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Felix qui potuit rerum cognoscere causas* (mais où est le pouvoir ?)

Je n’écris pas pour faire peur à quiconque. D’ailleurs, je ne sais pas réellement la solidité de ce que je vais vous dire. Mais laissez-moi vous présenter Simon Johnson. Économiste, spécialiste des crises depuis vingt ans, il enseigne dans l’un des temples intellectuels de l’Amérique, le Massachusetts Institute of Technology ou MIT. Il a été avant cela le directeur du Département des études du FMI (de mars 2007 à août 2008), où il a publié une étude qui m’avait à l’époque, début 2008, fortement marqué.

Il faut dire que Johnson y désignait les biocarburants, que j’abhorre au-delà des mots que je saurais trouver, comme les grands responsables de l’explosion des prix alimentaires dans le monde (ici, en français). Et il précisait sans détour : « « Les gros perdants, ce sont les citadins pauvres. Au-delà des considérations macroéconomiques, l’impact du renchérissement des denrées alimentaires sur ces derniers est manifeste et simplement douloureux : ils doivent payer davantage pour manger. En raison de la croissance démographique dans de nombreux pays pauvres, la hausse des prix alimentaires exerce des pressions accrues sur les budgets des plus démunis. Ceux qui produisent assez de nourriture pour eux-mêmes et pour le marché peuvent en bénéficier (selon l’évolution exacte des prix de leur production et de leur consommation), mais les pauvres en pâtissent, dans les villes et dans bien des campagnes ».

Vous jugez bien que je trouvais alors, que je trouve encore ses propos singulièrement justes, prononcés qu’ils étaient par un prince de la finance mondialisée. Et voilà que Johnson, deux ans plus tard, attire une nouvelle fois mon attention. Il a quitté le FMI, et se consacre à des travaux d’enseignement. Voici quelques jours, la chaîne de télévision CNBC lui a accordé royalement cinq minutes d’entretien en direct, qu’il vaudrait mieux regarder par vous-même. Si vous ne comprenez pas assez l’anglais d’Amérique, je vous conseille d’observer les personnages qui l’interrogent, et qui marquent, pour deux d’entre eux, une incrédulité assez remarquable (ici).

Mais que diable raconte ce type ? En anglais, cela donne : « For the six major banks of the United States, their total balance sheet is over 60 percent of U.S. GDP. [The banks] got bigger during the crisis. All the big guys are out there looking to take risk. So would you — and so would I — if we felt we were immune. If you had a ‘get out of jail free card,’ wouldn’t you go take a lot risk right now ? ». Et en français, que les six banques américaines principales ont un actif qui dépasse 60 % du produit intérieur brut (PIB) de leur pays. En réalité, la crise les a rendus plus grosses encore, déchaînant chez les banquiers un sentiment d’impunité à peu près total. Que feriez-vous, demande en substance Johnson, si on vous donnait une carte qui vous permette de sortir de prison à volonté ? Ne prendriez-vous pas, comme moi-même, tous les risques, vous sentant totalement à l’abri ?

Je répète que je ne sais quelle valeur accorder à ce point de vue. Peut-être se trompe-t-il. Sur l’avenir, je le précise. Car en ce qui concerne le présent, nul doute qu’il parle vrai. Le système délirant qui nous a menés au bord du gouffre s’est renforcé à la faveur des mesures étatiques prises pour son sauvetage. Obama n’a pas voulu affronter le pouvoir réel, il n’a en tout cas pas réussi à faire plier le système bancaire, malgré la volonté pourtant manifeste de ceux qui l’avaient élu quelques mois plus tôt. Comme il s’est couché, à Copenhague, devant les majors industrielles qui ont intérêt – pour l’heure du moins – à émettre massivement des gaz à effet de serre qui déstabilisent le climat.

Non, je ne sais pas si Johnson a raison lorsqu’il annonce que nous ne sommes qu’au début d’une crise infiniment plus grave que celle en cours. C’est néanmoins ce qu’il dit, et son savoir en vaut certainement un autre. Tout est en place, selon lui, pour une réplique de la première crise, qui serait, à l’inverse de ce qu’on voit dans les secousses sismiques, beaucoup plus forte encore. La Chine lui semble être l’épicentre possible d’un nouveau cataclysme, qui ferait du monde une charpie. La Chine pourrait connaître, aux dimensions qu’elle a conquises, ce qu’a subi le Japon d’après 1989. Cette Chine qui fait de l’immobilier, comme tant d’autres avant elle, l’alpha et l’oméga de sa soi-disant réussite.

Je ne devine évidemment rien de ce qui nous attend. Je ne comprends qu’une chose, exactement comme vous : ce système financier est lancé sur une trajectoire qui échappe à la raison, au contrôle, à la liberté des humains. Nul ne sait en réalité quelles surprises il peut nous réserver. Mais elles ne sauraient être bonnes. Car la logique qui sous-tend l’édifice est le gain à tout prix, dans le temps le plus bref possible. Telle est l’une des raisons de l’extraordinaire accélération de la destruction des écosystèmes. Il est peu d’investissement plus rentable que celui qui consiste à épuiser en quelques années une pêcherie, ou à raser une forêt tropicale pour la changer en portes et fenêtres occidentales, ou à flinguer l’un de nos derniers tigres pour en faire de la poudre de perlimpinpin.

