Rien.
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Pourquoi je ne voterai surtout pas pour Europe Écologie
Ne votant pas, je ne vote pas. Je sais bien que la plupart d’entre vous font leur devoir, mais il faut bien que quelqu’un tienne le rôle du voyou. C’est donc moi : je ne voterai pas, mais je ne voterai pas, surtout, pour les listes d’Europe Écologie, ce qui mérite une petite introduction. Avant de vous la livrer, j’aimerais dire que les commentateurs ont le plus souvent la mémoire qui flanche. Par extraordinaire, et par chance, ce n’est pas, pas encore mon cas.
Il me faut donc écrire que les divagations journalistiques quotidiennes sur le score possible, attendu, vraisemblable d’Europe Écologie doivent être contrebalancées. Figurez-vous qu’aux élections municipales de 1977, il y a donc 33 ans, les écologistes obtenaient déjà 8,4 % des voix dans les villes de plus de 9 000 habitants (16 millions d’électeurs inscrits dans cette catégorie cette année-là). Brice Lalonde parvenait à 13,86 % dans le 5ème arrondissement de Paris et Antoine Waechter – l’insubmersible – à 13,09 % à Mulhouse. En 1988, aux présidentielles, le même Waechter obtenait 3,88 % des voix, et en 1989, aux élections européennes, 10,59 % des voix. Dominique Voynet n’a rassemblé que 1,57 % des suffrages aux dernières présidentielles de 2007, et Daniel Cohn-Bendit, aux européennes de 1999, présentées comme un triomphe, 9,72 %. Aux régionales de 1992, dernier exemple qui me vient, l’ensemble Verts et Génération Écologie a dépassé les 14 %. Ma conclusion n’étonnera guère : ça va, ça vient. Entre René Dumont – 1,32 % des voix en 1974 – et Dominique Voynet en 2007, quel beau chemin parcouru, non ? René Dumont, qui ne mâchait pas ses mots, osait alors expliquer face aux caméras ce qui demeure pour moi une évidence : « La voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con ».
Je n’insiste pas davantage. L’histoire, cette marâtre du rêve, est là pour nous ramener aux réalités. Les écologistes officiels ne gagnent pas de voix, et chemin faisant, ne racontent plus que des fadaises acceptables par le système dont ils vivent, plutôt bien. Je ne déteste pas les Verts ni Europe Écologie. J’ai connu, je connais encore nombre de valeureux qui sont à bord de l’attelage. Des amis comme François Veillerette ou Jean-Paul Besset en sont. Des cœurs purs, comme Jean-François Caron ou Thierry Grosjean, y croient encore et toujours. Aussi bien, le débat n’oppose certes pas des « fondamentalistes » dans mon genre et des « pragmatiques » comme Cohn-Bendit. Le débat oppose ceux qui croient à la réalité implacable d’une crise écologique planétaire désormais dévastatrice, et ceux qui pensent à autre chose, parfois seulement à eux-mêmes.
Je ne voterai surtout pas pour Europe Écologie, parce ces messieurs et dames ont le devoir sacré, sur le papier hélas, d’aider ce pays à trouver une voie neuve. Les autres partis m’indiffèrent davantage, car eux au moins ne font pas semblant. Les autres se foutent royalement de ce qui se passe au Sud, sous le niveau des mers, au milieu des forêts tropicales, chez les orangs-outans et les tigres. Les écologistes officiels, eux, parlent chaque matin de la fin programmée du monde, puis repartent siéger, qui au Conseil régional, qui en mairie, qui au Parlement européen. Cela n’arrive même pas à me choquer, car j’ai déjà écrit maintes fois que ce mouvement, queue de comète de mai 1968, attaché à des valeurs aujourd’hui perverses, comme l’hédonisme ou l’individualisme, ne peut pas rompre. Il ne dispose pas du cadre intellectuel et moral qui lui permettrait, au moins, de tracer des lignes, et d’entraîner ailleurs que dans de nouvelles impasses.
Ce mouvement est mort alors qu’il se croit vivant, incarnant l’avenir en marche. Il est mort pour la raison qu’il ne sait ni penser, ni dire. Dans ces conditions, comment pourrait-il agir ? Le bricolage ridicule de ces élections régionales – ici un Philippe Meirieu ou une Laurence Vichnievsky, là un Robert Lion – masque le vide. Et quel que soit le résultat de ce dimanche, le vide demeurera. Des gens qui proclament chaque matin l’urgence se montrent définitivement incapables de rendre compte des quarante années passées de leur propre mouvement. Qu’il ait échoué – comme nous tous – crève les yeux. Mais le reconnaître obligerait à secouer pour de bon l’édifice, qui convient encore à trop de gens, trop d’ego, trop d’appétits personnels. On ne le fera donc pas. Ce que Cohn-Bendit et ses amis réclament, c’est quarante ans de plus. Pour encore, et toujours, faire la même chose. Mais moi, voyez-vous, je crois à ce que j’écris. Et je sais, oui je sais, que le temps nous est réellement compté. Je ne cours donc pas le moindre risque de me déplacer dimanche.
