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Ce qu’Obama nous dit de la France

La situation aux États-Unis annonce exactement ce qui se passe et se passera en France.

Rappelons aux oublieux, nombreux ce me semble, que la crise écologique planétaire est notre destin. Nul n’y échappera. Elle devrait conduire nos politiques, en Europe comme ailleurs, depuis des lustres, mais elle en est absente. Totalement. Sans être décisive, la responsabilité des écologistes officiels, estampillés et même régulièrement décorés, est engagée. Je parle là du WWF, de Greenpeace, de la fondation Hulot et de France Nature Environnement (FNE). Quant à Europe Écologie, dont bien des lecteurs de ce blog sont des électeurs, je ne vois aucune raison de ne pas lui appliquer le même traitement.

La crise écologique, c’est maintenant. Pas quand on aura accumulé tant de forces, dans 5600 ans, que l’on pourra enfin mener les affaires autrement. Maintenant. Ou nous sauvons une partie des équilibres écosystémiques, ou ils disparaîtront. Et nos sociétés d’opulence ne survivraient pas à la perte d’incommensurables services rendus gratuitement. N’insistons pas, en ce début d’année 2011, sur les conséquences hautement probables qui s’ensuivraient. Je veux en tout cas vous parler du cas Obama. J’ai écrit ici, en novembre 2008, plusieurs articles pour dire que je ne misais pas un cent sur le mandat du nouveau président Obama. Ce qui m’a valu – je ne m’en plains aucunement – de nombreux courriers de protestation. Vous pouvez relire ce que j’écrivais alors, car je n’en retire pas un mot. Le premier papier, celui du 5 novembre, résume bien mon propos (ici).

Nous sommes le 5 janvier 2011, plus de deux ans après, et Obama n’a rien fait de réellement important. Le peu qu’il a tenté – une réforme de la santé que nous jugerions ici insultante – risque d’être détricoté par la nouvelle majorité républicaine du Congrès. En deux mots, elle entend opérer des coupes drastiques dans tous les budgets publics, notamment dans ceux de la santé et de l’écologie. Normal ? Oui, normal. Mais poursuivons. L’excellent journaliste du Monde Sylvain Cipel, installé à New York, a publié hier un papier intitulé Plus c’est gros…, dans lequel il revient sur la commission Financial Crisis Inquiry Commission (FCIC), instituée par Obama pour tenter de dénouer les fils et intrigues de la crise financière commencée en 2008 (ici). Comprenant à la fois des démocrates et des républicains, dont deux anciens conseillers de W.Bush, elle devait éclairer le peuple ébloui sur la responsabilité évidente, écrasante, de la dérégulation de l’économie et la puissance hypertrophiée des transnationales. J’ajoute qu’il y a un précédent célèbre : la Commission Pecora, créée en 1932, au milieu de la Grande Dépression, et dont les travaux débouchèrent sur de vraies décisions. Par exemple, la séparation entre les activités bancaires de dépôt et celles touchant directement au business.

Tel n’a pas été le cas avec la FCIC. Incapable de se mettre d’accord, cette commission ne rendra pas de rapport unique. C’est que les Républicains refusent tout net l’emploi de (gros) mots comme fonds spéculatifs, Wall Street, corruption, risque systémique, etc. Le seul responsable à leurs yeux de cette énième catastrophe du capitalisme, c’est l’État. Il serait trop ou pas assez intervenu, il aurait incité les Américains à s’endetter, il aurait tenté même de réguler ce qui ne doit en aucune circonstance l’être – l’avidité -, bref, il serait le monstre venu des profondeurs. Il s’agit certes d’idéologie, et concentrée. Mais est-ce bien là le problème ?

