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Quelques barrages en travers de la route (en Chine)

Le texte qui suit est un article paru dans Charlie-Hebdo il y a quelques jours, sous ma plume. Où l’on voit que l’on ne parle décidément, en France, que de choses dérisoires. Que de gens qui seront oubliés dans le prochain tournant des vraies affaires du monde. Même Sarkozy, malgré le mépris dans lequel je le tiens. Même Hollande-Aubry-Royal-Montebourg. Même Mélenchon, mais si.

La Chine est un pays très distrayant, plein de fantaisie et d’imagination bureaucratique. Il existe une flopée de journaux en langue énigmatique de là-bas, mais aussi, pour faciliter les affaires, quelques feuilles en anglais. Le Quotidien du peuple, pleine propriété du parti communiste, publie ainsi People’s Daily . Lequel a créé en 2009, en le faisant passer pour indépendant, un autre quotidien, Global Times (1). Aussi étrange que cela semble, on trouve dans ce dernier des informations que nul ne connaîtrait jamais sans lui.

Le 4 août passé, Global Times revenait sur la situation dans la province de Gansu, où des glissements de terrain un rien foldingues ont tué plus de 1500 personnes l’été dernier. Eh ben, ça ne s’arrange pas. Les autorités locales ont donné le feu vert à quantité de projets de barrages, sans jeter un œil sur leur impact écologique, pourtant certain. En fait, 68 ont été acceptés, alors qu’un seul a présenté une étude de faisabilité. Les autres, nib. Sur la seule rivière Bailong, longue de 600 kilomètres, il y a déjà près d’un millier d’ouvrages de taille diverse. Le long d’une plaque tectonique qui fera parler d’elle tôt ou tard.

Voilà pour l’apéro. Le plat de résistance a été servi par le même canard le 26 août, sous le titre : « Barrages tenaces ». C’est de l’humour chinois, on ne peut pas comprendre. Le papier cite un rapport officiel affriolant. Obsédés par la croissance à tout va, les grosses bagnoles, les maisons de maître, les voyages à Paris, les comptes bancaires à Hong-Kong, les filles en bikini, les bureaucrates du parti ont comme oublié les barrages réels de la Chine réelle. Or il y en a 87 000, dispersés dans tout le pays, dont 40 000 ont déjà passé l’âge de la retraite. « Ils sont malades et dangereux », écrit le quotidien, qui cite un grand directeur du ministère des Ressources en eau, Xu Yuanming.

Ce type a le moral : « Ces barrages font courir de grands risques, déclare-t-il, et quand ils craqueront, ils ruineront des terres agricoles, des voies de chemins de fer, des habitations et même des villes ». Au total, le quart des cités et des zones rurales seraient menacées par des ruptures de réservoirs. Des millions de Chinois vivent sous la menace permanente d’une noyade ou de coulées de boue. Question bête : sachant cela, pourquoi le pouvoir ne répare-t-il pas ces innombrables passoires ? Et la réponse est : parce qu’il faut de toute urgence en construire d’autres, encore plus grands, pour satisfaire les besoins en énergie hydroélectrique d’un pays en pleine délire industrialiste, dont la croissance annuelle tourne autour de 10 %.

N’est pas puissance mondiale qui veut. La Chine a déjà construit, grâce entre autres aux générateurs français d’Alstom, le plus grand barrage du monde, celui des Trois-Gorges. Pour un coût approchant, selon bien des spécialistes, 50 milliards d’euros. Au passage, au moins deux millions de pedzouilles virés de chez eux, puis évacués vers des villages Potemkine. Et comme ce ne sera jamais assez, la Chine se prépare un vrai conflit avec l’Inde pour cause de construction d’un barrage sur le Brahmapoutre, au Tibet. Le Zangmu fait flipper le voisin indien, qui se trouve au-dessous, à l’aval du grand fleuve, et qui redoute, à juste titre, d’être privé d’une eau proprement vitale pour sa population. Pékin, qui le nie, préparerait un détournement géant des eaux du fleuve vers le nord de la Chine.

