Je le sais, le Net, c’est l’extrême rapidité. Mais si je ne vous demande pas, à vous, la lenteur, à qui ? Ce qui suit se découpe en trois parties, toutes numérotées. La première, c’est mon numéro habituel, qui introduit les deux suivantes. Par ordre d’apparition à l’écran, d’abord une fantastique tribune signée par l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard et deux autres personnages estimables, le professeur Dominique Bourg, membre du Comité de veille écologique de la fondation Nicolas Hulot, et le philosophe Floran Augagneur. Ensuite une chronique de Jacques Attali, parue dans l’hebdomadaire L’Express.
PARTIE 1 : Mon propre commentaire
Il y a des moments importants. Nous en connaissons un ces jours-ci. Gaffe ! très probablement, cette fenêtre ouverte sur le véritable avenir va se refermer sous peu. Dans quelque temps, dans quelques semaines tout au plus, sauf catastrophe majeure, tout aura été digéré par la machine que nous connaissons tous. On parlera du foot, de Nicolas Hulot, de Nicolas Sarkozy et du bronzage sur les plages de l’été. Mais le moment n’est pas encore arrivé. Les plus inquiets de ce monde malade, disons les plus critiques à l’intérieur des frontières de ce monde agonisant, se posent de vraies questions. Croyez-moi ou non, je pense qu’ils sont sincères, jusques et y compris dans leur extrême fantaisie.
Car, oui, ce sont des fantaisistes de première qualité. Commençons par cette tribune parue dans le quotidien Le Monde, et que vous lirez ci-dessous en intégralité. Elle est cosignée par Michel Rocard, que je ne peux pas m’empêcher de plaindre. Quelle tristesse ! Cet homme, qui a prétendu, contre l’évidence, incarner le changement culturel et social en profondeur, a finalement servi les intérêts d’un parti indifférent – le PS – et d’un maître-queux infernal, François Mitterrand. Il aura tout incarné : l’opposition de la SFIO à la guerre d’Algérie, la lutte des classes, la soi-disant révolution, l’autogestion, le socialisme, avant de sombrer corps et biens. Il a sombré, et ne croyez pas que j’en m’en réjouisse. Mais il a sombré. Dans les derniers temps, on l’a vu se rapprocher, dans de grotesques accommodements, de Sarkozy, puis s’en éloigner, puis s’en rapprocher. La vieillesse est parfois un naufrage, n’y insistons pas.
Mais Rocard n’est pas seul. Bourg, proche de Hulot, n’est pas de la même génération, tout comme Augagneur. Aussi bien, il faut considérer la tribune du Monde comme un texte pensé, car il l’est. Que dit-il ? Mais tout simplement, amies et amis de Planète sans visa, que le genre humain est menacé. Mazette ! Citations : « Mais si nous n’agissons pas promptement, c’est à la barbarie que nous sommes certains de nous exposer ». Vous avez bien lu comme moi. La barbarie serait à nos portes. Si c’est faux, ce trio est d’une irresponsabilité à faire frémir. Si c’est vrai, comme je vais le démontrer, ce trio est d’une irresponsabilité à faire frémir.
Continuons. Citation : « Enfermée dans le court terme des échéances électorales et dans le temps médiatique, la politique s’est peu à peu transformée en gestion des affaires courantes. Elle est devenue incapable de penser le temps long. Or la crise écologique renverse une perception du progrès où le temps joue en notre faveur. Parce que nous créons les moyens de l’appauvrissement de la vie sur terre et que nous nions la possibilité de la catastrophe, nous rendons celle-ci crédible ». Ne dirait-on pas une condamnation totale et définitive de ce qui a fait la vie de l’octogénaire Michel Rocard ? Si.
Un ultime extrait : « Pour cette raison, répondre à la crise écologique est un devoir moral absolu. Les ennemis de la démocratie sont ceux qui remettent à plus tard les réponses aux enjeux et défis de l’écologie ». Faisons semblant de prendre au sérieux ces paroles-là. Nous serions face à un devoir moral absolu. Qui devrait commander tout, n’est-ce pas ? Un devoir moral absolu. Tout devrait passer loin derrière, ne sommes-nous pas d’accord ? Mais passons sans transition à la chronique de Jacques Attali, immarcescible penseur passé du mitterrandisme au sarkozysme mondain, en passant par la désopilante « Commission pour la Libération de la croissance ». Oui, ce monsieur tellement savant réclamait et réclame encore, pour régler les problèmes de la France, d’accélérer par tous moyens disponibles, la croissance économique. C’est un aigle.
