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Plus con tu meurs (la phrase qui tue sur madame KM)

La sous-culture journalistique, c’est quelque chose. Je sais assez bien de quoi je parle. J’en ris, j’en pleure, ça dépend des jours. Aujourd’hui, ce serait plutôt le pleur. En boucle, cette imbécillité tant de fois ressassée qu’elle finira comme vérité : « Toutes les associations écologistes sont d’accord pour dire que Nathalie Kosciusko-Morizet connaît ses dossiers ». Elle les connaît si bien qu’elle vient d’accepter, faute du ministère de la Défense dont elle rêvait, un poste-croupion, celui d’une Écologie aux ordres des grands ingénieurs d’État, et rabotée du décisif secteur de l’énergie, qui va, comme on sait, à Éric Besson, nucléariste militant.

N’est-ce pas cocasse ? Les questions d’énergie, donc de climat, essentielles entre toutes, échappent à la dame, qui d’ailleurs s’en contrefout. Elle connaîtrait ses dossiers, et accepterait de devenir une potiche – avec harpe – sur les photos officielles. Oh comme c’est grand ! Je me permets de vous mettre ci-dessous le portrait que j’avais fait d’elle, qui date de près d’une année. Si vous avez le temps, je crois que cela ne manque pas d’intérêt. Et sinon, so long.

Madame Kosciusko-Morizet, immortelle combattante de l’écologie

Publié le 31 décembre 2009

Rendons à César. L’information qui est à l’origine de ce billet a été publiée par Bakchich (ici), avant d’être reprise et développée par Rue89, où je l’ai trouvée.

Je ne connais aucunement madame Kosciusko-Morizet, que les journalistes appellent NKM, heureux qu’ils sont de sembler partager quelque chose que les autres n’auraient pas. Je dois avouer de suite que ce dernier article de 2009 frôle la catégorie people, ce qui n’est pas glorieux pour moi. Mais bon, j’essaie de dire ce que je pense, et comme je viens de découvrir une abracadabrantesque historiette sur le site Rue89 (ici), je me sens tenu d’ajouter mon petit grain de sel, qui se trouve être de poivre vert. Désolé pour les pressés, mais on ne retrouvera cette fable qu’à la suite d’une longue présentation, moqueuse comme à l’habitude. Irrévérencieuse, oui, je dois en convenir.

Madame Kosciusko-Morizet est une politicienne aux cheveux flottant au vent. C’est un genre. Paris-Match lui avait offert le 23 mars 2005 une série de photos où elle posait, enceinte, couverte d’une robe diaphane dans son jardin, en compagnie – miracle – d’une harpe. Un coup de pub mémorable, mais qui ne fut pas compris comme cela. Que non ! L’inénarrable journaliste Anna Bitton – signataire d’un livre sur Cécilia ex-Sarkozy – écrivait pour l’occasion, et je vous demande de vous taire (1)  : « Il fallait un éclair d’audace. Oser, quand on est députée UMP, se prêter, pour Paris-Match, au jeu d’une photo artistique, symboliste, un tantinet New Age, et finalement très glamour. Nathalie Kosciusko-Morizet , benjamine des femmes de l’Assemblée nationale, est alanguie sur le papier glacé et sous un soleil mythique. Le chignon sage dont la belle polytechnicienne ne se départit jamais est, cette fois, défait. Les cheveux blond vénitien cascadent longuement sur une robe nacre de mousseline douce. Un bras lascif à bracelet d’or repose noblement sur un banc de pierre moussu, une main baguée caresse un ventre arrondi par la maternité. Un pied blanc et nu effleure les feuilles d’automne qui tapissent le jardin de sa maison de Longpont-sur-Orge. Une harpe, la sienne, luit en arrière-plan; deux bibles précieuses du XVIIe trônent à ses côtés »

Ce n’était qu’un début, un tout petit début. Je ne prétendrai pas que tous les événements médiatisés auxquels a été mêlée madame Kosciusko-Morizet ont été montés de la sorte, et donc pensés, mais enfin, cela se pourrait bien. Citons le pseudo-clash avec Borloo sur les OGM, qui lui avait permis, en avril 2008, d’évoquer un « concours de lâcheté et d’inélégance », avant que de devoir s’excuser. Citons la bise ostensiblement claquée sur la joue de José Bové en janvier 2008, et surtout le commentaire de l’altermondialiste, très éclairant : « Oui, on travaille ensemble depuis des années sur ces dossiers, et une relation d’amitié s’est construite entre nous. Et on se fait la bise à chaque fois qu’on se voit ! ».

Et arrêtons ce qui serait vite litanie. Madame Kosciusko-Morizet sait à la perfection se servir des médias et leur faire accroire qu’elle n’est pas comme les autres. Ceux de la droite ancienne, recroquevillée, poussiéreuse. Je pourrais aisément faire un florilège de plusieurs pages en ne citant que le titre de papiers hagiographiques parus ces dernières années. Et pas seulement dans la presse de droite, il s’en faut ! Des journaux comme Libération ou Le Monde se sont plus d’une fois surpassés dans ce qu’il faut bien nommer de la flagornerie. Je m’en tiendrai à un exemple hilarant, involontairement hilarant, paru dans Le Monde  du 9 janvier 2009. C’est un portrait, et il est long. Extrait premier : « Une femme n’est jamais plus belle que dans le regard de son amant. Le moins que l’on puisse dire est que Jean-Pierre Philippe, ex-militant et élu socialiste, aujourd’hui dirigeant d’une société de conseil, est amoureux de sa femme, Nathalie Kosciusko-Morizet. “Vous ne trouvez pas, demande-t-il, qu’elle est l’incarnation de la femme contemporaine ?” ».

Extrait second : « Il est indéniable que Nathalie Kosciusko-Morizet, dite “NKM” dans son entourage comme sur la scène publique, est d’une réelle beauté – une peau claire qui capte le moindre grain de lumière, le cheveu blond ramassé en chignon savamment indiscipliné, une panoplie de tenues déstructurées à l’élégance recherchée, jusqu’à ces mitaines qui allongent encore sa main de harpiste intermittente. Ce visage intemporel serait-il le secret de son inexorable ascension politique ? Ce serait faire injure à une femme convertie au féminisme par la lecture des deux Simone, Beauvoir et Weil, entrée très tôt en écologie, l’une des premières sur les bancs de la droite française ».