Pathétique monsieur Sarkozy (sans oublier les autres)
Comme le signale Marie dans un commentaire, cet excellent président Nicolas Sarkozy a refermé les portes du salon de l’Agriculture en fanfare. Qui lui aura, cette fois, écrit son texte ? J’avoue ne rien en savoir. Un quelconque ghost writer – un nègre -, dans tous les cas. Peut-être bien Christophe Malvezin, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, nouvelle appellation technocratique de deux corps décisifs de la noblesse d’État, les Ponts et Chaussées d’une part, le Génie rural des eaux et des forêts d’autre part.
Malvezin est aussi le conseiller agricole de monsieur Sarkozy. Tout est donc possible. Quoi qu’il en soit, la sortie élyséenne du salon de l’Agriculture est splendide. Je cite notre maître : « Je voudrais dire quelques mots à propos de l’environnement. Parce que, là aussi, ça commence à bien faire ». Gé-nial. Il faut se mettre à la place du type, qui croyait tout dominer et qui voit les cartes lui échapper une à une. Il est populaire chez les plus de 65 ans, et sans doute chez les patrons de PME. Partout ailleurs, on l’exècre, au mieux il énerve ou consterne. Et 2012 approche. Que c’est dur.
Les paroles du salon de l’Agriculture annoncent des mesures qui contrediront les (fausses) annonces du Grenelle de l’Environnement. On va – eux – regarder de près les « distorsions de concurrence » avec les pays voisins, ce qui veut dire en français courant qu’on va lâcher la grappe aux paysans productivistes, y compris sur la question capitale de l’usage des pesticides, qui constituent une forme d’empoisonnement universel. Je ne sais pas vous, mais moi, à la place des thuriféraires du Grenelle de l’Environnement – Greenpeace, WWF, fondation Hulot, France Nature Environnement -, je serais tant soit peu honteux. Car ces associations ont démobilisé la société en lui faisant croire qu’un processus positif était en cours, ce qui ne se pouvait, pour des raisons de fond qui ne sont jamais débattues. Maintenant que le voile se déchire, les Pleureuses du mouvement écologiste officiel regrettent, déplorent et en appellent à « l’esprit du Grenelle de l’Environnement ». Rions, puisque nous sommes impuissants.
Changeons de sujet, mais pas totalement. Je vous signale un papier intéressant sur l’entourage proche de Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er. On n’y rencontre que des hommes (ici). Sur les 50 membres de son cabinet, dont notre bon Malvezin, six femmes. Le cercle le plus restreint compte Claude Guéant, 65 ans; Raymond Soubie, 69 ans; Jean-David Levitte, 63 ans. Le plus jeune est ce fantastique Henri Guaino, 52 ans, auteur de l’inoubliable discours colonial, dit de Dakar. Vous vous doutez bien que parmi la bande des cinquante conseillers présidentiels, aucun n’a la moindre culture dans le domaine de l’écologie. Je dis bien : aucun. Autrement dit, ces gens incultes, ces gens médiocres, ces gens en bout de course, de carrière et même – n’ayons pas peur des mots – de vie, se contrefoutent de ce qui arrivera demain, quand ils ne seront plus là à parader. Ma foi, si c’était une farce, elle serait somptueuse.
Tout est à nous ? (à propos du NPA et de quelques autres)
Je ne pense pas que l’on puisse m’accuser de vouloir plaire. Mais je dois tourner cela autrement, car bien entendu, on veut toujours plaire. Disons que, si tel était mon but principal, j’aurais sans doute choisi depuis longtemps une autre voie. Et comme je suis sur celle-ci, et que je n’ai pas l’intention d’en changer, il faut bien croire un peu que mon engagement est profond. Il commande, tel que je le conçois, une certaine vérité. Bordée si l’on veut, limitée pour sûr, mais authentique.
