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¡ Chile, Chile, Chile, solidaridad ! (con los Mapuche)

Comme j’ai pu vibrer pour ce pays lointain ! Lorsque j’avais 16 ans, puis 17 et 18, jusqu’à disons 21, le Chili a été une présence réelle dans ma vie. C’est ainsi. D’abord quand Salvador Allende fut président – socialiste – du pays, avant d’être renversé par une brute nommée Pinochet, le 11 septembre 1973. Ensuite quand les assassins et les tortionnaires transformèrent ce pays si poignant en asile de vieillards, en maison de fous, en terre de massacres. J’ai aimé le Chili comme on peut aimer un rêve. À cette époque, je pense que je serais allé fort avant si une guerre contre les fascistes avait éclaté là-bas. En tout cas, je le crois. Et comme j’ai vécu depuis, j’ai bien quelques raisons de penser de la sorte.

Le Chili d’aujourd’hui semble un monde venu d’ailleurs. Il s’y passe des élections présidentielles, dont le deuxième tour est prévu le 17 janvier 2010. La présidente en place, la socialiste Verónica Michelle Bachelet Jeria, ne peut pas se représenter, et a dû laisser la place à un falot politicien qui est surtout le fils de son père, Eduardo Frei Ruiz-Tagle. Un démocrate-chrétien, allié aux socialistes, qui a déjà été président en 1994. En face, une sorte de Berlusconi de l’hémisphère sud, Sebastián Piñera, dont les comptes sont estimés à un milliard de dollars. Il a fait fortune avec l’introduction des cartes de crédit, possède la chaîne de télé Chilevisión. Il est la droite, Frei est donc la gauche. Et choisissez le meilleur !

C’est là, pauvres lecteurs de Planète sans visa, que je montre ce qui me reste de dents. Car je me fous totalement de savoir qui va gagner. Ils se valent. Ils se valent bien. Ils ont, depuis le départ du pouvoir de cette canaille de Pinochet, mimé l’opposition, alors qu’ils étaient évidemment d’accord sur l’essentiel. L’essentiel est là-bas la même chose qu’ici : l’économie. Il fallait faire entrer le Chili dans le moule du libéralisme dur, et la mission a été accomplie par la création du Mercosur, marché intégré des pays du cône sud de l’Amérique, par la suite connecté à son Big Brother du Nord, l’ALENA.

Je n’ai pas le goût de détailler les destructions qu’a pu entraîner cette politique purement criminelle. Il est certain, à mes yeux, que l’âme du peuple chilien en a été altérée si profondément qu’elle a peut-être disparu au passage. Ce qui reste de ce pays pourrait bien se trouver sur les flancs du volcan Villarica, au nord de la Patagonie chilienne. Il n’est pas si haut – 2847 mètres -, mais son cratère de basalte, parfois recouvert d’une neige de conte de fées, crache des flammes. Et surtout, oui surtout, il est la résidence, l’une des résidences en tout cas de Pillán. Ce dernier a évidemment créé le monde et ses chimères. De temps en temps, il s’énerve, mettez-vous donc à sa place. Le volcan Villarica, où des gommeux chiliens osent faire du ski, s’appelle en réalité Quitralpillán, c’est-à-dire, en langue mapuche, la demeure de l’ancêtre de feu. Cela se tient, aucun doute là-dessus.

Qui sont ces Mapuche ? Des Indiens. Probablement les premiers habitants humains de ce qui deviendrait bien plus tard le Chili. Cela ne les rend pas plus aimables pour autant, mais c’est en tout cas un fait. Comme il est acquis que les Mapuche, à la grande différence de tant d’autres Chiliens, vautrés devant la chaîne Chilevisión de Sebastián Piñera, ont conservé une partie de leur culture. L’avenir leur appartient donc davantage qu’aux autres, malgré les cruelles apparences actuelles. En attendant, c’est l’horreur pure et simple, car l’histoire comme l’esprit mapuche sont aux antipodes de tout ce qui domine à Santiago, la capitale, gauche et droite confondues.

Il est probable que les Mapuche, dont le territoire historique est au nord de la Patagonie, forment encore 6 % des 16 millions de Chiliens. Ils ont une langue, un imaginaire, et des revendications. Non seulement ils veulent récupérer les terres volées par les envahisseurs, mais en outre – singularité sur ce continent -, ils réclament une nation. On aime ce mot ou non, mais les Mapuche – plus ou moins synonymes d’Araucans – savent tous qu’ils n’ont pas plié devant le Conquistador. C’est inouï, mais c’est ainsi. Les soudards qui s’étaient emparés de l’empire Inca ne parvinrent jamais à gagner la partie au sud de la rivière Bio Bio. Bien mieux, les Araucans-Mapuche, qui avaient appris l’usage du cheval à une vitesse époustouflante, se jetèrent en 1554 sur Santiago de Chile, alors une simple bourgade. Avec cinq cents hommes, mais surtout une dizaine de cavaliers, tous commandés par l’illustrissime cacique mapuche Lautaro (un texte de fond, épatant, et en français, ici, puis chercher : La conquête du désert).

