Amis et lecteurs, je suis en train de lire un livre de très grande qualité. Il s’agit en fait d’une série bien connue de certains, qui s’étend sur des milliers de pages. Dans La grande histoire des Français sous l’occupation, Henri Amouroux raconte en huit tomes la période qui court de 1939 à 1945. Le tout a paru chez Robert Laffont à partir de 1976.
Je ne suis pas très fier, car j’ai soigneusement éviter de lire Amouroux lorsque j’étais jeune. À partir de mes quinze ans – 1970 – et pendant plus de dix ans, je n’ai cru qu’en la révolution sociale, qui redistribuerait toutes les cartes. Et sauverait au passage la planète de la destruction. Enfant, je suis entré dans l’incandescence par le souvenir de la Résistance antifasciste. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment cela m’a été transmis, car mon père Bernard, ouvrier communiste, est mort quand j’avais huit ans. Or il est le seul qui ait pu me faire entrer dans le panthéon des héros nommés Maurice Fingercwajg, Spartaco Fontano, Marcel Rajman ou encore ????? ?????????, c’est-à-dire Missak Manouchian.
Amouroux était pour moi un homme de droite, ce qui reste vrai. Qui trouvait quantité d’excuses à Pétain et à son régime, ce qui reste vrai. D’une certaine manière, j’avais donc raison de laisser cela à tous ceux, très nombreux, qui auraient rêvé d’une réconciliation entre Pétain et de Gaulle sur fond de Marseillaise. Moi, je ne voyais qu’une chose : quelques-uns s’étaient levés quand la plupart se vautraient. L’ignominie antisémite de Vichy continue de me raidir, et je ressens toujours l’envie immédiate d’une extrême violence contre qui défend ce temps maudit. Mais je me contiens. Désormais, je me contiens.
Reste que la somme d’Amouroux est passionnante, car il donne à voir ce que, justement, je ne souhaitais pas voir il y a quarante ans. Je pourrais aisément vous fournir 150 exemples, mais évidemment, ce n’est pas le lieu. En revanche, une grande question, qui relie l’an 40 et la crise écologique, me poursuit. Et celle-là, vous allez y avoir droit.
Juin 1940 marque un effondrement de la France tel que beaucoup, aujourd’hui encore, le jugent sans équivalent dans l’Histoire du pays. Les Allemands se jouent alors de nos magnifiques fortifications de la ligne Maginot, et occupent une à une des centaines de villes françaises. Le 22, après ce qu’il faut appeler une déroute, cette vieille baderne de Pétain accepte de signer un honteux armistice, dans cette clairière de Rethondes (Oise) où l’armée impériale allemande avait admis sa défaite le 11 novembre 1918, après quatre années de combats atroces.
On ne refait pas l’histoire. Amouroux excelle à montrer l’affaissement des consciences, sur fond d’exode et de rationnement, dès les premiers mois de l’occupation nazie. Je suis bien d’accord avec lui, qui intitule son tome 2 : Quarante millions de pétainistes. Au cours de l’abominable été 1940, il ne fait guère de doute à mes yeux que la très grande majorité des Français célébraient Pétain comme un sauveur. Et même comme le Sauveur. Mais les responsables ? Mais la classe politique ? Mais les soi-disant élites intellectuelles et morales ? Personne ne parlera. Personne n’agira. Sauf de Gaulle, à Londres, entouré d’une poignée de personnes totalement inconnues en France.
Personne. C’est vertigineux. Et ça l’est d’autant que c’est la République qu’on abat. Non pas celle, sociale et révolutionnaire, dont j’aurai tant rêvé. Mais bel et bien leur République. Celle, faussement bonhomme, qui leur a garanti pendant des générations prébendes et pensions. Tous ces journalistes, avocats, dentistes, médecins, politiciens, polytechniciens, flics et tous autres, qui forment dit-on l’ossature d’une société, son cadre hiérarchique, ont laissé crever sans broncher celle que les fascistes, si nombreux en ce temps, nommaient La Gueuse.
