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Gatignon, maire écolo de Sevran (stalinien un jour, stalinien toujours)

Une nouvelle recrue d’Europe Écologie, membre du parti communiste jusqu’à sa brutale conversion, vient d’être chopé à fabriquer des fausses cartes d’adhérents. 400, dont beaucoup de Tamouls de la Seine-Saint-Denis, probablement touchés par la grâce écologiste au cours d’une belle nuit d’octobre. Bienvenue chez les adeptes de la « politique autrement ».

Stéphane Gatignon a décidé d’être gentil avec moi, et de m’offrir en cadeau une énième démonstration de mon obsession adorée : le stalinisme. Car il a été pris la main dans le sac, ou plutôt dans l’urne. Ce qui fait désordre pour ce valeureux, bien que nouveau, militant « écologiste ». Vous qui entrez ici pour la première fois, rassurez-vous si vous pouvez : le rendez-vous que j’ai créé, Planète sans visa, est consacré à la crise écologique, et le restera. Mais pour affronter cette crise, il faut aussi détruire quantité de formes anciennes de la politique, dont l’héritage stalinien fait partie, ô combien. Les plus fidèles lecteurs connaissent cette chanson par cœur, j’en ai bien conscience. Mais je suis un multirécidiviste, je ne sais pas m’arrêter.

Alors, et ce Gatignon ? C’est un maître, je vous en préviens. Né en 1969, il est le rejeton d’une famille d’apparatchiks de la Seine-Saint-Denis. Qu’est-ce qu’un apparatchik ? Un bureaucrate ayant fait toute sa carrière dans l’Apparat, ignoble mot soviétique qui désigne l’univers de l’Appareil, cette structure opaque créée sur le dos du peuple pour mieux s’emparer de son travail. Je vous le dis sans trémolos, il ne reste pas beaucoup de gens capables de vous dire ce que fut le stalinisme triomphant de la défunte « banlieue rouge », quand 27 maires de Seine-Saint-Denis sur 40 appartenaient au PCF, ainsi que 9 députés sur 9. Moi, j’ai connu. Je n’ai aucun mérite : la roulette sociale m’avait projeté dans ce territoire spectaculaire. Au fil des ans, j’ai notamment habité Aulnay, Drancy, Noisy-le-Sec, Livry-Gargan, Tremblay, Les Pavillons-sous-Bois, Bondy, Noisy-le-Grand, Villemomble, Gagny, Clichy-sous-Bois, Montfermeil. Dans cette dernière cité riante, j’ai posé mon sac au 5 rue Picasso, dans la cité des Bosquets, considérée comme l’une des pires de France. Je crois connaître la banlieue.

Et je crois connaître les staliniens. Pour la raison que je les ai affrontés – avec d’autres, bien sûr -, y compris sur le plan physique. Je ne regrette rien. Rien d’autre que d’avoir raté quelques bourre-pifs. Je sais, figurez-vous. J’ai conscience de nuire à mon image de marque. Le bourre-pifs est mal vu. Mais je dis, et le reste m’indiffère. J’ai défendu pendant des années, dans cette zone dévastée, un point de vue démocratique et révolutionnaire sur l’avenir de la société. J’avais peut-être tort, mais les staliniens étaient à coup sûr de purs salauds. Qui n’hésitaient jamais à envoyer leurs sbires – souvent des employés municipaux à la botte des maires – cogner des petits jeunes dans mon genre. Je me souviens de quantité d’événements, vous ne pouvez pas même imaginer. Je me souviens de l’épouvantable campagne que les staliniens avaient montée en 1980/1981 contre les Gitans, autour de Rosny-sous-Bois. Non, ce n’était pas les Roms de 2010, mais les Gitans de 1980. Qui s’en souviendra jamais ?