Dans le monde sans épaisseur – donc sans finesse – de ceux qui croient ce que leur disent propagandes et publicités de toutes sortes, il n’est plus aucun espace pour eux. Ils crient dans le vide, depuis des décennies. Un peu moins, un peu plus, selon les époques et les régimes. Le 13 décembre 2009, jour du premier tour des élections, un groupe de Mapuche encapuchonnés a barré la route du côté de Pidima, à 600 km de Santiago. Avec des arbres et des branches. Encapuchonnés, chez eux. Il faut dire que cela ne plaisante guère, lorsque l’on s’attaque au pouvoir chilien. On a appris en novembre que le Mapuche Matías Catrileo avait bien été abattu dans le dos par un flic, comme on s’en doutait. Et de même pour le jeune Jaime Facundo Mendoza, autre Mapuche assassiné le 12 août 2009 (ici).

Qui commande le Chili, au moins jusqu’au 17 janvier ? Des socialistes comme on les connaît ici. L’un d’eux, José Antonio Viera-Gallo Quesney, ministre du Secrétariat Général de la Présidence s’il vous plaît, a froidement déclaré que les Mapuche n’auraient jamais droit à une autonomie territoriale. « Ils doivent comprendre, a-t-il bien précisé, que leur identité doit prendre place dans un monde changeant et moderne ». Changeant, moderne. Les Mapuche n’ont donc qu’à crever. Oui, mais ils résistent. Et même si c’est dérisoire, je me sens proche. D’eux. De leur monde et de leurs visions. Mais qu’attend donc Pillán ?

Daniel Cordier le magnifique

 À propos du désastreux Sommet sur le climat de Copenhague

Je me permets de commencer par un coup de bâton : il est vain d’espérer convaincre la majorité, puis de mettre en place un gouvernement convenable. Non, nous n’arriverons pas à ce résultat, quoi que nous fassions, et cette route est comme barrée loin devant nous, ad vitam aeternam.  Deux crises, au moins, se mêlent de manière indissoluble. D’abord, bien entendu, la crise écologique, qui englobe tout le reste, et nous menace du pire. Ensuite, une crise très secondaire, mais aux effets immédiats dévastateurs, qui est celle de la représentation, de la démocratie. Je me sens tout à fait démocrate, mais je vois bien que le système imaginé il y a un peu plus de deux siècles n’a plus aucun avenir.

Et j’affirme tranquillement qu’on peut aimer la liberté et juger que notre manière de représenter l’intérêt général a fait son temps. Car elle a fait son temps. N’est-elle pas totalement incapable d’affronter les menaces qui pèsent désormais sur la vie elle-même ? Que peut-il y avoir de plus important que la fertilité du sol, la stabilité du climat, la préservation des dizaines de millions de formes vivantes – différentes – qui existent encore ? Oui, quoi ? TF1, un discours de l’occupant de l’Élysée, une publicité pour Free ? Restons sérieux. Le monde s’enfonce dans un chaos qui fait redouter l’effondement, et nos politiciens pensent à leur brushing du soir, et aux élections de mars prochain. Ridicule ? Infernal.

Mais bien entendu, sans nous mêmes, sans notre soutien permanent, sans notre constance à soutenir leurs jeux les plus stériles, ils ne tiendraient pas le manche, et nous ne serions plus les humains versatiles, capricieux et fantasques que nous sommes. Car nous sommes cela, je pense qu’il est inutile de se faire des illusions à ce sujet. Le 26 avril 1944, le maréchal Pétain se rend à Paris, pour la première fois depuis qu’il est le chef de cet État d’opérette – sinistre – que fut Vichy. La controverse n’a pas cessé depuis. Combien étaient-ils à l’acclamer place de l’Hôtel-de-Ville ? En vérité, peu importe. Car ils étaient encore très nombreux, quatre mois avant que le général de Gaulle n’arrive dans une ville libérée autant qu’exultante. En septembre 1944, malgré quatre années d’anéantissement national et de privations, un sondage de l’Ifop révélait que 58 % des interrogés ne souhaient pas qu’on infligeât une peine quelconque à ce vieux salaud. Cela (me) fait réfléchir.

Par bonheur, je suis en train de lire un récit fascinant, le mot n’est pas trop fort, bien que galvaudé. Il s’agit de Alias Caracalla, de Daniel Cordier (Gallimard). Je précise par précaution que si l’on n’a pas des lumières sur la période qui court de 1930 à 1945 – au moins -, sa lecture n’est pas aisée. Qui est Cordier ? Né en 1920, dans une famille bordelaise plutôt riche, il baigne dans une culture politique royaliste, antisémite, fasciste. Militant de l’Action Française, admirateur frénétique de Charles Maurras, il ne rêve que de détruire la République et d’en fusiller, éventuellement lui-même, les chefs.