Jusqu’où ira-t-on ? Encore bien loin, je le crains. Car nos sociétés rassasiées et même obèses du Nord ont beaucoup à perdre dans une remise en cause radicale de l’organisation sociale et de ses prolongements économiques. Quand je lis dans les commentaires, ici, des interrogations sur le Modem, les Verts ou le Parti de Gauche, je constate que la route est à peine entamée. Je n’entends pas me distinguer de vous, qui semblez croire encore à ces dérisoires agencements. Je ne le veux pas, car je souhaite moins que tout la solitude. Je ne me sens supérieur en rien, et pour dire le fond de ma pensée, nous sommes tous à bord de l’esquif, comme de simples matelots qu’un capitaine ivre, fou et d’ailleurs invisible, conduirait à la côte en pleine nuit, au milieu d’une tempête. Disons simplement qu’il va nous falloir penser, pour de vrai, et que nous ne sommes visiblement pas prêts. Disons qu’il nous faudra bien agir, mais alors en commençant par ce qui est le plus accessible. Et le plus accessible reste : nous. Apprenons ensemble à voir autrement les mêmes choses.

 * Heureux celui qui put connaître la cause profonde des choses. Ce vers, du poète latin Virgile, est tiré des Géorgiques.

Par ailleurs, 1800 ans plus tard, dans une lettre qu’il adresse au grand mathématicien Alexis Clairaut le 27 août 1759, Voltaire note ceci, qui me plaît : « La culture des champs est plus douce que celle des lettres, je trouve plus de bon sens dans mes laboureurs et dans mes vignerons, et surtout plus de bonne foi et de vertu, que dans les regrattiers de la littérature, qui m’ont fait renoncer à Paris, et qui m’empêchent de le regretter. Je mets en pratique ce que l’ami des hommes conseille. Je fais du bien dans mes terres aux autres et à moi. Voilà par où il faut finir. J’ai fait naître l’abondance dans le pays le plus agréable à la vue et le plus pauvre que j’aie jamais vu. C’est une belle expérience de physique que de faire croître quatre épis où la nature n’en donnait que deux. L’Académie de Cérès et de Pomone valent bien les autres ». Et il achève son courrier en citant Virgile : « Felix qui potuit rerum cognoscere causas,/ Fortunatus et ille deos qui novit agrestes » (ce deuxième vers des Géorgiques signifie « Qu’il est fortuné, celui qui sait nommer les divinités des champs »). Enfin, le mot regrattier, choisi par Voltaire, désigne ceux qui écrivent sans savoir le faire. Il en reste quelques-uns.

Bis repetita (encore sur le pouvoir)

Le pouvoir. Le vrai pouvoir dont je vous entretenais dans l’article précédent. Et DSK. Ce que je pense de cet homme politique, je l’ai déjà écrit bien des fois. Au tout début de Planète sans visa (ici), je rappelais que le patron de cette infamie nommée Fonds monétaire international (FMI) a été, entre autres, un avocat d’affaires. Que, dans ce cadre, il a conduit pour le compte de très grands patrons ce qu’on nomme, avec un œil entendu, des deals. Entre 1993 et 1997, il a même présidé un lobby appelé le Cercle de l’Industrie, regroupant un vrai bottin des grands capitaines d’industrie français. Dès 1994, il devenait un lobbyiste appointé du nucléaire. Envoyé en mission en Allemagne par EDF, il commençait son noble travail auprès de ses amis du SPD allemand. Sa mission n’avait aucun mystère : il devait convaincre Siemens de rejoindre Framatome et EDF dans le vaste chantier de l’EPR, le nouveau réacteur nucléaire français.

Et puis, en 1997, le voilà de retour dans le gouvernement de la France, appelé par Jospin au ministère de l’Économie. Autrement dit, après avoir copiné des années avec les pontes de Renault, Areva, EDF et tant d’autres, DSK jugeait légitime d’avoir à traiter les affaires du pays avec les mêmes. Cet homme n’est pas dépourvu de morale. C’est seulement qu’elle lui est personnelle. Pourquoi parler ce 13 janvier 2010 de cet homme déplorable, alors que minuit approche ? Parce que je viens de lire un papier sur lui dans Le Nouvel Observateur à paraître demain jeudi. Non, je n’écris pas cela pour frimer. Souventes fois, les journalistes lisent le journal quelques heures avant les autres. Ce que cela change ? Rien.

J’ai donc pensé à lui, et à un second article paru en juin 2009 (ici). Madame, qu’on appelle aussi Anne Sinclair, avait invité le tout-Paris à l’anniversaire de son excellent mari aux Buttes-Chaumont. Mais qui était invité ? Bien des gens. Dont des banquiers et des industriels bien sûr. Dont BHL et Arielle Dombasle, cela va de soi. Dont Jean-Pierre Elkabach, Claude Allègre, Alain Minc, Jean-Christophe Cambadélis. J’ai écrit en gras les deux derniers noms, car je vais y revenir. Que prouve cette soirée d’anniversaire ? Ce que tout le monde de sensé sait déjà. DSK est un homme-lige du capitalisme transnational. Il n’a servi ni ne servira d’autres intérêts, quoi qu’il arrive. Et si, par malheur, il devait se présenter aux élections présidentielles, je plains par avance ceux qui se laisseraient aller à voter pour lui. Je le dis sans agressivité : à mes yeux, ceux-là n’auraient pas la moindre excuse.

Et passons. Alain Minc. Cet arrogant personnage, d’autant plus capable de mordre que personne ne lui a jamais mis de muselière, est un ami proche de DSK et de Sarkozy. L’article dont je vous parlais, et qui sera demain dans L’Obs sous la plume de Mathieu Croissandeau, rapporte un repas pris entre les époux Minc, DSK et Anne Sinclair dans l’un des restaurants les plus chers de Paris, situé place des Vosges. Selon le journaliste, et je ne sais s’il dit vrai, Minc aurait souhaité ce repas – payé néanmoins par DSK -, pour prendre la température. DSK se préparait-il pour les présidentielles ?  Aurait-il éventuellement l’envie et la ténacité d’aller jusqu’au bout ? D’après Croissandeau, en tout cas, Minc se serait empressé d’appeler Sarkozy pour lui dire qu’à son sens, un homme se trouvant en « surcharge pondérale » comme DSK, et qui reprend du ris de veau, n’est pas en piste pour une épuisante campagne électorale. Je vous jure que je n’invente rien. Ainsi.