La situation américaine montre de manière limpide l’impasse historique qui est la nôtre. On vote, ou pas. Mais de toute façon sur des sujets totalement secondaires, qui embuent le regard, et font perdre un temps qui ne reviendra jamais. Les énergies – pensez à la jeunesse américaine pro-Obama, enflammée tout au long de l’année 2008 ! – se dispersent et se changent en aigreur. Pendant ce temps, la destruction avance, sans masque. Il faut sortir du cadre, sachant qu’on n’y retournera jamais ! Voyez ce qui se passe en cette année 2011 chez nous. Les quelques forces pour l’heure disponibles sont polarisées par la ridicule élection présidentielle du printemps 2012 qui ne changera rien à la seule question politique qui vaille. Qui est, comme chacun devrait le savoir, la création d’une coalition mondiale des refusants, des dissidents, des solidaires, des combatifs, des courageux. Tous ceux qui ne renoncent pas à l’idée de l’homme. Tous ceux qui ne renoncent pas à l’idée de l’animal. Tous ceux qui ne renoncent pas à l’idée de la plante. Tous ceux qui ne renoncent pas à l’idée d’une vie digne d’être vécue. Potentiellement, cela fait du monde. Il faut et il suffit de rassembler. Les élections, oui, oui et encore oui : un piège à cons.

En complément du précédent (sur Total, Suez et nos députés)

Il paraît qu’il ne faut pas critiquer la représentation nationale. Les députés, les sénateurs, toutes ces excellentes personnes qui veillent scrupuleusement sur l’intérêt général. Je ne sais pas ce que l’avenir réserve, et je suis bien convaincu que la violence est, historiquement, une arme qui s’est toujours retournée contre les pauvres et les gueux. Seulement, si elle revient un jour hanter nos contrées, il faudra bien savoir de quel côté se situer. Vous ne pensez pas ? Voici deux articles. Le premier a paru dans Le Figaro. Le second dans Libération. Cela ne saurait durer des siècles.

(Je reprends la plume le 21 décembre au matin, car dans la nuit, craignant sans doute des remous, les députés ont modifié le projet de loi évoqué dans l’article du Figaro ci-dessous. Sans rien changer, fondamentalement, à son épouvantable esprit)

(1) Le Figaro

L’Assemblée restreint les pouvoirs de la commission pour la transparence financière.

Par Sophie Huet
20/12/2010

Coup de théâtre, lundi, en commission des lois à l’Assemblée. Jean-François Copé et Christian Jacob ont fait adopter sans aucune publicité deux amendements destinés à ne pas augmenter les pouvoirs de la commission pour la transparence financière de la vie politique. Le nouveau secrétaire général de l’UMP et son ami, le président du groupe des députés UMP, ont ainsi supprimé la nouvelle incrimination (sanctionnée de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende) pour déclaration volontairement incomplète ou mensongère du patrimoine d’un député. Jean-Luc Warsmann, le président de la commission, et Charles de la Verpillière, le rapporteur UMP du projet de loi organique sur l’élection des députés, dont l’examen a débuté lundi soir, se sont prononcés sans succès contre les amendements Copé-Jacob.

Le 8 décembre, le député UMP Jean-Paul Garraud (Gironde) avait voté contre l’amendement du rapporteur créant cette nouvelle incrimination, qui avait été adopté de justesse en commission des lois, l’UMP et le PS étant divisés sur le sujet. Garraud est revenu lundi après-midi à la charge, en soulignant que « cette incrimination pénale nouvelle n’a pas lieu d’être, car il est inutile que la commission pour la transparence financière devienne une sorte d’autorité judiciaire préalable, et qu’il y a dans l’arsenal juridique toute la gamme d’infractions nécessaires».

Jean-François Copé et Christian Jacob n’ont en revanche pas réussi à empêcher la commission de demander communication des déclarations d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune des députés. Mais ils ont fait supprimer une autre disposition, également adoptée le 8 décembre: la commission pour la transparence financière ne pourra pas demander au député une communication sur la situation patrimoniale du conjoint séparé de biens, du partenaire lié par un pacs ou encore du concubin. Les débats en commission ont été houleux. Bernard Roman (PS, Nord) a dénoncé « la rupture du compromis» intervenue entre la majorité et l’opposition sur ce texte. René Dosière (PS, Aisne) a annoncé son intention de défendre deux motions de procédure contre le projet de loi organique ainsi modifié. « Avec ces amendements, la commission pour la transparence financière ne sert plus à rien. On est en train de l’enterrer», dénonce ce spécialiste de la traque aux dépenses publiques. En séance, lundi soir, il a même qualifié de «dangereux» un texte qui était, selon lui, «consensuel» à l’origine.