Le 17 juin 1940, il écoute la radio dans la maison de Pau où il habite en compagnie de sa mère et de son beau-père, lui-même violemment maurassien. Les Allemands ont percé les défenses françaises, Paris est occupé, la débâcle est complète. À la radio, Pétain réclame ce 17 juin les conditions d’un armistice, véritable coup de poignard dans le dos des Anglais, jusqu’ici nos alliés. Cordier monte à sa chambre, et se met à pleurer, comme dans la comptine. Cet ultranationaliste, qui misait tant sur le Maréchal, le voit désormais pour ce qu’il est : un épouvantable traître. Et il s’embarque in extremis sur un rafiot qui quitte Bayonne au moment où les troupes nazies arrivent.

La seule chose que Cordier sait, c’est qu’il lui faut combattre ceux qu’il appelle sans façon les Boches. Sa valeur suprême s’appelle la France, la France éternelle. Le navire, finalement, ne gagne pas comme attendu l’Afrique du Nord, mais Londres. Cordier fait partie des deux ou trois cents (très) jeunes pionniers du mouvement gaulliste naissant. Vous avez bien lu : deux ou trois cents. Et le livre, déjà fort instructif, devient passionnant. Aussi étrange que cela paraisse, nombre des volontaires de ce périlleux An 1 de la résistance militaire anti-allemande sont de jeunes fascistes. Des ennemis de la République, qui s’indignent, comme Cordier lui-même, de toute allusion favorable à la gauche, de tout semblant d’accommodement avec la démocratie.

Je suis obligé de passer sur les événements. Cordier suit un entraînement militaire de très haut niveau, qui dure deux années, puis il est parachuté en France, où il devient le secrétaire particulier d’un homme qu’il ne connaîtra, dans la clandestinité, que sous le nom de Rex. Ce n’est qu’après la guerre que Cordier apprendra que Rex n’est autre que Jean Moulin, chef de la résistance en France, mort après sa capture par les Allemands. En 1942, quand il se met au service de Rex, Cordier est encore dans les vapeurs nationalistes et chauvines. Par extraordinaire – j’ignore s’il a tenu un journal, je sais qu’il a mené un travail acharné d’historien -, Cordier parvient à nous présenter ce temps sous la forme d’un éphéméride, jour après jour, donc, avec une infinité de détails et de dialogues. Ce n’est pas un vieil homme – Cordier va sur ses 90 ans – qui raconte, mais un jeune, qui vit. Et c’est pure merveille. Cordier se débarrasse peu à peu, couche après couche, sous nos yeux mêmes, de son bagage raciste et fasciste. Il devient un démocrate. Il devient un ennemi de la dictature. Il devient ce qu’il aurait eu tant de mal à être dans d’autres circonstances : un homme libre.

Voici une première nouvelle, prodigieuse, chargée de tous les espoirs du monde : il est possible de changer. De devenir meilleur. Plus généreux. Plus humain, et en profondeur. N’est-ce pas réellement magnifique ? Mais Cordier nous administre une autre leçon, aussi belle que terrible. Il est probable que la France de 1942 à 1944 – environ 40 millions d’habitants , ne comptait pas plus de 300 000 résistants, dont un certain nombre, disons inefficaces. Autrement dit, dans un pays vendu au pire du pire – le nazisme -, où l’on traquait les Juifs jusque dans les greniers avant de les envoyer vers la mort, grâce au concours empressé de nos flics et de nos gendarmes, la quasi-totalité de la population regardait ailleurs.

Regardait ailleurs ? Cela ne vous rappelle rien ? Chirac, oui Chirac avait déclaré au Sommet de Johannesbourg, en 2002 : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Et, ma foi, en cette occurrence en tout cas, n’avait-il pas raison ? Mutatis mutandis, je crois que la crise écologique nous place dans une situation qui rappelle, de loin certes, celle de juin 1940 à Londres. Il est inutile, sans intérêt, sans espoir de penser qu’il faut convaincre 64 millions de Français de changer de mode de vie. Chacun sait qu’il se passe quelque chose de fou, mais la plupart préfèrent s’occuper de leurs affaires personnelles. Et cela continuera.

Et cela continuera. La responsabilité qui repose sur les refusants, et qui ne sont pas encore des agissants n’en est que plus écrasante. Il faut tout endurer, serrer les dents, serrer les rangs, et préparer le moment où, enfin, peut-être, tout basculera. Si ce jour se produit jamais, il va de soi que les premiers à se lever, les premiers à dire un Non ferme et retentissant, seront aussi les oubliés de la fête. C’est une règle, une loi sociale qui ne se démentira pas. Ceux qui triompheront, si triomphe il y a finalement, seront les mêmes que ceux qui nous crachent au visage aujourd’hui. Car eux savent tout du fonctionnement réel du monde, alors que nous nous contentons de sa partie rêvée, enchanteresse, bouleversante et risquée.

Je vous le dis comme je le pense : les combattants de la vie sont seuls. Les véritables écologistes sont seuls par force, et le resteront, et n’auront jamais droit, dans le meilleur des cas, qu’à une poignée de mains entre deux portes. Et alors ? Oui, franchement, et alors ? Ceux qui se lèvent aujourd’hui et se lèveront demain le font et le feront parce qu’ils sont mûs par un mystérieux appel des profondeurs. Pourrions-nous faire autrement ? Serais-je capable de ne pas écrire ce que j’écris ici ou ailleurs ? Évidemment, non. Je ne mérite, vous ne méritez aucun avantage, pas le moindre remerciement. Vous êtes ? Alors soyez.