Mais l’essentiel n’est pas encore là. L’essentiel est, bien entendu, que ces gens qui se côtoient sans cesse, mangent ensemble, dorment ensemble, et bien plus si affinités, ne font que semblant de s’opposer. Oh ! vous vous en doutiez. Je suis désolé d’avoir paru vous prendre pour des naïfs. Vous vous en doutiez donc, et vous aviez raison. Un cercle parfait réunit les patrons présentés dans le texte précédent et ceux qui sont à l’Élysée ou prétendent y entrer. Il n’y a donc pas le moindre espoir de ce côté-là, si vous voulez m’en croire. Et aux éternels crédules qui misent – peut-être – sur Martine Aubry, je rappellerai brièvement qu’elle s’engagea en faveur d’un « usage contrôlé de l’amiante », quand des braves comme Henri Pézerat tentaient de faire interdire ce poison, dont la singularité est de tuer de simples prolos sans le moindre relais médiatique.

Hasard ? Sûrement. Elle fut directeur général adjoint du groupe Péchiney entre 1989 et 1991, dont la responsabilité reste engagée dans des dossiers lourds concernant l’amiante, comme par exemple Tréfimétaux. Quittant Péchiney pour le ministère du Travail – entre 1991 et 1993 -, elle ne trouva ni le temps ni la volonté de faire interdire ce matériau criminel, laissant le fardeau à ses successeurs. Une grande dame, hein ? En 1993 enfin, virée de son poste au ministère, elle créait sans façon la Fondation Agir Contre L’exclusion, ou FACE. Avec une palanquée de philanthropes tels que GDF-Suez, Manpower, Péchiney-le-retour, Axa, Casino, Renault, le Crédit Lyonnais, etc. Rien que des braves gens. J’imagine que vous avez constaté, tout comme moi, à quel point l’exclusion sociale a pris peur, en face de tels adversaires, et combien elle a reculé depuis en France.

Je redoute d’avoir à le dire brutalement, mais je me demande si nous pourrons aller bien loin avec tous ces gens. Je me demande même avec un peu d’angoisse au ventre si ces champions de la gauche ne sont pas un peu connectés à l’univers décrit dans mon message précédent. Mais dites-moi donc : et si ces belles personnes se foutaient totalement de notre gueule ? Notez que ce n’est qu’une question. Quant à Jean-Christophe Cambadélis, dont je vous rappelle que j’ai mis son nom en gras plus haut dans ce texte, que vous en dire ? Vous me pardonnerez, mais c’est personnel. Cambadélis a été l’un des chefs d’une des pires structures politiques de l’après-guerre, qui s’appela entre autres Organisation communiste internationaliste (OCI). Un groupe d’une immense étrangeté, et qui utilisait la violence la plus abjecte, dans l’après-68, contre ses adversaires. Au-dedans, c’était presque pire. Une sorte de police stalinienne y faisait régner l’atmosphère, en modèle réduit, des procès de Moscou. Mais à Paris, sans que le coup de pistolet Nagant dans la nuque n’en finisse avec les dissidents, comme là-bas.

Je sais, lecteurs de Planète sans visa, que nombre d’entre vous s’ennuient lorsque je parle de certain passé. Mais je suis qui je suis, n’est-ce pas ? Et Cambadélis, passé au PS dans des conditions rocambolesques, y est devenu un cheffaillon de plus, proche de DSK. Il n’a guère changé, à mes yeux en tout cas. Tel il était, tel il demeure. Peut-être en apprendrons-nous un jour davantage sur son passé. Ou peut-être non. Moi, je sais comment se comportait l’OCI de Cambadélis entre disons 1970 et 1977, et cela me suffit bien. Alors, pourquoi parler de lui, qui en vérité ne m’intéresse plus ? Parce qu’il a salué la mémoire de Daniel Bensaïd, mort ces derniers jours, d’un tonitruant communiqué intitulé : « Salut, Bensa ! ». C’est ainsi – Bensa – que Bensaïd était appelé par ses nombreux amis. Dont je n’étais nullement, je le précise.

Bensaïd, cofondateur de la Ligue communiste révolutionnaire, et du NPA qui lui a succédé, était l’un des noms du trotskisme français. Je n’avais, Dieu sait, rien à voir avec sa pensée, mais je sais que cet homme-là fut un révolutionnaire. Et cet engagement était à l’évidence – je dis bien à l’évidence -, aux antipodes des pratiques bureaucratiques d’un Cambadélis. Alors, et tant pis, décidément, si j’ai semé de nombreux lecteurs en route, je dois dire que cet hommage de Cambadélis à la noble figure de Daniel Bensaïd claque comme un outrage. Un terrible outrage qui passera inaperçu. Désolé, mais je devais. De DSK à Cambadélis, en passant par Minc et Martine Aubry, il n’y a nulle solution de continuité. Il y a au contraire un fil. Qui est un câble. Qui forme fossé et frontière. Moi, jamais, quoi qu’il arrive désormais, je ne les franchirai. Il y a eux, et nous. En tout cas, et parce que je ne veux enrôler personne, au moins eux et moi.

PS et rajout tardif : Je me rends compte avec horreur que mes formulations pourraient faire penser que j’ai eu à voir, si peu que ce soit, avec Cambadélis et sa clique de bastonneurs. Par Dieu ! non. Que non ! Jamais, ni de près ni de loin ! Mais il m’arriva en revanche de prendre deux coups de bâton des mains de ces sbires. Apparemment, je ne les ai pas oubliés.