La commission des lois a aussi approuvé lundi un amendement de Bernard Roman, qui prévoit que quand un député est élu au Sénat ou au Parlement européen il peut être remplacé par son suppléant, sans procéder à une élection partielle comme c’est le cas actuellement. Un autre amendement socialiste, également adopté, stipule que quand le Conseil constitutionnel annule l’élection d’un candidat et le déclare inéligible en raison d’irrégularités de son compte de campagne, l’intéressé doit « reverser à l’État le montant perçu du remboursement de ses dépenses».

(2) Libération

Même réformée, la retraite des députés reste très avantageuse

 Par LUC PEILLON, 03/11/2010

L'Assemblée nationale.

Faites ce que je vote, pas ce que je fais. Ou comment les députés, contraints de réformer leur régime (très) spécial de retraites, ont accepté hier de l’aménager, mais sans renoncer totalement à leurs avantages. Une réforme approuvée par l’ensemble des partis représentés au bureau de l’Assemblée, à l’exception du Vert François de Rugy.

Mesure phare qui existait jusqu’ici pour les représentants du peuple: le système de double cotisation lors des trois premiers mandats, puis d’un et demi sur le suivant. Celui-ci permettait aux députés de cotiser 22,5 ans pour une retraite complète, contre plus de 40 ans aujourd’hui pour le commun des mortels. Avec la réforme, les députés ne pourront plus cotiser «que» 1,5 fois sur les deux premiers mandats, 1,33 sur le suivant, puis 1,25 sur ceux d’après. «Un effort de réforme sans précédent», selon le cabinet de Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale. Et qui conduira à amputer les retraites de 25%.

En réalité, même réformé, le régime restera très confortable. Ainsi, au bout d’un mandat, un député sera encore assuré de toucher une pension de près de 1200 euros (contre 1600 euros auparavant). Soit une retraite obtenue en cinq ans quasi équivalente au montant de la pension médiane touchée par les Français (1334 euros) après une carrière complète (près de 40 ans de cotisation). Et si le député fait un second mandat, il touchera alors le double (2400 euros, au lieu de 3200 euros auparavant). Pour faire taire les critiques, l’Assemblée insiste sur le fait que le mandat moyen d’un député est de 7,5 ans. Ce qui fait tout de même une retraite moyenne de 1800 euros après 7,5 années de cotisations…

Pas de décote pour les députés

Un rendement imbattable, rendu possible grâce à la surcotisation ouvrant droit à une majoration d’annuités, mais également par le fait que les députés ne sont pas soumis au dispositif de la décote. Pour un salarié lambda, par exemple, la retraite sera proportionnelle au nombre d’annuités cotisées, mais aussi amputée d’une décote de 5% par année manquante (dans la limite de cinq ans). Pour les députés, pas de décote, la pension est calculée au prorata du nombre d’années effectuées. Argument de l’Assemblée: leur système n’étant intégré à aucun autre, leurs années ne comptent pas dans la reconstitution finale de la carrière. Sauf à faire 31 ans de mandat pour une carrière complète, tous seraient soumis à la décote. Et devraient attendre l’âge d’annulation de celle-ci que la nouvelle loi sur les retraites a justement repoussé à 67 ans.