Ce n’est pas très dur à comprendre. La flotte manque partout, de nombreux fleuves sont surexploités – 70 % des surfaces en céréales sont irriguées (2) -, et ne parviennent plus à la mer, l’industrie et les villes pompent des nappes qui ne se rechargent plus. Shanghai, la ville qui fait bander les m’as-tu-vu du monde entier, dont Sarkozy bien sûr, s’est enfoncé de deux mètres dans le sol depuis 1921. Ce n’est pas Charlie qui galèje, c’est encore la Chine officielle qui informe (3). Et ça continue, car on pompe toujours plus dans une nappe qui se vide à mesure, créant un phénomène de déplétion bien connu. Ajoutons que la ville compte entre 5 000 et 6 000 gratte-ciel, qui pèsent bien trop lourd.

La Chine n’avance pas, elle s’enfonce. C’est une parabole, en effet. Pendant que nous lui vendons nos dernières turbines, nos ultimes réacteurs nucléaires, la Chine s’enfonce dans la merde éternelle. Nous allons vers le krach économique et elle vers le krach écologique. La Chine s’éveille ? G?upì, comme on dit chez les Han. Horseshit, comme on dit chez les Amerloques. Une pure connerie, quoi.

(1) http://www.globaltimes.cn/

(2) Eaux et territoires : tensions, coopérations et géopolitique de l’eau, par Frédéric Lasserre (L’Harmattan)

(3) http://www.chinadaily.com.cn/en/doc/2003-11/19/content_282844.htm

Wangari, prix Nobel des arbres et de la forêt, est morte

J’ai écrit le texte qui suit il y a quelques mois, dans une revue aujourd’hui arrêtée, Les Cahiers de Saint-Lambert. Wangari Maathai vient de mourir, et je suis triste. Voilà comment je la voyais.

Ihithe. Un village. Proche de Nyeri, une ville du Kenya située à 150 kilomètres au nord de Nairobi. Un paysage de collines verdoyantes et giboyeuses. Une vue éblouissante sur le mont Kenya, qui culmine à 5199 mètres et constitue la source de deux des plus beaux fleuves du pays, le Tana et l’Ewaso Ng’iro. Le  1er avril 1940, quand naît la petite Wangari Muta, le Kenya est encore une colonie britannique. La révolte gronde, qui conduira au violent mouvement d’émancipation Mau Mau, né au cœur de l’ethnie kikuyu, à laquelle appartient la famille de Wangari Muta. Mais pour l’heure, tout semble calme, tout paraît encore éternel.

La future Prix Nobel se souvient encore de l’émerveillement des premières années. « J’ai longtemps cru, dit-elle, que le monde était une vallée de terre riche, dominée par les contreforts des monts Aberdore et au nord par le mont Kenya. Je pensais que les acacias au feuillage mince et dur, les torrents vivaces et purs où nous allions chercher l’eau étaient éternels. Et j’imaginais que les champs où ma mère me déposait, enfant, pour mieux ramasser le managu, ce légume vert sauvage qui accompagnait nos gâteaux de maïs, seraient toujours fertiles. À mes yeux, cette vallée du Rift où mon père travaillait dans la ferme d’un colon britannique était l’univers tout entier. Et cet univers avait la couleur des forêts. Il avait l’odeur des épices et du pyrèthre. Il avait aussi ses lois ».

Mais tout va basculer en l’espace de quelques années seulement. Certes, les Britanniques ont amorcé le mouvement dès les années 20 du siècle passé en détruisant de splendides forêts tropicales au profit de plantations de pins ou d’eucalyptus, très rentables. Sur les pentes des collines autour de Nyeri, sur celles du mont Kenya, l’érosion a commencé son œuvre de mort. Mais tout s’accélère vers la fin des années Cinquante et après l’indépendance – 1963 -, car les paysans de la région se mettent à cultiver massivement des cultures d’exportation comme le thé ou le café, qui prennent eux aussi la place des forêts anciennes.