Gatignon, maire de Sevran, est l’héritier de cette histoire maudite, que je conchie sans l’ombre d’une hésitation. Après au moins 20 ans au service du parti communiste, tel une fleur du jour, Gatignon a décidé de rejoindre Europe Écologie, en novembre 2009, puis de représenter ce parti aux régionales de 2010 en Seine-Saint-Denis. Comme tout cela est crédible. Comme cela sent la rose des prés. Il faut aller voir ce que le monsieur écrit sur son blog depuis qu’il est devenu « écologiste ». Par Dieu, on jurerait du Verlaine (ici) : « Pour conduire cette révolution démocratique dont la gauche et l’ensemble des démocrates et progressistes ont la charge, il est indispensable que la gauche rompe avec ses égoïsmes partidaires étriqués. Pour engager la transformation démocratique, écologique, sociale et civilisationnelle de notre pays, il faut déborder la tendance au retour en arrière, déborder le régime actuel par une véritable dynamique de toute la société ». Je ne sais pas si vous appréciez comme moi le ton général. Moi, j’en redemande. Interrogé par le journal  Marianne (ici) en avril 2010, Gatignon tente d’expliquer ce qu’il faudrait garder, selon lui, de l’idée communiste. Et cela donne cela, qui ouvre sur un gouffre sans fond : « Il y a certaines valeurs du communisme dont nous avons besoin pour construire la société de demain. On pourrait citer la question du cosmopolitisme, de la culture commune par exemple ». Oh, mais cet homme ne serait-il pas un penseur ?

Venons-en au sujet du jour, il n’est que temps. Vous lirez à l’entrée des commentaires la copie d’un article publié par Le Monde le 5 octobre, sous la signature de Sylvia Zappi. Gatignon a jeté sur la table, comme au poker (menteur) 400 cartes de nouveaux adhérents. Tous de son fief de Seine-Saint-Denis, bien sûr. Et toutes payées en liquide. Et dont bon nombre, sur le papier en tout cas, appartiennent à des Tamouls. Je rappelle qu’un congrès de fusion entre les Verts et Europe Écologie doit avoir lieu en novembre. Et que les bureaucrates qui visent des postes doivent se montrer, bomber le torse, annoncer la couleur. Laquelle est verte, n’est-il pas?

J’ajoute et je termine : Gatignon fait partie depuis des années de ce que la presse appelle les « rénovateurs » du PCF. Ne me demandez pas ce que cela veut dire. Plutôt, je peux répondre : rien. En faisaient partie jusqu’à ces dernières semaines Patrick Braouezec, le chéri des couillons, et François Asensi, qui mena en 1980 une odieuse campagne à propos des immigrés de la Seine-Saint-Denis. On s’en fout ? Pas moi. Quant à Europe Écologie, comme dirait l’ami Arthur, « Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage…». Ces gens font entrer n’importe qui chez eux, tout en prétendant incarner la morale – important, la morale -, et quand le scandale leur explose au visage, tout ce qu’ils trouvent à dire, c’est : damned. Il sera instructif de voir ce que feront nos moralistes associés du cas Gatignon. Bien entendu, il ne mérite qu’une chose : retourner à Sevran s’occuper de la cité des Baudottes. Mais rien n’est moins sûr, car les choses ne sont pas si simples. Un débat de titans de prépare en effet. À main droite, le chef autoproclamé des Verts, Jean-Vincent Placé. À main gauche, Eva Joly et Daniel Cohn-Bendit, qui voudraient tant nous convaincre qu’ils incarnent l’avenir. Ne pas se gourer : en la circonstance, Gatignon et ses Tamouls sont embedded with Eva Joly. C’est du propre.

Hollande, Aubry, Royal et leurs petits poignards

Le dernier week-end de l’été s’achève. Olivier Besancenot, du NPA, le communiste Pierre Laurent, le Vert Jean-Vincent Placé ont posé sur la même photo que le socialiste Benoît Hamon au Vieux-Boucau (Landes) où se tenait  l’université de rentrée du courant Emmanuelli-Hamon. De son côté, Ségolène Royal rassemblait sa « Fête de la fraternité » à Arcueil (Val-de-Marne) sous l’œil hypocrite de tous les crocodiles socialistes, excepté DSK, retenu au FMI pour une énième saignée d’un peuple lointain. Un livre récent éclaire sur l’état d’esprit véritable de nos socialistes à nous, Petits meurtres entre camarades, par David Revault d’Allonnes (Robert Laffont, 20 euros)

