit à la crise écologique planétaire, pour peu que l’on s’accorde « une autre façon de voir la même chose », sous-titre de Planète sans visa. Les amis, autant asséner le pire maintenant (rires préenregistrés) : la France n’est plus. La société que j’ai connue, celle où j’ai grandi, dans laquelle j’ai cru à la révolution, où les ouvriers – dont je fus – étaient des ouvriers, votant à gauche parce qu’ils étaient des ouvriers, ce pays a disparu.

Faut-il parler d’un trou noir, dans lequel toute la matière sociale se serait engloutie ? Je le crois. Les classes sociales existent encore, certes  – elles sont consubstantielles à la formation sociale que nous connaissons -, mais enfin, leurs frontières ne sont plus reconnues. Et la mythologie associée jadis à la classe ouvrière, pendant de celle liée à la bourgeoisie, a explosé comme un ballon rouge de l’enfance. Que reste-t-il ? Je vous invite à lire, si ce n’est déjà fait, le dossier du journal Le Monde consacré à la France invisible. Une France des villes moyennes, des territoires ruraux désertés, ou encore du « périurbain », pour reprendre une expression immonde (c’est ici). Une coupure nette oppose chaque jour un peu plus ceux qui profitent, depuis les métropoles, de l’infernale mondialisation, et tous les autres, plus nombreux, mais sans relais social, culturel, politique.

Pour moi, ce constat est une évidence. Nous n’appartenons plus à la même société. Mais je souhaite ajouter mon grain de poivre, ma poudre de piment à moi. Les objets et techniques, qui jouent un rôle central dans la crise écologique en cours, fragmentent chaque jour davantage la France. Chaque jour qui passe ajoute au désastre, repoussant de plus en plus loin la perspective d’une réaction unique, collective, décisive, à ce qui nous menace tant. Prenons ensemble quelques exemples. Le Net, par exemple, si fortement défendu ici même, à l’occasion, dans tant de commentaires. Le Net atomise comme peu de technologies le pourraient. Il est à lui seul un formidable trip individualiste. Mais surtout, songez à tous ceux qui sont de l’autre côté du miroir. Allons, un effort.

Des millions d’êtres, chez nous, sont constamment humiliés de ne pas savoir se servir comme il faut de cet engin moderne. Des vieux, des paysans, des urbains aussi et bien entendu. La presse n’est qu’un seul hymne au Net depuis près de quinze ans. Il faut surfer, adresser des mails, acheter on line. Et tous ceux qui ne peuvent ou ne savent, quel est leur sort, selon vous ? Il est souffrance. Les machines et les automates, omniprésents dans la vie quotidienne, ajoutent à ce cauchemar. Habitant la région parisienne, j’ai vu ce que tout le monde peut constater. Ces saloperies de machines qu’on trouve dans les stations de métro ou les gares de la SNCF coupent en morceaux les usagers qui y ont recours. Combien ai-je vu de ces gens, en plein Paris du XXIème siècle, renoncer à acheter un billet parce qu’ils ne comprenaient rien aux manipulations nécessaires ? Abandonnant pour la raison qu’une file d’impatients, derrière eux, réclamaient la place ? Dans le métro, il me semble que c’est pire, car dans un nombre croissant de stations, on ne peut plus acheter de billets aux employés, qui ne délivrent plus que des « informations ».

On ne peut que tenter d’imaginer la situation des étrangers, des bancals et boiteux de la vie, des très jeunes, des très vieux, des innocents, bref de tous ceux qui ne sont pas « entrés dans la modernité ». On pourrait évidemment multiplier les exemples, notamment à propos de ces numéros de téléphones surtaxés, qui rendent fous ceux qui sont pourtant obligés de les utiliser. Pour ce qui me concerne, j’ai souvent renoncé à obtenir des informations de Gaz de France, de la hotline du Net, de France Telecom bien sûr, de la Poste pardi. Je peux du même coup imaginer ce qu’est la vie de chaque jour pour des millions de largués de ce monde insupportable. Dans le même temps que la consommation de biens matériels explosait – disons depuis 1960 -, nous avons subi une régression incommensurable du plaisir des choses simples et des services humains. Cela, je vois bien que pas un politique n’en parle.

Telle est pourtant l’une des clés de la crise civilisationnelle dans laquelle nous sommes si gravement plongés. Jadis, voici quelques décennies, le facteur venait à domicile présenter des lettres et mandats papier, et ne manquait pas de bousculer le règlement pour rendre service à des usagers qui le connaissaient et l’estimaient. La Poste est aujourd’hui dans les mains de petits connards qui préparent une privatisation qu’on en arriverait à souhaiter, tant le service autrefois public s’est dégradé.