Reste que ce système, même réformé sur d’autres points (suppression du 13e mois, recul de l’âge légal, alignement du taux cotisation sur celui du privé), demeure sans doute le plus lucratif de tous les régimes spéciaux. Mais l’écrire, «c’est être accusé d’antiparlementarisme primaire», glisse un député frondeur. Pour le patron du groupe UMP, Jean-François Copé, c’est même «un bon accord, équilibré, qui nous rapproche singulièrement du régime général». Ne reste plus, alors, qu’à aligner le régime général des salariés sur celui des députés…

Monique Lang et Anne Hidalgo (paso doble)

C’est le hasard. Je rouvre sans y penser le très remarquable livre intitulé Histoire secrète du patronat (sous la direction de Benoît Collombat et David Servenay, La Découverte, 720 pages, 25 euros). Vraiment, si vous avez de l’argent, a fortiori  si vous conservez des illusions, lisez ! Et faites lire. Il y a de cela treize années, j’ai vu comme bien d’autres – nous étions en 1997 – un papier du Canard Enchaîné concernant l’emploi accordé par la Lyonnaise des Eaux à l’épouse de Jack Lang. Vous situez le monsieur ? Un grand rebelle, qui a abandonné Blois parce que les électeurs le boudaient, et qui, n’ayant pas obtenu l’investiture socialiste à Paris – ce Delanoé, quelle crapule ! -, a dans son immense bonté accepté une circonscription législative acquise de toute éternité à la gauche, Boulogne.

J’espère vivement que les trajets entre Le Marais – Paris – et le Pas-de-Calais sont tout de même moins fatigants que les allers simples de son ami Jacques Mellick entre Paris et Lille en 1993 (ici). Je vous confirme au passage que Wikipédia sait être une excellente fille avec les excellents citoyens comme Lang (ici). Nulle trace de sa campagne acharnée contre Delanoé. Nulle trace de son amitié incandescente avec Mellick, le roi de la conduite à 300 à l’heure. Nulle trace bien sûr de la faveur faite à son épouse Monique.

Ce n’est pas seulement étrange. C’est directement stupéfiant. Si vous tapez sur Google : « monique lang » lyonnaise des eaux, il n’y a que 20 occurrences. Je n’ai aucune preuve, et n’en cherche d’ailleurs pas, mais je ne serais pas étonné d’apprendre un jour que les Excellences de ce monde ont trouvé le moyen d’agir sur ces moteurs de recherche. Quoi qu’il en soit, voici un extrait du livre cité en préambule, en sa page 582 :

« Fin 1992, alors que se profilait un désastre pour le Parti socialiste aux législatives de mars 1993, une de ses filiales [ de la Lyonnaise] a embauché Monique Lang, épouse de Jack Lang, jusque-là chargée de mission au cabinet de son époux, ministre de l’Education nationale de 1992 à 1993. La filiale en question, la Compagnie auxiliaire de services et de participations (Caspar), lui a versé de janvier 1993 à 1994 un salaire de 25 000 F nets par mois (3 800 €). Interrogée en 1997 par le Canard enchaîné qui avait révélé l’affaire, Monique Lang avait admis n’avoir « jamais avoir mis les pieds au siège de la Caspar » et ne pas avoir de traces écrites de ses prestations. Elle mettait en avant un travail de mise en relations, de prises de contact…».

Dans le même genre, pour faire penser. Un coup de chapeau à l’ami Marc Laimé, dont je retrouve un article – oublié, je le confesse – publié en mars 2005 dans Le Monde Diplomatique (ici). Il y revient, entre autres, sur les excellentes relations nouées entre l’ancienne Compagnie Générale des Eaux (CGE), devenue Veolia, et ceux que l’on appelle les socialistes, sans doute par sens de l’humour. Je le cite : « Ainsi Mme Anne Hidalgo était la numéro 2 de la direction des ressources humaines de la Générale des eaux de 1995 à 1997, avant de devenir en 2001 première adjointe au maire de Paris, M. Bertrand Delanoë. Ex-responsable du Parti socialiste (PS) de la région de Lille, membre du cabinet de Mme Martine Aubry, M. François Colin deviendra responsable des affaires sociales de Vivendi Universal (VU), ex-Générale des eaux, de 1998 à 2003. Le porte-parole pour l’économie et les entreprises de l’état-major de campagne de M. Lionel Jospin en 2002, M. Eric Besson, député PS de la Drôme, dirigeait, quant à lui, la Fondation Vivendi, de 1998 à 2002. Ancien conseiller technique de Charles Hernu au ministère de la défense, M. Jean-François Dubos deviendra secrétaire général de Vivendi Universal en 1997 ».

