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Borloo dans le rôle du fieffé (voir définition)

Borloo est malin. On ne lui retirera pas cela. Ce ministre de l’Écologie, ancien et toujours grand pote de Nanar Tapie, sait comment profiter des écrans de fumée. L’affaire Bettencourt-Woerth occupant tous les esprits et tous les regards, monsieur se glisse entre deux paravents, masqué, et frappe. Un grand coup, je dois dire. La suite n’est pas de moi, et se décompose en deux parties.

Un, le journal Le Monde écrit ceci en octobre 2007, quand la farce du Grenelle de l’Environnement permet à Borloo de faire le beau : « Première déclaration du ministre de l’écologie lors de l’ouverture des deux journées du Grenelle de l’environnement, mercredi. Le premier ministre, François Fillon, et le ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, ont ouvert, mercredi 24 octobre, la table-ronde finale du Grenelle de l’environnement, qui doit durer deux jours. A l’ouverture des débats, M. Borloo a annoncé au journal Le Monde la décision d’arrêter la construction d’autoroutes (sauf les contournements de villes) et le lancement d’un programme d’isolation de l’habitat financé à hauteur de 20 milliards d’euros par l’Etat ».

Deux, et cela date de ce 1er juillet 2010, communiqué des associations Agir pour l’environnement et Réseau Action Climat. Vous trouverez sans moi le commentaire adéquat. Ah ! ce qui suit est un copié-collé, et cela vaut le coup, croyez-moi.

Jean-Louis Borloo ministre des autoroutes ?

Paris, le 1er juillet 2010 – Coup sur coup, le ministre de l’Ecologie a annoncé la construction de trois nouvelles autoroutes en France : l’A9bis à Montpellier, la future autoroute entre Castres et Toulouse et la mise en concession de la RN154 entre Orléans et Dreux (Décision parue au JO du 1er juillet 2010). Pour les associations, cette triple décision est le signal d’une relance autoroutière qui ne dit pas son nom.

S’il fallait une preuve supplémentaire de la mort clinique du Grenelle de l’environnement, cette triple décision ministérielle permettrait d’étayer les doutes des acteurs associatifs les plus critiques.

Alors que la loi Grenelle 1 impose à l’Etat de publier, avant la fin 2009 (!), un Schéma national des infrastructures de transport dans lequel tous les projets autoroutiers doivent être évalués à l’aune de critères écologiques, énergétiques et climatiques, le ministère de l’Ecologie se presse d’autoriser de nombreux projets grenello-incompatibles afin d’éviter toute évaluation rigoureuse.

Pour les associations, cet écoulement de bitume aux quatre coins du territoire est un véritable bras d’honneur à toutes celles et ceux qui ont pu croire au Grenelle de l’environnement. Entre le discours du ministre de l’écologie et l’application concrète du ministre des autoroutes, la rupture est désormais largement consommée.

L’incohérence entre le dire et le faire est telle qu’il y a lieu de s’interroger non seulement sur cette soit disant révolution écologique née du Grenelle de l’environnement qui proroge un modèle de développement et un système de transports énergivores mais également sur l’honnêteté d’un processus de concertation présenté comme exemplaire.

Jean-Marc Ayrault a refait sa vie (en Espagne)

À CEUX DE NOTRE-DAME-DES-LANDES (ET À MARIE)

Résumé des épisodes précédents. Jean-Marc Ayrault fut, comme on le sait, député-maire socialiste de Nantes pendant quelque trois siècles. Avant son départ précipité, il avait, dans un geste ultime de philanthropie, offert à sa ville la perspective grandiose et futuriste d’un nouvel aéroport à la campagne, sur les terres chouannes de Notre-Dame-des-Landes ( lire le résumé ici). On le sait, l’ingratitude du petit peuple est sans limites, et les paysans au front bas du bocage, poussés vers l’émeute par une chienlit écologiste, monta un jour à l’assaut de l’hôtel de ville de Nantes, fourches au poing, hurlant des obscénités sur le compte pourtant valeureux de monsieur Jean-Marc Ayrault. N’entendit-on pas ces criminels ensabotés, crottés jusqu’aux narines, hurler : « Ayrault, fumier, tu serviras d’engrais » ? Si. Ils le firent.