Si je parle ainsi de la mort de la République, c’est qu’il s’est agi d’un assassinat pur et simple. Le 10 juillet 1940, dans ce Vichy de carton-pâte, Laval et ses sbires ont installé des sièges qui copient grossièrement la disposition de la Chambre des députés. Où ? Dans la grande salle du Casino – en italien, il casino est un bordel – de Vichy. Que la fête commence ! La proposition de loi est limpide : le Parlement disparaît de facto et tous les pouvoirs, y compris constituants, sont accordés à un vieillard de 84 ans, Pétain. La victoire des vieilles droites françaises annonce le Statut des Juifs du 3 octobre, première infamie d’un régime qui les collectionnera.
649 parlementaires – députés et sénateurs – votent, dont 569 acceptent le coup d’État. Les communistes, virés de leurs postes après le pacte germano-soviétique de 1939, ne sont pas de la partie. Mais à peu près la moitié des 569 sont considérés de gauche. Seuls 80 refusent de donner les clés de la France à Pétain, dont Blum. Au total, le bilan est accablant, car aucun de ces derniers n’exprimera clairement le refus de se soumettre à un maréchal d’extrême droite, qui a déjà accepté le principe de la collaboration avec les nazis.
Je me répète sans plaisir : personne. Personne n’aura été à la hauteur de cette tragédie. Sauf de Gaulle, je me répète encore, mais que nul ne soutient à ce moment, ni même ne comprend. Y a-t-il matière à réfléchir ? Et comment ! Je regarde la pénible comédie en cours autour de la crise écologique avec les yeux d’un réfractaire, d’un refuznik de l’ordre pétainiste de 1940. Et je vois qu’il n’y aura personne, cette fois non plus, pour éclairer un chemin encore bien plus ténébreux que celui de la dernière Guerre mondiale. Un de Gaulle, à la puissance dix, qui serait la seule efficace ? Peut-être. Peut-être.
Mais en tout cas, ceux qui, d’un bout à l’autre du spectre – quel mot bien trouvé – prétendent guider l’avenir sont des fantoches. Parfaitement incapables de mobiliser en nous ce qui fut grand dans l’aventure de la Résistance, et que l’on peut nommer vaillance. Ou surpassement de soi. Surpassement de cette minuscule enveloppe de chair, d’os et d’âme que nous avons héritée, et qui est notre seul viatique. Tous, et je dis bien tous – de Le Pen à Mélenchon, passant par tous ces pompeux cornichons appelés Sarkozy, Hollande et tant d’autres – ne font que s’agiter sans que rien de neuf ne surgisse de leurs dérisoires palabres. Or, qu’y a-t-il de plus radicalement neuf que la crise écologique ?
Je l’ai déjà écrit : nous devons grouper nos maigres forces. Échanger, fortifier les nœuds qui nous lient et nous rapprochent, préparer le terrain intellectuel, moral et psychique pour des épreuves qui seront d’autant plus dures qu’elles le sont déjà. Mais pour d’autres que nous, ailleurs, perdus dans la lointaine brume de notre indifférence. De grandes batailles ont d’ores et déjà été perdues. Mais la guerre où nous sommes de toute façon sera longue, et consumera des forces aujourd’hui invisibles, mais puissantes. Celles de la vie. Cette guerre-là peut être gagnée. À condition de se lever.
Ce n’est pas démentiel, puisque c’est vrai. On apprend aujourd’hui qu’un aéroport à 200 km au sud de Madrid vient d’être acheté aux enchères 10 000 euros. Par des Chinois. Ciudad Real devait devenir le grand aéroport de Madrid, mais les vents contraires qui découragent l’investissement en ont décidé autrement. Malgré les centaines de millions d’euros d’argent public jetés aux poubelles, le désastre est total. Prévu pour plusieurs millions de voyageurs chaque année, il n’aura accueilli que 100 000 visiteurs en cinq ans. Cette gabegie est évidemment un crime, mais le code pénal ne peut rien contre les vrais grands brigands qui ont lancé ce projet.