Wangari a été le témoin direct des terribles agressions infligées au mont Kenya : « Trois cents sources en jaillissaient, alimentant la plus large rivière du Kenya, la Gura. Il faut que vous imaginiez la puissance tumultueuse de ces flots, alors ! Le fracas des pierres qui roulaient ! La largeur impressionnante de la rivière ! Nous prenions l’eau aux sources. La nourriture était abondante, à portée de main, dans la nature si généreuse qui nous environnait. Je n’avais qu’une ou deux robes, nous n’avions pas l’électricité dans notre case, mais jamais nous ne nous sommes sentis pauvres.
» Si je vous décris ces paysages, c’est parce qu’ils ont aujourd’hui disparu et que cette perte est une menace mortelle pour le Kenya, l’Afrique et peut-être le monde »
.

Mais revenons à la famille de Wangari. En 1943, le père, Muta Njugi, devient le fermier d’un propriétaire terrien anglais, M. Neylan. Il part donc dans la vallée du Rift, près de la petite ville de Nakuru, en compagnie de son épouse, de ses deux premiers fils et de Wangari, qui a juste deux ans. « Les peuples indigènes, systématiquement évincés, raconte Wangari, avaient cependant droit à un petit lopin pour faire vivre leur famille lorsqu’ils acceptaient de travailler pour les Blancs. C’était le cas de mon père, venu des montagnes, et issu d’un peuple robuste, travailleur et, du fait du climat en altitude, insensible à la malaria. Toute sa vie, il a travaillé à Nakuru pour le même propriétaire blanc, M. Neylan, au point de le considérer avec déférence comme un ami. Je ne suis hélas pas certaine que M. Neylan pensait à mon père dans les mêmes termes… ».

Comme il n’y a aucune école autour de la ferme, la mère de Wangari, Wanjiru Kibicho, ramène ses enfants à Ihithe en 1947. Les deux parents de la petite souhaitent donner à leurs enfants une bonne éducation, condition de leur réussite future. À huit ans, Wangari entre à l’école primaire, et à onze, elle rejoint l’internat de la Mission catholique de Nyeri, créée par des prêtres italiens au début du XXe siècle. La petite fille se révèle très douée pour les études et apprend avec rapidité la langue anglaise, qui deviendra pour elle essentielle. Elle se convertit au passage au catholicisme, et prend – provisoirement – le prénom chrétien de Marie Joséphine. Son catholicisme est si fervent qu’elle rejoint la Légion de Marie, dédiée au service de Dieu par l’attention apportée aux hommes, en particulier ceux qui sont dans la détresse.

Première de sa classe, elle termine ses études à Nyeri en 1956, alors qu’elle vient d’avoir quinze ans. Dans la société coloniale de l’époque, un tel niveau d’excellence chez une jeune Noire est déjà une étonnante exception. Mais ce n’est pourtant qu’un début. L’adolescente, compte tenu de ses résultats, est envoyée dans la seule école supérieure ouverte aux filles du Kenya, la Loreto High School, une autre institution catholique installée dans la petite ville de Limuru, à une quarantaine de kilomètres de Nairobi.

Elle en sort diplômée en 1959 et envisage alors de rejoindre l’université de l’Afrique de l’Est, à Kampala (Ouganda). Mais le sort va en décider autrement. Les Etats-Unis, qui combattent sans relâche l’influence soviétique sur le continent africain, anticipent les indépendances, et craignent une poussée communiste chez les nationalistes. Alors que John Kennedy dirige le pays, l’Amérique décide d’accorder des bourses universitaires à des étudiants africains, dans l’espoir qu’ils formeront l’ossature administrative des nouveaux États. Au Kenya, 300 jeunes sont sélectionnés, parmi lesquels Wangari, qui part étudier aux Etats-Unis en septembre 1960.

Étudiante dans une université de l’Arkansas, à Atchison, elle y accumule des diplômes. D’abord en biologie, puis en chimie et en allemand. Après avoir obtenu un Bachelor of Science, elle réussit à Pittsburgh un master’s degree en biologie, puis un Master of Science et noue ses premiers liens avec des écologistes avant l’heure, qui bataillent contre la pollution de l’air. Ses titres lui permettent d’être recrutée par l’université kenyane de Nairobi comme maître assistante en zoologie.