Je dois reconnaître que le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ne hante pas mes nuits. Je vois cette structure et ceux qui la soutiennent comme les spectres d’une histoire à jamais engloutie. Ce qui ne m’empêche pas de trouver d’épatantes qualités à des piliers du NPA, comme l’ornithologue Pierre Rousset (ici), davantage il est vrai pour son amour des oiseaux que pour ses positions politiques. Mais j’ai fait mieux en soulignant le caractère démocratique d’un mouvement, la LCR, qui a entrepris ce que nul autre n’aurait osé : la disparition dans un ensemble plus vaste, menaçant pour les vieilles lunes (ici).
Cela me met plus à l’aise pour ce que je vais écrire. L’autre matin, me rendant au métro – j’habite en région parisienne -, j’ai croisé le chemin d’une poignée de militants du NPA, qui distribuaient des tracts et vendaient le journal de leur parti, Tout est à nous. Je n’aurai peut-être pas fait attention si une amie, quelques jours plus tôt, ne m’avait parlé de ce titre, en le moquant un peu. L’occasion étant là, j’en ai profité pour réfléchir. Tout est à nous. Cette expression renvoie à un slogan scandé dans les cortèges de l’après-68, et qui disait : Tout est à nous, rien n’est à eux/Tout c’qu’ils ont, ils nous l’ont volé/Nationalisation, sous contrôle ouvrier/Sans rachat ni indemnité. C’était entraînant, c’était plaisant. Si plaisant que le gamin de ce temps – moi – reprenait cela à pleins poumons. Voyez, je m’en souviens.
35 ans plus tard, les mots ont à peine changé. On ajoute désormais, je crois : Partage des richesses, partage du temps de travail, etc. Mais revenons au nom de ce journal. Tout est à nous. Vous me direz que je coupe les cheveux en quatre – travail fort délicat pour moi – et que je vois le mal partout. Mais sérieusement, cela me dégoûte purement et simplement. Ce Nous est typiquement, sans que ses défenseurs l’imaginent, dans la tradition léniniste et trotskiste. Eux et nous. La classe ouvrière et la bourgeoisie. Les purs et les autres. Ce Nous trace une frontière simpliste et redoutable entre les bons qui seront sauvés et les méchants qu’il faudra bien achever. Et cette idée a fait ses preuves dès la fin de 1917, d’abord contre l’opposition dite « bourgeoise » au parti bolchevique – les Cadets du Parti constitutionnel démocratique – , puis contre le parti socialiste révolutionnaire et les anarchistes.
Je ne prétends aucunement que la société de classe n’existe pas. Et j’ai affirmé, écrit des centaines de fois que le pouvoir réel est entre les mains d’une oligarchie capitaliste qui mène les sociétés au désastre, quand celui-ci n’est pas déjà consommé. Mais je récuse cette dramatique indigence qui consiste à croire que le combat opposerait un petit groupe à une immense majorité. Ce fut la base de quantité de tyrannies, ce le serait demain. Le vrai combat unit ceux qui comprennent leur rôle, évident, dans la destruction des formes de vie. Il n’est pas vrai que nous serions seulement les victimes d’un système, les marionnettes de l’aliénation. Nous sommes tous, TOUS, les acteurs du drame, et nous serons TOUS amenés à jouer certain rôle pour qu’il ne se termine pas en tragédie.
Puis, cet autre mot, plus insupportable encore à mes yeux : Tout. Ce fantasme dit l’essentiel. L’homme est au centre, et tout doit lui être subordonné. Le NPA réinvente l’eau chaude, à savoir ce bon vieux précepte de Descartes selon lequel « L’homme doit se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Dans l’essai Art révolutionnaire et art socialiste, publié au milieu des années 20 du siècle passé, Léon Trotski, qui demeure tout de même l’un des inspirateurs du NPA, écrivait ceci : « L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans ».
Rien n’a donc fondamentalement changé au NPA, comme on pouvait légitiment le supposer. Et rien ne changera, car le cadre de la pensée de ces militants est pour l’essentiel le même que toujours. Produire plus – et mieux, admettons-le -, distribuer davantage. Aucune remise en cause du paradigme commun à la gauche et la droite – appelons cela le progrès – n’est à l’ordre du jour ni ne le sera. Quant à oser prétendre que tout pourrait appartenir à des humains, je considère cela comme une offense terrible au monde, à la planète, à ses habitants non humains, à ses mystères, à ses promesses, à son avenir. Rien ne saurait m’être plus étranger.