Le retour (gagnant) de Mickey Rocard

Fa-bu-leux. Il n’y a que les anciens comme moi qui peuvent se souvenir du rôle qu’a pu jouer Rocard en France, entre disons 1969 et 1994. 1969 est la date d’une élection présidentielle au cours de laquelle s’affrontèrent, dans un deuxième tour baroque, Georges Pompidou et Alain Poher. Un tel événement s’est-il vraiment produit ? Je ne saurais le jurer. Tête de Pompidou, qui n’avait pas bougé un orteil de la guerre, et qui ne supportait donc pas que l’on fasse l’éloge de la résistance antifasciste. Tête de Poher, qui finirait sa vie président du Sénat, s’endormant au milieu des réunions les plus importantes de ce petit club de vieux.

Rocard avait 38 ans, et représentait au premier tour le Parti socialiste unifié (PSU), qu’il allait donner en pâture aux crocodiles sociaux-démocrates en 1975, pour se faire une place dans le marigot. Des flopées de gens – pas moi, oh pas moi ! – crurent dans ce personnage de l’après-68, le voyant comme une synthèse miraculeuse de l’imagination, de la volonté et du courage en politique. Pauvres d’eux, tout de même. Pendant vingt années, au PS, Rocard endura tous les coups tordus, toutes les vacheries du clan miterrandien, sans compter l’infini mépris dans lequel le tenait le grand maître lui-même. En 1988, tactique en diable, Mitterrand le nomma à Matignon pour mieux affirmer l’insignifiance du malheureux. Laquelle apparut, il faut bien l’avouer.

Cet homme, qui avait rêvassé de devenir président, se retrouva à la tête d’un parti socialiste moribond, avant de subir une déculottée aux élections européennes de 1994 – un peu plus de 14 % des voix seulement – qui le fit sortir du champ, définitivement. C’est ce gentil petit télégraphiste-là qui porte désormais certains messages de notre président chéri actuel, Nicolas le Premier. Rocard est en effet, ou a été, ambassadeur de France chargé des négociations internationales sur l’Arctique et l’Antarctique, président d’une « conférence d’experts sur l’institution d’une taxe carbone », et grand ordonnateur, avec son désormais copain Alain Juppé, de cet magnifique emprunt national que nul autre pays ne nous envie.

Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de ce qui précède. Rocard est un comique authentique. Dans un entretien encore tout chaud donné à l’AFP, il distribue bons et mauvais points à propos de la crise écologique. De ce que ce grand homme miniature perçoit de la crise écologique (ici). Top fun ! L’AFP, agence de référence s’il en est, présente Mickey comme un homme qui « travaille de longue date sur la question du réchauffement climatique, de la mise en place – lorsqu’il était à Matignon – de la Mission de l’effet de serre à ses travaux récents sur la taxe carbone ». Et le plus extravagant est que c’est vrai. Cela fait longtemps qu’il travaille, comme savent le faire les politiciens, sur le dérèglement climatique. Disons vingt ans.

Et c’est là que les hoquets de rire arrivent, en tout cas chez moi. Car ce même Rocard, malgré vingt années de dur labeur sur l’effet de serre, a néanmoins déclaré sur France-Info en août 2009 un propos qui démontre qu’il confond rigoureusement tout. Dans le galimatias ci-dessous, à l’insu de son plein gré je n’en doute pas, il mélange deux phénomènes totalement différents l’un de l’autre. À savoir, d’un côté, l’effet de serre. Et de l’autre, la couche protectrice de l’ozone stratosphérique qui entoure, de moins en moins, la Terre. Mais lisez : « Le principe, c’est que la terre est protégée de radiations excessives du soleil par l’effet de serre, c’est à dire une espèce de protection nuageuse, enfin protection gazeuse qui dans l’atmosphère est relativement opaque aux rayons du soleil. Et quand nous émettons du gaz carbonique ou du méthane ou du protoxyde d’azote, un truc qu’il y a dans les engrais agricoles, on attaque ces gaz, on diminue la protection de l’effet de serre et la planète se transforme lentement en poële à frire. Le résultat serait que les arrière-petits-enfants de nos arrière-petits-enfants pourront plus vivre. La vie s’éteindra à sept huit générations, c’est complètement terrifiant. »

Dans l’entretien de janvier 2010 qui est le point d’origine de ce papier, Rocard raconte n’importe quoi, comme à sa plaisante habitude. Il dit ainsi que la « fougue médiatique » aurait été trop forte pour annuler un sommet dont l’échec était prévisible depuis six mois. Excellent. Un, bien entendu, on n’a pas entendu Rocard nous prévenir que nous courions à l’échec. Deux, faire de la « fougue médiatique » une force menant le monde me semble un remarquable travail d’imagination. Trois, de loin la chose la plus importante, Rocard est désespérément largué.

Il enfile les perles comme d’autres font des ronds de fumée. C’est réellement extraordinaire de lire un type qui eût pu être président – Chirac l’a bien été, Sarkozy l’est – démontrer à ce point l’inconsistance de sa pensée. « Pitié: l’ONU n’y est pour rien », dit-il à propos des responsabilités dans l’échec de Copenhague. Pourquoi ? On ne le saura pas. En revanche, et concernant la suite des événements sur le front climatique, Rocard nous livre le fond de sa pensée, précisément sans fond : « Ce n’est pas une affaire de sursaut, c’est une affaire de conscience ». Je rassure ceux qui chercheraient en vain, il n’y a rien à comprendre. Tant mieux, d’ailleurs.

Pour le reste, quoi ? Eh bien, Rocard en est convaincu : il faut se dépêcher, car la roue tourne. Nous voilà bien, tout éblouis par la profondeur de champ, tourneboulés par la pertinence de notre penseur de chevet. Qu’on me permette de citer les derniers mots de ce papier d’anthologie pure : « Or, estime-t-il, la question centrale est celle de la chaîne alimentaire. Un scientifique canadien a publié un papier intitulé : Dans 30 ans plus de poisson ? C’est peut-être là le plus grand danger: la disparition générale du poisson serait une catastrophe planétaire ».