Ce qui pourrait être un triomphe devient un cauchemar. À peine a-t-elle mis le pied au Kenya qu’elle découvre que son poste a été promis à un autre. Un homme d’une autre ethnie. Elle ne cessera jamais de penser qu’elle a été victime d’une des plaies de tant de sociétés humaines. En tant que femme. En tant que femme kikuyu. Déçue, elle accepte un job de fortune avant d’être secourue par le professeur allemand Reinhold Hofmann, qui lui offre un poste dans un laboratoire tout récemment créé à l’école de médecine vétérinaire de l’université de Nairobi. Il s’agit évidemment d’une première consécration.

Nous sommes alors en 1966, année de la rencontre entre Wangari et un jeune Kenyan qui a lui aussi étudié aux Etats-Unis, Mwangi Mathai. Ils se marieront quelques années plus tard, en 1969. L’époque est heureuse pour la jeune femme, pleine d’espoir et d’enthousiasme. Le professeur Hofmann lui permet d’aller compléter sa formation universitaire en Allemagne, d’abord à Giessen, puis à Munich. En 1971, elle devient la première femme d’Afrique de l’Est à obtenir un doctorat scientifique.

Parallèlement, jeune mariée, elle met au monde le premier de ses trois enfants en 1970. Serait-elle en train de réussir une vie certes brillante, mais finalement ordinaire ? La réponse est non. Car elle n’a rien oublié de son enfance au pied du mont Kenya. Et rien non plus de la fragilité des sources et des forêts. Poursuivant sa carrière universitaire – toujours plus haut -, elle s’engage dans différents mouvements sociaux et écologiques. En faveur des femmes et de la nature. À la fois au National Council of Women of Kenya (NCWK) – Maendeleo ya wanawake en swahili, ou Conseil national des femmes du Kenya – et à Environment Liaison Centre. C’est au cours des années 70 qu’elle va comprendre, pour ne plus l’oublier, les liens entre la pauvreté et la dégradation écologique. « À Nairobi, où j’enseignais à l’université, explique-t-elle, je fréquentais les mouvements féministes qui essaimaient en Afrique dans les années 1970. On y trouvait des femmes très éduquées comme moi, mais aussi des analphabètes venues de la campagne. Lorsque ces dernières m’ont dit qu’elles n’avaient plus assez d’eau potable, ni de petit bois pour le feu, ni de nourriture pour leurs enfants, lorsqu’elles ont parlé de l’abattage des arbres et des champs de thé, j’ai compris que quelque chose de grave s’était produit. Ces paysannes, qui venaient parfois des régions mêmes de mon enfance, se plaignaient toutes de la pauvreté. De la dureté du quotidien. De l’assèchement des terres. La rivière Gura, si pure et si tumultueuse autrefois ? L’eau y était désormais noire, les pierres figées, le débit faible ».

Tel est le début d’une idée extraordinaire, connue sous le nom de mouvement de la Ceinture verte (Green Belt Movement). Sous couvert de l’association Envirocare Ltd, elle crée une première pépinière de plants d’arbres, tenue en main par des femmes, dès 1974. Pour être sincère, le succès n’est pas au rendez-vous, faute notamment de soutiens et de financement. Mais le mouvement est bel et bien lancé, et ne s’arrêtera plus. Le 5 juin 1977, jour de la Terre, une marche du NCWK part du cœur de Nairobi jusqu’au parc Kamukunji, dans la lointaine banlieue. Sept arbres sont plantés dans l’allégresse, en l’honneur de sept responsables historiques des communautés kenyanes. Le reste du Green Belt Movement appartient à l’épopée.

Des milliers, plus tard des dizaines de milliers de femmes paysannes sont mobilisées au service des arbres et d’elles-mêmes. Car là est le secret de cette formidable réussite. Les femmes engagées dans le mouvement ne se contentent pas de créer des pépinières, par centaines, dans les villages, et de replanter des arbres. Elles apprennent ou réapprennent la manière d’utiliser de manière soutenable le bois de chauffage, d’obtenir de la nourriture à partir des produits forestiers, de renouer avec l’art ancestral de l’apiculture. En somme, ces femmes deviennent des pratiquantes d’une culture ancestrale, mais oubliée : la sylviculture.