Gagnez 18,50 euros en ma compagnie (et celle de Jospin)
J’avoue tout de suite, ce qui m’épargnera pour la suite : cet article est un cas flagrant de masochisme. Je ne suis pas affecté de ce mal chaque jour, ni chaque semaine, mais quelquefois, il faut bien dire que je n’y coupe pas. Exemple assuré avec le parcours (rapide, très rapide) que je viens de faire d’un livre que je vous déconseille fortement. Son titre : Lionel raconte Jospin. Son éditeur : Le Seuil. Ses auteurs, outre Jospin lui-même, sont les deux journalistes qui l’ont interrogé : Pierre Favier, ancien de l’AFP, et Patrick Rotman, documentariste. Son prix, comme indiqué dans le titre : 18,50 euros.
Ne le lisez pas, ne faites pas comme moi. Le maigre paradoxe de cette affaire, c’est que ce pauvre livre demeure intéressant. Mais à la vérité, sans doute pas pour les raisons que souhaiteraient ses auteurs. Avec votre autorisation, je découperai mon propos, avec l’arbitraire qui me caractérise, en deux parts inégales. L’une fondamentale, à mes yeux du moins. Et l’autre contingente, où vous retrouverez, pour les plus fidèles de Planète sans visa, certaines obsessions bien (trop) personnelles. Commençons par le principal. Souvenez-vous que Lionel Jospin a été le Premier ministre de la France entre 1997 et 2002, et que s’il n’avait pas été aussi sot – politiquement, s’entend -, il aurait été élu président de la République à la fin de ses cinq ans à Matignon, au lieu que de donner les clés à Chirac, qui se sera assoupi dessus, n’insistons pas. Jospin a donc été, pendant trente années, l’un des responsables les plus en vue du principal parti d’opposition au pouvoir actuel, et il fait montre, dans ces entretiens, d’une cécité totale à la seule question qui, désormais, vaille : la crise écologique.
Je vous le dis comme je le pense, ce texte insipide est un monument érigé à la gloire de la sottise. La sixième crise d’extinction, la plus grave de l’avis de la plupart des biologistes depuis la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années, jette à la fosse commune des milliers d’espèces animales et végétales. Le vivant est ainsi atteint dans son cœur. Mais Jospin pense et parle de la Corse et du préfet Érignac, du PCF de 1981 et des tactiques mitterrandiennes pour en réduire l’influence, de Michel Rocard, de Laurent Fabius, de Claude Allègre, de Mazarine Pingeot, de ses dérisoires campagnes électorales, de ses ridicules affrontements de congrès, de ses si vaines et si fugaces espérances présidentielles.
La faim ravage la planète, les villes ne sont plus que dépotoirs où l’on entasse les humains, le pétrole s’épuise, les biocarburants déferlent, les forêts brûlent, l’eau manque et les grands fleuves meurent les uns après les autres, la contamination chimique empoisonne la totalité des êtres, les océans sont bouleversés pour des dizaines de milliers d’années au moins par la surpêche, le nucléaire se répand comme la peste qu’il est, l’érosion et le désert engloutissent des régions entières, le dérèglement climatique, par-dessus le tout, menace la Terre du chaos et de la dislocation des sociétés humaines, mais Jospin n’a pas un mot pour ces phénomènes écosystémiques, planétaires, essentiels et même cosmiques. Jospin aura traversé sa vie en aveugle. Il ne sait rien, n’a rien lu ni rien compris, il croit visiblement que faire de la politique consiste à faire de la politique. On hésite. Faut-il le plaindre ? Faut-il le moquer ? Moi, je dois vous avouer tout net que je le trouve lamentable.
Pourquoi ce mot rude ? Je vais vous expliquer mon point de vue. Je ne reproche pas à Jospin de ne point partager ma culture et la vision du monde qu’elle impose. Je ne suis pas à ce point abruti. Non. Je lui reproche de ne pas même avoir eu la curiosité intellectuelle de lire deux ou trois livres, de rencontrer deux ou trois intellectuels qui eussent pu l’éclairer. Je lui reproche de s’être vautré pendant cinquante ans dans la sous-culture de l’univers politicien, qui exclut les grands questionnements, et partant, tout basculement. Pauvre monsieur, pauvre vieux monsieur désormais, qui entendait diriger la France sans rien savoir, aucunement, sur la marche du monde. Voyez, finalement, je le plains. Et j’ajoute : je nous plains, nous qui avons bel et bien mérité cet homme-là.