Qui entend faire de la politique en France doit et devra toujours plus faire le bilan de ces dégradations essentielles dans la manière de vivre ensemble. Qui entend parler de la crise écologique doit et devra toujours plus mettre l’objet et la technique au cœur de la pensée critique. Il faut placer le combat dans tout ce qui nous échappe à force d’être évident : la télé, la  bagnole, le Net et le numérique, donc la vitesse, la disparition accélérée des seuls contacts qui vaillent, c’est-à-dire entre humains, et non entre humains et machines. Ce seul programme, pourtant élémentaire, paraîtra extrémiste à certains. Et il est manifeste qu’il l’est. Comme j’ai pu déjà le dire ou l’écrire, c’est la situation générale qui est devenue extrémiste. Ceux qui croient encore dans le pouvoir des rustines devraient se contenter de réparer les vélos.

À ceux qui nous préparent des lendemains atroces (à propos du climat)

Il se tient en ce moment à Durban (Afrique du Sud) une énième conférence mondiale sur le climat. Je ne regarde que de loin, car je sais l’essentiel : il n’en sortira rien. Rien. Certains, y compris peut-être chez les écologistes officiels, jugeront bon de faire accroire qu’un pas a été accompli. Mais ce sera faux, bien entendu. Je ne dis pas cela pour décourager qui que ce soit de croire au Père Noël. J’ai toujours aimé le Père Noël. Mais je crois préférable, chez un peuple d’adultes, de laisser cette noble croyance aux plus jeunes d’entre nous.

Je ne vous ferai pas la liste des conférences précédentes, toutes effroyablement gâchées. Celle de Copenhague, à la fin de 2009, peut être considérée comme un archétype. On palabre, on applaudit, on conspue, on se congratule pour finir, sur fond de désastres de plus en plus évidents. Officiellement, la France est vertueuse, et se promène du reste toujours auréolée de grands discours creux, dont ceux de Sarkozy donnent une image assez juste. Officiellement, la France comme l’Europe sont vertueux, et prétendent en conséquence faire les gros yeux à ces vilains Américains et à ces affreux Chinois, qui ruinent tous nos si magnifiques efforts. Que vous dire ? Oui, c’est une supercherie totale, mais dont tout le monde se contrefout – je vais y revenir – au long de ce fameux axe politique droite-gauche, qui inclut je le précise tout de suite Europe-Écologie-Les Verts.

Quelle supercherie ? Je vous renvoie à Jean-Marc Jancovici, polytechnicien et néanmoins formidable vulgarisateur de la question énergétique. Ceux qui voudraient me chercher à son propos doivent savoir que je l’ai constamment critiqué pour ses positions très favorables au nucléaire. Il reste que cet homme pense, et souvent des choses passionnantes. Au nom de quoi devrait-on l’oublier, dans ce monde pétrifié ? Jancovici, donc, a publié un calcul remarquable, et je dois ajouter : incontestable. Si. Je maintiens : incontestable. Selon ce travail (ici), chaque Français émet 13 % de gaz à effet de serre de plus en 2010 qu’en 1990. 1990, telle était la date retenue au sommet de Kyoto – 1997 -pour jauger et juger les efforts de réduction des émissions de gaz des uns et des autres. Le protocole prévoyait ainsi que les pays développés s’engageaient à réduire leurs rejets de 5 % en moyenne à l’horizon 2012 par rapport à 1990. 2012, nous sommes bien d’accord ? c’est dans un mois.

C’est dans un mois et les charlatans qui nous gouvernent prétendent que, notamment grâce au nucléaire, notre pays serait au rendez-vous de Kyoto, qui soit dit en passant n’était déjà rien, RIEN, en égard des véritables enjeux climatiques. Mais tel n’est pas le cas. Et si nous émettons 13 % de gaz à effet de serre en plus, par rapport à 1990, c’est que les calculs ministériels oublient un détail. La consommation hystérique de biens matériels fabriqués ailleurs. Eh oui ! C’est simple comme bonjour : à qui diable attribuer les saloperies made in China, made in India, made in partout ailleurs, qui arrivent par milliers de tonnes dans nos ports, pour satisfaire une fringale sans but ni fin ? On refile les émissions liées à leur fabrication aux autres, et pas à nous ! De la sorte, nous pouvons dormir tranquillement. Les joujoux, les cotonnades, les ordinateurs, les télés, les téléphones ? C’est pas nous, c’est les barbares de tout là-bas !