La morale est simple : planter des arbres rapporte. L’association, en mobilisant quantité de forces économiques dispersées, rétribue le travail accompli, qui en retour permet de spectaculaires réapparitions de la vie, animale comme végétale. Ce cercle vertueux a permis de planter en une quarantaine d’années environ quarante millions d’arbres. Ah ! s’il existait une Wangari dans chaque pays. Mais tout n’est pas aussi merveilleux.

Mariée on l’a dit, en 1969, Wangari commence à connaître des problèmes avec son mari, qui mène une carrière politique nationale. En 1977, année de la création du Green Belt Movement, celui-ci, Mwangi Mathai, décide de la quitter. Après deux ans de séparation, il réclame le divorce à l’aide d’arguments jugés par lui imparables : « Elle est, affirme-t-il, trop éduquée, trop forte, trop têtue, et elle veut trop prendre les choses en main ». Le juge lui donne raison, ce qui indigne Wangari au point qu’elle donne une interview très dure à un magazine kenyan. Elle y déclare que le juge est soit incompétent, soit corrompu. Elle écope de six mois de prison. Grâce notamment à son avocat, elle ne passe cette fois que trois jours en prison.

Sous la présidence de Daniel Arap Moi, élu en 1978 à la tête du Kenya, elle sera emprisonnée à plusieurs reprises, et devra même s’exiler en Tanzanie. Il faut dire que Wangari ne cède jamais. Elle parvient à obtenir l’abandon de la construction d’une tour de soixante étages dans Uhuru Park, le grand jardin public de Nairobi. Pis : elle conteste au président Arap Moi, très critiqué pour sa politique tribale et la corruption de ses proches, le droit de construire une somptueuse résidence qui condamne un bout de forêt. Est-elle folle ? Tout au contraire, elle se présente aux élections présidentielles de 1997 – un lourd échec -, avant de devenir députée en 2002, puis ministre de l’Environnement en 2003.

Le fabuleux hommage du Prix Nobel de la Paix, accordé en 2004, aurait tourné la tête de bien d’autres personnalités. Mais Wangari ne peut décidément oublier les paysans et le mont Kenya de son enfance. En septembre 2007, elle se rend au Cameroun en qualité « d’ambassadrice de bonne volonté pour l’écosystème du bassin du Congo ». Une réunion de notables doit avoir lieu pour tenter une fois encore de sauver ce qui peut l’être d’une forêt tropicale somptueuse qui s’étend sur près de deux millions de kilomètres carrés. Wangari sort un matin de son bel hôtel de luxe. Perché sur une colline, « il surplombait la ville et offrait une vue imprenable sur le mont Cameroun, point culminant de l’Afrique de l’Ouest ». Mais sur la colline d’en face, Wangari observe des paysans, dont des femmes, qui préparent un champ. Une vision banale dans toutes les villes africaines, où la terre voisine avec la pierre.

Un détail – qui n’en est pas un – attire son attention : une paysanne creuse des sillons dans le sens de la pente. Elle en est aussi stupéfaite que meurtrie. Car cette façon de faire condamne l’avenir. Au lieu de creuser perpendiculairement pour limiter l’érosion, la méthode conduira inévitablement à la disparition du sol, entraîné avec les premières pluies jusqu’au bas de la colline.

« J’avais une certitude, explique-t-elle : si nous ne pouvions pas travailler avec les millions d’agriculteurs camerounais, avec les dizaines de millions d’agriculteurs des dix pays de la région du bassin du Congo, et de fait de toute l’Afrique – alors notre action serait vouée à l’échec. Nous ne sauverions jamais les forêts du Congo, et nous ne parviendrions jamais à enrayer la désertification qui, dans tout le continent, gagne inexorablement du terrain ».