Ne me dites pas que je perds du temps, car je le sais. Il n’y a rien à attendre. Je perds du temps, et ne vous recommande pas de perdre le vôtre. J’ai eu la curiosité malsaine d’aller jeter un regard sur le blog (ici) de François Hollande, premier secrétaire du parti socialiste entre 1997 et 2008, date de l’arrivée de Martine Aubry à ce poste. Hallucinant reste un faible mot pour décrire mon sentiment. Ce machin est lamentable de la première ligne à la dernière image (il y en a beaucoup, évidemment). Si vous en avez le temps et le courage, tapez donc sur le moteur interne de recherche des mots comme écologie ou biodiversité. Vous ne serez pas déçu de ce court voyage. Hollande n’est au courant de rien. Cet homme de 56 ans – ce n’est pas le perdreau de l’année – aura donc passé au moins trente ans à faire de la politique sans se rendre compte que la vie sur terre, et donc l’avenir des sociétés humaines, et donc celui des désolants politiciens dans son genre, étaient désormais en question.

Il ne sait foutre rien. Et il a commandé le principal parti de la gauche pendant onze années. Jospin, qui occupait le poste avant lui, était aussi ignare, tendance stupide. Et Aubry ne vaut pas mieux, tandis que Royal feignait – feignait seulement – d’avoir des lumières qui lui font radicalement défaut. Mais pourquoi radoter une fois encore au sujet si navrant de la social-démocratie ? Mais parce qu’ils souhaitent remplacer Sarkozy dans deux ans ! Voilà pourquoi. Que feraient-ils dans ce domaine plus important qu’aucun autre ? Rien. Je vous le dis, et vous en faites ce que vous voulez : rien. Ils n’ont rien lu, rien compris, et ne savent rien de la nature, du rôle des écosystèmes, des extrêmes menaces qui pèsent sur eux, rien.

Mais que font-ils donc de leurs saintes journées ? Ils s’exècrent. Ils attendent de pouvoir dégainer, de se venger, de mordre, ou plutôt mordiller, car leurs dents sont de dentiers. Le livre du journaliste de Libé  David Revault d’Alonnes, cité plus haut, le montre avec précision. Je précise que ce journaliste ne s’en indigne pas plus que cela. Il est visible qu’il considère tout cela comme normal. Et je lui donne raison, puisque c’est moi, qui ne suis pas normal. J’allais presque oublier : d’abord, ils truandent. Ce sont des truands de cette démocratie qu’ils convoquent dix fois par discours. Des truqueurs, des tricheurs qui bourrent les urnes sans état d’âme, comme en 2008, lorsque Martine Aubry a fini par l’emporter sur Ségolène Royal de 42 voix. Le récit de cette vaste opération, reconnue dans le livre par ses acteurs, est impressionnant. La fraude, massive, était dans les deux camps. Aubry, épaulée par des voyous au sang très froid, est parvenue in extremis à repousser Royal dans les ténèbres extérieures.

Je m’arrête une seconde, tant nous sommes tous blasés. Les socialistes violent le principe de base sur lequel est basé le système démocratique. Ils refusent la loi du vote et de la majorité. Je dois hélas rappeler que cette triche est un délit pénal. Et que si elle avait été établie devant les tribunaux, elle aurait pu – dû ? – conduire ses auteurs en taule. Je vous laisse en compagnie de deux questions. La première : est-il crédible de s’attaquer à ce ruffian de Woerth en absolvant les trucages électoraux socialistes ? Seconde question, neuneu à n’en pas douter : des politiciens de ce calibre s’arrêtent-ils en route ? Arrivés au pouvoir, changent-ils brutalement de comportement ? Deviennent-ils vertueux ? Respectent-ils la parole donnée au moment de la campagne électorale ? Hésitent-ils à utiliser les services d’un cabinet noir ? Reculent-ils devant l’usage d’écoutes téléphoniques sauvages ? Etc, etc. J’ai mon idée, soyons sincère.