Lesquels étaient socialistes, comme un certain Jean-Marc Ayrault, l’ancien maire de Nantes qui veut tant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Comme je n’ai pas beaucoup d’énergie, je vous envoie ci-dessous des copies. D’abord, un article paru ce dimanche dans Le Point. Et puis des miens papiers de Planète sans visa. Où vous verrez qu’il ne sert à rien d’avoir raison contre le monde entier. Le monde entier sauf vous, cela va de soi.
LE POINT.
Un aéroport à 450 millions d’euros bradé aux enchères à 10 000 euros
L’aéroport de Ciudad Real, près de Madrid, abandonné à la suite de sa faillite en 2014, a été racheté aux enchères pour une bouchée de pain par un groupe chinois.
En cette période de soldes, c’est une très bonne affaire. La SARL d’investissement chinoise Tzaneen international est sur le point d’acquérir l’aéroport Ciudad Real pour la modique somme de… 10 000 euros ! Le complexe avait coûté 450 millions d’euros aux contribuables espagnols. En quatre ans, moins de 100 000 voyageurs ont emprunté les longues allées de ce terminal de 28 000 m2 et d’une capacité de 5 millions de passagers.
Bulle financière et plan de sauvetage espagnol
Premier aéroport privé d’Espagne et symbole de la bulle immobilière des années 2000, l’aéroport de Ciudad Real était destiné à devenir l’aéroport du sud de Madrid, dont il est pourtant éloigné de 200 kilomètres. L’infrastructure a fait faillite en 2010. Elle est en partie responsable du premier sauvetage bancaire du pays, celui de la Caisse d’épargne Caja Castilla-La Mancha, qui avait investi 300 millions d’euros dans ce projet pharaonique.
« Porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise
L’acquéreur compte investir entre 60 et 100 millions d’euros prochainement afin de remettre en service l’aéroport, les pistes et le terminal afin d’en faire une « porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise. Estimées à 40 millions d’euros, les infrastructures vendues aux enchères le 17 juillet seront-elles définitivement adjugées au mystérieux groupe chinois ? Cela dépendra des contre-offres. Le tribunal s’est donné jusqu’au 15 septembre pour trancher.
Résumé des épisodes précédents. Jean-Marc Ayrault fut, comme on le sait, député-maire socialiste de Nantes pendant quelque trois siècles. Avant son départ précipité, il avait, dans un geste ultime de philanthropie, offert à sa ville la perspective grandiose et futuriste d’un nouvel aéroport à la campagne, sur les terres chouannes de Notre-Dame-des-Landes ( lire le résumé ici). On le sait, l’ingratitude du petit peuple est sans limites, et les paysans au front bas du bocage, poussés vers l’émeute par une chienlit écologiste, monta un jour à l’assaut de l’hôtel de ville de Nantes, fourches au poing, hurlant des obscénités sur le compte pourtant valeureux de monsieur Jean-Marc Ayrault. N’entendit-on pas ces criminels ensabotés, crottés jusqu’aux narines, hurler : « Ayrault, fumier, tu serviras d’engrais » ? Si. Ils le firent.
Alors, comme vous vous en souvenez tous, le maire fut contraint au départ, n’emportant qu’une maigre valise, embarquant in extremis à bord d’un antique Avion III créé par Clément Ader, doté de tiges de bambou, barbes en toile et papier de Chine. Pendant 120 ans environ, le sort de Jean-Marc Ayrault est demeuré inconnu, et je ne suis pas peu fier, aujourd’hui, de vous livrer en exclusivité un scoop de derrière les fagots, qu’on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval, dont on parlera dans Landerneau, digne des meilleurs professionnels.
Ayrault a réussi à refaire sa vie en Espagne, sous un faux nom naturellement. Visiblement bien introduit sur place, il est parvenu en peu de temps à tenir une place aussi enviable que celle qu’il occupait chez nous. Car il est en effet président – socialiste toujours – de la région chère au cœur de l’Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, autrement dit Castille-La Manche. Mais se refait-on jamais ? Connu en Espagne sous le nom de José Maria Barreda, Ayrault a décidé, financé, soutenu de toutes ses vives forces un aéroport international appelé Ciudad Real. ll ne peut s’agir que d’un clin d’œil au formidable humour que l’on prête à Miguel de Cervantes. Car autant vous le dire, Ciudad Real signifie, comme vous ne l’ignoriez sûrement pas, Ville Réelle. Ville Royale d’abord, mais aussi Ville Réelle.