Telle est restée la fille de paysans du mont Kenya, pour notre plus grand bonheur. « Si j’ai pu remarquer cette femme, conclut Wangari, c’est que j’ai parce que j’ai moi-même travaillé avec des gens comme elle lors de la campagne de reboisement du mouvement de la Ceinture verte ». Exactement ce que l’on s’apprêtait à écrire.

Les citations de Wangari Maathai sont extraites de deux de ses livres, Celle qui plante des arbres, et Un défi pour l’Afrique (éditions Héloïse d’Ormesson). D’un portrait paru dans le quotidien Le Monde, sous la plume d’Annick Cojean et Raphaëlle Bacqué. De différents textes parus en langue anglaise.

Mélenchon et madame Morel-Darleux (triste)

C’est bien triste, mais c’est comme cela. Mélenchon, qui a passé la bagatelle de 31 ans au parti socialiste, qui a été formé à l’école épouvantable de l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI) auparavant, est un homme du passé. Ce n’est pas agréable à accepter, et c’est pourquoi, contre l’évidence, Mélenchon se prétend l’homme de l’avenir désirable, désirable entre tous.

C’est pathétique, mais qu’y puis-je ? Rien. Je dois juste vous signaler l’une de ses dernières hallucinations, qui consiste à réclamer 1700 euros de smic. Mélenchon feint, pour des raisons tactiques évidentes – on ne peut même exclure certaine sincérité – que le Sud n’existe pas. Que la crise écologique planétaire n’existe pas. Que la fabrication d’objets inutiles et nuisibles, sur quoi repose l’économie, n’existe pas. C’est son intérêt bien compris.

Ce l’est, mais ça n’est pas le nôtre ! Je ne suis pas, ni se serai jamais pour la misère, qui humilie et détruit jusqu’à l’âme. Mais la pauvreté est l’horizon indépassable de notre avenir commun, et Mélenchon n’est rien qu’un couillon de plus dans une distribution qui n’en manque pourtant pas. Son héros s’appelle Chávez. Le mien n’a pas de nom. Car il est la multitude, qui nous renvoie au néant de la politique française. Avis à Corinne Morel-Darleux, qui se pique d’être mélenchoniste – elle est secrétaire nationale du fameux Parti de gauche – et écologiste. Il faut choisir, madame.

Concours de la phrase la plus conne (rude compétition)

Désolé, mais je n’ai toujours pas le temps d’écrire pour Planète sans visa. Tout le monde survivra, même moi.

Comme je n’ai pas le temps, je me contente de recopier cette phrase prononcée hier 15 septembre 2011 par François Hollande, candidat socialiste à la candidature (pour les présidentielles). Je ne sais pas encore si c’est la phrase la plus conne de l’année, mais il ne fait pas de doute qu’elle figurera en bonne place au palmarès. La voici : « Ce qui s’est passé à Fukushima a forcément des conséquences, il faut une sécurité absolue (…) Il faut descendre de 75 % à 50 % d’énergie produite par le nucléaire en 2025 ».

Sécurité absolue, imbécillité noire. De 75 % à 50 %, humour corrézien. On sera bien contents, quand on sera tous vitrifiés par l’atome, de savoir que notre pays a eu la sagesse de descendre de 75 % d’électricité nucléaire à 50 %. Ajoutons que le grand lecteur de L’Équipe – authentique – qu’est monsieur Hollande ne sait pas faire la différence entre énergie et électricité. Le nucléaire de chez nous, en 2007, représentait 76,7 % de l’électricité, mais seulement 17, 7 % de l’énergie finale consommée. Ami lecteur, veux-tu réellement voir un pareil jean-foutre remplacer l’Abominable qui tient en ce moment l’Élysée ? Cette dernière phrase ne signifie évidemment pas que je préférerais à Hollande tel ou telle autre candidat. Ils se valent tous.

Robert Redford en version française (sur Obama)

L’ami Jean-Paul Brodier m’envoie la traduction, en français, de l’article en anglais de Robert Redford, publié ici hier. Vous pourrez donc lire directement ce que l’acteur reproche à Obama. Le ton est désespérément – à mes yeux – américain. Redford soutient le système, mais condamne ses excès. Ma foi, je n’y peux rien. Pour le reste, c’est intéressant. Merci à toi, Jean-Paul.