J’ajoute un dernier point tout provisoire. Nous sommes encore dans un moment d’accumulation des forces. Ce qui nous attend sera incomparablement plus difficile. Il faudra, un moment ou l’autre, mettre en jeu notre monde personnel, des équilibres chèrement payés, des situations, des bonheurs peut-être. Il est donc bien trop tôt pour dire qui fera partie de la petite bande de notre Londres à nous. De notre 18 juin à nous. Je serais bien stupide, pour ce qui me concerne, de prétendre que j’en serai. Dans ce domaine, comme dans l’amour, il faut des preuves. On verra donc. On verra bientôt. De ce point de vue, Copenhague n’a pas de sens particulier. Ou plutôt, si : cette conférence prouve qu’il nous faut suivre un autre chemin. Solitaire ? Nous n’avons pas le choix.

Paroles, paroles, paroles (bonbons et chocolats à Copenhague)

J’ai déjà largement dit ce que je pensais de la conférence sur le climat de Copenhague (notamment ici), et n’y reviens pas, sur le fond en tout cas. L’affaire, ce 16 décembre, tourne au carnaval, la fête en moins. Et l’on entend des bureaucrates français, pourtant largement responsables de ce qu’il faut bien appeler un bordel, et un bordel mal organisé, faire comme s’ils n’y étaient pour rien. Je pense à l’incomparable Brice Lalonde, ambassadeur – sic – de Sarkozy sur place, déclarant : « Je suis un tout petit peu soucieux, car il reste tellement de travail à faire. Je crains un nouvel incident, parce qu’alors on aurait du mal à conclure ». Je pense à Pierre Radanne, ancien patron de l’Ademe, officiellement écologiste mais grand admirateur de la criminelle voiture indienne Nano : « C’est plus que mal barré cette histoire. C’est vraiment parti en vrille total ».

Reste la forme prise par les événements, qui me stupéfie jour après jour un peu plus. De très nombreux représentants d’ONG s’obligent à prendre leur rôle au sérieux, comme si cela signifiait quelque chose que d’être physiquement proche des soi-disant négociateurs. Exceptionnellement, je ne vais citer personne, car je n’aurai bientôt plus aucun groupe à critiquer, au train où vont les choses.

Allons, parlons tout de même de l’un d’entre eux, et je m’en tiendrai là. Je peux me tromper, mais je crois que Greenpeace a joué un rôle éminent, voici plus de vingt ans déjà, dans l’émergence d’une culture très éloignée de la nôtre. Comment la définir ? Une culture boy-scout ? Le culte bon enfant de l’accord, fût-il éphémère et trompeur ? Le goût des belles photos et des sourires sur icelles ? Le besoin de justifier l’usage de fonds considérables récoltés par le désormais fameux fundraising ? Je ne sais. Je crois que cette soupe est épaisse, et qu’elle mélange de nombreuses influences. Le résultat est en tout cas évident : les ONG accompagnent désormais les conférences mondiales du début à la fin. Avez-vous remarqué ? Quel qu’en soit le résultat, elles repartent à l’assaut comme si de rien n’était. Chaque rendez-vous est décisif, et chacun est raté, mais cela ne doit pas entamer le moral des troupes, car une machine, aussi petite soit-elle, est une machine. Elle doit avancer.

Je songe à l’exemple donné par l’Union européenne ces derniers jours. En ce 16 décembre 2009, il reste le seul signe concret, tangible d’un engagement contre la crise climatique. Pour Sarkozy notamment, l’enjeu africain est de taille. Il lui faut montrer, quoi qu’il arrive, que la France est aux côtés des pauvres de ce Sud-là. Et on voit donc la diplomatie française se déhancher sans trêve pour faire accroire que nous serions prêts au moins à un accord entre le continent noir et l’Europe, poussée dans le dos par la France. Cela donne lieu à des promesses qui ne résistent pas à une minute d’analyse. Exemple, tiré du Parisien : « Voilà une annonce qui devrait faciliter les négociations au sommet de Copenhague (…) Les pays de l’Union européenne ont décidé vendredi de verser une aide aux pays pauvres de 7,2 milliards d’euros sur trois ans, en 2010, 2011 et 2012, pour les aider à faire face à l’impact du réchauffement climatique. La contribution globale de la France sera de 1,26 milliard d’euros, a précisé Nicolas Sarkozy (ici) ».

D’autres journaux ont raconté la même chose, rapportant ce qui n’est rigoureusement qu’une proclamation, visant un simple effet d’annonce qui aura atteint son objectif. 7,2 milliards d’euros. Mazette ! Seulement, de quoi s’agit-il vraiment ? Selon le blabla, de « mettre en place des économies faiblement polluantes ». Ça veut dire quelque chose ? Non, rien. D’abord, parce qu’il n’y a rien de plus vague. Ensuite, parce que « mettre en place » des économies signifie en creux qu’elles ne le sont pas. Et en tout état de cause, un projet aussi immense que celui-là commanderait des aides incomparablement supérieures.