Alors, comme vous vous en souvenez tous, le maire fut contraint au départ, n’emportant qu’une maigre valise, embarquant in extremis à bord d’un antique Avion III créé par Clément Ader, doté de tiges de bambou, barbes en toile et papier de Chine. Pendant 120 ans environ, le sort de Jean-Marc Ayrault est demeuré inconnu, et je ne suis pas peu fier, aujourd’hui, de vous livrer en exclusivité un scoop de derrière les fagots, qu’on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval, dont on parlera dans Landerneau, digne des meilleurs professionnels.

Ayrault a réussi à refaire sa vie en Espagne, sous un faux nom naturellement. Visiblement bien introduit sur place, il est parvenu en peu de temps à tenir une place aussi enviable que celle qu’il occupait chez nous. Car il est en effet président – socialiste toujours – de la région chère au cœur de l’Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, autrement dit Castille-La Manche. Mais se refait-on jamais ? Connu en Espagne sous le nom de José Maria Barreda, Ayrault a décidé, financé, soutenu de toutes ses vives forces un aéroport international appelé Ciudad Real. ll ne peut s’agir que d’un clin d’œil au formidable humour que l’on prête à Miguel de Cervantes. Car autant vous le dire, Ciudad Real signifie, comme vous ne l’ignoriez sûrement pas, Ville Réelle. Ville Royale d’abord, mais aussi Ville Réelle.

Mais quel facétieux, cet Ayrault-Barreda ! Après investissement de 500 millions d’euros – ce n’est qu’un début, une mise en bouche – et construction de pistes de 4 kilomètres de long pouvant accueillir des Airbus 380, l’aéroport est prêt à recevoir ses 2,5 millions de passagers par an ( lire ici). Beau travail, Jean-Marc (tu permets que je t’appelle Jean-Marc ?) ! Beau travail. Des centaines d’emplois ont été créés, et des entreprises ont installé des bureaux à prix cassés par les aides publiques. Normal : le TGV doit relier Madrid en moins de cinquante minutes, les autoroutes sont innombrables, et l’emprise directe au sol – 1250 hectares – permet d’envisager des agrandissements à répétition.

Bien sûr, il reste à régler quelques détails. Après le départ de la compagnie Air Berlin, l’Irlandaise Ryanair occupe à elle seule l’aéroport international, retenue au moment où elle pliait bagage par une subvention publique. En somme, tout est désert, fantasma. Les 24 comptoirs d’enregistrement sont fermés toute la sainte journée, on ne croise ni hôtesse ni passagers, mais tout de même quelques-uns des 300 employés chargés de l’entretien et de la gestion. Car il faut bien gérer, non ? La passerelle prévue pour relier l’aéroport à la ligne de train Madrid-Séville s’achève au-dessus du vide. On peut toujours sauter.

La réussite est complète. Deux ans après son inauguration, le bel oiseau a déjà creusé un trou de 300 millions d’euros, entraînant la faillite de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche (CCM), obligeant la région de mon ami Jean-Marc-José à créer de toute urgence une société publique capable de financer les pertes astronomiques. Et c’est là, je vous le demande personnellement, que nous devons tous nous lever pour applaudir. Je vous en prie, faites-moi confiance au moins une fois dans votre vie. Standing ovation ! N’écoutant que son courage de grand élu socialiste, Ayrault-Barreda refuse de baisser les bras.

Fin mai, notre homme double s’est à nouveau engagé, en hidalgo : « El presidente de Castilla-La Mancha, José María Barreda , aseguró que el Gobierno regional hará todo lo posible, dentro de la legalidad, para que el proyecto del aeropuerto privado de Ciudad Real tenga viabilidad en el futuro y “pueda despegar definitivamente”». Vous pourrez lire le texte intégral (ici ), ou vous en tenir à mon court résumé. Ayrault-Barreda veut davantage de fric pour que Ciudad Real  « pueda despegar definitivamente ». Pour qu’il puisse « décoller définitivement ». J’espère que vous goûtez comme moi, et à nouveau, l’humour noir de Janus. Décoller. Définitivement. Cela ouvre bien des perspectives.