Dans L’Express numéro 3117, dont vous trouverez le texte plus bas, Attali embouche les trompettes de l’Apocalypse pour parler de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Une première citation : « On évacue nos ressortissants; on fait des communiqués lénifiants. Pour ne pas paniquer les populations. Pour sauver l’industrie nucléaire. Pour dormir encore quelques jours tranquilles ». Eh, dites-moi, mais on dirait bien de la panique ! Deuxième citation : « L’heure est très grave. Un scénario mettant en cause l’intégrité à moyen terme de l’humanité ne peut plus être exclu ». Oh oh, ne sont-ce pas des mots que l’on écrit au moment des déclarations de guerre ? Si. Troisième citation : « Tout cela parce que les autorités nucléaires japonaises ont, pour des raisons de pure rentabilité financière, construit cette centrale là où il ne le fallait pas et refusé d’y installer toutes les sécurités qui leur avaient été proposées ». Ne jurerait-on pas une radicale remise en cause, par un de ses thuriféraires, du système économique dans lequel nous nous engloutissons jour après jour ?
Ces deux tribunes sont simplement et nettement extraordinaires. Si la page se tourne comme à l’habitude, elles seront tôt oubliées. Ou l’on verra ces charlatans se vanter d’avoir vu clair avant d’autres. Tout reste possible, croyez-moi. Au fait, pourquoi utiliser cette désobligeante expression de charlatans ? Mais parce qu’ils le sont, assurément. Voilà des gens à l’aise dans un système dont ils nous avertissent, sans en tirer la moindre conclusion crédible, qu’il nous menace d’une mort collective effroyable. Rocard a été Premier ministre de la France de 57 à près de 61 ans. Que ne nous a-t-il prévenu du désastre en cours, profitant de son poste ? Il n’en était pas conscient ? Quel imbécile ! Il en était conscient ? Quel criminel, préférant sa carrière personnelle au bien commun de l’humanité. Quant à Bourg, qui conseille Hulot depuis tant d’années, la seule riposte à cette menace biblique serait donc une tribune et la candidature de son champion en 2012, en attendant 2017 et 2022 ?
Attali sort du cadre raisonnable. Je crois désormais cet homme totalement cynique et par là-même désabusé. Ce qui compte pour lui, c’est le jour qui passe, la semaine qui se profile, le mois espéré, et ses retombées médiatiques. Croit-il ce qu’il écrit ? Je me garderais bien de répondre, de peur d’un frisson mortel. En tout cas, cet homme jadis au service de Mitterrand, aujourd’hui ami revendiqué de Sarkozy, décrit en toutes lettres l’extrême folie du nucléaire. Et donc, même s’il ne le reconnaîtrait pas la tête sur le billot, la complète inanité des politiques industrielles menées en France depuis plus de quarante ans. Seulement, l’avouer serait se condamner soi-même. Or Attali, qui n’attend rien d’autre que ce qu’il peut encore arracher, ne l’admettra jamais.
Au-delà, tous ces braves signataires montrent une réalité qui crève les yeux. Pour sortir de ce monde, si c’est encore possible, il ne faut pas faire confiance à ceux qui ont à jamais les deux pieds pris dans sa glu. De Rocard à Attali, en passant par Bourg, la même cécité incurable. Ils voudraient garder le cadre, grâce à quoi ils sont si heureux d’être ce qu’ils sont. Mais, taraudés par l’inévitable inquiétude, ils voudraient nous faire croire qu’ils sont lucides, quand ils ne sont qu’impuissance et falbalas du monde ancien. Ce que je pense d’eux, au stade extrême où nous sommes, je ne peux l’écrire. J’ai le sentiment que je ne serais pas compris.