Mais quel facétieux, cet Ayrault-Barreda ! Après investissement de 500 millions d’euros – ce n’est qu’un début, une mise en bouche – et construction de pistes de 4 kilomètres de long pouvant accueillir des Airbus 380, l’aéroport est prêt à recevoir ses 2,5 millions de passagers par an ( lire ici). Beau travail, Jean-Marc (tu permets que je t’appelle Jean-Marc ?) ! Beau travail. Des centaines d’emplois ont été créés, et des entreprises ont installé des bureaux à prix cassés par les aides publiques. Normal : le TGV doit relier Madrid en moins de cinquante minutes, les autoroutes sont innombrables, et l’emprise directe au sol – 1250 hectares – permet d’envisager des agrandissements à répétition.
Bien sûr, il reste à régler quelques détails. Après le départ de la compagnie Air Berlin, l’Irlandaise Ryanair occupe à elle seule l’aéroport international, retenue au moment où elle pliait bagage par une subvention publique. En somme, tout est désert, fantasma. Les 24 comptoirs d’enregistrement sont fermés toute la sainte journée, on ne croise ni hôtesse ni passagers, mais tout de même quelques-uns des 300 employés chargés de l’entretien et de la gestion. Car il faut bien gérer, non ? La passerelle prévue pour relier l’aéroport à la ligne de train Madrid-Séville s’achève au-dessus du vide. On peut toujours sauter.
La réussite est complète. Deux ans après son inauguration, le bel oiseau a déjà creusé un trou de 300 millions d’euros, entraînant la faillite de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche (CCM), obligeant la région de mon ami Jean-Marc-José à créer de toute urgence une société publique capable de financer les pertes astronomiques. Et c’est là, je vous le demande personnellement, que nous devons tous nous lever pour applaudir. Je vous en prie, faites-moi confiance au moins une fois dans votre vie. Standing ovation ! N’écoutant que son courage de grand élu socialiste, Ayrault-Barreda refuse de baisser les bras.
Fin mai, notre homme double s’est à nouveau engagé, en hidalgo : « El presidente de Castilla-La Mancha, José María Barreda , aseguró que el Gobierno regional hará todo lo posible, dentro de la legalidad, para que el proyecto del aeropuerto privado de Ciudad Real tenga viabilidad en el futuro y “pueda despegar definitivamente”». Vous pourrez lire le texte intégral (ici ), ou vous en tenir à mon court résumé. Ayrault-Barreda veut davantage de fric pour que Ciudad Real « pueda despegar definitivamente ». Pour qu’il puisse « décoller définitivement ». J’espère que vous goûtez comme moi, et à nouveau, l’humour noir de Janus. Décoller. Définitivement. Cela ouvre bien des perspectives.
Dans un autre entretien, Ayrault-Barreda a finement présenté les deux termes de l’alternative. Ou l’argent public coule à nouveau, ou l’on abandonne. Et si l’on abandonne, il ne faudra pas s’étonner que « crezca la hierba en la pista de aterrizaje y se estropeen las instalaciones ». Il y en a pour trembler, comme dit un vieil homme de ma connaissance. L’herbe pousserait alors sur les pistes, et les magnifiques installations rouilleraient peu à peu, avant de disparaître dans la poussière de Rocinante. Rossinante, quoi.
Et maintenant, avant de rendre l’antenne, deux post-scriptum.