Et puis ? Vous lirez, plus probablement vous ne lirez pas. Tous ces gens sont d’une médiocrité à faire peur. Ce sont de toutes petites personnes, qui n’ont pas la moindre idée de l’avenir. Pas la moindre, vous pouvez m’en croire. Osons le mot : ce sont des nains, et pardon à ces derniers, qui n’ont rien à voir là-dedans. Disons qu’ils ont les dimensions de leur carrière et de leur rêve. Dans les deux cas, il s’agit de niquer ceux qui s’opposent à leur appétit de pouvoir de pacotille. Le niveau de haine, de mépris, de mensonge, de coups bas, d’intrigues que l’on rencontre dans ce parti m’a soufflé. Moi, qui en ai tout de même vu d’autres. Hollande vomit Aubry, qui le traite de « couille molle ». Mais il est vrai qu’elle agonit d’insultes tous ceux qu’elle exècre, et elle exècre tout le monde. Ségolène Royal lévite, ce qu’on savait, sans jamais dépasser le niveau du comice agricole. Les flingueurs patentés – Cambadelis ou Bartolone -, les apprentis tueurs, bien plus nombreux, se côtoient dans un pandémonium où tout semble pouvoir arriver. Et tout finira par arriver, peut-être même la victoire en 2012.

Mais quelle victoire, grands dieux ! Je ne suis plus assez naïf pour croire qu’une structure de pouvoir dégénérée peut se réformer de l’intérieur. Le parti socialiste est au moins aussi corrompu, moralement parlant, que l’était la SFIO de Robert Lacoste et Guy Mollet en 1956. Seules les circonstances l’empêchent, pour le moment en tout cas, de verser dans le déshonneur public. Non, je ne rêve pas d’un parti qui serait vertueux. Mais je m’étonne sincèrement, profondément qu’aucun responsable ne soit capable de sortir le pied de cette fange et d’assumer une rupture franche avec cette merde.  Ce n’est vraiment pas bon signe. Tous, je dis bien TOUS – et Mélenchon, qui tente de faire croire, avec son Parti de Gauche, qu’il serait un autre, a tout partagé avec cette joyeuse bande – acceptent le jeu sordide de la lutte à mort pour les places.

La gauche ? Mes pauvres orphelins, je vous rappelle que le parti communiste a truqué ses congrès tout au long de son histoire de sang. Je vous rappelle que l’ancienne direction d’Attac, venue du Monde Diplomatique, a été lourdement accusée d’avoir triché au cours d’élections internes décisives. Et je viens de vous raconter ce qu’il en est des socialistes. Si vous pensez que ces structures-là peuvent incarner, si peu que ce soit, un avenir désirable, soyez sûrs que je vous envie. La foi du charbonnier, c’est émouvant. Le sourire de l’enfant, imaginant le gros Père Noël passer par la cheminée, c’est émouvant. Je vous envie, il n’y a pas de doute.

Statistiques et salopards (sur la faim)

Je ne sais pas. Je ne peux rien garantir. D’ailleurs, il n’y a rien à garantir. Seulement, la FAO, cette agence de l’ONU bureaucratisée jusqu’à l’os, infestée par les grands lobbies industriels, vient de proclamer à la face du monde que les affamés chroniques seraient passés de 1,023 milliard en 2009 à 925 millions en 2010 (ici). Ces chiffres sont absurdes, ils sont à la fois politiques et criminels, bien que repris par la totalité de la presse française. Absurdes, car nous sommes le 15 septembre, et comment oser tirer un bilan de cette nature, foutus bureaucrates, sur moins des trois quarts d’une année ? Criminels, car même s’ils étaient vrais – et ils sont faux -, ils ne pourraient que conduire à démobiliser le peu qui se lève contre cette lèpre universelle. Or, de l’aveu même des crapules – je répète, crapules, de la FAO – cette diminution providentielle apparaît après  quinze années d’augmentation constante.

Tout cela n’est que bluff abject. Savoir qui a faim est une entreprise colossale, qui implique l’envoi de milliers de gens de bonne foi, militants et honnêtes, dans les villages des trous du cul du monde, où personne n’ira jamais. Évidemment, la FAO ne s’appuie que sur des courbes et statistiques, des tableaux qui ne disent rien sur rien. C’est lamentable. Je n’insiste même pas, car mon écœurement est sans bornes. La vraie raison de ce ramdam médiatique est que les bureaucrates qui ont le cul vissé sur leur si confortable fauteuil, Viale delle Terme di Caracalla, au siège romain de la FAO, ont besoin de chiffres pour continuer à jouir de secrétariats, de voitures climatisées avec chauffeurs, de notes de frais arrosées de grappa. La FAO, en sa munificence, a promis de réduire de moitié le nombre des affamés à l’horizon 2015. Les chiffres doivent suivre. Et ils suivront. Parce qu’il le faut bien.