Dans un autre entretien, Ayrault-Barreda a finement présenté les deux termes de l’alternative.  Ou l’argent public coule à nouveau, ou l’on abandonne. Et si l’on abandonne, il ne faudra pas s’étonner que « crezca la hierba en la pista de aterrizaje y se estropeen las instalaciones ». Il y en a pour trembler, comme dit un vieil homme de ma connaissance. L’herbe pousserait alors sur les pistes, et les magnifiques installations rouilleraient peu à peu, avant de disparaître dans la poussière de Rocinante. Rossinante, quoi.

Et maintenant, avant de rendre l’antenne, deux post-scriptum.

Le premier : l’Espagne est en train de sombrer. Il est plaisant qu’un olibrius comme moi ait pu le dire si longtemps avant les commentateurs appointés (lire ici, ici encore, et  ). Elle sombre. Un million de logements y sont en vente. 40 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. La spéculation et la corruption de masse ont détruit un pays. Telle est la réalité. Extrait de l’article cité tout en haut de cette page : « Surtout, au lieu de construire 800 000 logements chaque année, l’Espagne va se limiter à 100 000 pendant plusieurs années. Avec un impact terrible sur la croissance et sur l’emploi : “Il faut réinventer 18 % du PIB”, résume un économiste ». Oui, c’est à eux, aux économistes, aux politiques responsables de ce désastre biblique qu’on demande de réinventer du PIB. PIB ! Paltoquets, Imbéciles, Branlotins. Nous en sommes là, au point zéro d’une histoire à recommencer.

Le second : la dette des régions d’Espagne atteint 95 milliards d’euros, une somme inouïe. Le siège luxueux des braves gens aux commandes, les ronds-points, les subventions à l’agriculture industrielle, aux barrages, aux transferts d’eau vers le Sud à sec, les aides aux villes fantômes du littoral, tout cela coûte cher. Au fait, Ségolène Royal ne se faisait-elle pas appeler la Zapatera, nom dérivé de celui de José Luis Rodríguez Zapatero, le cornichon socialiste en place à Madrid, qui achève de dynamiter ce qui reste ? le Figaro rapporte une visite de Royal à Madrid en octobre 2007. Elle vient donc de perdre face à Sarkozy. Et voici l’extrait du journal, qu’il faut savourer à la petite cuiller : « Zapatero aurait chaleureusement encouragé Ségolène Royal à se présenter à la prochaine élection présidentielle. “Je me sens très proche de Zapatero et de cette gauche pragmatique”, a commenté celle que l’on dénomme ici “la Zapatera francesa”. Enchantée de porter ce surnom, Royal a estimé qu’elle avait plusieurs points communs avec Zapatero : “Au départ, Zapatero n’était pas forcément le favori au sein de son parti. Il était jugé trop jeune, inexpérimenté ou sans stature, mais il a réussi à prouver le contraire…” ».

Ces pékins bien nourris (retour de manif)

Pour Marie-Pierre, pour Les Issambres, pour la Panhard et la Frégate, et pour l’enfance qui ne passera jamais

Cela n’a rien à voir, je suis sérieux. Ce n’est qu’évocation, ce n’est que pur et simple sautillement de l’esprit. Il ne me viendrait pas à l’idée de mêler pour de vrai la personne d’Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne à nos petits tracas domestiques. Je sais par ailleurs à quel point ce dernier est mal connu, calomnié au-delà de sa mort, traité comme un malpropre, un calotin orthodoxe, un ennemi du progrès, bien pire encore.

Moi, que voulez-vous, je l’aime d’un amour fraternel qui ne me quittera qu’au moment du trépas. Je ne connais que bien peu de textes littéraires, politiques, moraux, historiques qui puissent seulement oser la comparaison avec L’Archipel du Goulag. Les trois tomes de ce livre capital entre tous ont été un peu achetés il y a trente-cinq ans, et bien moins lus. Ils résument pourtant tout ce qu’un homme digne du nom a besoin de savoir pour affronter le grand large de la vie. Si je devais un jour conseiller un viatique, ce serait probablement celui-là. Car il mêle la révolte incandescente à la soumission, l’horreur du Bour – le cachot – à l’extrême beauté de l’évasion. La liberté à l’abjection. La fraternité à la trahison la plus vile. Où trouverait-on pareil résumé de l’aventure humaine ?