La tribune de Redford a été publiée dans le journal en ligne The Huffington Post.

Robert Redford

Acteur, metteur en scène, militant de l’environnement

Le gouvernement Obama fait-il passer les profits des entreprises avant la santé publique ?

L’une des raisons pour lesquelles j’ai soutenu le Président Obama est qu’il a dit que nous devons protéger la propreté de l’air, de l’eau et des terres. Mais à quoi bon dire des choses justes si des actes ne suivent pas ? Depuis le début d’août, trois décisions administratives — sur les forages dans l’Arctique, l’oléoduc Keystone XL et l’ozone qui produit le smog — ont toutes été rendues en faveur de l’industrie polluante, à l’encontre de la santé publique et d’un environnement propre. Comme tant d’autres, je commence à me demander où en est au juste cet homme.

Depuis des mois, L’Agence de Protection de l’Environnement était prête à édicter de nouvelles règles sur l’ozone en vue de réduire le smog qui provoque des crises d’asthme et d’autres maladies respiratoires. Nous avons un besoin criant de ces nouvelles normes qui, selon les estimations de l’agence, pourraient éviter douze mille morts prématurées par an.

Pourtant, vendredi, la Maison Blanche a gelé les nouvelles règlementations. Le résultat : ces protections vitales seront retardées au moins jusqu’à 2013 — comme par hasard, après la prochaine élection présidentielle. La semaine précédente, le ministère de Affaires Étrangères [State Department] a donné un feu vert préliminaire au projet Keystone XL, un oléoduc qui amènerait le pétrole brut des sables bitumineux canadiens jusqu’aux raffineries texanes.

Si cet oléoduc obtient dans les prochains mois l’approbation définitive du gouvernement, il va marier l’avenir de notre énergie au pétrole le plus sale de la planète. Il va plonger notre pays dans une des pratiques minières les plus destructrices qu’on ait jamais imaginées. Et il mettra en danger les agriculteurs, les éleveurs et les terres arables au travers des grandes plaines du cœur de l’Amérique. C’est pourquoi le gouverneur républicain du Nebraska s’est élevé contre lui cette semaine.

Et juste le mois dernier, le ministère de l’Intérieur a donné un accord conditionnel au plan de la Shell Oil pour lancer, dès l’été prochain, le forage de quatre puits exploratoires dans les eaux de l’Arctique au large du versant nord de l’Alaska. Le Congrès n’a pas encore adopté la moindre loi pour renforcer les garde-fous contre les forages en mer, à la suite des épanchements de BP l’année dernière, mais voilà que nous autorisons Shell à forer dans une des zones de pêche les plus riches de la nation, dans des eaux qui sont gelées huit mois chaque année, à un endroit situé à cinq jours de bateau de la station des gardes-côtes la plus proche.

Que se passe-t-il ici ?

Dans chacun des trois cas, les décisions administratives sont arrivées à la suite d’une campagne méprisante de lobbying de l’industrie, basée sur le mélange habituel d’exploitation de la peur et de mensonges. Avec notre économie chancelante et le chômage à 9,1%, quelques-uns des plus gros pollueurs industriels du pays et leurs alliés du Congrès se mettent tout d’un coup à parler d’emplois.

Les lobbyistes de la Chambre de Commerce des E.-U., la National Association of Manufacturers et d’autres puissants intérêts industriels ont passé l’été à harceler la Maison Blanche pour ôter de leur chemin les nouvelles normes anti-smog. Si nous devons nettoyer nos saletés — disent-ils — nous n’embaucherons pas de nouveaux travailleurs.

Vraiment ? Les entreprises américaines ne pourraient embaucher des travailleurs que si elles sont autorisées à polluer notre air au point que les gens tombent malades, cessent de travailler et meurent ? Ça ne tient pas debout. Les entreprises embauchent des travailleurs pour honorer des commandes de leurs produits et services. Nettoyer leurs saletés a un coût qui fait partie de l’activité, et c’est un coût nécessaire. Ce n’est pas une question d’emplois, c’est une question de profits.