Le premier : l’Espagne est en train de sombrer. Il est plaisant qu’un olibrius comme moi ait pu le dire si longtemps avant les commentateurs appointés (lire ici, ici encore, et là). Elle sombre. Un million de logements y sont en vente. 40 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. La spéculation et la corruption de masse ont détruit un pays. Telle est la réalité. Extrait de l’article cité tout en haut de cette page : « Surtout, au lieu de construire 800 000 logements chaque année, l’Espagne va se limiter à 100 000 pendant plusieurs années. Avec un impact terrible sur la croissance et sur l’emploi : “Il faut réinventer 18 % du PIB”, résume un économiste ». Oui, c’est à eux, aux économistes, aux politiques responsables de ce désastre biblique qu’on demande de réinventer du PIB. PIB ! Paltoquets, Imbéciles, Branlotins. Nous en sommes là, au point zéro d’une histoire à recommencer.
Le second : la dette des régions d’Espagne atteint 95 milliards d’euros, une somme inouïe. Le siège luxueux des braves gens aux commandes, les ronds-points, les subventions à l’agriculture industrielle, aux barrages, aux transferts d’eau vers le Sud à sec, les aides aux villes fantômes du littoral, tout cela coûte cher. Au fait, Ségolène Royal ne se faisait-elle pas appeler la Zapatera, nom dérivé de celui de José Luis Rodríguez Zapatero, le cornichon socialiste en place à Madrid, qui achève de dynamiter ce qui reste ? le Figaro rapporte une visite de Royal à Madrid en octobre 2007. Elle vient donc de perdre face à Sarkozy. Et voici l’extrait du journal, qu’il faut savourer à la petite cuiller : « Zapatero aurait chaleureusement encouragé Ségolène Royal à se présenter à la prochaine élection présidentielle. “Je me sens très proche de Zapatero et de cette gauche pragmatique”, a commenté celle que l’on dénomme ici “la Zapatera francesa”. Enchantée de porter ce surnom, Royal a estimé qu’elle avait plusieurs points communs avec Zapatero : “Au départ, Zapatero n’était pas forcément le favori au sein de son parti. Il était jugé trop jeune, inexpérimenté ou sans stature, mais il a réussi à prouver le contraire…” ».
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Vous trouverez ci-dessous un choix de quelques articles que j’ai consacrés à l’Espagne. Vous y verrez, si vous avez le temps, qu’il était possible de voir autrement les mêmes choses. Quand Ségolène Royal encensait le Premier ministre Zapatero – coquette en diable, ne se laissait-elle pas appeler la Zapatera ? -, d’autres, dont je fais partie, racontaient le dessous des cartes. Après relecture, cela reste intéressant. Il me semble.
Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.
On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.
Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.
Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.
Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.
Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.
Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?
Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.
Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».
Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).
Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.
Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national (ici) ? Si.
Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?
Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.
Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.
Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.
D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.
Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.
Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.
La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.
Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.
Dès hier soir, je regardais de près la presse espagnole, encore incrédule. Madrid semblait à portée de mains d’une inconnue de la veille, Manuela Carmena, et Barcelone entre celles d’Ada Colau. Ces deux villes, pour une multitude de raisons, comptent plus, pour moi, que bien d’autres. Et voilà que des élections régionales et municipales chassaient enfin les corrompus du Parti populaire (droite) et les vieux croûtons catalanistes (de droite) du pouvoir local. Je n’ai pas le temps de détailler – mes jambes m’interdisent de rester longtemps au clavier -, mais Carmena et Colau semblent être deux femmes prometteuses. La première a 71 ans et la seconde 41, et elles viennent du mouvement de fond lancée par Los Indignados et Podemos en 2011.
Si vous en avez le temps, jetez un regard sur quatre papiers de Planète sans visa :
Quelle leçon(s) pour la France ? J’avoue que je n’en sais rien. Mais mon vif plaisir aura été augmenté par l’ultime déconfiture des restes du désastreux parti stalinien local. Aucun des tenants de Podemos ou des coalitions victorieuses là-bas n’est un professionnel de cette politique que je vomis. Cela laisse donc de l’espoir. Une telle chose devait se produire en France, les Mélenchon et autres Pierre Laurent seraient enfin mis au rancart. Mais quelle joie !
Hosto, piscine, kiné, béquilles et frites ce midi. Je vous salue tous. À commencer par Didier, infirmier ici, avec qui je viens de papoter agréablement dans le couloir.