Je ne me fais pas d’illusions. La doxa parisienne, l’absence de pensée française ont condamné à la mort symbolique Alexandre Issaïevitch. Ici même, je crois que certains ressortiront des calembredaines sur le compte de ce héros de l’homme. Je m’en fous bel et bien, soyez-en certains. J’ai la chance insigne de ne pas rechercher la popularité. Qui veut me lire le peut. Et qui ne le veut m’oublie. Je suis parfaitement à l’aise avec cet arrangement.

Ce qui ne m’empêche pas de vous parler, à vous, qui me lisez en ce moment. Pourquoi évoquer cette figure-là alors que je souhaite dire deux mots sur la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, à laquelle j’ai donc participé ? Pas de rapport ? En effet, pas de rapport. Mais le plus simple est de vous citer un morceau de la page 194 du tome 3 de L’Archipel, dans son édition de 1976 (Le Seuil). Voici :

«“Tuez les mouchards !”, le voilà, le maillon ! Flanquez-leur un coup de couteau dans la poitrine ! Fabriquons des couteaux, égorgeons les mouchards, le voilà le maillon ! Aujourd’hui, tandis que je suis en train d’écrire ce livre, des rayons de livres humanistes me surplombent sur leurs étagères, et leurs dos usés aux ternes éclats font peser sur moi un scintillement réprobateur, telles des étoiles perçant à travers les nuages : on ne saurait rien obtenir en ce monde par la violence ! Glaive, poignard, carabine en main, nous nous ravalerons rapidement au rang de nos bourreaux et de nos violenteurs. Et il n’y aura plus de fin…

Il n’y aura plus de fin…Ici, assis à ma table, au chaud et au net, j’en tombe pleinement d’accord.

Mais il faut avoir écopé de vingt-cinq ans pour rien, mis sur soi quatre numéros, tenu les mains derrière le dos, être passé à la fouille matin et soir, s’être exténué au travail, avoir eté traîné au Bour sur dénonciations, foulé aux pieds plus bas que terre, pour que là-bas, au fond de cette fosse, tous les discours des grands humanistes vous fassent l’effet d’un bavardage de pékins bien nourris ».

Je vous l’avais dit et le répète, sans espoir pourtant d’éviter les malentendus. La réalité du Goulag n’a évidemment rien à voir avec la nôtre. Mais ce passage a toujours résonné en moi avec une force particulière. Car il exprime admirablement l’ambivalence existentielle qui tient tant d’hommes, dont je suis. Hier, revenant de la manif, j’ai croisé à la sortie du métro Daniel, un voisin que j’aime vraiment bien. Et nous avons évoqué ensemble la grandiose perspective d’un embrasement. D’un sursaut vrai. D’une grève absolument générale contre ce gouvernement indigne, jusqu’à ce qu’il tombe.

Le verrai-je ? Le verrons-nous ? Chi lo sa ? Mais en rentrant, j’ai également pensé à Alexandre Issaïevitch, comme vous voyez. D’un côté, ma raison et mon expérience me situent sans détour dans le camp de la non-violence. Bien sûr ! Comment donc ! Pardi ! Nous n’obtiendrons rien, par elle, qui puisse nous élever au-dessus de nous mêmes. Mais comme c’est vrai ! D’un autre côté plus physique, plus essentiel peut-être, je suis porté à l’affrontement direct. Je voudrais tant signifier jusqu’où monte en moi le dégoût de ce monde et de ses maîtres. Les petits comme les grands. Les ministres français comme les patrons de BP. Le constructeur indien de bagnoles Nano comme notre philosophe de poche BHL. Le roi du soja brésilien, le gouverneur Blairo Maggi, comme madame Laurence Parisot. Le désormais « philanthrope » Bill Gates comme madame Christine Lagarde, qui sommait il y a trois ans la France d’arrêter de penser *.

Je passerai le reste de cette matinée du 25 juin 2010, alors que chantent les oiseaux à ma fenêtre, à penser à Alexandre Issaïevitch. Et à tous ces « pékins bien nourris » qui nous entourent.