Je crois devoir parler d’apothéose. D’abord pour la raison que Rocky-la-science ne se souvient même pas du nom du scientifique dont il parle. Tout de même. Si l’on s’appuie sur un article pour adresser un message à l’humanité, il me semble qu’il serait préférable de citer son auteur. Mais je vous rassure : Mickey n’a pas lu cet article, et en sera resté au titre. Qui est une question, laquelle ne veut rien dire. On croirait un cri d’alarme lancé vers 1965, ou mieux en 1969, quand Rocard se lançait dans la course à l’échalote des présidentielles. Des alertes de ce type, le monde en a connu des centaines depuis cette époque, dont s’est contrefoutu Rocard lorsqu’il était aux manettes et pouvait, éventuellement, limiter la puissance de la pêche industrielle.

Voilà que les décennies ont passé, que Rocky est vieux, et que tout a changé. Tout. Parler de la fin du poisson – sous-entendu, dans nos assiettes – est une ringardise de plus. Ce qui se passe, et que saurait Mickey s’il lisait autre chose que les œuvres complètes du président Sarkozy, c’est que les écosystèmes marins sont désormais atteints dans leurs équilibres essentiels. Autrement dit, la seule chose qui aurait, à ce stade, le moindre sens, serait de réclamer la fin immédiate de toutes les subventions publiques à la pêche industrielle. Et un moratoire d’au moins dix ans sur cette économie de pillage, de manière à voir ce qui peut encore être sauvé.

Mais Rocard parle comme n’osaient pas parler les écologistes inspirés d’il y a quarante ans. Pour la raison simple qu’il n’est pas, qu’il n’a jamais été et ne sera jamais un écologiste. Comme la totalité de la classe politique française, gauche et droite confondues. Je rabâche ? Je rabâche.

Madame Kosciusko-Morizet, immortelle combattante de l’écologie

Rendons à César. L’information qui est à l’origine de ce billet a été publiée par Bakchich (ici), avant d’être reprise et développée par Rue89, où je l’ai trouvée.

Je ne connais aucunement madame Kosciusko-Morizet, que les journalistes appellent NKM, heureux qu’ils sont de sembler partager quelque chose que les autres n’auraient pas. Je dois avouer de suite que ce dernier article de 2009 frôle la catégorie people, ce qui n’est pas glorieux pour moi. Mais bon, j’essaie de dire ce que je pense, et comme je viens de découvrir une abracadabrantesque historiette sur le site Rue89 (ici), je me sens tenu d’ajouter mon petit grain de sel, qui se trouve être de poivre vert. Désolé pour les pressés, mais on ne retrouvera cette fable qu’à la suite d’une longue présentation, moqueuse comme à l’habitude. Irrévérencieuse, oui, je dois en convenir.

Madame Kosciusko-Morizet est une politicienne aux cheveux flottant au vent. C’est un genre. Paris-Match lui avait offert le 23 mars 2005 une série de photos où elle posait, enceinte, couverte d’une robe diaphane dans son jardin, en compagnie – miracle – d’une harpe. Un coup de pub mémorable, mais qui ne fut pas compris comme cela. Que non ! L’inénarrable journaliste Anna Bitton – signataire d’un livre sur Cécilia ex-Sarkozy – écrivait pour l’occasion, et je vous demande de vous taire (1)  : « Il fallait un éclair d’audace. Oser, quand on est députée UMP, se prêter, pour Paris-Match, au jeu d’une photo artistique, symboliste, un tantinet New Age, et finalement très glamour. Nathalie Kosciusko-Morizet , benjamine des femmes de l’Assemblée nationale, est alanguie sur le papier glacé et sous un soleil mythique. Le chignon sage dont la belle polytechnicienne ne se départit jamais est, cette fois, défait. Les cheveux blond vénitien cascadent longuement sur une robe nacre de mousseline douce. Un bras lascif à bracelet d’or repose noblement sur un banc de pierre moussu, une main baguée caresse un ventre arrondi par la maternité. Un pied blanc et nu effleure les feuilles d’automne qui tapissent le jardin de sa maison de Longpont-sur-Orge. Une harpe, la sienne, luit en arrière-plan; deux bibles précieuses du XVIIe trônent à ses côtés »

Ce n’était qu’un début, un tout petit début. Je ne prétendrai pas que tous les événements médiatisés auxquels a été mêlée madame Kosciusko-Morizet ont été montés de la sorte, et donc pensés, mais enfin, cela se pourrait bien. Citons le pseudo-clash avec Borloo sur les OGM, qui lui avait permis, en avril 2008, d’évoquer un « concours de lâcheté et d’inélégance », avant que de devoir s’excuser. Citons la bise ostensiblement claquée sur la joue de José Bové en janvier 2008, et surtout le commentaire de l’altermondialiste, très éclairant : « Oui, on travaille ensemble depuis des années sur ces dossiers, et une relation d’amitié s’est construite entre nous. Et on se fait la bise à chaque fois qu’on se voit ! ».

Et arrêtons ce qui serait vite litanie. Madame Kosciusko-Morizet sait à la perfection se servir des médias et leur faire accroire qu’elle n’est pas comme les autres. Ceux de la droite ancienne, recroquevillée, poussiéreuse. Je pourrais aisément faire un florilège de plusieurs pages en ne citant que le titre de papiers hagiographiques parus ces dernières années. Et pas seulement dans la presse de droite, il s’en faut ! Des journaux comme Libération ou Le Monde se sont plus d’une fois surpassés dans ce qu’il faut bien nommer de la flagornerie. Je m’en tiendrai à un exemple hilarant, involontairement hilarant, paru dans Le Monde  du 9 janvier 2009. C’est un portrait, et il est long. Extrait premier : « Une femme n’est jamais plus belle que dans le regard de son amant. Le moins que l’on puisse dire est que Jean-Pierre Philippe, ex-militant et élu socialiste, aujourd’hui dirigeant d’une société de conseil, est amoureux de sa femme, Nathalie Kosciusko-Morizet. “Vous ne trouvez pas, demande-t-il, qu’elle est l’incarnation de la femme contemporaine ?” ».