PARTIE 2 : la tribune ROCARD-BOURG-AUGAGNEUR
Débat
Le genre humain, menacé
| Le Monde, 02.04.11 | 15h11 • Mis à jour le 04.04.11 | 15h39
Une information fondamentale publiée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) est passée totalement inaperçue : le pic pétrolier s’est produit en 2006. Alors que la demande mondiale continuera à croître avec la montée en puissance des pays émergents (Chine, Inde et Brésil), la production de pétrole conventionnel va connaître un déclin inexorable après avoir plafonné. La crise économique masque pour l’heure cette réalité.
Mais elle obérera tout retour de la croissance. La remontée des coûts d’exploration-production fera naître des tensions extrêmement vives. L’exploitation du charbon et des réserves fossiles non conventionnelles exigera des investissements lourds et progressifs qui ne permettront guère de desserrer l’étau des prix à un horizon de temps proche. Les prix de l’énergie ne peuvent ainsi que s’affoler.
Le silence et l’ignorance d’une grande partie de la classe politique sur ce sujet ne sont guère plus rassurants. Et cela sans tenir compte du fait que nous aurons relâché et continuerons à dissiper dans l’atmosphère le dioxyde de carbone stocké pendant des millénaires… Chocs pétroliers à répétition jusqu’à l’effondrement et péril climatique. Voilà donc ce que nous préparent les tenants des stratégies de l’aveuglement. La catastrophe de Fukushima alourdira encore la donne énergétique.
De telles remarques génèrent souvent de grands malentendus. Les objections diagnostiquent et dénoncent aussitôt les prophètes de malheur comme le symptôme d’une société sur le déclin, qui ne croit plus au progrès. Ces stratégies de l’aveuglement sont absurdes. Affirmer que notre époque est caractérisée par une « épistémophobie » ou la recherche du risque zéro est une grave erreur d’analyse, elle éclipse derrière des réactions aux processus d’adaptation la cause du bouleversement.
Ce qui change radicalement la donne, c’est que notre vulnérabilité est désormais issue de l’incroyable étendue de notre puissance. L' »indisponible » à l’action des hommes, le tiers intouchable, est désormais modifiable, soit par l’action collective (nos consommations cumulées) soit par un individu isolé (« biohackers »). Nos démocraties se retrouvent démunies face à deux aspects de ce que nous avons rendu disponible : l’atteinte aux mécanismes régulateurs de la biosphère et aux substrats biologiques de la condition humaine.
Cette situation fait apparaître « le spectre menaçant de la tyrannie » évoqué par le philosophe allemand Hans Jonas. Parce que nos démocraties n’auront pas été capables de se prémunir de leurs propres excès, elles risquent de basculer dans l’état d’exception et de céder aux dérives totalitaristes.
Prenons l’exemple de la controverse climatique. Comme le démontre la comparaison entre les études de l’historienne des sciences Naomi Oreskes avec celles du politologue Jules Boykoff, les évolutions du système médiatique jouent dans cette affaire un rôle majeur. Alors que la première ne répertoria aucune contestation directe de l’origine anthropique du réchauffement climatique dans les revues scientifiques peer reviewed (« à comité de lecture »), le second a constaté sur la période étudiée que 53 % des articles grand public de la presse américaine mettaient en doute les conclusions scientifiques.
Ce décalage s’explique par le remplacement du souci d’une information rigoureuse par une volonté de flatter le goût du spectacle. Les sujets scientifiques complexes sont traités de façon simpliste (pour ou contre). Ceci explique en partie les résultats de l’étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pilotée par Daniel Boy sur les représentations sociales de l’effet de serre démontrant un sérieux décrochage du pourcentage de Français attribuant le dérèglement climatique aux activités humaines (65 % en 2010, contre 81 % en 2009). Ces dérives qui engendrent doute et scepticisme au sein de la population permettent aux dirigeants actuels, dont le manque de connaissance scientifique est alarmant, de justifier leur inaction.
Le sommet de Cancun a sauvé le processus de négociation en réussissant en outre à y intégrer les grands pays émergents. Mais des accords contraignants à la hauteur de l’objectif des seconds sont encore loin. S’il en est ainsi, c’est parce que les dirigeants de la planète (à l’exception notable de quelques-uns) ont décidé de nier les conclusions scientifiques pour se décharger de l’ampleur des responsabilités en jeu. Comment pourraient-ils à la fois croire en la catastrophe et ne rien faire, ou si peu, pour l’éviter ?