Par ailleurs, je vous laisse lire  le début d’un article de Peuples solidaires ( la suite ici). Il n’y a pas de commentaire.

Kenya : Carburant contre paysans

En janvier 2010, les populations de la région de Malindi sont alertées par des fumées inhabituelles émanant de la forêt de Dakatcha. Elles comprennent que des bulldozers ont commencé à raser les arbres : une entreprise étrangère vient d’obtenir l’accord des autorités pour exploiter 50 000 hectares de terres afin de produire du jatropha, une plante dont l’huile sera utilisée comme carburant. Vingt mille personnes pourraient être déplacées et l’équilibre écologique de la région est menacé.
Ce projet est emblématique d’un phénomène global : l’accaparement des terres pour la production d’agrocarburants, dont l’impact sur la faim dans le monde et le climat risque d’être catastrophique. Il est donc essentiel de soutenir les organisations kenyanes qui se mobilisent face à cette situation.

Au Kenya, comme ailleurs en Afrique, le gouvernement est aujourd’hui partagé entre deux politiques contradictoires : d’un côté, il renforce les droits des communautés à cultiver leurs terres ; de l’autre, il cède aux appétits d’entreprises et Etats qui veulent exploiter ces mêmes parcelles.

Ainsi, dans la région côtière de Malindi, le gouvernement vient de confier 50 000 hectares de terres à une entreprise privée qui projette de raser une forêt de 30 000 hectares et d’exploiter les terres des communautés locales. D’après ActionAid Kenya, 20 000 personnes seraient affectées et éventuellement déplacées. Parmi elles, de nombreux paysans dont les productions vivrières nourrissent la population et une communauté indigène, les Wa Sanya, qui vit de la chasse et de la cueillette.

Retour de manif sur la retraite (ouille)

Bon. Les gars et les filles, je reviens à peine de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites. Il y avait un monde fou. Juste après le cortège anarchiste de la CNT – très fourni -, qui avait réussi à se placer devant après je ne sais quelles frictions avec la CGT, les cadres de la CGC, tous en blanc, étonnamment nombreux. J’étais au milieu du faubourg Saint-Antoine, dans ce Paris fabuleux des révolutions, et je regardais passer les petits chefs de jadis, aussi rigolard qu’incrédule. Je précise à l’attention des jouvenceaux que, pour le briscard que je suis, voir défiler la Confédération générale des cadres (CGC) est une expérience rare. Je crois devoir avouer que j’ai toujours détesté la CGC. Et les cadres, d’ailleurs. Mille excuses.

Et à part cela ? Bien entendu, j’étais chez moi, d’une certaine manière. Mais avec cette certitude qui ne me quitte plus, depuis de longues années, que je ne ferai plus jamais partie de la famille. Qu’aurais-je pu crier, dites-moi, et avec qui ? Les manifestants n’avaient pas la moindre pensée pour ceux qui ne participent pas à nos immondes agapes autour de milliers d’objets inutiles. Pas un mot pour les humains qui ne mangent pas. Pas un mot pour ces humains que l’on affame pour faire des biocarburants destinés à nos bagnoles à nous. À nous. Pas un mot pour toutes ces formes vivantes, animales ou végétales, que notre rapacité mène droit à la tombe. Vous me direz que ce n’était pas le moment ? Ce n’est jamais le moment. Ce ne le sera jamais. Vous me direz que c’est la faute des transnationales ? Et qui nourrit ces monstres ? Le pape de Rome ?

J’ai longtemps été d’une gauche extrémiste, et je ne renie rien de ces années de jeunesse où je rêvais éveillé d’une vie splendide, sans chefs ni patrons, sans domestiques ni décorations. Mais je suis délibérément sorti du cadre, et personne ne parviendra à m’y faire entrer de nouveau. Au printemps 2003, alors que commençait la bagarre contre la réforme des retraites de ce bon monsieur Fillon, j’ai écrit une chronique dans l’hebdomadaire Politis, où je rédigeais chaque semaine une page consacrée à l’écologie. Je n’étais plus d’accord depuis très longtemps avec Denis Sieffert et Bernard Langlois, mais ils me consentaient un espace tranquille, où je pouvais taper sur le même clou un nombre incalculable de fois, sans jamais réveiller personne.

