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Le pétrole d’Équateur est-il de gauche ?

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 28 août 2013

Rafael Correa, président de l’Équateur, et rusé renard. D’un côté, il prétend en 2007 vouloir se passer du pétrole du parc de Yasuni. De l’autre, il vend l’Amazonie et les Indiens aux transnationales.

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La version pour les altergogos : Rafael Correa, président – de gauche – de l’Équateur, est un héros. D’ailleurs, Mélenchon l’adore et réciproquement. En 2007, Correa propose de ne pas exploiter le pétrole du parc national Yasuni, en échange d’un chèque de 3,6 milliards de dollars signé par les pays du Nord. Ceux qui parlent de la crise climatique sans jamais rien foutre. Nous.

Six ans plus tard, n’ayant obtenu que des clopinettes, le même Correa annonce le 15 août dernier que le pétrole du Yasuni sera exploité. Aux chiottes les 696 espèces d’oiseaux, les 2 274 d’arbres, les 382 de poissons, les 169 de mammifères. Et les Indiens de la forêt, car nous sommes, mais oui, en Amazonie.

C’est beau comme un chromo, mais comme un chromo, c’est de la daube. Correa a été élu président en 2006 grâce à une coalition mêlant la gauche classique, y compris chrétienne, les groupes écologistes et alter, et le puissant mouvement indigéniste. Les Indiens sont certes minoritaires – ils représentent quand même 25 % de la population -, mais leurs idées le sont bien moins.

Et quand Correa fait voter sa nouvelle Constitution, en juin 2008, il prend soin d’y inscrire en toutes lettres une vision politique remontant aux Quechuas de l’ère précolombienne : le sumak kawsay, qu’on traduit généralement par « bien-vivre ». Bien qu’aucune définition n’épuise sa signification, ce « bien-vivre » tourne le dos à l’idée de croissance économique et considère les relations avec la nature comme essentielles à l’équilibre de toute société.

Et donc Sarayaku, village kichwa de 1200 habitants. Kichwa, c’est-à-dire quechua. Quand on commence à parler de pétrole dans ce coin d’Amazonie – qui n’a rien à voir avec Yasuni -, dans les années 90, les habitants de Sarayaku envoient une émissaire se renseigner à Quito, la capitale. Elle y rencontre des biologistes, des économistes, des politiques, et rentre, ayant compris l’essentiel : on va éventrer son pays. Les Indiens envoient chier toutes les propositions des compagnies et en 2002, lourdent les employés venus pour les premiers travaux, escortés par 400 flics et militaires. La résistance n’a cessé depuis de s’amplifier, sur fond de menaces, d’emprisonnements, de tortures.

En 2003, les Indiens déposent une plainte devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui leur donne raison, contre toute attente, estimant en juin 2012 que l’État équatorien a violé leurs droits. La Cour exige qu’à l’avenir, les Indiens soient consultés sur tous les projets les concernant.

Certes, le verdict condamne les prédécesseurs de Correa, mais ce dernier tire une tronche épouvantable, car il gêne considérablement ses projets. En novembre 2012, sans bruit, il met aux enchères l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de l’Amazonie, déclarant : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». On dirait un dépliant de Total : « Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale ».

À ce stade, plus de faux-semblant. Dans un entretien au magazine américain de gauche New Left Review (septembre-octobre 2012), Correa officialise sa rupture avec une partie de ses soutiens de 2006. Il déclare notamment : « Je ne crois pas que Marx, Engels, Lénine, Mao, Ho Chi Minh ou Castro ont dit non aux mines ou aux ressources naturelles. C’est une nouveauté absurde, mais qui semble être devenue une part fondamentale du discours de gauche ».

Dans le même entretien, Correa embrasse sur la bouche les transnationales, assurant : « Une exploitation propre des ressources naturelles peut aider à conserver la nature plutôt qu’à la détruire ». Sublime. Alberto Acosta, ancien président de l’Assemblée nationale, qui a rompu avec Correa, a un point de vue un poil différent. Pour cette grande gueule locale, l’exploitation du pétrole dans le parc national Yasuni serait une honte nationale. Et il réclame l’organisation d’un référendum. Sûr que Mélenchon va le soutenir.

Et une piquouse d’aluminium, une !

Publié dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo le mercredi 14 août 2013

Les industriels ont ajouté de l’aluminium dans tous les vaccins, y compris ceux pour les bébés. On s’en foutrait si ce métal n’était pas gravement soupçonné de provoquer une nouvelle maladie. Pendant ce temps, le gouvernement pionce.

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Pourquoi ? Jusqu’en 2008, on pouvait encore trouver des vaccins sans aluminium. Depuis, impossible. Chaque injection introduit fatalement une dose de cet adjuvant dans le corps, qu’on soit bébé ou vieillard. Or, il y a un sacré lézard. Une association de malades, E3M (http://www.myofasciite.fr), mène un formidable combat pour le retour de vaccins sans aluminium, et plusieurs de ses membres viennent d’ailleurs de mener une grève de la faim de plus d’un mois, soutenus par des parlementaires – les écolos Michèle Rivasi et Corinne Lepage, la sénatrice communiste Laurence Cohen, le Modem Jean Lassalle. Trois malades ont d’ailleurs porté plainte contre X pour blessures involontaires.

Du côté du pouvoir, Marisol Touraine, ministre de la Santé, avait promis le retour de vaccins sans alu pendant la campagne présidentielle, mais elle ne veut plus bouger un doigt. 75 000 personnes ont signé en ligne un appel de soutien à la grève de la faim, mais pour le moment, nib. On attend prudemment septembre.