Et voilà pourquoi votre fille est muette. Voilà la vérité à peine cachée de notre monde réel. Et le fondement d’une unité nationale qui ne dira jamais son nom. Mélenchon, par exemple, qui se prétend écologiste quand il n’est jamais qu’un politicien mollettiste (1) de plus, réclame une augmentation de la consommation des biens matériels en France, ce qui le rend complice – qu’on se rassure, il ne sera jamais jugé – de l’aggravation si prévisible de la situation climatique. Il n’est pas le seul. Tous continuent de danser sur le pont du Titanic, et les Verts, qui se battent au couteau pour des places de députés, ne font évidemment pas exception.

Des organismes qui pourtant soutiennent la marche folle de ce monde assassin, comme l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le Programme des nations unies pour l’environnement (Pnue), l’Agence internationale de l’énergie (AIE), notent avec une grande force que, sans un sursaut qu’on peine à imaginer, la température moyenne du globe s’apprête à devenir incontrôlable. La barrière des 2° d’augmentation – digue ridicule s’il en est – sera sous peu pulvérisée. Nous allons vraisemblablement vers 4 ou  5 degrés de plus, voire 6 à l’horizon 2100. Ce que nous promettent ces perspectives, si elles devaient se réaliser, c’est la fin des civilisations humaines. Attention !  Je ne parle pas là de la disparition des hommes, mais d’une régression sans précédent depuis qu’existent des sociétés civilisées. Et j’en profite pour vous rappeler ce truisme : sans l’exceptionnelle stabilité du climat que nous connaissons depuis des millénaires, pas de Pharaons, pas de Phéniciens, pas d’Athéniens ni de Spartiates, pas de pax romana, pas de cathédrales, et pas même de Révolution française. Nous devons tout, absolument tout à l’extrême bonté d’un climat favorable.

4, 5 ou 6  degrés de plus, c’est la fin concrète des agricultures productives, la migration forcée de centaines de millions d’êtres, et peut-être davantage, c’est la guerre sous toutes ses formes, le massacre, l’ensevelissement de l’idée humaine, et pour longtemps. Je vous renvoie à un article de l’historien du climat Emmanuel Le Roy Ladurie (ici), qui n’a rien d’un écologiste. Le dérèglement du climat, historiquement – à des niveaux dérisoires par rapport à ce que nous vivons -, signifie l’affrontement entre les hommes. Et pourtant, nul ne met cette question au centre de la discussion publique chez nous, à quelques mois d’une élection présentée comme importante. Que la droite veuille poursuivre cette marche forcée à l’abîme, soit. Elle semble née pour nous entraîner au chaos. Mais la gauche, mais les gauches, mais ces écologistes estampillés ? Ils font exactement pareil. Mutatis mutandis, ces gens me font penser à ceux qui couraient sur le terrain d’aviation du Bourget à la rencontre de l’avion de Daladier, retour de Munich. On s’en souvient, Édouard Daladier, Président du Conseil en cet automne 1938, était allé vendre la Tchécoslovaquie à Hitler, dans le fallacieux espoir de sauver la paix. De retour en France, il redoutait, apercevant la foule sous les ailes de l’avion, d’être lynché par des antifascistes révulsés par sa couardise. Au lieu de quoi, il fut acclamé par une foule d’imbéciles.

Eh bien, sachant dès l’avance que je vais choquer des lecteurs fidèles, je fais un rapprochement avec la situation présente, dont j’ose écrire qu’elle est pire, incomparablement. Ceux qui soutiennent des partis indifférents au chaos climatique qui vient, et qui s’apprêtent à voter pour eux, ressemblent à ceux qui apportaient des fleurs au Bourget à ce damné connard de Daladier (2). Il y a des moments, et nous en sommes là, où la rupture mentale est une nécessité absolue. Je ne voterai pas en mai 2012, car tous, TOUS nous préparent des lendemains atroces.

(1) Mollettiste renvoie à Guy Mollet, ancien dirigeant de la SFIO, qui donna naissance au parti socialiste. Mollet avait commencé sa carrière politique en 1945, tonnant du haut des tribunes et maniant une langue souvent plus « à gauche » que celle du parti stalinien (communiste). Sa spécialité fut donc d’apparaître comme une sorte de révolutionnaire de pacotille. Ce qui n’empêcha pas son parti, dès 1947, de réprimer les grèves par la violence étatique, sous la conduite de Jules Moch. Et à Mollet lui-même de couvrir et même encourager la torture de masse en Algérie lorsqu’il devint président du Conseil en 1956.

(2) Rappelons que Daladier fut un personnage-clé du gouvernement de Front populaire en 1936.

Peut-on tirer une leçon de l’affaire des biberons toxiques ?