Et puis cette fatale chronique, qui a conduit à mon départ, après une engueulade homérique, que j’ai provoquée, et que j’assume encore, plus de sept ans plus tard. Mais voici le texte du scandale. Où est le scandale ?

Retraite ou déroute ? (chronique parue dans le numéro 750 de Politis) Cela, la gauche ? Où est passée l'idée éternelle de l'égalité entre les hommes ? Pardonnez, mais quelque chose se sera perdu en route. L'actuelle mobilisation autour des retraites donne davantage envie de fuir que défiler de Bastille à Nation. Mais où ? Cette planète est définitivement sans visa. Ainsi donc, il faudrait « sauver les retraites ». Premier constat : cette question permet, comme rarement, de réfléchir à l'horizon 2030. Ce qui pourrait et devrait être une aubaine pour qui pense encore à l'humanité devient en un clin d'oeil l'occasion d'un festival de criailleries corporatistes. Ici le monsieur qui veut continuer à partir à 50 ans à la retraite - pardi, il conduit des trains, c'est la mine, c'est Germinal ! -; là des enseignants qui hurlent parce qu'on touche à un statut qui fait d'eux, quoi qu'on dise, des privilégiés. Et ne parlons pas de ces bataillons de cadres de tout rang qui veulent pouvoir consommer jusqu'à plus soif, jusqu'à l'extrême bord de la tombe, qui du voyage à Bornéo, qui de la grosse bagnole, qui de la résidence secondaire ou tertiaire. Nous sommes - grosso modo 500 millions d'habitants du Nord - les classes moyennes du monde réel. Nous consommons infiniment trop, et précipitons la crise écologique, jusqu'à la rendre peut-être - probablement - incontrôlable. Tandis que quatre à cinq milliards de ceux du Sud tiennent vaille que vaille avec deux ou trois euros par jour - et quelquefois bien moins -, nous vivons de plus en plus vieux, et ne travaillons pour de vrai qu'à partir de vingt-trois ou vingt-cinq ans. La conclusion s'impose : ne touchons surtout à rien ! Chacun sait qu'il reste beaucoup à faire pour les vieux de ce pays : mais pas ça, mais pas comme ça. Le rôle d'un syndicat est-il de caresser son électorat dans le sens du poil, comme savent si bien faire tous les politiciens de gauche et de droite ? N'est-il pas davantage de former l'esprit public aux drames qui pointent, dont certains, comme le dérèglement climatique, sont à l'évidence sans précédent ? Il faut croire que non. Le syndicalisme, fût-il d'extrême-gauche ou prétendument tel, est devenu réactionnaire. Où trouve-t-on la moindre critique de la prolifération d'objets inutiles et de l'hyperconsommation chère à tant de retraités ? Où sont les combats intellectuels et moraux contre le règne de la marchandise, et contre cette aliénation de masse qui repousse toujours plus loin les frontières de la pauvreté ? L'avenir, le seul avenir discernable est à la sobriété, à la réduction de notre emprise matérielle sur les ressources de notre minuscule Gaïa. On cherche des alliés. Désespérément.

Vautours d’ici, d’ailleurs et d’autre part

C’est une pièce, il me semble qu’elle contient cinq actes, mais vérifions ensemble. Le premier se passe durant l’été. Dans mon vallon à moi, comme j’ai déjà pu l’écrire (ici), les vautours fauves et parfois moines viennent manger ce qui est mort. Ils évitent ainsi, non seulement, la propagation de germes pathogènes – leur système digestif élimine TOUT -, mais épargnent aussi aux éleveurs, quand ils nettoient les carcasses d’animaux domestiques, des frais élevés d’équarrissage. En bref, les vautours sont des auxiliaires bénévoles des activités humaines. On leur doit, et ce ne saurait être l’inverse.