Vous savez quoi ? Je crois que je n’ai pas davantage de goût pour ces gens que pour les autres. Mais je ne veux décourager personne d’accomplir un si noble travail civique que le dépôt d’un bulletin dans une urne.

Je cède ma place à Brice Lalonde (de bon cœur)

Le magazine Terra Eco (ici) publie dans sa dernière livraison un entretien avec Brice Lalonde. Et il est passionnant. Lalonde, ci-devant écologiste – il y a désormais si longtemps – est devenu ultralibéral et copine avec Alain Madelin, ancien responsable politique français reconverti dans les affaires. Lalonde est l’un des meilleurs symboles d’un mouvement surgi des profondeurs du système. Ce qu’on nomme le « développement durable », qui n’est rien d’autre, dans l’esprit de ses concepteurs, qu’un développement appelé à durer. Éternellement. En somme, Lalonde représente le capitalisme vert, qui utilise cette déjà vieille combine nommée chez nous Ripolin et chez d’autres greenwashing. On passe un coup de badigeon, et l’on repart à l’assaut des mers, des forêts, des sols et des peuples.

Attention, Lalonde n’est pas un quelconque pékin. Ambassadeur de la France pour les négociations climatiques, il va coordonner pour les Nations Unies le Sommet de la Terre prévu à Rio en 2012. Un Sommet dans les coulisses duquel des hommes comme Stephan Schmidheiny font la pluie et le beau temps. Ce Suisse est l’héritier du groupe Eternit, spécialisé dans l’amiante, dont l’activité a tué et continue de tuer des milliers de prolétaires d’un bout à l’autre de la planète. Un procès historique se tient en ce moment à Turin, où Schmidheiny est l’un des principaux accusés. Mais il a prudemment décidé de ne pas se présenter.

C’est qu’entre-temps, il a refait sa vie. On croirait presque de la chirurgie esthétique. Installé la plupart du temps en Amérique latine, il y a créé une série de fondations vouées au « développement durable ». Avina, par exemple (ici). Dès 1992, il était le bras droit de Maurice Strong, ancien patron de l’industrie pétrolière canadienne, dans l’organisation du premier Sommet de la Terre de Rio. Un ami me dit qu’il en sera de même pour l’édition 2012. Je n’ai pas encore vérifié, mais je suis prêt à parier que oui. Or Schmidheiny est aussi le fondateur du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Ce Conseil mondial des entreprises pour le développement durable regroupe d’innombrables philanthropes, parmi lesquels BP, Shell, Syngenta, BASF, Areva, Novartis, Unilever, China Petrochemical Corporation, etc.

Lalonde-Schmidheiny même combat ? Je le crois. Je le crains. Maintenant lisez Lalonde dans le texte. C’est fameux de la première à la dernière ligne. Vous n’avez pas besoin de moi, je pense, pour comprendre de quoi il retourne. J’en profite pour lancer une nouvelle fois un Appel pour préparer la déconstruction critique du funeste Sommet de la Terre 2012, qui s’annonce comme le pire événement des années sombres où nous sommes par force plongés.

Terra eco : Personne ne semble croire à un accord global sur la réduction des émissions à Cancún. Mais que peut-on vraiment attendre de ce sommet ?

Brice Lalonde  : Il faut qu’il y ait une avancée et qu’on scelle cette avancée. On sait déjà que sur certains points, on peut parvenir à un accord : sur les émissions qui proviennent de la déforestation, sur la coopération technologique, sur la création d’un fonds vert qui viendra compléter les mécanismes de financement existants. Et on sait aussi qu’on doit pouvoir traduire, dans une décision, les engagements qui ont été pris à Copenhague par les chefs d’Etat en matière de réduction d’émissions et de transparence. On sait que tout cela est possible.