Je ne tiens pas une forme olympique, aussi, malgré ma déjà longue absence ici, je risque de ne pas faire des étincelles. Qu’on me pardonne ! L’affaire des biberons toxiques, que j’ai eu l’honneur de mettre au jour (voir les articles publiés précédemment), est exemplaire à plus d’un titre. Elle montre d’évidence que nous ne sommes que fictivement protégés contre les innombrables abus d’une industrie devenue mortifère per se, c’est-à-dire en soi. Dépourvue de la moindre morale, tenue de vendre quoi qu’il en coûte des objets de plus en plus souvent inutiles ou rendus obsolètes à court terme, l’industrie de masse se confond régulièrement avec le crime.

Et n’est-il pas criminel de vendre des tétines de biberons contre la loi, que l’on a stérilisées auparavant avec un gaz cancérogène, reprotoxique, génotoxique ? Évidemment, oui. Des millions de nouveau-nés depuis des décennies, dans les maternités françaises, et parmi eux des prématurés ou des petits affaiblis par la maladie, ont donc goûté par force un terrible poison. Et si j’écris « terrible poison »,  ce n’est pas pour faire trembler. L’oxyde d’éthylène est l’une des pires saloperies de la chimie industrielle. Qui a servi à fabriquer jadis le gaz moutarde, utilisé en 1917 pour gazer des hommes au combat. Qui a longtemps été un pesticide légal chez nous, avant d’être interdit dans toute l’Union européenne pour cet usage à partir de 1991.

Allons au-delà, car sauf sursaut que je souhaite ardemment, l’histoire pourrait bien s’arrêter là. Résumons le déroulement de cette affaire depuis la publication dans Le Nouvel Observateur de l’enquête que j’ai cosignée avec Guillaume Malaurie. Par chance, le ministre de la Santé Xavier Bertrand a réagi vivement dès le 17 novembre, date de parution de l’enquête, annonçant une enquête administrative et le retrait des tétines contaminées. Eh oui ! par chance. Car à la vérité, tout indique que c’est l’intervention de Bertrand qui a entraîné des réactions nombreuses dans toute la presse. N’oubliez pas, je vous prie, que la première mention de l’enquête date du mardi, deux jours avant, sur le site internet de L’Obs. Le jeudi, très peu de journaux avaient réagi à cette nouvelle fracassante, et c’est bien le communiqué ministériel qui a créé la boule de neige médiatique. Laquelle, comme il se doit, a aussitôt fondu au soleil de faits divers macabres et des pauvres petites phrases politiques habituelles.

Au risque de surprendre certains d’entre vous, j’ajoute que Bertrand a au fond correctement réagi. Ce suppôt sarkozyste a pris les devants et confirmé nos révélations tout en annonçant une immédiate réaction. C’est à ce stade que tout a lamentablement failli. Dans une société normalement éveillée – ce que nous ne sommes plus depuis belle lurette -, autorités morales et médicales, syndicats, associations, partis mêmes auraient donné de la voix et promis que la lumière serait imposée à nos gouvernants. Mais il n’en a rien été. La seule parole est restée celle du ministre. Aucun journaliste, à ma connaissance en tout cas, n’a daigné poursuivre, si peu que ce soit, le travail entrepris par Malaurie et moi-même. Il eût été facile de harceler l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui achète par millions des tétines empoisonnées. Et directement des hôpitaux du réseau, comme le très glorieux Robert Debré. Mais non. Que dalle. Nul n’a poussé dans ses retranchements les services de surveillance de la santé publique, dont la faillite est ici patente. Nul n’a posé la question clé de l’illégalité pourtant certaine de ces pratiques de stérilisation. Et aucun paparazzo même n’a tenté de savoir si la clinique de La Muette, où a accouché madame Sarkozy, délivrait aux mères des tétines passées à l’oxyde d’éthylène.

Un triomphe. Un triomphe de l’indifférence, du j’m’en-foutisme et de l’imbécillité globale de notre époque, capable de se shooter des heures chaque jour à la télé sans seulement ouvrir un œil quand il le faudrait tant. Le plus probable est que l’enquête promise par Bertrand conduira à un rapport qui enterrera le tout. Des intérêts économiques puissants sont en jeu, malgré les apparences, et en l’absence de toute pression sociale, tout est prêt pour l’étouffoir, sous lequel tout disparaît. Ce n’est pas glorieux pour nous. Pour notre presse si lamentable. Pour nos mouvements. Pour nos idées et nos valeurs. Je crois bien qu’il faut parler d’une défaite, importante selon moi.

PS : À moins que ? À moins que des parents de bambins ne lancent une association et ne traînent en justice les sacrés salopards qui sont les responsables et les coupables de cette folie ? Nous verrons.