Pourtant, dans mon vallon et alentour, l’été aura vu resurgir comme en août 14 des cris de guerre et des promesses de vengeance. La presse locale, des gorges de la Jonte jusqu’aux Pyrénées, bruissait chaque semaine d’apocalyptiques nouvelles. À lire ces pauvres journalistes en mal d’articles, ces sinistres crapules d’oiseaux fous avaient décidé de « passer à l’attaque ». Et de dévorer non plus des cadavres, comme depuis que le vautour est un vautour, mais des animaux vivants, de pauvres nouveau-nés, des vaches et brebis en excellente santé (ici). J’ai pu constater les effets de cette propagande. Soit dit en passant, elle n’a aucun besoin de se forcer pour faire naître et surtout renaître les fantasmes. Les rapaces nocturnes cloués sur la porte des granges ne sont jamais bien loin. N’empêche : des paysans du Tarn et de Lozère m’ont parlé sérieusement de possibles attaques contre des gosses. On imagine un vautour fauve – fauve – s’emparer d’un bambin de trois ou quatre ans, avant d’aller le déposer au nid pour nourrir la marmaille. Que claquent les dents !

Acte deuxième : Chantal Jouanno dans ses œuvres. La sous-ministre à l’Écologie, de passage à Toulouse le 26 juillet, pour une tournée électorale sarkozyste, lâche quelques sottises sur l’ours, avant de s’attaquer au vautour. Je la cite, je l’ai déjà fait ici, mais je récidive, car cela en vaut la peine : « Cette espèce [le vautour] inquiète les éleveurs. Non seulement, les vautours sont en bon état de conservation, mais la modification de la réglementation sur l’équarrissage les a incités à passer la frontière. J’ai demandé au parc national des Pyrénées non seulement de suivre ces oiseaux, mais aussi d’expérimenter l’indemnisation des dégâts et des tirs d’effarouchement. Ces oiseaux nécessitent une gestion transfrontalière et peuvent faire l’objet d’un tourisme de vision mais ils ne doivent pas mettre en péril le pastoralisme dont la montagne pyrénéenne a tant besoin ».

Je ne sais si vous serez allés au bout de cette loufoquerie. Les vautours osent passer la frontière, et l’on va voir ce que l’on va voir. Rappelons aux oublieux que le vautour fauve est passé tout près de l’extinction chez nous. À cause des cons, je ne vois pas d’autre mot à portée de clavier. Sauvé in extremis, il va un peu mieux. Mais comme il s’agit de glaner des voix dans la perspective des présidentielles de 2012, notre sous-ministre entend lancer des tirs d’effarouchement. En cette année 2010, année de la biodiversité. Avant des tirs d’anéantissement ? Pourquoi non ?

Acte troisième : un violent ennemi de la nature, que je refuse obstinément de citer par son nom (lire ici), fait circuler sur le net un texte d’une belle subtilité, qui commence par un constat accablant : « En trois semaines, ce ne sont pas moins de 9 brebis qui ont e?te? tue?es par les vautours dont 4
depuis dimanche »
. En face d’un tel massacre, une seule voie, et c’est celle de l’autodéfense, bien sûr. « Mais les vautours, malgre? leur surnombre dans les Pyre?ne?es (la proble?matique est sur toute la chai?ne et non pas seulement dans les Hautes-Pyre?ne?es ou les Pyre?ne?es-Atlantiques),  sont des rapaces prote?ge?s. Pas question de tirer dessus. “On ne dira plus rien puisque c?a ne sert a? rien et on fera le me?nage”, nous dit un e?leveur. Voila? une phrase que nous avons de?ja? entendue pour l’ours. Et c’est efficace en Arie?ge et ailleurs semble-t-il ».

Que l’on trucide, que l’on fusille, que l’on massacre encore un peu. Et les Pyrénées – mais le Vercors, mais les Causses et Cévennes – seront enfin pacifiées. On n’y verra plus que des chasseurs à 4X4, bedaines et talkies-walkies, des chiens bien élevés, des brebis apaisées, des bergers gérant le troupeau depuis le village. Ô ce bonheur qu’ils nous préparent.