Mais ce n’est pas tout. Car en réalité, ces 7,2 milliards d’euros sont un mélange d’aides déjà programmées et d’autres qui ne le sont pas. Le budget de l’aide au « développement », de longue date vicié par d’innombrables ruses comptables, sera pour partie pris en compte. Et ce n’est pas moi qui l’affirme, mais ce bon bougre de Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, qui préside pour le moment l’Union européenne. L’aide globale de 7,2 milliards d’euros, a-t-il déclaré, est « un mélange d’argent déjà programmé et d’argent frais ». Combien y aura-t-il, à l’arrivée, d’argent « frais » ?  Nul ne le sait, mais nul ne le saura jamais. Car enfin, pensez-vous sérieusement qu’en 2011 – par exemple -, un journal français accordera un titre de “une” au fait que l’Afrique n’a pas reçu l’argent promis à Copenhague ? Y croyez-vous ?

Reste la question sempiternelle de la corruption. Dans les systèmes kleptocratiques sans État qui sont majoritaires en Afrique, à quoi servirait de toute façon une aide passant par les canaux habituels du soi-disant « développement » ? À remplir les poches des ministres en place et celles de leurs clans respectifs. Ne pas écrire cette évidence serait manquer du respect élémentaire dû aux peuples d’Afrique, paysanneries en tête. Car ces dernières, qui seront fatalement soumises aux effets du dérèglement climatique, ne verront pas la queue d’un euro d’aide. Toute l’histoire postcoloniale le clame sur tous les tons, et l’heure n’est plus aux songe-creux. Ou l’on veut aider les peuples du Sud à lutter vraiment contre les désastres qui approchent, et en ce cas, il faut imaginer des coalitions sans aucun précédent chez nous, qui permettent de bousculer notre jeu politique délétère autant qu’impuissant. Ou il vaut mieux encore se taire.

Oui, se taire. Le spectacle lamentable offert à Copenhague par tant de gens pourtant estimables me lève le cœur. Quoi ? Continuer à croire dans la supercherie de mots cent mille fois répétés, aux effets cent mille fois constatés sur le terrain ? Il m’arrive de me demander si notre masochisme de petits-bourgeois du Nord a une limite. Et je dois avouer que je n’en suis pas sûr.

Une autre face du « Climategate » (Allègre, Courtillot, Singer)

Ma dette s’accroît à propos de Thibault Schneeberger. Il m’envoie à nouveau une information qui m’avait échappé à propos de Fred Singer. Mais avant tout, j’en suis le premier désolé, passage par un certain Claude Allègre. Ce n’est pas pour me vanter, mais cela fait plus de dix ans que j’attaque bille en tête ce splendide personnage. J’ai écrit depuis cette date plusieurs papiers qui eussent pu me valoir autant de procès en diffamation, mais que j’ai évités. Je ne regrette rien. Je ne regretterais rien si j’avais dû affronter la justice. En face d’un Allègre, il faut oser. Eh bien !

Cet homme, dépité comme il n’est pas permis de ne pas être devenu le ministre de Sarkozy, se venge comme il peut. Il a raison sur un point, et c’est que sans le score élevé d’Europe Écologie aux Européennes de ce printemps, il aurait aujourd’hui son maroquin. D’où sa fureur, y compris contre Nicolas Hulot, dont vous avez peut-être entendu parler. Il vient de donner un entretien à Paris-Match dans lequel il montre une fois de plus ce qu’il est réellement (ici). Je le cite : « Même si, en France, tout est fait pour étouffer ceux qui ne sont pas dans le politiquement correct, il y a de plus en plus de gens qui pensent différemment : je songe à Vincent Courtillot, aux climatologues américains Richard Lindzen et Fred Singer, à l’économiste Bjorn Lomborg, au physicien Freeman Dyson ». Bien entendu, il parle du climat.

Avouons-le, c’est sidérant. Prenez l’exemple de Bjorn Lomborg. Le 19 septembre 2007, alors que commençait Planète sans visa, j’ai écrit ici même un très long article (ici) dont je demeure satisfait. Intitulé Tazieff et Allègre sont dans un bateau, il donne de très nombreuses clés sur les personnages sus-cités, mais aussi sur le rôle des lobbies et des conférences internationales. Vous m’excuserez une auto-citation, qui concerne Lomborg. Elle est longue, elle aussi, mais éclairante, je le crois.

« En 2001, un Danois inconnu, Bjorn Lomborg, publie en Angleterre un livre-événement, The Skeptical Environmentalist. L’éditeur de L’Écologiste sceptique, Cambridge University Press, se frotte vite les mains, car c’est un triomphe, national puis mondial. Le Daily Telegraph estime que c’est probablement le livre plus important jamais publié sur l’environnement. Le Washington Post le compare à Printemps silencieux, l’opus magnum de Rachel Carson. Lomborg est consacré le héros de tous ceux qui claquent des dents tout en montrant les crocs, et ils sont plus nombreux qu’on ne l’imagine.