La chose est entendue. Les journalistes se pâment. Bové embrasse, et les associations écologistes pleurent quand Sarkozy décide, en janvier 2009, de la remplacer par Chantal Jouanno au secrétariat d’État à l’Écologie. Elles pleurent, littéralement, car tout le monde a visiblement eu droit aux bécots de madame. Arnaud Gossement, de France Nature Environnement : « Elle a été celle qui a fait monter le dossier environnement au sein de la droite ». Le WWF, de son côté, salue un « beau travail. Elle a fait bouger les moins de 40 ans à l’UMP. Elle démontre que les jeunes générations à droite se préoccupent d’écologie d’une manière intéressante (ici) ». Dès avant cela, en 2007, Nicolas Hulot avait déclaré avec un apparent sérieux : « Au sommet de Johannesburg, j’ai découvert sa constance, son immense compétence et son indéniable conviction. Il est rare que les trois soient réunis en politique ».

Nous y sommes enfin. Elle est belle comme le jour. Elle est incroyablement sincère. Elle est terriblement compétente. Elle est follement écologiste. Ma foi, s’il n’en reste qu’un à ne pas croire cette fantaisie, je crois bien que je serai celui-là. Bien sûr, je n’ai jamais visité l’intérieur de sa tête, et ne suis d’ailleurs pas candidat. Il est possible, il est probable qu’elle a mieux compris qu’un Sarkozy la gravité de la situation écologique. Il n’y a d’ailleurs pas de difficulté. Il est possible, il est probable qu’elle considère les questions afférentes à la crise de la vie comme méritant quelques mesures. Mais pour le reste, je suis bien convaincu qu’elle est une politicienne on ne peut plus ordinaire.

Ceux qui la vantent tant, y compris dans des groupes écologistes, ont fini par croire qu’elle était compétente. Mais en quoi, pour quoi ? Sa carrière est vite résumée. Née en 1973 dans une famille bourgeoise, elle entre à Polytechnique, puis devient Ingénieur du génie rural et des eaux et des forêts (Igref). Quelle pépinière d’écologistes ! Ce corps d’ingénieurs d’État est responsable au premier rang des politiques menées depuis la guerre en France contre les ruisseaux et rivières, les talus boisés, les forêts, et pour le remembrement, les nitrates, les pesticides. Elle n’en est pas coupable ? Non, mais quand on choisit un corps comme celui-là sans ruer dans les brancards très vite, eh bien, justement, l’on choisit.

Et nul doute que madame Kosciusko-Morizet a choisi. Entre 1997 et 1999, elle travaille à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie, autre antre de la deep ecology. Elle poursuit sa route comme conseillère commerciale à la direction des relations économiques extérieures du même ministère. Au passage, je serais ravi qu’elle publie la liste des dossiers sur lesquels elle a alors travaillé. Par exemple sur son blog (ici), qui sait ? À côté des envolées d’Anna Bitton, ce serait du meilleur effet. Mais poursuivons. Après 2001 – nous nous rapprochons -, elle devient conseillère auprès du directeur de la stratégie d’Alstom. Alstom ! Le bâtisseur d’une grande partie des turbines du barrage chinois des Trois-Gorges ! Elle, conseillère, en stratégie, auprès d’Alstom ! Derechef, je ne serais pas mécontent que madame nous parle des conseils stratégiques qu’elle a pu donner à un tel ami de la nature.

La suite ? C’est la rencontre avec Chirac, et la mise sur orbite de la Charte de l’Environnement. Elle prépare pour lui le Sommet de la terre de Johannesbourg, l’été suivant. Mais avant toute chose, et je le répète, avant toute chose, elle s’arrange pour devenir la suppléante du député Pierre-André Wiltzer dans l’Essonne, aux législatives de 2002. À 29 ans. Sans la moindre preuve, je pense que le coup était préparé par ce vieux renard de Chirac. Car dès le gouvernement Raffarin II désigné, un certain Pierre-André Wiltzer se retrouve comme par hasard ministre. Et madame Kosciusko-Morizet devient aussitôt député, poste qu’elle occupera jusqu’à sa nomination ministérielle de 2007, et qu’elle retrouvera sans aucun doute.

And so what ? Je l’ai dit et le répète pour les sourds et les malentendants : madame Kosciusko-Morizet est une politicienne ordinaire, qui a découvert par hasard une formidable niche écologique et qui l’occupe du mieux qu’elle peut, tout en fourbissant les armes de son avenir. Et son avenir, elle le voit à l’Élysée, ni plus ni moins. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle. Dans son livre : « Tu viens ? », paru chez Gallimard, elle lâche le morceau : « Je veux être Présidente de la République ! ». Dès lors, tout devient d’une grande limpidité. Comme elle n’a que 36 ans, près de 20 ans de moins que Sarkozy, elle peut évidemment attendre au moins autant d’années. Et se forger en attendant une image de rebelle – je ne peux m’empêcher de rire aux éclats en associant l’image de la dame et celle du rebelle -, de femme compétente, de mère admirable, de harpiste incomparable, d’écologiste passionnée (et passionnante).

Voyez-vous, l’une des raisons du drame où nous sommes tous plongés est cet état de confusion régnant dans la presque totalité des cerveaux. Il suffit à des gens en apparence raisonnables – dont certains sont même écologistes- d’un battement d’yeux, d’un baiser sur la joue et de bimbeloterie diverse sans être variée pour qu’ils croient aussitôt la chose arrivée. Je me moque, c’est exact, mais ce sont eux qui l’ont cherché, pas moi. Si madame Kosciusko-Morizet était écologiste, au sens que je donne à ce noble mot, elle aurait évidemment refusé avec hauteur le secrétariat d’État à l’économie numérique que lui a refilé Sarkozy, qui ne la souffre pas. Voyons ! Si elle pensait ne serait-ce qu’un peu que la planète est à feu et à sang, accepterait-elle d’aller inaugurer les chrysanthèmes électroniques ? Voyons.