Acte quatrième, mon ami Philippe de Grissac m’appelle de Nantes. Ce type a de l’humour. En tout cas, il me fait rire. Au téléphone, il me parle d’un texte écrit par Jean-François Terrasse. Son frère et lui sont ceux qui ont, plus qu’aucuns autres, défendu et sauvé les vautours en France. Jean-François, que je connais un tout petit peu, est pharmacien de formation, mais il aura consacré l’essentiel de sa vie, avec son frère Michel, au sort des rapaces. Créateur du Fonds d’intervention pour les rapaces, le mythique FIR, photographe, réalisateur de films, il est sans conteste l’un des meilleurs connaisseurs en France des vautours. Philippe détaille le texte écrit par Terrasse, et me demande un coup de main pour le faire circuler auprès des journalistes, que je suis censé connaître. Je fais ce que je peux, et Inch Allah.

Acte cinquième, je finis tout de même par lire la mise au point de Jean-François Terrasse. Elle vaut la peine, je vous prie de me croire (pour les sceptiques, ici). Que dit-il, lui qui a tout lu sur ces animaux, lui qui sait de quoi il parle ? Voici un extrait pour ceux qui n’iraient pas à l’original : « Et dès les années 2003-2004, l’équarrissage généralisé privait les vautours de ressources et créait une famine totale dans ces grandes colonies de vautours du versant sud des Pyrénées situées en Aragon et en Navarre. On a pu voir alors au piémont des Pyrénées françaises des réunions de vautours affamés s’approchant des fermes pour se repaître d’animaux morts, ce qui était devenu totalement inhabituel. On peut comprendre que des éleveurs français se soient inquiétés, surtout en présence de vautours dévorant un veau mort né ou la mère en difficulté de vêlage non assistée et déjà condamnée. Très vite, la rumeur colportée par les médias a fait état d’attaques délibérées sur des animaux sains, affirmant que les vautours avaient changé de comportement et étaient devenus des prédateurs !

Aucune expertise sérieuse n’est venue confirmer cette attestation gratuite, même si les constats des vétérinaires les disculpent globalement. Dans le pire des cas, des vautours affamés ont aggravé des situations où un animal en difficulté et sans assistance était déjà condamné. Aussitôt, à partir de quelques cas isolés, la polémique a fait du vautour fauve le bouc émissaire à la fois des difficultés de l’élevage et des frustrations des opposants d’une politique de conservation de la biodiversité incluant pêle-mêle, l’ours, le loup, la chasse du grand tétras et le Parc National des Pyrénées. Des faux témoignages grossiers diffusés sur la toile continuent d’alimenter et d’aggraver cette polémique stérile.

En réalité, dans les Pyrénées françaises où l’élevage est important, la petite population de vautours fauves (525 couples en 2007) est bien intégrée au pastoralisme. Tout le monde peut y observer des dizaines de vautours survolant les alpages où abondent brebis (621 000), vaches (157 000), chevaux (12 000), chèvres (14 000) pour 5 300 exploitations pastorales (1) sans aucun problème. Les vautours éliminent sans frais pour l’éleveur et la collectivité des milliers de cadavres, économisant ainsi une énorme quantité de CO2 généré par l’équarrissage (transport, incinération) d’ailleurs souvent impraticable dans des montagnes peu accessibles. Ces oiseaux, véritables alliés sanitaires, sont donc parfaitement intégrés dans une politique de développement durable ».

On pourra se référer à un autre texte du biologiste Jean-Pierre Choisy, que j’ai brièvement croisé dans le Vercors (ici). Une courte citation : « Les vautours ont perdu les armes des rapaces prédateurs : les serres. Le bec crochu, impressionnant, n’est pas une arme pour tuer, mais un outil pour dépecer…». On aimerait trouver une chute épatante, éclairante, rassérénante peut-être. Mais cette pièce, qui triomphe sur les planches des sociétés humaines depuis des milliers, des dizaines de milliers d’années sans doute, et peut-être davantage, est une tragédie. Elle explique, mieux qu’aucune autre, pourquoi, en cette année 2010, décrétée de la biodiversité par les bureaucrates et les pouvoirs qu’ils servent, on peut menacer impunément des oiseaux aussi beaux, aussi merveilleux que les vautours, à peine quarante ans après qu’ils ont failli disparaître de France, ce territoire qui est autant le leur que celui de cette pitoyable madame Jouanno et de son maître adoré.