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Vous allez voir, il y a un rapport. Avec la crise écologique, dois-je préciser pour les étourdis qui n’auraient pas saisi le message obsessionnel de Planète sans visa. Peut-être avez-vous entendu passer l’information, et en ce cas, vous auriez dû l’arrêter, car elle vaut la peine. Une étude (ici) menée par Microsoft – oui, le monstre créé par Bill Gates et Paul Allen, et ses 63 milliards d’euros de chiffre d’affaires – assure que nous nous concentrons moins, en moyenne, qu’un poisson rouge. Lui tient 9 secondes avant de passer à autre chose, et nous 8. Or c’était 12 il y a une quinzaine d’années.
Il y a donc baisse, et même dégringolade. Mais que se passe-t-il donc ? Avant de répondre, je passe d’abord par la conclusion de l’étude, qui devait obligatoirement se terminer de manière positive, car qui a payé, dites-moi ? Microsoft n’est pas là pour faire flipper, mais pour vendre d’innombrables produits. Dans ces conditions, la baisse d’attention des humains est une bonne chose, car il peut ainsi plus facilement zapper d’un machin à un autre.
Et je reviens à l’explication du phénomène. En résumé express, c’est la faute aux écrans. À tous les écrans coalisés contre le droit imprescriptible à mener une vraie vie. Les téléphones portables, Internet, la télé. Moi, je vois bien que la télé a été le premier grand désastre. Bien que personne n’ait évidemment voulu ou programmé cette révolution totale, la télé aura servi de sas vers le reste, le pire. Des millions, des milliards de cobayes ont progressivement appris à tenir des guignolades et des publicités pour plus importantes que les êtres autour de la table. La télé comme arme de destruction massive des relations humaines. La télé comme déréalisation du monde. La télé comme accélérateur neutronique de l’individualisme. La télé comme étendard de la consommation de biens inutiles.
La suite en a été grandement facilitée. L’illusion de la liberté – car la vraie, c’est celle des marchands – a entraîné un peuple entier, du haut en bas de l’édifice social, à se précipiter sur les si fameuses « nouvelles technologies ». Le téléphone portatif est devenu une came de forte intensité, qui tue les neurones et flingue aussi sur les routes, quand un neuneu préfère annoncer dans le micro qu’il va arriver dans huit minutes plutôt que de regarder la voiture qui lui arrive pleine face. Et le Net a presque aussitôt exprimé, comme sans doute jamais dans l’histoire des humains, le terrifiant plaisir qu’il y a à devenir esclave. Esclave volontaire.
Les écrans donnent à imaginer – un tout petit peu, à peine – ce que pourra être demain une société totalitaire maîtresse des images et des écrans. Il est tout de même singulier de voir un peuple en partie libre, éduqué, vivant, préparer avec autant de bonne volonté son écrasement. Tout est déjà entre les mains des organes suprêmes, qu’ils s’appellent transnationales, États ou services secrets plus ou moins autonomisés. Des jeunes – et moins jeunes – gens en apparence sains d’esprit se battent pour donner plus encore de renseignements intimes sur leur vie, leurs pensées, leurs croyances, sachant pourtant que l’impressionnant Moloch informatique n’oublie ni ne jette absolument rien. Facebook, c’est déjà demain.
Cette soumission est sans conteste l’un des phénomènes politiques les plus marquants des 70 dernières années. Même quand est publiée une étude estampillée – Microsoft, dans l’esprit des journalistes qui relaient, c’est sérieux ! -, qui montre l’étendue de la catastrophe, on arrive encore à se rassurer. On zappe au bout de 8 secondes ? Oui, mais c’est pour se précipiter sur un autre écran encore plus décérébrant. Commentaire de France Info : « L’usage intensif des écrans permettrait de développer des capacités nouvelles comme l’aptitude à faire plusieurs choses en même temps, le « multitâche » comme les ordinateurs. Par exemple, 79% des personnes interrogées utilisent leur portable tout en regardant la télévision. Sans surprise, les jeunes (18-24 ans) sont les premiers concernés. Ils avouent à 77% que la première chose qu’ils font lorsqu’ils s’ennuient c’est d’attraper leur portable. La moitié consulte un smartphone toutes les 30 minutes ».