Si elle était écologiste, elle aurait démissionné avec fracas, déclarant avec pour une fois une flamme sincère, que la droite au pouvoir n’a évidemment rien compris – comme la gauche, d’ailleurs – à la crise écologique. Mais elle s’est couchée devant le maître, comme le font tous les autres depuis toujours. Et l’écologie attendra un moment plus favorable. S’il fallait une preuve supplémentaire, mes pauvres lecteurs de Planète sans visa, elle serait dans la place qu’occupe madame Kosciusko-Morizet au sein du dispositif de la droite. Le saviez-vous ? Elle est, depuis mars 2008, secrétaire général adjoint de l’UMP. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Du temps passé dans les innombrables embrouilles et magouilles d’un parti de cette nature ? Vous rendez-vous compte ? J’ajoute un dernier mot sur son « amitié indéfectible » avec Rachida Dati, hautement et publiquement revendiquée. Deux femmes, comme on peut voir. Et deux ego aussi démentiels que ceux de leurs pairs hommes. Nous voilà bien.

Et bientôt arrivés. Que raconte donc le site Rue89, que j’évoquais tout là-haut, pour commencer ce vilain papier ? Presque rien. Nous sommes un peu avant l’été 2008, et madame Kosciusko-Morizet est toujours secrétaire d’État à l’Écologie, poste très enviable qui permet de passer dans les journaux presque chaque jour. Il y a eu le Grenelle de l’Environnement, on parle de taxe carbone, la réunion de Copenhague se profile à l’horizon. En bref, la place est bonne. Oui, mais la sous-ministre n’est pas tranquille, car Sarkozy, qui sait tout des bonnes relations qu’elle a entretenues avec Chirac, ne lui passe rien.

Elle veille donc au grain, au moment même où son mari, ancien socialiste devenu – devinez – sarkozyste, écrit un livre intitulé : « Où c kon va com ça ? Le besoin de discours politique ». Un ouvrage dont la France pouvait se passer, ce qu’elle a fait d’ailleurs, mais sur intervention révulsée de cette chère madame Kosciusko-Morizet. Le livre de monsieur, déjà mis en page, devait atterrir dans les librairies en septembre 2008. Que cachait-il de si terrible ? Selon les informations de Bakchich et de Rue89, le livre était barbant comme tout, mais faisait quelques allusions au maître de l’Élysée, Sarko 1er. Et cela, pour madame et ses ambitions, n’était simplement pas concevable.

Selon Bakchich, elle aurait menacé de divorcer en cas de publication ! Selon Rue89, elle se serait ridiculisée au cours d’un repas d’anthologie avec l’éditeur de son mari, Marc Grinsztajn. Ce dernier raconte : « On a convenu d’un dîner à mon retour de vacances. Au départ ça devait être un dîner pour discuter (…) mais ça s’est transformé en dîner officiel avec sa femme au ministère ». Diable ! Au ministère de madame Kosciusko-Morizet ? Pour un livre écrit par son mari ? Certes. Et voici la suite, telle que racontée par le même : « Elle feuilletait le livre tout au long du dîner en disant : “Ça c’est subversif, ça c’est subversif…” ». Guilleret, hein ? Et pour la bonne bouche, ces propos attribués à la si subversive madame par Marc Grinsztajn : « Normalement, je ne lis pas les livres de mon mari, pour qu’on ne m’accuse pas de les censurer. Mais quand Libé a appelé pour faire un portrait de mon mari sur le thème “Jean-Pierre Philippe, premier opposant de Nicolas Sarkozy”, ça m’a mis la puce à l’oreille. J’ai demandé à un conseiller de le lire, qui m’a dit : “Madame, le livre ne peut pas sortir en l’état. Si le livre sort, vous sautez.” ».

Voilà. Voilà celle que tant d’écologistes, voire d’altermondialistes, considèrent comme l’une des leurs. La prochaine fois que vous la verrez aux actualités, ce qui ne saurait tarder, rappelez-vous cette phrase-étendard : « Ça c’est subversif, ça c’est subversif…». Et riez de bon cœur.

(1) Le soir du premier tour des présidentielles de 1995, dans un numéro inoubliable, le candidat battu Édouard Balladur avait crié à ses partisans, qui apparemment voulaient en découdre verbalement avec Chirac, passé in extremis devant leur champion : « Je vous demande de vous taire ! ». Des images comme on aimerait en voir plus souvent.

PS : Cette histoire, à la réflexion, me fait penser à Panaït Istrati, écrivain roumain. Je l’ai beaucoup lu, je le tiens pour un grand de la littérature du siècle écoulé. En outre, il était incapable de mentir. Compagnon de route du parti stalinien à la fin des années 20, il se rend en Union soviétique à l’heure où tant d’autres écrivent des odes à Staline. Je ne parviens pas à remettre la main sur un livre écrit, je crois, en 1930, et qui s’appelle Vers l’autre flamme. Si je me trompe, ce sera sur des détails. Donc, Istrati ramène d’un long séjour en Union soviétique ce livre, dans lequel, à la différence de (presque) tous les autres, il dit la vérité. Il a vu le malheur, la dictature, la mendicité, il a vu les innombrables vaincus du pouvoir stalinien. Et comme, sur place, il se plaint auprès de ses hôtes, l’un d’eux, probablement un écrivaillon aux ordres, lui dit : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Alors, Istrati lui répond : « Camarade, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? ».

Il ne s’agit que d’un rapprochement, pour sûr, car je place Istrati bien au-dessus des lamentables mièvreries évoquées ci-dessus. Simplement, je trouve que Panaït permet de reprendre ses esprits, quand on les a perdus. Or un nombre considérable de gens de bonne foi n’ont plus les yeux en face des trous dès qu’il est question de madame qui vous savez désormais. D’où ce rappel en apparence incongru du grand homme oublié que fut Istrati.

Je peux me tromper (sur Borloo et son départ)

Ce qui suit n’est que supputation. Mais je gage que j’en sais autant, et peut-être davantage, que tant des « commentateurs », souvent de pompeux cornichons, qui se font enfumer par la dernière rumeur de la cour. Je ne crois pas à la « sainte colère » de Borloo qui, déçu de ne pas avoir été nommé Premier ministre, aurait décidé de refuser le poste de ministre des Affaires étrangères ou celui de la Justice (ici). Avant d’en venir à mon vrai commentaire, notons ensemble que le Jean-Louis aurait fort bien pu, selon ses dires, se laisser tenter par un poste où il n’aurait pas eu la moindre prise sur la crise écologique. Comme madame Kosciusko-Morizet, grande prêtresse de l’écologie, qui a accepté sans broncher d’aller s’étioler à l’Économie numérique, et qui guignait dans le nouveau gouvernement Fillon, m’a-t-on dit, le ministère de la Défense ! Peut-être l’aura-t-elle, d’ailleurs, qui peut savoir ?