Enfermée dans le court terme des échéances électorales et dans le temps médiatique, la politique s’est peu à peu transformée en gestion des affaires courantes. Elle est devenue incapable de penser le temps long. Or la crise écologique renverse une perception du progrès où le temps joue en notre faveur. Parce que nous créons les moyens de l’appauvrissement de la vie sur terre et que nous nions la possibilité de la catastrophe, nous rendons celle-ci crédible.
Il est impossible de connaître le point de basculement définitif vers l’improbable ; en revanche, il est certain que le risque de le dépasser est inversement proportionnel à la rapidité de notre réaction. Nous ne pouvons attendre et tergiverser sur la controverse climatique jusqu’au point de basculement, le moment où la multiplication des désastres naturels dissipera ce qu’il reste de doute. Il sera alors trop tard. Lorsque les océans se seront réchauffés, nous n’aurons aucun moyen de les refroidir.
La démocratie sera la première victime de l’altération des conditions universelles d’existence que nous sommes en train de programmer. Les catastrophes écologiques qui se préparent à l’échelle mondiale dans un contexte de croissance démographique, les inégalités dues à la rareté locale de l’eau, la fin de l’énergie bon marché, la raréfaction de nombre de minéraux, la dégradation de la biodiversité, l’érosion et la dégradation des sols, les événements climatiques extrêmes… produiront les pires inégalités entre ceux qui auront les moyens de s’en protéger, pour un temps, et ceux qui les subiront. Elles ébranleront les équilibres géopolitiques et seront sources de conflits.
L’ampleur des catastrophes sociales qu’elles risquent d’engendrer a, par le passé, conduit à la disparition de sociétés entières. C’est, hélas, une réalité historique objective. A cela s’ajoutera le fait que des nouvelles technologies de plus en plus facilement accessibles fourniront des armes de destruction massive à la portée de toutes les bourses et des esprits les plus tourmentés.
Lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire de nos processus, lents et complexes, de délibération. Pris de panique, l’Occident transgressera ses valeurs de liberté et de justice. Pour s’être heurtées aux limites physiques, les sociétés seront livrées à la violence des hommes. Nul ne peut contester a priori le risque que les démocraties cèdent sous de telles menaces.
Le stade ultime sera l’autodestruction de l’existence humaine, soit physiquement, soit par l’altération biologique. Le processus de convergence des nouvelles technologies donnera à l’individu un pouvoir monstrueux capable de faire naître des sous-espèces. C’est l’unité du genre humain qui sera atteinte. Il ne s’agit guère de l’avenir, il s’agit du présent. Le cyborg n’est déjà plus une figure de style cinématographique, mais une réalité de laboratoire, puisqu’il est devenu possible, grâce à des fonds publics, d’associer des cellules neuronales humaines à des dispositifs artificiels.
L’idéologie du progrès a mal tourné. Les inégalités planétaires actuelles auraient fait rougir de honte les concepteurs du projet moderne, Bacon, Descartes ou Hegel. A l’époque des Lumières, il n’existait aucune région du monde, en dehors des peuples vernaculaires, où la richesse moyenne par habitant aurait été le double d’une autre. Aujourd’hui, le ratio atteint 1 à 428 (entre le Zimbabwe et le Qatar).
Les échecs répétés des conférences de l’ONU montrent bien que nous sommes loin d’unir les nations contre la menace et de dépasser les intérêts immédiats et égoïstes des Etats comme des individus. Les enjeux, tant pour la gouvernance internationale et nationale que pour l’avenir macroéconomique, sont de nous libérer du culte de la compétitivité, de la croissance qui nous ronge et de la civilisation de la pauvreté dans le gaspillage.
Le nouveau paradigme doit émerger. Les outils conceptuels sont présents, que ce soit dans les précieux travaux du Britannique Tim Jackson ou dans ceux de la Prix Nobel d’économie 2009, l’Américaine Elinor Ostrom, ainsi que dans diverses initiatives de la société civile.
Nos démocraties doivent se restructurer, démocratiser la culture scientifique et maîtriser l’immédiateté qui contredit la prise en compte du temps long. Nous pouvons encore transformer la menace en promesse désirable et crédible. Mais si nous n’agissons pas promptement, c’est à la barbarie que nous sommes certains de nous exposer.