Et le rapport avec la crise écologique promis au début ? Voyons, mais c’est évident. La multiplication d’humains incapables de se concentrer rend les choses bien plus compliquées. Car la crise écologique, précisément, est d’une affreuse complexité. Il faut accepter de lire, de réfléchir, d’être lent dans cet art si hasardeux de l’esprit. J’en sais quelque chose : mon dernier livre, Un empoisonnement universel, contient des informations capitales sur la contamination chimique planétaire. Il se sera au total bien vendu, surtout compte tenu de la crise de l’édition et de la lecture. Mais nettement moins que d’autres publiés depuis 2007. Des amis proches, des écologistes sincères n’ont fait que l’ouvrir, découragés par les 440 pages du texte. Et même des militants de premier plan, directement concernés, s’en sont détournés aussitôt. Pourtant, je le jure bien, j’ai proscrit tout jargon et pour l’essentiel, je n’ai fait que présenter des histoires et des personnages. Peine perdue.
Je vous rassure : je ne suis pas dans l’amertume. Je savais dès l’avance que je faisais un livre difficile et sombre. Dans un monde où la paillette, le confetti et la légèreté priment, cela n’est nullement étonnant. Pour en revenir à nos oignons, mon point de vue est arrêté : Internet – dont je me sers pourtant -, les téléphones portables et la télévision sont des ennemis de l’homme, et devraient être traités comme tels. Notre monde exténué n’a pas besoin de machines, mais de qualités morales.
Je suis toujours à l’hosto. Bien sûr. Une kiné formidable – Hélène – a eu ce jour une idée purement magique. Grâce à un appareillage très simple, elle a immensément amélioré ma vie quotidienne. Il s’agit d’un équipement que j’installe sur mon pied droit pour compenser des pertes occasionnées par les balles du 7 janvier. Et en plus, j’ai vu le soleil.
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Vous trouverez ci-dessous un papier de Sciences et Avenir, basé sur un reportage de l’AFP au Botswana, pays africain comparable au nôtre par la taille. On se doute que les ressemblances s’arrêtent vite, mais il n’est pas interdit de faire un rapprochement. On verra – vous verrez peut-être – comme il est dur de cohabiter des éléphants capables de ravager un champ de maïs en un quart d’heure.
Quand on est pauvre, il est inconcevable de préférer la liberté des éléphants à la pitance de ses gamins. Sûr. Pourtant, si l’on veut sauver au moins une partie de la si grandiose diversité des espèces vivantes, il faudra bien trouver quelque chose. D’autant que l’éléphant est une espèce parapluie. Cette expression est utilisée en écologie scientifique pour désigner des animaux dont la protection entraîne peu ou prou celle de beaucoup d’autres qui vivent sur leur territoire. Sauver l’éléphant, c’est certainement protéger des milliers d’autres formes vivantes, y compris d’ailleurs végétales.
Donc, aucun doute : il faut se battre avec les paysans pauvres, ceux que le marché mondial pulvérise chaque jour un peu plus, et pour les éléphants. Le rapprochement – un simple rapprochement, j’y insiste – avec la France permet de se poser des questions bien plus proches de nos existences. Pourquoi un pays riche, qui possèdes des millions d’hectares de forêts et de friches, est-il incapable de supporter la présence de 300 loups ? Je ne vous en parle pas – j’ai tort -, mais une sorte de petite guerre – malsaine et sordide – est en train de s’emparer des Alpes et de l’Est, et bientôt des Cévennes, voire de Fontainebleau.
Indiscutablement, le Loup progresse chez nous, après 70 ans d’absence. Pas un politique n’est capable de dire que les envolées lyriques au sujet de la biodiversité – celles des tribunes de l’Unesco, par exemple – doivent s’appliquer, en priorité, au Loup. Le Loup, cet éternel mal-aimé qui réunit contre lui la droite, la gauche et une partie notable du mouvement dit altermondialiste.