C’est imparablement logique, car madame KM n’a qu’un rêve, exprimé à haute voix : devenir un jour présidente de notre malheureuse République. À côté d’une si belle ambition, franchement, le destin de la planète n’a aucune espèce d’importance. Et Borloo ? Je n’arrive pas à croire au storytelling qu’on tente de nous vendre. Sarko l’aurait trahi au dernier moment après lui avoir fait les plus belles promesses, et il aurait décidé de se venger. À moi les centristes ! Et vive la liberté ! Mais enfin, mais voyons, un peu de calme. Borloo était ministre sans interruption depuis 2002, un record. Il rêvait de Matignon certes, mais pour y imprimer sa marque, pour y dépenser trois sous, pour apparaître comme une antithèse « sociale » de Fillon. Et ce n’était pas possible dans les conditions de déréliction économique et politique où nous sommes. Borloo n’est pas fou. Il n’y avait pas d’espace pour lui.

Il n’y en avait pas davantage pour Sarkozy, prisonnier d’une nasse que les marchés financiers resserrent chaque jour un peu plus. On peut le traiter de tous les noms – je le fais avec un grand plaisir -, mais il n’est pas totalement con. Bien que désastreux stratège, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire plusieurs fois, c’est un très bon tacticien. Il est un amateur de coups, qu’il réussit souvent, mais ne voit rien de ce qui l’entoure réellement, et donc de ce qui se prépare. Tacticien, donc. Je fais le pari qu’il a été honnête avec Borloo et Fillon et qu’il leur a dit que sa décision se ferait au dernier moment, en fonction de l’état des lieux.

Mais Borloo ? Dans l’hypothèse qui est la mienne, sa « déception » est surjouée, mais absolument nécessaire. Je crois à une mise en scène politicienne qui n’a d’autre horizon que 2012, année des présidentielles. Il faut à Sarkozy un Borloo « différent », qui rue gentiment dans les brancards, susceptible de fixer au premier tour des élections un électorat difficile. De droite, ma non troppo. Écolo, ma non troppo. Disons que Borloo signerait tout de suite pour un score entre 7 et 10 %. Bien entendu, après moult contorsions, Borloo découvrirait entre les deux tours qu’il vaut tout de même mieux appeler à voter Sarkozy, qu’il connaît tant, plutôt que pour les autres, qu’il connaît si bien. Et Sarkozy augmenterait alors, de beaucoup, ses chances de réélection.

Au passage, une candidature Borloo grillerait par avance les velléités de ce pauvre Hervé Morin, qui espère, pour le moment, se présenter aussi, et qui chasse sur les mêmes terres que Borloo. De même, les éventuelles candidatures Bayrou et Villepin en seraient affectées, ce qui serait tout bénéfice pour notre si bon maître. Reste la question sans réponse : si j’ai raison, au moins dans les grandes lignes, qu’aura donc offert Sarkozy à Borloo pour cette belle manipulation ? Matignon en 2012 en cas de succès ? Hé, hé, qui sait ?

Nota Bene : Loin de la crise écologique ? Mais non, voyons. Il s’agit d’un rappel. Du rappel qu’il n’y a rien à attendre de la classe politique égotiste et percluse qui est la nôtre. Tiens, il va falloir que je parle de la création d’Europe-Écologie-Les Verts. Je ne suis pas sorti de l’auberge.

PS :  aux dernières nouvelles – 18h30 dimanche 14 novembre 2010 -, madame KM prendrait le poste laissé vacant par Borloo. Est-ce que cela change quelque chose ? Non. Madame Jouanno – défense de hurler de rire – deviendrait secrétaire d’État aux Sports.

Borloo, Marc Le Fur et les amis du cochon

Ben mon cochon ! Toute la farce du Grenelle de l’Environnement, toute la rouerie de Jean-Louis Borloo se résument dans l’historiette qui suit. Officiellement, on le sait, Borloo est un écologiste convaincu, qui a engagé la France sur la voie d’une « révolution », d’un « New Deal » qui mettrait enfin au premier plan les intérêts de la planète. On appelle cela de la communication. Borloo est un as. Cela, au moins cela, nul ne peut le discuter sérieusement. Apparemment, les portes de Matignon lui seraient refermées sur les doigts. Ouille ! Mais je vous reparlerai d’une hypothèse qui cadre fort bien avec les personnalités connues de notre président adoré et de notre si bon ministre de l’Écologie. Elle porte, comme c’est étrange, sur l’élection présidentielle de 2012. En attendant, méfiez-vous des faux-semblants, et surtout de ceux qui parlent d’une grande colère et d’un vif dépit de Borloo. Cela pourrait fort bien relever d’une nouvelle mise en scène. Encore une fois, j’y reviendrai.

Mais ce dont je veux vous entretenir est seulement drôle. Irrésistible. Hier au soir, mardi 9 novembre 2010, Borloo a reçu une poignée d’amis politiques. Ceux des centristes et des « radicaux » qui, pourtant membres de l’UMP, jouent la carte Borloo. Il leur a raconté je ne sais quoi sur l’avenir glorieux à lui promis, et donc à eux. Le grand fun est ailleurs. Dans ce quarteron des favoris, un certain Marc Le Fur, député des Côtes d’Armor. Surnommé le « député du cochon », Le Fur est membre du « Club des amis du cochon » à l’Assemblée nationale, où il se bat comme un beau diable pour que vive une certaine Bretagne. Il a donné en janvier 2007 un entretien retentissant au magazine hélas méconnu Porc magazine, dans lequel il déclare : « Les producteurs de porc sont de véritables chevaux de course entravés dans leur envie d’entreprendre et leur volonté d’être compétitifs ».