Mais on ne pourra avancer que si l’ensemble de ces points constitue un ensemble à peu près équilibré. Avant, on croyait à un accord exhaustif (soit il y avait un accord sur tout, soit pas d’accord du tout, ndlr) ; aujourd’hui, on a compris qu’on n’y arriverait jamais. On cherche donc un accord dans lequel tout le monde trouve son compte : le Nord, le Sud mais aussi les pays développés entre eux. C’est un équilibre délicat. En principe, ça se passe la dernière nuit de négociation, quand tout d’un coup les ministres se disent : « Ça y est. On a trouvé quelque chose ». Reste que certaines questions peuvent faire déraper le processus. Notamment celle de la forme juridique que doit prendre l’engagement des pays non engagés dans Kyoto. Ou parce que dans le système des Nations unies, où les décisions sont prises à la quasi-unanimité, il suffit que trois ou quatre pays ne soient pas d’accord pour tout bloquer…

Vous parlez d’accord sur des points précis. Un accord global sur les émissions prendra plus de temps ?

190 pays, vous vous rendez compte ? Le paysan andin, le pêcheur mauritanien, le commerçant chinois, tous ces gens pour lesquels le changement climatique n’est pas la première priorité ! Que 190 pays avec toute cette population signe un traité dont l’objectif sera de transformer l’économie mondiale, de progressivement sonner le glas des combustibles fossiles, de passer aux énergies renouvelables, à la sobriété énergétique… Ce n’est quand même pas rien ! Ce n’est pas pour tout de suite, voilà.Disons qu’en 2011, en Afrique du Sud, on peut attendre que l’accord de Cancún soit complet. On aura déblayé ce qui reste à négocier pour mettre en place la seconde phase de Kyoto pour les pays engagés dans le protocole et on aura négocié ce qui reste à déterminer de l’accord de Copenhague : le fonds vert, la source des financement innovants… Ce sera le dernier accord double avant l’accord unique.

Un accord unique qui commence à ressembler au Graal…

Oui, c’est tout à fait ça. C’est comme en physique, on cherche la grande unification ! Mais cet accord ne viendra peut-être que valider ce qui existera déjà. L’impulsion du changement, je ne pense pas qu’elle vienne des Nations unies, je pense qu’elle vient d’ailleurs. Elle vient de groupes plus petits, peut-être de deux ou trois pays…

 Les chefs d’Etat ne devraient pas être présents à Cancún. Certaines ONG pensent que cela apaisera le débat. Vous-même, le regrettez-vous ?

 A Copenhague, heureusement que les chefs d’Etat sont venus. Ils ont transpiré, ils ont mouillé leur chemise. J’étais absolument épaté. Ils ont passé une nuit blanche et une journée entière à négocier. S’ils n’avaient pas été là, ç’aurait été un échec total.

Leur présence est importante. C’est tellement lourd ce qu’il y a à décider… Refaire toute l’économie mondiale, c’est quand même une affaire importante. Et la plupart du temps, les ministères de l’Environnement des pays n’ont pas la capacité d’engager de tels budgets. Mais il faut faire avec ce qu’on a. Au moins, nous aurons des ministres.

Vous allez quitter le poste d’ambassadeur français pour le climat l’année prochaine. Vous ne verrez peut-être jamais la signature un accord international…

Je ne serai pas loin (Brice Lalonde devrait être coordinateur du Sommet de la Terre à Rio en 2012, ndlr). Je le verrai. Peut-être pas de mon vivant. Vous savez, ça risque de durer tout le siècle. Et il n’y a pas que le carbone : il y a aussi le phosphore, l’azote, la biodiversité, la couche d’ozone, l’acidification de la mer… On est entré dans un monde nouveau. Les problèmes sont nouveaux, on est en train d’essayer de les régler. Tout est à inventer.