Que dit Lomborg ? S’appuyant sur un impressionnant amoncellement de notes de bas de pages – autour de 3 000 – et de chiffres, il entend démontrer que, si certains problèmes existent, beaucoup ont été artificiellement exagérés, voire purement et simplement inventés pour des raisons inavouables. Ainsi, la productivité des océans aurait en fait presque doublé depuis 1970. Les forêts, loin de disparaître, auraient vu, de 1950 à 1994, leur surface légèrement augmenter, etc.

Seul contre tous, il y verrait donc plus clair que des milliers de scientifiques engagés depuis des décennies dans d’innombrables études. Pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas. Mais il faut, lorsqu’on s’attaque à semblable Himalaya, respecter scrupuleusement les règles qu’on accuse tous les autres de violer. Or Lomborg ruse et manipule les chiffres à l’envi. Pour ce qui concerne les océans, par exemple, Lomborg confond – volontairement ? – la productivité des océans, c’est-à-dire la vie qu’ils sont capables de créer, et les prises de poisson ajoutées aux performances de l’aquaculture. Et il est bien vrai que les prises ont augmenté – au passage, seulement de 20 % depuis 1970, pas de 100 % -, mais pour la raison que de nouveaux moyens, dont les filets géants, permettent de racler les fonds.Du même coup, la très grande majorité des principales zones de pêche sont surexploitées, laissant prévoir à terme un affaissement brutal de la pêche. Ces chiffres ne montrent qu’une chose : l’inventivité technologique des humains.

L’année suivante, juste avant le Sommet de la terre de Johannesburg, la polémique est mondiale et Lomborg trône dans tous les journaux français. Libération lui accorde deux pages élogieuses, Le Nouvel Observateur et Le Monde lui ouvrent largement les portes, c’est la consécration. En août, dans L’Express bien sûr, Allègre y va de son compliment pour l’artiste, tout en finesse : « L’écologie est devenue la Cassandre d’un catastrophisme planétaire généralisé et inéluctable. Pourtant, tout cela est faux. Rien dans les données scientifiques actuelles ne vient étayer ces affirmations. Un jeune professeur danois (…), Bjorn Lomborg (…) vient de l’établir grâce à un examen soigné de toutes les données mondiales disponibles ».

Nous sommes donc à la fin de l’été 2002, et de très mauvais esprits – j’en suis – s’autorisent un rapprochement. La publication du livre de Lomborg, suivie d’une très opportune polémique, coïncide avec la tenue au même moment à Johannesburg d’un nouveau Sommet de la terre. Cette vision vous semble paranoïaque ? Vous êtes en droit de préférer les contes de fée. Après étude minutieuse du livre de Lomborg, la très officielle Commission danoise sur la malhonnêteté scientifique, qui réunit des chercheurs de grande réputation, finira par rendre un avis impitoyable sur les qualités du grand héros de Claude Allègre. Celui-ci, dit-elle dans ce qu’il faut appeler un jugement, « a fait preuve d’une telle perversion du message scientifique (…) que les critères objectifs pour déclarer la malhonnêteté scientifique sont remplis ». Lomborg, à en croire cette commission, est donc un faussaire.

Vous me direz qu’elle peut se tromper, ce qui est vrai. Je n’ai pas eu accès aux pièces du jugement. Et je dois même avouer que je n’ai pas lu la totalité du livre de Lomborg, me contentant des sujets sur lesquels j’avais quelques lumières. Je doute fortement que Claude Allègre ait fait mieux, et je parierais même volontiers qu’il a fait moins. Voici pourquoi : en 2004, les éditions du Cherche Midi ont fini par publier une traduction tardive, en français, du pesant pensum de Lomborg. À mon avis, ce ne fut pas une bonne affaire. Elle venait trop tard, et ce livre de 700 pages follement ennuyeuses, même pour un passionné comme moi, est en réalité illisible. Pour un prix dissuasif de 26 euros.

N’empêche : il est devant moi au moment où j’écris ces lignes, et je relis en masochiste confirmé la préface, signée bien entendu par Claude Allègre. Elle est sensationnelle. Allègre y dénonce une écologie « totalitaire » – je me sens visé -, le retour de Lyssenko, ce « scientifique » stalinien qui opposait science bourgeoise et science prolétarienne, et il conspue au passage les « coupeurs de tête ». Ma foi, l’écriture est libre. Mais au passage, Allègre omet cette information essentielle que Lomborg a été convaincu de malhonnêteté scientifique, ce qui n’est pas une mince accusation. Pourquoi diable ? Parce que ce serait gênant pour la démonstration ? Ce n’est pas tout à fait impossible, compte tenu des mœurs singulières du grand professeur.