Au début de l’été 2010, Le Fur a placé un amendement dans la Loi de modernisation agricole, pour relever le seuil des porcheries industrielles nécessitant des études d’impact de 450 porcs à 2 000. Peut-on être plus aimable avec l’agriculture industrielle ? Et peut-on être plus proche de l’écologiste Jean-Louis Borloo ? Allez, passez muscade.

Pour le cas où Borloo serait nommé (souvenirs, souvenirs)

La France retient son souffle. Son Excellence Sérénissime, ci-devant Président de notre pauvre République, hésiterait. Garder Fillon comme Premier ministre ? Nommer le bon Jean-Louis Borloo ? Je ne sais évidemment rien, n’excluant nullement l’irruption d’un troisième personnage, façon Raymond Barre en 1976 (je parle là pour les vieux schnoques). Me permettra-t-on quelques rappels ? Eh bien, nous sommes au printemps 2007, et Sarkozy vient de triompher. C’est alors qu’entre en piste un personnage démonétisé, qui va porter l’idée du Grenelle de l’Environnement pendant quelques semaines, jusqu’à la rendre crédible. Qui ? Alain Juppé, le maire de Bordeaux. Incroyable ? Vrai. Bien qu’ignorant à peu près tout de ces questions, Juppé a compris, sur un plan strictement intellectuel, que l’écologie devenait un enjeu. Et, ne soyons pas chien, un véritable problème.

D’une façon plus personnelle, il a saisi que ce thème populaire pouvait lui permettre de relancer une carrière politique nationale en panne sèche depuis de longues années. Dès le début de l’année 2007, il est entendu que Juppé, en cas de victoire de Sarkozy, sera ministre de l’Écologie. Ministre d’État. Haut placé dans la rigide hiérarchie officielle. Presque vice-premier ministre en charge du « développement durable ». L’opération est presque parfaite, mais va hélas buter sur cet absurde suffrage universel. Aux législatives qui suivent la victoire de Sarkozy aux présidentielles, ce pauvre Juppé prend un gadin. Désavoué par les électeurs de Bordeaux, il ne peut plus être le numéro deux d’un gouvernement qui promet la Lune aux Français, pour commencer. Il quitte aussitôt son mégaministère. Aïe ! Que faire ? La question a été posée dans le passé par bien d’autres. Sarkozy cherche, et ne trouve pas. Il y aurait bien Nathalie Kosciusko-Morizet, la protégée de Chirac, et qui passe pour être l’écologiste – la seule – de l’UMP. On reviendra sur son cas foutraque, mais en attendant, deux mots suffiront. Et d’un, Sarkozy se méfie profondément d’elle, précisément parce qu’elle a été propulsée par Chirac. Et de deux, il ne la croit pas capable de manœuvrer comme il l’entend ce si prometteur Grenelle de l’Environnement prévu à l’automne 2007.

Tout bien considéré, il ne reste guère que Jean-Louis Borloo. Quoi, ce type mal peigné, mal rasé, qui semble toujours sortir de son lit ? Oui. À cet instant de l’histoire, Borloo est l’archétype du brave garçon, authentique, créatif, imaginatif. Et puis – défense de rire, ce n’est pas le moment -, n’est-il pas l’un des cofondateurs de Génération Écologie en 1990, invention politicienne destinée à empêcher l’émergence des Verts ? Qui oserait voir son autre face, celle du bateleur de foire impénitent ? Qui oserait dire qu’il est aussi un tueur, qui a fait ses classes avec des pros nommés Michel Coencas et Bernard Tapie ? Suivez-moi dans les catacombes.

Au tournant des années 80, Borloo a 30 ans. Jeune avocat, il a la singularité, dans ce milieu, de fort bien connaître le droit des affaires. Nul ne le sait encore, mais la crise économique commence, qui va marquer plusieurs générations. Droite comme gauche cherchent toutes les solutions possibles pour montrer qu’elles agissent. Cela sera la chance de Borloo. Les faillites commencent, et l’avocat aide les patrons à sauver ce qui peut l’être, s’appuyant strictement sur la loi. Rien à dire. Mais en 1982 – les socialistes viennent d’arriver au pouvoir -, Borloo noue un lien décisif avec une banque. Et pas n’importe laquelle. Elle s’appelle SdBO, ou Société de Banque Occidentale, et c’est une filiale du Crédit Lyonnais. Créée en 1981 – grâce à la vague rose socialiste -, la SdBO a le magnifique projet de « réindustrialiser » les entreprises en difficulté. Mais comme c’est noble ! Son directeur général, Pierre Despessailles, a été avant cela président de chambre au tribunal de commerce de Paris. Il a eu à connaître, de très près, la situation d’entreprises en grande difficulté, ce qui va se révéler utile. En outre, cet excellent homme est l’excellent copain d’un certain Bernard Tapie. Pas d’anachronisme : en 1982, Tapie n’est guère qu’un chanteur raté, qui s’est reconverti dans le rachat, pour le franc symbolique, de sociétés à bout de souffle.

Récapitulons : Despessailles, dont on ne sait pas encore qu’il est corrompu, copine avec Tapie, et le présente à Borloo, avocat plein de promesses. On peut parler d’un  coup de foudre, lequel, aux dernières nouvelles, dure toujours. Près de trente ans d’amitié entre Borloo et Tapie, cela réchauffe le cœur. Alors commence une période d’euphorie. La banque banque – prêts à tout va, facilités de toutes sortes – et le duo Tapie-Borloo rachète à tout va, devant les tribunaux de commerce que connaît si bien Despessailles, des ruines industrielles dont certaines se révèleront de purs joyaux. Il serait malhonnête d’oublier un autre personnage, Michel Coencas. Ce ferrailleur de haut vol – il dirigera, au sommet de sa gloire, 59 filiales et 13 000 salariés – se mêle au duo, ce qui en fait, sauf erreur, un trio. L’argent rentre à flots, et transforme les philanthropes en hommes riches. Le magazine américain Forbes classe Borloo parmi les avocats d’affaire les mieux payés au monde, Tapie et Coencas deviennent milliardaires.