* Le 10 juillet 2007, Christine Lagarde déclare devant l’Assemblée nationale : « Mais c’est une vieille habitude nationale : la France est un pays qui pense (…) C’est pourquoi j’aimerais vous dire : assez pensé maintenant. Retroussons nos manches ». L’italique est dans le texte distribué par les services de la ministre.

 

C’est tout bête ( sur la retraite)

C’est le jour du grand refus. De la manif, de centaines de manifestations à travers la France pour protester contre le projet gouvernemental sur les retraites. J’y serai, oh oui ! J’enfile en ce moment mes chaussures de marche assorties de guêtres, lustre mon chapeau d’Indiana Jones, ajuste ma veste de chasse, et compte les minutes. J’y serai pour deux raisons au moins. L’une est conjoncturelle, et l’autre plus fondamentale.

La première devrait être commune à tous. Ce gouvernement n’a évidemment pas la moindre légitimité pour imposer une réforme odieuse au peuple de ce pays. Je rappelle, sans entrer dans les détails, que bonne part du changement sera payée par les prolétaires – je ne connais pas de mot meilleur -, lesquels vivent déjà bien moins, et bien moins bien que les cadres supérieurs. Ces derniers, je le rappelle aux oublieux,  passent leur vie à chercher les moyens d’extraire davantage de plus-value sur le dos des premiers. C’est une loi économique, ce n’est pas de la méchanceté. Reste qu’à 35 ans, l’écart entre l’espérance de vie des cadres supérieurs et celle des ouvriers est de six ans, et même de 10 ans pour l’espérance de vie « sans incapacités ». Prolo, un sport dangereux. Je note que les retraités, qui gagnent – en moyenne – davantage que les actifs, ne seront pas sollicités. Pour la raison éclatante qu’ils demeurent une base sociale essentielle de la droite au pouvoir.

Et quelle droite ! Ce gouvernement compte dans ses rangs des racistes condamnés – Brice Hortefeux, chef des flics -, des truands au cigare – Christian Blanc, qui a fait payer à la France 12 000 euros de cigares en un an, à peu près ce que gagne un smicard dans le même temps -, des truqueurs de permis de construire – Alain Joyandet, convaincu de fausse déclaration pour l’agrandissement d’une maison dans le golfe de Saint-Tropez -, d’étranges pourfendeurs de l’évasion fiscale – Éric Woerth fait les gros yeux aux planqués des comptes suisses tandis que sa dame conseille les mêmes -, des traitres de (mauvaise) comédie – Kouchner en paillasson, Besson en histrion, Bockel en homme invisible – d’Arabes de service – on ne présente plus Fadela Amara, son appartement de fonction prêté à sa famille, et ses plans en faveur des banlieues qui par malheur restent toujours en plan -, des bateleurs de foire dont le numéro commence à faire rire – Borloo dans le rôle fellinien du grand Zampano de La Strada.

Bon, on aura compris que je n’aime guère ces gens-là. Avouons que je les exècre, ce sera plus franc, leur chef à tous en première ligne, bien entendu. J’ai commencé à regarder de près la politique quand j’avais autour de 13 ans, alors que s’effaçait De Gaulle et que lui succédait Pompidou, en 1969. Nombre de connards et de crapules se sont succédé depuis, y compris après la « victoire » de la gauche en 1981, mais je n’ai jamais ressenti un tel écœurement. Tant de bassesse concentrée, tant d’idiotie, tant d’âpreté au gain et de clinquant, non. Jamais. On se croirait dans La Curée, de Zola, ce roman où le ministre Eugène Rougon aide son frère Aristide à dépecer Paris.

Leur réforme de classe sur la retraite est aux dimensions de leurs personnes. Elle est un acte de guerre sociale, une insulte à ces générations de travailleurs qui, depuis les débuts de la révolution industrielle, ont perdu leurs poumons, leurs mains et bras, leurs âmes, leurs vies, pour que les papas et mamans passés de nos Excellences puissent continuer de roter discrètement entre deux libations. Tenez, regardez comment Prévert voyait nos maîtres dans son immortelle Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France (1931) :

Ceux qui pieusement…
Ceux qui copieusement…
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… on
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons…

Voilà pour la première raison de ma participation à la manif d’aujourd’hui. Je crois que pour l’occasion je vais ressortir mon poing tendu. Quant à la deuxième, voici : la question de la retraite est une occasion unique – aurait été une occasion unique – de discuter ensemble de ce qu’est une vie humaine. De ce que représente le travail. Des liens nécessaires au bien public entre les jeunes et les vieux. De la place de la formation. De la durée globale du temps contraint, à l’échelle d’une vie. De l’intérêt qu’il y a à se lever le matin pour contribuer à la fabrication d’un nombre incalculable d’objets inutiles et souvent désastreux pour notre avenir commun. Et cetera desunt.