Extrait second : « Il est indéniable que Nathalie Kosciusko-Morizet, dite « NKM » dans son entourage comme sur la scène publique, est d’une réelle beauté – une peau claire qui capte le moindre grain de lumière, le cheveu blond ramassé en chignon savamment indiscipliné, une panoplie de tenues déstructurées à l’élégance recherchée, jusqu’à ces mitaines qui allongent encore sa main de harpiste intermittente. Ce visage intemporel serait-il le secret de son inexorable ascension politique ? Ce serait faire injure à une femme convertie au féminisme par la lecture des deux Simone, Beauvoir et Weil, entrée très tôt en écologie, l’une des premières sur les bancs de la droite française ».

La chose est entendue. Les journalistes se pâment. Bové embrasse, et les associations écologistes pleurent quand Sarkozy décide, en janvier 2009, de la remplacer par Chantal Jouanno au secrétariat d’État à l’Écologie. Elles pleurent, littéralement, car tout le monde a visiblement eu droit aux bécots de madame. Arnaud Gossement, de France Nature Environnement : « Elle a été celle qui a fait monter le dossier environnement au sein de la droite ». Le WWF, de son côté, salue un « beau travail. Elle a fait bouger les moins de 40 ans à l’UMP. Elle démontre que les jeunes générations à droite se préoccupent d’écologie d’une manière intéressante (ici) ». Dès avant cela, en 2007, Nicolas Hulot avait déclaré avec un apparent sérieux : « Au sommet de Johannesburg, j’ai découvert sa constance, son immense compétence et son indéniable conviction. Il est rare que les trois soient réunis en politique ».

Nous y sommes enfin. Elle est belle comme le jour. Elle est incroyablement sincère. Elle est terriblement compétente. Elle est follement écologiste. Ma foi, s’il n’en reste qu’un à ne pas croire cette fantaisie, je crois bien que je serai celui-là. Bien sûr, je n’ai jamais visité l’intérieur de sa tête, et ne suis d’ailleurs pas candidat. Il est possible, il est probable qu’elle a mieux compris qu’un Sarkozy la gravité de la situation écologique. Il n’y a d’ailleurs pas de difficulté. Il est possible, il est probable qu’elle considère les questions afférentes à la crise de la vie comme méritant quelques mesures. Mais pour le reste, je suis bien convaincu qu’elle est une politicienne on ne peut plus ordinaire.

Ceux qui la vantent tant, y compris dans des groupes écologistes, ont fini par croire qu’elle était compétente. Mais en quoi, pour quoi ? Sa carrière est vite résumée. Née en 1973 dans une famille bourgeoise, elle entre à Polytechnique, puis devient Ingénieur du génie rural et des eaux et des forêts (Igref). Quelle pépinière d’écologistes ! Ce corps d’ingénieurs d’État est responsable au premier rang des politiques menées depuis la guerre en France contre les ruisseaux et rivières, les talus boisés, les forêts, et pour le remembrement, les nitrates, les pesticides. Elle n’en est pas coupable ? Non, mais quand on choisit un corps comme celui-là sans ruer dans les brancards très vite, eh bien, justement, l’on choisit.

Et nul doute que madame Kosciusko-Morizet a choisi. Entre 1997 et 1999, elle travaille à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie, autre antre de la deep ecology. Elle poursuit sa route comme conseillère commerciale à la direction des relations économiques extérieures du même ministère. Au passage, je serais ravi qu’elle publie la liste des dossiers sur lesquels elle a alors travaillé. Par exemple sur son blog (ici), qui sait ? À côté des envolées d’Anna Bitton, ce serait du meilleur effet. Mais poursuivons. Après 2001 – nous nous rapprochons -, elle devient conseillère auprès du directeur de la stratégie d’Alstom. Alstom ! Le bâtisseur d’une grande partie des turbines du barrage chinois des Trois-Gorges ! Elle, conseillère, en stratégie, auprès d’Alstom ! Derechef, je ne serais pas mécontent que madame nous parle des conseils stratégiques qu’elle a pu donner à un tel ami de la nature.

La suite ? C’est la rencontre avec Chirac, et la mise sur orbite de la Charte de l’Environnement. Elle prépare pour lui le Sommet de la terre de Johannesbourg, l’été suivant. Mais avant toute chose, et je le répète, avant toute chose, elle s’arrange pour devenir la suppléante du député Pierre-André Wiltzer dans l’Essonne, aux législatives de 2002. À 29 ans. Sans la moindre preuve, je pense que le coup était préparé par ce vieux renard de Chirac. Car dès le gouvernement Raffarin II désigné, un certain Pierre-André Wiltzer se retrouve comme par hasard ministre. Et madame Kosciusko-Morizet devient aussitôt député, poste qu’elle occupera jusqu’à sa nomination ministérielle de 2007, et qu’elle retrouvera sans aucun doute.