Sautons un deux épisodes, pourtant édifiants, et précipitons-nous à Valenciennes pour cinq minutes d’arrêt. À la fin des années 80, cette ville du Nord, de vieille industrie, est sinistrée. La sidérurgie et le textile ont disparu de concert, entraînant la cité dans un terrible déclin. Borloo, qui semble avoir épuisé les charmes sulfureux d’achats industriels pour le franc symbolique, se lance en politique. Il a vaguement été maoïste dans sa jeunesse, et il est parvenu – on le félicite – à saluer le président Mao en personne, au même moment qu’une flopée d’autres maolâtres. En 1989, il n’est plus de gauche, il n’est pas de droite, quoique. Valenciennes est à prendre, et Borloo en devient le maire cette année-là, probablement pour des motifs  dont il n’y a pas de raison de douter. Tout indique que sa face lumineuse a trouvé là l’occasion d’exprimer une réelle compassion pour ceux qui souffrent et serrent les dents. On ne peut d’ailleurs exclure une sorte de tentative de rachat moral après tant d’années passées à la barre des tribunaux de commerce.

Valenciennes. Borloo va y retrouver comme par miracle ses deux compagnons de travail, Tapie et Coencas. Peut-être vous souvenez-vous du match truqué qui oppose le club de Valenciennes VA et celui de Marseille, le 20 mai 1993 ? Par sécurité, rappelons les faits. L’OM, le club marseillais, prépare une finale de coupe européenne contre Milan AC, huit jours plus tard, et ne souhaite pas fatiguer inutilement ses joueurs. Marseille, c’est l’Olympe, sans jeu de mots, et VA un pauvre club de province qu’il doit être possible d’acheter avec des cacahuètes. Ce qui se produit bel et bien. Tapie donne l’ordre de corrompre des joueurs du VA, de manière à ce qu’ils laissent gagner l’OM. Le résultat est acquis, mais la funeste moralité du jour valenciennois Jacques Glassmann conduit droit à une enquête judiciaire qui prouvera l’achat de joueurs par Marseille.

C’est le moment de se souvenir. Qui est le patron de l’OM ? Bernard Tapie, finalement condamné à deux ans de prison, dont un ferme. Mais qui préside le club VA au même moment ? Michel Coencas, que Borloo a fait venir à Valenciennes, probablement en souvenir du bon vieux temps. Attention, et ce n’est pas pure forme : dans cette affaire, seul Tapie a été mis en accusation. Rien ne permet de penser que Coencas ou Borloo étaient au courant de quoi que ce soit. Il reste que ce match d’anthologie, par un curieux hasard, rassemble dans une seule main le maire de la ville et les deux responsables des clubs concernés.

Est-ce bien tout ? Non. Certes, et j’y insiste, Borloo n’a été mis en cause dans aucune affaire judiciaire, ce qui en fait, et il n’y a pas d’arrière-pensée, un innocent. Mais on peut, mais on doit écrire que Tapie, Coencas, et ce si brave directeur de la banque SdBO ont tous été lourdement condamnés pour différents délits graves. Tapie pour corruption, fraude fiscale, faux, usage et recel de faux, abus de confiance abus de biens sociaux, banqueroute. Coencas ira trois fois en prison entre 1995 et 2006, poursuivi notamment pour escroquerie et abus de biens sociaux. Quant à Pierre Despessailles, le directeur de la SdBO, il est mort avant de connaître les foudres de la justice. Je cite une dépêche AFP du 15 octobre 2009 : « En première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait jugé 13 administrateurs et mandataires judiciaires dans cette affaire où le corrupteur présumé, l’ancien directeur général de la SDBO, Pierre Despessailles, est mort et l’action publique à son encontre est éteinte. Ce banquier était soupçonné d’avoir conçu un “pacte de corruption” afin d’inciter les prévenus à placer à la SDBO les fonds des sociétés en difficulté ou en liquidation dont ils s’occupaient, ainsi que leurs revenus professionnels. En échange, ces auxiliaires de justice installés en région parisienne auraient obtenu entre 1982 et 1996 des prêts, dont certains de plusieurs millions de francs, à des taux préférentiels pour l’époque (de 0 à 6%) ».

Remarquons ensemble combien la justice peut prendre son temps quand cela lui convient. Une condamnation définitive en 2009, quand les faits remontent, pour les premiers, à 1982, 27 ans avant. Mais quelle prévenance ! Et ajoutons pour faire le compte que la SdBO a commencé ses magouilles dès 1982. L’année où son directeur Despessailles met en contact Tapie et Borloo. Encore une fois, ne jouons pas avec la loi. Rien n’indique, chez Borloo, le moindre délit. Mais tout montre qu’il a fréquenté et fréquente encore des gens habitués à toutes les ruses, acrobaties et trucages financiers.  Sans que cela le gêne plus que cela, puisqu’il fréquente toujours et Tapie et Coencas. Peut-être vaut-il mieux connaître ces menus détails avant de continuer le chemin.

Question : Jean-Louis Borloo n’aura-t-il pas été marqué, bien malgré lui, par une décennie de fréquentations constantes avec de si braves personnes ? L’hypothèse n’est pas folle, comme on va en juger de suite. Et pour l’occasion, on se contentera d’un exemple presque anodin, celui des maisons magiques à 100 000 euros. Commençons par un arrêt qui n’a rien de symbolique, à l’extrême fin de 2001. Borloo est « déçu » par la politique. Il est, confie-t-il aux gazettes (L’Expansion du 20 décembre 2001) ruiné par Valenciennes, ville dans laquelle il aurait investi et perdu beaucoup d’argent personnel. Il laissera d’ailleurs tomber son poste de maire en 2002. Dans le même temps, il est tout de même le porte-parole d’un certain François Bayrou, candidat aux élections présidentielles prévues au printemps 2002. On a connu plus ferme appui, car Borloo ne cache pas qu’il soutient Bayrou un peu comme la corde soutient le pendu. Pour parler comme Nanar Tapie, son vieux pote, Borloo taille costard sur costard à Bayrou, qui n’en peut mais. Il a 50 ans, et jure qu’il va recommencer le grand tour des tribunaux de commerce, et enfiler de nouveau la cape noire d’avocat d’affaires. Ne vient-il pas de tourner autour du dossier de reprise de Moulinex, qui a dépose son bilan en septembre 2001 ?