L’équipe en place est bien entendu incapable par nature d’ouvrir un débat sur de tels sujets, car il prendrait vite la forme d’un gigantesque cahier de doléances d’une société épuisée, affolée, angoissée par un avenir qui devient chaque jour plus fatal. J’irai donc, bien que sachant qu’aucune des questions que je juge essentielles pour notre malheureuse humanité – n’y aurait-il pas aussi, quelque part, un Sud ? – ne sera abordée par les manifestants. Il est des jours où il faut marcher, et c’est tout. Je marcherai.

Le spectre de la régression (sur la Belgique)

Ce n’est pas follement drôle, aussi je ne m’étendrai pas. La Belgique vient de voter d’une manière désastreuse. Aux 29 % de voix du parti séparatiste flamand, il faut ajouter, selon moi et entre autres, les 12,5 % du Vlaams Belang, parti d’extrême-droite, flamand lui aussi. Ce ne serait qu’un jour de tristesse si ce vote ne marquait une évolution régressive on ne peut plus nette d’une grande partie de l’Europe.

En Italie, la Lega Nord, on l’oublie un peu vite, est La Lega Nord per l’indipendenza della Padania. Autrement dit, et pardon d’écrire cette stupidité : La Ligue Nord pour l’indépendance de la Padanie. La Padanie est le pur fantasme des sbires d’Umberto Bossi, et n’a jamais existé. Dans leur délire, ces leghisti entendent créer un État qui regrouperait les provinces riches du Nord, opposé à ce Sud qu’ils jugent pratiquement africain. Ce dernier mot étant pour questa brava gente  synonyme de honte, de misère, de maladie, d’escroquerie.

La Ligue, c’est tout le pouvoir aux beaufs. Tout le pouvoir aux blaireaux dont je parlais l’autre jour. Tout le pouvoir au plus mauvais de l’homme. Umberto Bossi, que l’on voit souvent avec un doigt d’honneur offert à la foule, dirige cette Ligue avec de beaux slogans comme on aimerait en entendre plus souvent. Par exemple, celui-ci, immortel : « Noi ce l’abbiamo duro ! ». Qui signifie en toute clarté, mais oui : « Nous, on bande ! ». Imaginez cela du haut d’une tribune. C’est ce qui se passe en « Padanie », dans cette Italie que j’aime tant. Et où la Ligue organise des rondes de « chemises vertes » chargées de surveiller la nuit les malandrins, surtout ceux, pour reprendre les mots sordides de Bossi, qui sont « extracommunautaires », c’est-à-dire Arabes ou Noirs.

En Belgique comme en Italie, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ceux qui se sentent plus « riches » ne veulent plus payer leur dîme à la société des humains. Ils veulent profiter de leurs grosses bagnoles, de leurs grosses maisons, de leurs grosses vacances et envoyer au diable ceux qui gagnent moins. Ils entendent dynamiter l’idée de coopération, de mutualisation, de péréquation. Que meurent les pauvres, et que vivent dans leur graisse confite ceux qui tiennent le manche. J’aimerais me tromper, mais je crains que la Catalogne, si chère à ma mémoire, ne soit bientôt candidate aux mêmes délires. Ne plus payer. Construire des digues, des miradors, des barrages barbelés, et monter la garde en attendant l’ennemi.

Ne nous y trompons pas. Chaque année qui passe sans l’élaboration d’un programme humain susceptible de rassembler l’espoir face à la crise écologique, chaque année qui passe est un cadeau offert à Umberto Bossi, à ses Fasci italiani di combattimento nouvelle manière et à ses clones. En attendant que nous nous réveillions, ce l’ha duro. Il bande, pas de doute.