Mélenchon et les cornichons (dure est la vie)

Vous vous en foutez ? Moi aussi. Mais grave, vous n’imaginez pas. Si je parle aujourd’hui du cas Mélenchon, c’est parce qu’il réunit son Parti de Gauche en congrès. Au Mans. Mais surtout pour la raison que certains écologistes, que j’ai toutes raisons de croire sincères, pensent avoir trouvé leur Sauveur. Et que nul ne vienne me chercher sur une question de vocabulaire ! Je maintiens : de Sauveur. La figure que ce pauvre Mélenchon tente d’imposer est celle du grand capitaine. Celle de Chávez et de Castro, celle de tous les caudillos de la planète. Soit, Mélenchon est un caudillo de banlieue, un cheffaillon d’opérette. Mais il est là.

Ce qui me frappe avec angoisse, c’est que personne ou presque ne semble capable de voir ce que dissimule cette conception verticaliste de la politique. Cette version autoritaire d’un rhéteur – de seconde zone, à mon sens, mais telle n’est pas la question – distribuant la belle parole à ceux qui la boivent au bas des tribunes. Mais quelle connerie ! Mais quel contresens historique ! La crise écologique commande, sur le mode de l’impératif catégorique, une transformation horizontale du monde, une organisation qui mime la nature et sa complexité, les rhizomes et les mycorhizes, ces symbioses exaltantes entre champignons et racines des plantes. Au lieu de quoi, Mélenchon l’ignare nous rejoue une scène dix mille fois vue.

Savez-vous ? Cet homme, dont le passé politique est détestable, DÉTESTABLE, est resté 31 ans au parti socialiste, dont il était encore ministre en 2002. Sans moufter. Jospin eût-il été élu cette année-là président, il est fort probable que Mélenchon aurait continué à rouler en bagnole à cocarde tricolore. Mais chut, n’est-ce pas ? Ses modèles revendiqués, et imités sur le mode grotesque, sont Marchais et Mitterrand. Jeunes qui lisez ces lignes, désolé de rappeler de si vieux et si pénibles souvenirs. Je le dois.

Marchais est allé travailler  dans l’Allemagne nazie en 1942, pour le compte de l’usine d’armement Messerschmitt. Volontairement ? La preuve n’en a pas été administrée, mais le soupçon demeure. Ce qui n’empêchera pas ce chef du parti stalinien de vomir « l’anarchiste allemand » Cohn-Bendit dans un éditorial immonde du torchon appelé l’Humanité le 3 mai 1968, sous le titre : « De faux révolutionnaires à démasquer ». Marchais a dirigé le parti stalinien, autrement appelé communiste, dans des conditions permanentes de mensonge, de manipulation, de violence physique contre qui dérangeait la digestion des bureaucrates. Je n’ai pas même le goût de poursuivre. Marchais est l’antithèse de tout projet humain. Et Mélenchon entend être son digne successeur.

Quant à Mitterrand, chacun sait désormais comment cet opportuniste fondamental a pu passer de son protofascisme des années Trente à la « Résistance », non sans recevoir des mains de cette canaille de Pétain la grande médaille du régime de Vichy, la Francisque. Mitterrand, qui a été toute sa vie un homme de droite, jusqu’à l’ultime seconde, aura été, de manière plus brillante que Marchais, mais sans doute pas plus efficace, un roi de la dissimulation et de l’imposture. Mélenchon fait de cet orfèvre de la tromperie un maître : je le lui laisse volontiers.

Un dernier mot sur la Chine, avec laquelle Mélenchon, penseur stratosphérique,  souhaite un accord stratégique. Oubliant la surexploitation des ses ouvriers et paysans, oubliant la dévastation écologique radicale de ses territoires, oubliant les 200 millions de mingong – des migrants exclus des campagnes, des chemineaux, des vagabonds – qui errent de ville en ville et de chantier en chantier. Mélenchon. Comment cela est-il seulement possible ?