Que penser de tout cela ? Au moins que la fréquentation assidue de Tapie et Coencas, mœurs incluses, ne l’a pas dégoûté des affaires. Et c’est heureux, n’est-ce pas ? Mais le coup de blues ne dure qu’un mois. Après avoir lâché en rase campagne ce pauvre Bayrou, Borloo remonte sur son cheval, et devient ministre de la Ville en 2002, puis de l’Emploi, puis du Logement. Arrêtons-nous une seconde : nous sommes en 2005, et notre bon garçon annonce le 25 octobre vouloir construire  20 000 à 30 000 « maisons à 100 000 euros » par an. Voilà une intention sociale indiscutable. Aidés par l’État, des dizaines, des centaines de milliers de « vraies gens », modestes en diable, vont pouvoir devenir propriétaires.

Comme on respire déjà mieux ! Le dispositif, auquel « tous les maires » doivent donner la main, permettra d’offrir « aux ménages les plus modestes » des maisons « respectant des normes strictes en matière de développement durable », assurant au passage « des économies d’énergie ». Ce n’est pas encore le Grenelle, mais on s’en approche gentiment. Une telle initiative mérite, cela va sans dire, les journaux télévisés du soir, la grande presse, de longs interviews. S’il est une chose qu’on ne contestera pas à Borloo, c’est son (grand) art de la mise en scène médiatique. Je ne sais combien d’articles cette opération de bluff aura suscités, mais je dirais avec retenue  : beaucoup. Le mot bluff est-il ici déplacé ? Abritons-nous sous l’ombre vertueuse du Figaro, assez peu suspect de nuire aux droites gouvernementales. Édition du 29 janvier  2008, et citation : « Fin 2005, Jean-Louis Borloo lançait à grand renfort de communication la maison à 100 000 euros. Entre 20 000 et 30 000 de ces habitations devaient sortir de terre chaque année en faveur du logement social. De quoi satisfaire les 87% de Français déclarant que l’accès à la propriété est une priorité. Plus de deux ans après ces déclarations, le bilan est catastrophique. “Actuellement, quatre maisons ont vu le jour”, déclare l’Association française pour l’accession à la propriété (Afap), baptisée un temps “Association des maisons à 100 000 euros” ».

Mais qui s’intéresse alors à cet entrefilet ? Au même moment ou presque, Borloo, devenu ministre de l’Écologie, se baigne à Bali (Indonésie), toujours sous l’objectif des caméras. Il n’est plus question de maisonnettes pour les pauvres, car on considère désormais, d’un vaste regard circulaire, les si lourdes affaires de la planète. Si Jean-Louis – allons, autorisons-nous cette familiarité – plonge dans l’océan le 13 décembre 2007, en marge de négociations internationales sur la question climatique, c’est pour réimplanter un morceau de corail sur un massif malmené. En tout point charmant. Borloo prétendra que l’opération n’était pas prévue au programme – télés, radios, journaux étaient bien entendu présents – et pour preuve, prétendra ne pas disposer de maillot de bain ad hoc. On verra donc le ministre, qui pilote le Grenelle de l’Environnement – nous y sommes – depuis septembre, sauter à l’eau en caleçon bleu. Bleu comme la mer. Comme c’est beau.

Au fait, Borloo est-il écologiste ? Il faut bien dire deux mots de la création croquignolette de Génération Écologie, en 1990. L’année précédente, aux élections européennes du 10 juin 1989, les Verts, conduits par Antoine Waechter, ont obtenu 10,59 % des voix. Il est de bon ton, dans les journaux, de moquer Waechter au profit du flamboyant Cohn-Bendit. Le premier serait un nain, le second un grand politique. La réalité est un peu différente, même si la mémoire est totalement absente des « analyses » politiques habituelles. Le fait est, pourtant, que Cohn-Bendit, dix ans plus tard – le 13 juin 1999 – n’aura fait, lui, que 9,72 %. Mais il passe si bien à la télé.

En 1989, l’étonnante percée électorale des Verts fait résonner une vilaine musique aux oreilles du président, qui s’appelle alors François Mitterrand. Ce manœuvrier hors pair est parvenu au pouvoir grâce à l’affaiblissement du parti communiste, dont il aura toute sa vie préparé la disparition. Ses réflexes politiques, jusqu’à la fin de sa vie, l’auront toujours conduit à flairer, à redouter la concurrence. Les Verts étaient-ils un nouveau signal ? Le temps du parti socialiste, sa chose, approchait-il de son terme ? Mitterrand était trop fin pour croire que l’on pouvait arrêter un mouvement historique par la ruse. Au reste, comment distinguer, à distance, l’écume et la vague ? Dans le doute, on pouvait toujours espérer retarder les échéances. Et c’est ce qu’il fit.

De la même façon qu’il manipula le mouvement des jeunes immigrés au début des années 80, propulsant le duo Harlem Désir-Julien Dray, « créateurs » de SOS-Racisme, il poussa Brice Lalonde à créer Génération Écologie. Un mot sur Lalonde, membre du PSU – alors parti soixante-huitard – au début des années 70, qui fut écolo pendant une décennie,avant d’évoluer de plus en plus vite vers la droite, devenant ces dernières années un proche de l’ultralibéral Alain Madelin. On reviendra sur son cas, qui ne manque pas d’un certain intérêt. En 1990, donc, Génération Écologie. Lalonde a été nommé sous-ministre à l’Environnement en 1988, puis ministre délégué en 1990, justement. Il n’est pas lieu ici de raconter comment ce parti fictionnel fut installé sur la scène médiatique. Le fait est qu’aux régionales de 1992, il fit à peu près jeu égal avec les Verts, les deux mouvements approchant 14 %, quand les socialistes ne dépassaient guère 18 %. Mitterrand avait vu juste : il y avait bien le feu au lac.

Ajoutons un ultime détail, qui ne manque pas de fraîcheur rétrospective : parmi les fondateurs de Génération Écologie, tout proche alors de Lalonde, un certain Jean-Louis Borloo. Ce n’est pas que rigolo, car ce lointain engagement politicien permet encore à ce dernier d’exciper d’une profonde préoccupation pour la planète. Bien entendu – mais qui sera surpris ? -, Borloo ne s’est jamais souvenu, en vingt ans, qu’il avait aidé Lalonde dans une énième « coup », cette fois au service de Mitterrand qui venait d’être réélu pour sept ans, bouchant l’avenir politique à droite.