Deuxième bizarrerie radicale : Allègre souligne avec gaîté que les adversaires de Lomborg n’ont pas su démonter son livre, chapitre après chapitre, raisonnement après raisonnement. Et c’est une sorte d’aveu, selon lui. « Si cela n’a pas été fait, écrit-il, c’est qu’il était difficile de le faire ». Ce pourrait être un argument, mais c’est de toute manière faux. À cette date – 2004 -, un site Internet fourni (www.mylinkspage.com/lomborg.html) collationne depuis deux ans déjà les centaines d’erreurs contenues dans le livre pesant de Lomborg. Allègre peut-il l’ignorer ? En ce cas, que vaut donc la préface ? ».

Fin de ma citation, et je reprends le fil de mon propos. Allègre, en décembre 2009, déclare donc à Match qu’il n’est plus seul, soutenu entre autres par Lomborg, dont je viens de vous dire ce que j’en pense. Au passage, Allègre le qualifie d’économiste, ce qui doit lui paraître préférable, alors qu’il est statisticien. Une paille ? Oui, à ce stade, une paille. Et les autres cités ? Freeman Dyson est un physicien et mathématicien. Qu’a-t-il à voir avec le climat ? Rien. Il a travaillé sur des projets spatiaux – Orion – propulsés par l’énergie nucléaire, et rêvé à haute voix de colonisation de lointaines planètes. Croyez-le ou non, je ne moque pas de Dyson. Simplement, je crois qu’il est nécessaire de savoir qui est celui qu’Allègre appelle à son secours.

Voici un extrait d’un entretien accordé en 1978 par le physicien, alors qu’il a 55 ans. Je ne traduis pas tout, mais l’idée qu’il développe est de coloniser des astéroïdes avec de petits groupes humains. Et de choisir parmi ces astéroïdes ceux qui ne sont pas de fer ou de nickel, et qui abritent quelque chose ressemblant au sol de la terre. Le journaliste lui demande ce qu’il pense de projets de colonisation géante de l’espace et Dyson répond qu’avec 40 000 dollars de 1978 par personne, c’est jouable (ici) :

« I don’t really know. Perhaps I should say that (…) space colonization on that scale isn’t entirely to my taste: the big colonies he envisions are a little too hygienic for me. I’ve done some historical research on the costs of the Mayflower’s voyage, and on the Mormons’ emigration to Utah, and I think it’s possible to go into space on a much smaller scale. A cost on the order of $40,000 per person would be the target to shoot for (…) »

Le journaliste lui demande ensuite où pourraient bien aller ces nouveaux pèlerins du Mayflower, les premiers à avoir colonisé l’Amérique, et Dyson répond : « I’d put my money on the asteroids (…) I think you should find an asteroid which is not iron or nickel, but some kind of soil that you could grow things in ». Quelle sorte de sol serait souhaitable pour l’installation, demande le journaliste ? Et Dyson répond avec superbe : « Well, we have specimens of meteoritic material called carbonaceous chondrite, which looks like soil — it’s black, crumbly stuff containing a good deal of water; it has enough carbon, nitrogen, oxygen so that there’s some hope you could grow vegetables in it, and it’s soft enough to dig without using dynamite ». En somme, à lire Dyson, un sol, c’est quelque chose de noir, friable, contenant du carbone, de l’azote et de l’oxygène. Et qui ne nécessite pas de dynamite pour le creuser et y faire pousser des légumes. A-t-il entendu parler de la vie ? De ce qu’est un sol vivant ? J’ai soudain comme un doute.

Résumons. Je vous ai parlé de Dyson et de Lomborg, cités à son appui par Allègre. Pour Courtillot, ce sera bref, car je vous renvoie à trois articles-couperets de l’excellent journaliste Sylvestre Huet (ici, ici, et là). Franchement, j’invite tous ceux qui se posent de bonne foi des questions à lire et éventuellement réfuter le travail de Huet. Mais par pitié, braillards s’abstenir ! Et que tout le monde se rassure, j’en ai bientôt fini. Un mot sur Richard Lindzen, qui est un véritable climatologue. Pour ce que je sais de lui, il me semble poser des questions dignes d’intérêt. Des questions que tout esprit curieux a intérêt à se poser sur les limites et parfois contradictions des connaissances humaines. Je constate au passage qu’Allègre s’approprie un homme qui est à ses antipodes intellectuels.

Venons-en à Fred Singer. Allègre le cite comme climatologue. Farceur, va ! Singer, né en 1925, n’est plus scientifique depuis des décennies. Mais le mieux est dans les liens que m’adresse Thibault. Vincent Courtillot, proche parmi les proches de Claude Allègre, a osé présenter Singer à la télévision, le 3 décembre dernier, sur le plateau de « Ce soir ou jamais », comme un scientifique membre du GIEC, et ferme « climato-sceptique ». En toute logique, comme il le dit, Singer aurait été le corécipiendiaire du Prix Nobel de la paix 2007, au même titre qu’Al Gore et Rajendra Pachauri.