And so what ? Je l’ai dit et le répète pour les sourds et les malentendants : madame Kosciusko-Morizet est une politicienne ordinaire, qui a découvert par hasard une formidable niche écologique et qui l’occupe du mieux qu’elle peut, tout en fourbissant les armes de son avenir. Et son avenir, elle le voit à l’Élysée, ni plus ni moins. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle. Dans son livre : « Tu viens ? », paru chez Gallimard, elle lâche le morceau : « Je veux être Présidente de la République ! ». Dès lors, tout devient d’une grande limpidité. Comme elle n’a que 36 ans, près de 20 ans de moins que Sarkozy, elle peut évidemment attendre au moins autant d’années. Et se forger en attendant une image de rebelle – je ne peux m’empêcher de rire aux éclats en associant l’image de la dame et celle du rebelle -, de femme compétente, de mère admirable, de harpiste incomparable, d’écologiste passionnée (et passionnante).

Voyez-vous, l’une des raisons du drame où nous sommes tous plongés est cet état de confusion régnant dans la presque totalité des cerveaux. Il suffit à des gens en apparence raisonnables – dont certains sont même écologistes- d’un battement d’yeux, d’un baiser sur la joue et de bimbeloterie diverse sans être variée pour qu’ils croient aussitôt la chose arrivée. Je me moque, c’est exact, mais ce sont eux qui l’ont cherché, pas moi. Si madame Kosciusko-Morizet était écologiste, au sens que je donne à ce noble mot, elle aurait évidemment refusé avec hauteur le secrétariat d’État à l’économie numérique que lui a refilé Sarkozy, qui ne la souffre pas. Voyons ! Si elle pensait ne serait-ce qu’un peu que la planète est à feu et à sang, accepterait-elle d’aller inaugurer les chrysanthèmes électroniques ? Voyons.

Si elle était écologiste, elle aurait démissionné avec fracas, déclarant avec pour une fois une flamme sincère, que la droite au pouvoir n’a évidemment rien compris – comme la gauche, d’ailleurs – à la crise écologique. Mais elle s’est couchée devant le maître, comme le font tous les autres depuis toujours. Et l’écologie attendra un moment plus favorable. S’il fallait une preuve supplémentaire, mes pauvres lecteurs de Planète sans visa, elle serait dans la place qu’occupe madame Kosciusko-Morizet au sein du dispositif de la droite. Le saviez-vous ? Elle est, depuis mars 2008, secrétaire général adjoint de l’UMP. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Du temps passé dans les innombrables embrouilles et magouilles d’un parti de cette nature ? Vous rendez-vous compte ? J’ajoute un dernier mot sur son « amitié indéfectible » avec Rachida Dati, hautement et publiquement revendiquée. Deux femmes, comme on peut voir. Et deux ego aussi démentiels que ceux de leurs pairs hommes. Nous voilà bien.

Et bientôt arrivés. Que raconte donc le site Rue89, que j’évoquais tout là-haut, pour commencer ce vilain papier ? Presque rien. Nous sommes un peu avant l’été 2008, et madame Kosciusko-Morizet est toujours secrétaire d’État à l’Écologie, poste très enviable qui permet de passer dans les journaux presque chaque jour. Il y a eu le Grenelle de l’Environnement, on parle de taxe carbone, la réunion de Copenhague se profile à l’horizon. En bref, la place est bonne. Oui, mais la sous-ministre n’est pas tranquille, car Sarkozy, qui sait tout des bonnes relations qu’elle a entretenues avec Chirac, ne lui passe rien.

Elle veille donc au grain, au moment même où son mari, ancien socialiste devenu – devinez – sarkozyste, écrit un livre intitulé : « Où c kon va com ça ? Le besoin de discours politique ». Un ouvrage dont la France pouvait se passer, ce qu’elle a fait d’ailleurs, mais sur intervention révulsée de cette chère madame Kosciusko-Morizet. Le livre de monsieur, déjà mis en page, devait atterrir dans les librairies en septembre 2008. Que cachait-il de si terrible ? Selon les informations de Bakchich et de Rue89, le livre était barbant comme tout, mais faisait quelques allusions au maître de l’Élysée, Sarko 1er. Et cela, pour madame et ses ambitions, n’était simplement pas concevable.

Selon Bakchich, elle aurait menacé de divorcer en cas de publication ! Selon Rue89, elle se serait ridiculisée au cours d’un repas d’anthologie avec l’éditeur de son mari, Marc Grinsztajn. Ce dernier raconte : « On a convenu d’un dîner à mon retour de vacances. Au départ ça devait être un dîner pour discuter (…) mais ça s’est transformé en dîner officiel avec sa femme au ministère ». Diable ! Au ministère de madame Kosciusko-Morizet ? Pour un livre écrit par son mari ? Certes. Et voici la suite, telle que racontée par le même : « Elle feuilletait le livre tout au long du dîner en disant : “Ça c’est subversif, ça c’est subversif…” ». Guilleret, hein ? Et pour la bonne bouche, ces propos attribués à la si subversive madame par Marc Grinsztajn : « Normalement, je ne lis pas les livres de mon mari, pour qu’on ne m’accuse pas de les censurer. Mais quand Libé a appelé pour faire un portrait de mon mari sur le thème “Jean-Pierre Philippe, premier opposant de Nicolas Sarkozy”, ça m’a mis la puce à l’oreille. J’ai demandé à un conseiller de le lire, qui m’a dit : “Madame, le livre ne peut pas sortir en l’état. Si le livre sort, vous sautez.” ».

Voilà. Voilà celle que tant d’écologistes, voire d’altermondialistes, considèrent comme l’une des leurs. La prochaine fois que vous la verrez aux actualités, ce qui ne saurait tarder, rappelez-vous cette phrase-étendard : « Ça c’est subversif, ça c’est subversif…». Et riez de bon cœur.

(1) Le soir du premier tour des présidentielles de 1995, dans un numéro inoubliable, le candidat battu Édouard Balladur avait crié à ses partisans, qui apparemment voulaient en découdre verbalement avec Chirac, passé in extremis devant leur champion : « Je vous demande de vous taire ! ». Des images comme on aimerait en voir plus souvent.