Je gage donc que Jean-Louis Borloo se moque éperdument du sort des écosystèmes. Et il n’est pas besoin de courir bien loin pour le prouver. Lorsque Sarkozy est élu président de la République le 6 mai 2007, Borloo se retrouve donc au gouvernement. Pour y défendre les rivières, les sols, les forêts, les ours, les baleines, pour y pourfendre les industriels irresponsables qui préfèrent leurs profits au maintien des équilibres essentiels ? Euh non. Borloo est nommé le 18 mai ministre de l’Économie. Un poste décisif, un marchepied pour parvenir au poste de Premier ministre, qui fascine et obsède le grand écologiste. Tout est bien. La place est belle, elle est superbe, mais elle ne sera octroyée que quelques courtes semaines.

Car, comme je l’ai raconté plus haut, ce pauvre Juppé a été balayé aux législatives par les électeurs de Bordeaux, et doit quitter le gouvernement avant d’avoir pu déballer ses affaires. Quand Sarkozy décide finalement de proposer le poste de ministre de l’Écologie à Borloo, celui-ci se cabre. Il aurait même, dans un premier temps, refusé ! Je ne suis pas, pas encore une petite souris, et ne peux garantir ce dernier point. Mais une personne proche du dossier, comme disent les gens sérieux, m’en a fait la confidence. Baste ! ce n’est pas essentiel. Voilà où nous en sommes, et préparez vos mouchoirs.

 

« J’suis cocu, mais content », air connu (le triste Grenelle)

Je ne sais plus si je dois les plaindre ou les vomir. Peut-on faire les deux ? En ce cas, je prends. Les pauvres marionnettes écologistes du Grenelle de l’Environnement pendent encore par leurs ficelles, mais cette fois dans le vide. Dernier camouflet en date : Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture industrielle. Ce triste sire, qui s’est vendu pour une bouchée de pain aux pesticides à Sarkozy, après avoir servi Villepin, vient tout simplement d’énoncer une vérité élémentaire, et c’est que l’écologie peut aller se faire foutre.

Je cite une dépêche de l’AFP : « Le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire souhaite « une pause en matière de règles environnementales », a-t-il déclaré dans une interview au quotidien Ouest-France daté de lundi. « Nous devons adapter un certain nombre d’objectifs qui ne sont plus atteignables », a affirmé Bruno Le Maire, interrogé sur la capacité de l’agriculture à tenir les objectifs du Grenelle de l’environnement, qui prévoit notamment un renforcement de l’encadrement des produits phytosanitaires. Le ministre demande « une pause en matière de règles environnementales pour laisser le temps aux paysans français de mettre en place ce qui a déjà été décidé, plutôt que de rajouter toujours plus de règles qu’ils n’arriveront pas à suivre dans l’état actuel ». « L’agriculture française est en convalescence. Ne freinons pas son redémarrage », a expliqué M. Le Maire ».

Je suis navré de devoir l’écrire, mais mon ami François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF), a pour l’occasion publié un bien triste communiqué, dont j’extrais ces lignes : « Nous exigeons de M. le ministre une re?affirmation forte des objectifs pris dans le cadre du Grenelle, il en va de la cre?dibilite? de la France en matie?re d’agriculture et d’environnement. Nous attendons aussi de M.Borloo, Ministre de l’Ecologie ainsi que de la Secre?taire d’Etat a? l’e?cologie, Mme Jouanno, une telle re?affirmation ». C’est pathétique. Je dois rappeler que l’objectif dérisoire consenti par nos maîtres au Grenelle était celui-ci : une re?duction de 50% des pesticides a? l’horizon 2018, à la condition expresse que d’autres solutions existent. Et sinon, balle-peau. Mais même cet objectif grotesque – les pesticides sont-ils, oui ou non, un poison massif pour tous les organismes vivants ? – était de trop pour les marchands de mort.

Donc, Le Maire s’est couché, ce qu’il adore faire. Évidemment, il l’a fait sur ordre. De Sarkozy, qui prépare 2012 et cajole en conséquence les « publics spécifiques » chers à Chantal Jouanno (ici, un film comique). Les écologistes officiels sont donc cocus, et ridicules. Je me permets de dire que je déteste en fait le mot de cocu, mais il me paraît s’imposer dans ce climat loufoque digne des pièces de Feydeau. Les portes claquent, les médailles – la Légion d’honneur est partout -, s’envolent, les ministresses s’éventent, les placards sont pleins de surprises, et pas seulement d’amants cachés. Même le WWF, artisan clé des si glorieux « Accords du Grenelle de l’Environnement », fronce les sourcils. Ah ça, nous aurait-on menés en bateau ? Eh non, grands chefs écologistes, c’est vous qui avez mené la société en balade, avant de l’abandonner au fond des bois.

Le WWF, j’y reviens, est exemplaire (lire ici). Serge Orru, le directeur, et Isabelle Autissier, la présidente, font les gros yeux. Le premier : « Si l’objectif d’une réduction de 50% des pesticides d’ici 2018 était remis en cause, ce serait proprement irresponsable : il en va de la santé de dizaine de milliers d’agriculteurs. Nous appelons le président de la République à confirmer son engagement sur cet objectif ». Et la seconde : « Ce n’est pas avec de tels assouplissements que le France échappera aux condamnations pour non respect des objectifs européens ». Ouh là là ! Je sens que Sarkozy va prendre peur, et revenir à son engagement écologiste de toujours. Il aura été trompé par de mauvais ministres, comme tant d’autres avant lui. Plus sérieusement, les associations écologistes officielles sont plongées dans une merde qu’elles ont elles-mêmes pelletée. Incapables de la moindre analyse sérieuse de notre société, tenues en laisse de multiples manières, dépourvues du moindre relais réel dans la société, elles se réfugient comme de juste dans le virtuel d’Internet et les ronds de jambes endimanchés.

Cela durera ce que cela durera. Faire disparaître ces très mauvais instruments du combat écologiste est hors de portée. Mais on peut en tout cas se préparer. Mais on peut, mais on doit en attendant parler sans avoir peur. Sans reculer. Sans bredouiller. C’est la honte, voilà tout ce que je peux dire.