Sauf que. Sauf que le site Contre Info nous offre une enquête implacable sur la personnalité réelle de Fred Singer, qui n’est autre qu’un lobbyiste professionnel (ici et ). Un dur, croyez-moi, ancien salarié de la secte d’origine coréenne  Moon, et qui sert depuis des années la cause des plus gros pollueurs de la planète. Sa contribution au GIEC ? Je vous laisse la découvrir, cela vous fera rire un peu. Et au terme de cet épuisant voyage en terre hostile, Dieu sait que nous en avons besoin. Rire. Oui, rire aussi, rire tout de même de ces incroyables, de ces impayables suffisances qui mènent notre monde. Je rappelle que Claude Allègre, ami très proche de Jospin, et d’ailleurs son ministre, a été une figure de proue socialiste avant que d’aller proposer son corps à Nicolas Sarkozy, sans nulle transition. Souvenez-vous : de 1997 à 2002, la gauche a été au pouvoir. Et Allègre a joué un rôle essentiel dans la définition de la politique française dans le si vaste domaine de la crise écologique. Je suis sûr que vous appréciez. Les « climato-sceptiques » ont tous les droits. Les autres tous les devoirs.

Avisse à la population sur l’art de faire durer le développement

Cela ne me fait pas tant rire que cela, mais force est d’avouer que c’est drôle. Probablement suis-je au fond un bien mauvais coucheur. En tout cas, rappelez-vous : en septembre 2007, au cours de ce décidément impayable Grenelle de l’Environnement, la plupart des associations écologistes de la place ont échangé miroirs, rubans et colifichets contre une magnifique opération politicienne. D’un côté, elles recevaient l’onction des huissiers et de l’amuseur-en-chef de l’Élysée. Et de l’autre, ce dernier pouvait annoncer sous les vivats une « révolution écologique » française.

Encore bravo à tous les comédiens pour leur numéro. Et n’oublions pas ceux qui, dans les coulisses, s’occupaient du décor. Nous sommes en décembre 2009, et le Grand Emprunt national tant attendu sort enfin des bureaux scellés où il était enfermé. Premier constat décoiffant : certains parlent de 35 milliards, d’autres de 22. Le vrai chiffre est 22 – contre 100 envisagés par une partie de la droite -, auxquels il faut ajouter 13 milliards qui devraient être remboursés par les banques. De toute façon, quelle importance ? 5 milliards devraient – qui vérifiera jamais ? – aller au « développement durable ». Après tout, rions de bon cœur, ce sera toujours ça de pris. On va refiler de l’argent à tous les instituts publics et boîtes privées qui nous ont mené à la situation présente, parmi lesquels le CEA, Total, l’Ademe, l’Inra, l’IFP, etc (ici).

On parle pêle-mêle de séquestration de CO2 avec essais à Lacq, dans les Landes. De biocarburants bien entendu, de nucléaire évidemment. Oh la jolie farce ! Pour bien cadrer l’opération, il fallait un expert, et l’État impartial en avait un, par chance, sous la main. Ce sera le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le CEA, c’est historiquement l’armée dans ce qu’elle a de plus opaque et secret, pour la raison évidente qu’on lui doit notre bombe atomique. Le CEA a joué également un rôle clé dans le triomphe de Superphénix, dont nul ne sait combien de milliards d’euros il nous aura coûté après démantèlement, s’il a lieu un jour. 10 ? 100 ?

En pleine possession de sa prodigieuse intelligence, l’homme qui ignorait en 2007 combien de sous-marins d’attaque nucléaires nous avons, Nicolas Sarkozy soi-même, vient d’annoncer que le CEA changeait de nom. Autre temps, autre nom. On efface tout et on recommence. Le CEA devient le « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ». Attention les yeux, car voici venir un court cours de philologie. Alternatif est, dans cet usage, discutable, car il signifie dans l’intitulé remplacement, alors que ce mot désigne en théorie un choix entre deux possibilités. Mais ce n’est pas le plus intéressant. Non. Ma question est celle-ci : qui diable a pu imposer une telle expression ? Elle n’a rien d’évident. Il aurait été évident d’écrire : « et aux énergies renouvelables », ce qui, au passage, aurait fait plaisir aux écolos-gogos. Oui, qui ? Moi, je fais l’hypothèse que la nomenklatura qui dirige le CEA n’aura pas supporté le mot renouvelable, qui est trop connoté, qui évoque clairement le langage de l’adversaire. Je peux me tromper, évidemment, mais permettez-moi de penser au poids de la culture militaire dans les hautes sphères de cette belle institution.

Au-delà, et finalement, c’est bien l’essentiel, le choix du mot « alternatives » fonctionne tel un lapsus scriptae de première force. Car il s’agit bel et bien de remplacer ce qui est. Et donc, de continuer à l’avenir de consommer comme des abrutis sans jamais mettre en cause notre modèle criminel et suicidaire de gaspillage énergétique. Il s’agit de suivre la même route, avec les mêmes objectifs, avec les mêmes acteurs. Vous le saviez déjà ? Crotte, moi qui voulais faire le malin. Si vous avez le temps, lisez quelques phrases piochées sur le site même du CEA (ici) : ne me dites pas que nous sommes tombés en de mauvaises mains. Et vive l’atome, au fait !