Je vous avais promis deux parties, et j’espère que vous me pardonnerez ce que, d’emblée, j’ai présenté comme contingent. J’aurais pu ne pas en parler, mais ma pente naturelle me pousse à le faire. Vous pouvez éventuellement sauter. Le 28 juin 2001, j’ai publié dans le quotidien Le Monde une tribune qui n’avait rien à voir avec l’écologie. Elle était intitulée L’étrange monsieur Lambert, ce dernier étant encore à l’époque – il est mort depuis – le chef du mouvement appelé Organisation communiste internationaliste (OCI), auquel Jospin avait adhéré clandestinement dans les années 60. On s’en fout ? Pas moi. Je rappelle que Jospin a failli devenir notre président. Or, dans la tribune du Monde, jamais attaquée, jamais contredite, je racontais des choses extrêmement graves sur l’OCI, Lambert et donc Jospin. Notamment sur la « préhistoire » de Lambert, qui plonge ses racines dans les années de guerre. Notamment sur les liens entre Lambert et Alexandre Hébert, invraisemblable pilier du syndicat FO. Notamment sur l’attitude si baroque des « lambertistes » pendant la guerre d’Algérie, pendant mai 68, puis les années 70. Notamment sur la violence. Notamment sur le refus obstiné de participer aux mobilisations de l’extrême-gauche de ces années-là, qu’elles soient antiracistes, féministes, antinucléaires, antifascistes, antimilitaristes. En résumé, tout montre que l’OCI n’a jamais appartenu à cette nébuleuse connue sous le nom d’extrême-gauche. Mais alors, pourquoi avoir fait semblant ?
Aujourd’hui, bien des gens de ce courant funeste, de Jospin à Benjamin Stora, en passant par Pierre Arditi, Bernard Murat ou Bertrand Tavernier, veulent croire que l’OCI, à laquelle ils étaient liés à des titres divers, était en réalité l’une des composantes de mai 1968. Mais c’est simplement faux. Une structure pyramidale, ayant pour sommet Lambert, s’est absolument opposé à ce mouvement de la jeunesse, pour des raisons qui restent à éclairer, mais qui laissent entrevoir d’étranges coulisses. Et ce livre sur Jospin, alors ? C’est bête, mais j’ai été indigné de la manière dont Favier et Rotman le laissent présenter son engagement de près de trente années dans le mouvement lambertiste. Au moment où je vous écris, nul ne sait précisément quand il y a adhéré, ni quand il l’a quitté. On peut estimer qu’il est resté dans l’orbite de ce si curieux mouvement entre 1960 et 1985, voire 1987. En mai 1968, que Jospin présente en 2010 comme une aventure sympathique, les lambertistes intimaient l’ordre à ses membres, donc Jospin, de ne pas se rendre sur les barricades d’un mouvement jugé comme un complot du pouvoir gaulliste. Quand Jospin ose dire à Rotman et Favier que 68 lui « a paru passionnant par la radicalité de ses remises en question (page 41) », ou bien il ment, ou bien il se ment.
Le fait est en tout cas qu’il adhère au parti socialiste à la fin de 1971, alors qu’il est encore un militant de premier plan, mais secret, de l’OCI de Lambert. Et là, nouveau mystère sidérant, dont semblent se contreficher Rotman et Favier. En 18 mois, ce militant de base sans passé, sans grand charisme – si ? – parvient à un poste stratégique à la tête du PS de Mitterrand. Le voilà intronisé, à la stupéfaction générale, secrétaire national à la formation et membre du Bureau exécutif. Je n’ai pas d’explication, mais je sais qu’il y en a une. On ne me fera pas croire que, dans ce parti d’ambitieux et d’arrivistes, cette ascension de météore a pu être le fait du hasard. Non, vous repasserez plus tard pour les contes de fées.
Je me doute bien que certains d’entre vous se demanderont pourquoi diable je perds du temps dans ces embrouilles passées. Mais il ne s’agit pas forcément du passé. La France a failli élire président de notre République un homme qui a caché des pans essentiels de sa vie, non pas privée, mais politique, intéressant au premier chef les citoyens de ce pays. Il s’était passé exactement la même chose à propos de Mitterrand et de son amitié indéfectible pour le secrétaire général de criminelle police de Vichy, René Bousquet. Nous en faudra-t-il donc un troisième ? Une troisième ? Nous sommes tous, je dis bien tous complices de ces silences aussi révélateurs que bien des paroles. Croyez-moi ou non, tant que la société sera aussi indifférente à la question de la vérité, elle n’avancera pas d’un pas. Dans aucun domaine. Pas davantage dans celui qui m’obsède tant, et qui est la crise de la vie sur terre. Croyez-le ou non, mais cette facilité avec laquelle une société éduquée accepte sans broncher les pires bobards ne prépare pas les lendemains que je continue pourtant à espérer.