Pour cette raison, répondre à la crise écologique est un devoir moral absolu. Les ennemis de la démocratie sont ceux qui remettent à plus tard les réponses aux enjeux et défis de l’écologie.
Michel Rocard, ancien premier ministre, coauteur avec Alain Juppé de « La politique, telle qu’elle meurt de ne pas être » (JC Lattès, 314 p., 18 €).
Dominique Bourg, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne, membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot
Floran Augagneur, philosophe, enseigne la philosophie de l’écologie à l’Institut d’études politiques de Paris
PARTIE TROIS, LE PAPIER DE JACQUES ATTALI DANS L’EXPRESS
Branle-bas de combat pour sauver Fukushima et l’humanité
Par Jacques Attali, publié le 30/03/2011 à 10:04 /L’Express
La communauté internationale doit agir au plus vite afin d’empêcher l’évaporation en quantité immense de particules radioactives de la centrale de Fukushima.
L’heure est très grave. Un scénario mettant en cause l’intégrité à moyen terme de l’humanité ne peut plus être exclu. Si les cuves ou les piscines stockant les combustibles irradiés des réacteurs de Fukushima cèdent sous l’effet de la chaleur, d’une explosion ou d’une réplique sismique, on verra se dégager, sous forme liquide ou gazeuse, dans la mer, dans l’air ou en sous-sol, des quantités immenses de matériaux radioactifs. Et même, s’il s’agit de l’enceinte de confinement du troisième réacteur, des quantités considérables de plutonium. Avec, alors, des conséquences certaines sur la contamination d’une partie du Japon, devenant largement inhabitable; et avec d’autres implications, moins certaines, sur la contamination de la planète entière.
Tout cela parce que les autorités nucléaires japonaises ont, pour des raisons de pure rentabilité financière, construit cette centrale là où il ne le fallait pas et refusé d’y installer toutes les sécurités qui leur avaient été proposées. Et parce que, depuis le début de la catastrophe, ces mêmes autorités ont accumulé erreur sur erreur dans la gestion des secours, laissant des jours durant les réacteurs sans refroidissement, causant des dommages irréparables aux systèmes de protection encore intacts et, par un mélange d’orgueil et de goût du secret, refusant longtemps l’aide internationale et ne communiquant pas la réalité de ce qu’ils savaient sans doute être, depuis le début, une catastrophe méritant une mobilisation planétaire.
En agissant ainsi, ces autorités ont d’abord mis en danger le magnifique peuple japonais, qu’ils ont sous-informé; et en particulier des travailleurs, mal payés, employés à des tâches extrêmement dangereuses, pour lesquelles ils n’étaient pas formés. Désormais, afin de ne pas avouer qu’ils ont menti, ces mêmes responsables refusent la coopération des spécialistes étrangers; et c’est la planète tout entière qu’ils mettent en danger.
Il est ahurissant que la « communauté internationale », désormais (et c’est heureux) si prompte à réagir, à s’indigner à la moindre violation des droits de l’homme, reste, dans ce cas, totalement impavide: on demande poliment aux responsables japonais ce qu’ils font; on n’insiste pas lorsqu’ils refusent notre aide; on évacue nos ressortissants; on fait des communiqués lénifiants. Pour ne pas paniquer les populations. Pour sauver l’industrie nucléaire. Pour dormir encore quelques jours tranquilles.
Tout cela est absurde. L’industrie nucléaire ne pourra être, éventuellement, sauvée que si cette catastrophe est enrayée au plus vite. Il faut donc d’urgence mettre en place un consortium mondial de toutes les compétences. Il faut que nos amis japonais acceptent au plus vite la venue sur place des meilleurs spécialistes mondiaux de la gestion de l’après-accident. Ce qui sera, d’ailleurs, le seul moyen de savoir ce qui se passe vraiment à l’intérieur de cette centrale. Sans attendre les conclusions de ces spécialistes, il faut, d’ores et déjà, envoyer sur place, par avion, tous les hélicoptères, lances à incendie, robots, bétonneuses qu’on pourra trouver pour organiser un confinement efficace de ces réacteurs et mettre fin à ce désastre. Il n’est plus temps de s’interroger sur le droit ou le devoir d’ingérence. Mais d’agir.