C’est tragiquement simple : si nous reculons à propos de 300 loups, il ne se trouvera aucun raison de se battre pour les requins, les phoques, les tigres, les éléphants bien sûr. Et ne parlons pas de ces sales bêtes de vipères et de guêpes.
PS : Défendre le Loup comme je le fais depuis tant d’années est d’une facilité totale. Je ne risque rien. Sauf quelques vrais désagréments. Ainsi, une journaliste radio que je tenais pour une amie depuis plus de quinze ans, et qui m’invitait pour la sortie de mes livres, a-t-elle décidé que je n’existais plus. Ma foi, c’est comme cela.
Éléphants du Botswana : quand intérêts humains et conservation s’affrontent
L’interdiction de chasser l’éléphant d’Afrique ne met pas tout le monde d’accord. Et ses premiers opposants sont les Botswanais eux-mêmes, qui dénoncent ses conséquences désastreuses sur l’économie et l’agriculture.
DISPARITÉS. La population des éléphants d’Afrique connaît une situation paradoxale. Au centre et à l’est du continent, les troupeaux deviennent de plus en plus petits, victimes d’un braconnage intense. Au sud et à l’ouest, ils grandissent, à raison de 4% par an. Au sud, pour poursuivre cet effort de conservation jusque-là payant, le Botswana a adopté une mesure radicale. L’état qui abrite plus d’un tiers des pachydermes africains, a interdit en janvier 2014 la chasse de ces animaux. Problème : les conséquences économiques sur la population rendent la mesure très impopulaire tout en faisant des locaux des ennemis de la conservation de l’espèce.
Des conséquences économiques terribles
Le village de Mabele est l’un des plus impactés par l’interdiction. Situé entre plusieurs réserves ouvertes, il est souvent la cible des incursions des pachydermes. Debout au milieu de son champ de maïs ravagé par les éléphants, Minsozie, mère de sept enfants, témoigne de sa lassitude auprès de l’AFP : « Quand on pouvait chasser les éléphants, ça n’arrivait pas. Les éléphants ont tout mangé, nous n’aurons pas de récolte. Je ne sais pas ce que nous allons faire. L’argent que gagne mon mari, ça ne suffit pas. Et l’État compense trop peu. » Avant l’interdiction, les villages regroupés en communautés disposaient d’un quota d’éléphants qu’ils pouvaient abattre, principalement des vieux mâles. Ces permis de tuer étaient rachetés par des agences de safari spécialisées, générant des revenus substantiels pour les habitants et les fonds de conservation. « La chasse nous rapportait plus de 400.000 euros par an. Nous avions investi dans des services pour la population, (en achetant) notamment six tracteurs pour l’agriculture » raconte Amos Mabuku, président du fonds de conservation de l’Enclave de Chobe, qui administre Mabele et quatre autres villages.
Le gouvernement, qui a déjà mis en place des aides financières, souhaite avant tout trouver un accord. Pour lui, l’écotourisme est la solution. Il souhaiterait en effet voir se développer dans des villages jouxtant les réserves comme Mabele des lodges, des safaris photographiques et autres services touristiques. « La chasse ne fournit des emplois que pendant la saison désignée, c’est une forme de revenus fondée sur la consommation« , explique Tshekedi Khama, ministre de l’Environnement. « Nous préférons des formes de revenus durables, qui permettent de préserver les espèces. » Malheureusement, si plusieurs villageois sont déjà employés dans le secteur du tourisme, leurs revenus sont loin encore de compenser ceux apportés par la chasse. Et les habitants attendent du gouvernement une solution immédiate. Ce que promet justement la ré-autorisation de la chasse, contrôlée par des quotas promet des retombées immédiates, bien plus perceptibles que les bénéfices lents mais durables d’un écotourisme, qui a pourtant fait ses preuves ailleurs. « L’attitude des gens a changé. Avant, on leur disait ‘protégez, et vous en tirerez un profit’. Aujourd’hui, ils nous demandent : « Protéger ? Pour quoi faire ? » Le message est brouillé« , déplore Amos Mabuku.