PS : Cette histoire, à la réflexion, me fait penser à Panaït Istrati, écrivain roumain. Je l’ai beaucoup lu, je le tiens pour un grand de la littérature du siècle écoulé. En outre, il était incapable de mentir. Compagnon de route du parti stalinien à la fin des années 20, il se rend en Union soviétique à l’heure où tant d’autres écrivent des odes à Staline. Je ne parviens pas à remettre la main sur un livre écrit, je crois, en 1930, et qui s’appelle Vers l’autre flamme. Si je me trompe, ce sera sur des détails. Donc, Istrati ramène d’un long séjour en Union soviétique ce livre, dans lequel, à la différence de (presque) tous les autres, il dit la vérité. Il a vu le malheur, la dictature, la mendicité, il a vu les innombrables vaincus du pouvoir stalinien. Et comme, sur place, il se plaint auprès de ses hôtes, l’un d’eux, probablement un écrivaillon aux ordres, lui dit : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Alors, Istrati lui répond : « Camarade, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? ».

Il ne s’agit que d’un rapprochement, pour sûr, car je place Istrati bien au-dessus des lamentables mièvreries évoquées ci-dessus. Simplement, je trouve que Panaït permet de reprendre ses esprits, quand on les a perdus. Or un nombre considérable de gens de bonne foi n’ont plus les yeux en face des trous dès qu’il est question de madame qui vous savez désormais. D’où ce rappel en apparence incongru du grand homme oublié que fut Istrati.

La taxe carbone part en fumée (pschitt !)

Carrez (UMP) : Ce type est trop génial, et je voulais vous offrir son visage en partage. Son nom, qu’il signe à la pointe de son stylo, n’est certes pas Zorro, mais plus modestement Gilles Carrez, rapporteur UMP du budget de la France, mazette. Vous savez probablement que la taxe carbone voulue par le couple de l’année 2009 – Sarko-Borloo – a été purement et simplement envoyée à la poubelle par le Conseil constitutionnel.

Je rappelle que cette taxe ridicule avait été fixée par notre Sarkozy en septembre, sur un coin de table (ici). Au doigt mouillé. Après avoir écouté tous les lobbies. Le montant dérisoire de 17 euros la tonne avait été arrêté par notre Seigneurie, sans que cela ait le moindre rapport, bien sûr, avec la gravité de la crise climatique. Mais, en septembre, pardi, il fallait bien annoncer un chiffre quelconque, car l’on s’approchait alors de la conférence de Copenhague sur le climat. Et, pour le cas où elle aurait annoncé autre chose que son échec si prévisible, il fallait bien que la France, après tant d’autres pays d’ailleurs, fasse mine de taxer le carbone. Ohé, braves écologistes de cour du Grenelle de l’Environnement, vous souvenez-vous ? En octobre 2007, c’est l’annonce indécente de cette taxe qui avait permis de clore les soi-disant débats et d’en sortir, de part et d’autre, la tête haute. Haute, tu parles !

Nous voici le 30 décembre 2009, et Sarko a désormais tout faux. Copenhague a été un désastre complet, et sa maigrelette taxe sur les émissions de carbone national est jetée aux oubliettes. Notez qu’il s’en fout. Notez qu’il cherche déjà un autre truc pour ensorceler ses nombreuses et si conciliantes dupes. En tout cas, marrons-nous ensemble, une seconde, en lisant les propos désabusés, presque épouvantés, de ce malheureux Carrez, celui de la photo, oui (ici). Dans un entretien au journal Le Point, il n’est pas très loin de pleurer sur notre épaule, ce brave garçon. Extraits :

 « J’ai beaucoup de mal à comprendre la logique du Conseil constitutionnel. Je pensais que les Sages s’attacheraient plutôt à remettre en cause telle ou telle exonération concernant l’industrie. Mais en réalité, ils vont bien au-delà. Le Conseil constitutionnel remet en cause la taxe carbone dans son ensemble et en particulier son articulation avec le régime des quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne ».

« Le gouvernement va avoir beaucoup de difficultés à écrire un nouveau projet. Si on nous laisse le choix entre taxer tout le monde ou ne rien faire, cela devient compliqué. Dans la première hypothèse, si l’on taxe notre industrie, on va être les seuls en Europe à le faire ! Et puis comment taxer notre industrie alors qu’elle est déjà soumise au système des quotas ? C’est une solution impensable ! Je ne vois pas comment – au nom de la compétitivité et de l’emploi – on peut taxer deux fois l’industrie française. On a déjà une hémorragie des emplois industriels ! ».

« Je suis stupéfait. Avec la taxe carbone, près de trois milliards d’euros partent en fumée. La taxe carbone devait rapporter quatre milliards d’euros à l’État. Les deux milliards payés par les ménages devaient être reversés. Mais l’autre moitié payée par les entreprises devait rester dans les caisses de l’État et compenser la baisse de la taxe professionnelle. Or, si on garde la baisse de la taxe professionnelle, l’État ne peut plus compter sur les deux milliards de recettes de la taxe carbone. Donc, le coût net pour les finances publiques est de deux milliards. Mais à cela il faut ajouter les 900 millions d’euros qui correspondent – dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle – à l’alignement sur le droit commun des professions libérales de moins de cinq salariés. Bref, la décision du Conseil constitutionnel pèse assez lourd en termes de budget ! Je suis étonné que les sages ne prennent pas compte de cet aspect-là ».

Ce n’est pas que je déborde d’amour pour le Conseil constitutionnel, qui comprend notamment Chirac, Giscard et Jean-Louis Debré. Mais en ce 30 décembre, et je jure que je ne recommencerai pas de sitôt, je les embrasse tous. Oh mes amis ! si vous ne savez pas quoi faire le 31 décembre, c’est moi qui régale. Champagne pour tout le monde. Et bio, vous pensez bien.