Le fait est que les garde-fous fédéraux pour la santé publique, la sécurité au travail et notre environnement ont dégagé jusqu’à 665 milliards de dollars de bénéfices économiques mesurables au cours de la seule décennie passée, avec un coût pour l’industrie de 62 millions — tout au plus — selon le bureau de la Maison Blanche pour la gestion et le budget.

Même selon une analyse économique stricte, en d’autres termes, les bénéfices nationaux des garde-fous fédéraux dépassent les coûts de plus de dix fois.

Je veux que nos niveaux de smog s’abaissent pour que davantage de nos enfants et de nos anciens puissent respirer un air propre. Faire passer les profits des industriels avant la santé publique est inadmissible, Il serait outrageux qu’un président le supporte, celui-ci ou un autre.

Quant au Keystone XL, c’est une idée terrifiante pour le pays. Il faut l’arrêter. C’est le message que plus de mille Américains inquiets ont adressé directement à Obama, par des manifestations devant la Maison Blanche au long des deux semaines passées. Parce que l’oléoduc traverserait notre frontière avec le Canada, c’est un projet international qui ne peut pas avancer sans que le président ait déterminé que c’est dans notre intérêt national.

Ce n’est pas le cas. C’est dans l’intérêt des grandes compagnies pétrolières. Si vous vérifiez, pourtant, vous constaterez qu’elles se portent fort bien. Elles ont accumulé des profits, à hauteur de 67 milliards de dollars rien que pour les six premiers mois de cette année. Je suis favorable aux profits, mais pas quand ils viennent de quelque chose d’aussi destructeur que les sables bitumineux.

Déjà dans les forêts boréales de l’Alberta, la production des sables bitumineux a transformé en mine à ciel ouvert une surface de la taille d’Orlando, en Floride. Elles est écorchée et polluée, peut-être pour toujours. Le Keystone XL couperait à travers des parties du Montana, du Dakota du Sud, du Nebraska et de l’Oklahoma, sur son trajet vers les ports de Houston et Port Arthur au Texas. Il exposerait le cœur de notre pays aux sortes de ruptures et d’épanchements qui ont provoqué des désastres pas plus tard que l’année dernière   dans la Yellowstone River, la Mer du Nord et le golfe du Mexique.

Ces désastres se sont rappelés à moi il y a trois semaines, quand le gouvernement a donné un accord conditionnel au projet de Shell de forer dans l’Arctique. Au lieu d’aller au bout du monde pour sacrifier à notre addiction au pétrole, et de mettre en danger des eaux irremplaçables, l’habitat et même le pain des Américains, nous avons besoin d’investir dans les stratégies des énergies propres de demain. C’est la façon de remettre les Américains au travail, de développer les sources renouvelables d’énergie et de combustible, de construire les voitures, les maisons et les ateliers de la prochaine génération pour un usage efficace de l’énergie.

Le Président Obama a fait beaucoup pour la protection de la santé publique et de notre environnement. Il a encouragé les investissements dans l’énergie propre, les chemins de fer à grande vitesse et la réduction des émission de carbone qui réchauffent notre planète. Il a promu l’amélioration du rendement des appareils domestiques et industriels, ce qui nous économisera à tous des milliards de dollars chaque année. Et l’accord qu’il a obtenu cet été sur la consommation des véhicules réduira notre consommation de pétrole de rien moins que trois milliards de barils par jour d’ici à 2030.

Tout cela est positif et fort. Mais nous devons continuer d’avancer. Ce n’est pas le moment de nous détourner des progrès dont nous avons besoin. Je veux croire que le Président Obama sait toujours qu’il est important de protéger la propreté de l’air, de l’eau et des terres. Comme tant d’autres, j’attends de lui qu’il se batte pour tout cela. J’attends de lui qu’il se batte pour notre avenir. Mais nous ne pouvons pas attendre indéfiniment.