Tentons un résumé de ce vaste bobinard. Le 1er août 1998, le professeur Gherardi – hôpital Henri Mondor, Créteil – et une poignée de ses collègues publient un article remarqué dans le journal scientifique The Lancet (1). Ils y décrivent une nouvelle maladie, appelée myofasciite à macrophages (MFM). Peu à peu, un petit groupe de scientifiques, autour de Gherardi, se convainc par de multiples examens cliniques que l’aluminium contenu dans les vaccins pourrait être la cause de la MFM. Et cet aluminium semble bien, chez une partie des vaccinés, rester dans la zone d’injection au lieu de se dissoudre naturellement, avant de migrer jusqu’au cerveau, provoquant de graves dégâts cognitifs, de nombreuses douleurs et des fatigues invalidantes. Le cœur de la controverse est là. Ceux de l’association E3M réclament au moins, compte tenu de très fortes suspicions, le retour au libre choix de vacciner sans aluminium.

On en était là jusqu’à la publication ces tout derniers jours d’un copieux rapport officiel (2) du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Intitulé « Aluminium et vaccins », ce texte de 63 pages, qui se veut une analyse mondiale de la question, « estime que les données scientifiques disponibles à ce jour ne permettent pas de remettre en cause la sécurité des vaccins contenant de l’aluminium, au regard de leur balance bénéfices/risques ». Laissons de côté le verbiage technocratique, et signalons plutôt l’étrangeté du texte. Car à côté de cette conclusion, qui ne peut que complaire à l’industrie du vaccin, le Haut Conseil essaie maladroitement de prendre des précautions, au cas où.

Constatant l’évidence de questions sans réponse – par exemple : « quelle est la durée normale de persistance [des] lésions et après quel délai l’aluminium du muscle se résorbe-t-il ? » -, le rapport suggère de nouvelles études. Y aurait pas de risques, mais faudrait voir. De son côté, l’association E3M se livre à un commentaire critique qui oblige à se poser de pénibles questions, y compris sur la persistance possible de conflits d’intérêt entre certains auteurs de la synthèse et des labos pharmaceutiques.

Le rapport du Haut Conseil consacre par ailleurs beaucoup de place à dézinguer le travail du professeur Gherardi, visiblement sa bête noire, et même d’E3M. Or Gherardi n’a été auditionné que quelques jours avant la validation du texte, alors que les conclusions étaient déjà arrêtées, et l’association n’a quant à elle jamais été reçue, ce qui fait un tantinet beaucoup.

Ajoutons deux points. Un, l’aluminium utilisé dans la « fabrication » de l’eau potable est fortement soupçonné de jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer. Deux, la toxicologie de papa, celle du HCSP, postule avec Paracelse, depuis près de 500 ans, que la dose fait le poison. Des études de plus en plus nombreuses pulvérisent cette vieillerie, car certains toxiques sont bien plus actifs à des doses infinitésimales. Mame Touraine, c’est si dur, de tenir une promesse ?

(1) Macrophagic myofasciitis: an emerging entity
(2) http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=369

La guerre aux bêtes (un été pourri)

Qu’il fasse beau, qu’il vente ou qu’il gèle, qu’il pleuve sur les plaines ou que les plages brûlent, cet été 2013 est évidemment pourri. Pour les bêtes, dont les hommes n’ont rien à faire. Les animaux dégustent, autant qu’hier, peut-être moins que demain, et nul ne se lève pour les défendre. A part vous ? Oui, à part vous. Mais cela ne sera pas suffisant.

Sus aux loups et aux louveteaux

Vous qui aimez ces êtres, pardonnez à l’avance ce qui suit, car les nouvelles ne sont pas fameuses. On commence par une lettre adressée au préfet des Alpes Maritimes le 2 juillet 2013 par six associations, dont la LPO, l’Aspas, Ferus, France Nature Environnement (FNE), qui demande des éclaircissements. Le 18 juin, dans le cadre d’un plan d’État scélérat, des agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ont buté une louve. Or elle était allaitante. Or elle allaitait probablement 5 louveteaux, qui ont fatalement rejoint, depuis, le vaste domaine où s’égaillent les loups assassinés.

Les associations suggèrent au préfet de décompter les cinq louveteaux sacrifiés du total des loups – 24 – que le plan Loup prévoit de tirer. J’espère qu’elles ne m’en voudront pas, mais je ne supporte pas que l’on prête la main, fût-ce d’une manière aussi indirecte, à la décision étatique de tuer des loups, dont je rappelle qu’ils sont officiellement protégés par la Convention internationale dite de Berne. J’ai déjà dit ou écrit quantité de fois que le retour du Loup en France, après 1992, posait des problèmes, et que toute solution passait par des compromis.

Je ne me suis jamais moqué des éleveurs, même si certains sont d’évidence de simples chasseurs de prime. Je suis pour le débat libre, mais de l’autre côté de la ligne de mire, il n’y a personne. La Confédération paysanne, en qui je plaçais des espoirs, se déshonore chaque jour un peu plus, qui réclame la peau du Loup chaque fois qu’un micro s’ouvre devant un responsable. Communiqué de la Conf’, en date du 22 mai, qui dénonce la : « pression insoutenable que produit la prolifération de l’espèce loup ». La biodiversité, c’est bon pour les peuplades. C’est bon pour les Africains, qui voient leurs cultures dévastées par des éléphants en mal de migration. C’est bon pour les paysans de l’Inde, dont plusieurs dizaines sont tués chaque année par les derniers tigres du pays. Pas pour nous, qui nous gorgeons de mots sans signification et de grandes envolées du haut des tribunes. Putain, comme les blablateurs me pèsent !

Le 9 juillet, on apprenait que le préfet du Var recherche des tueurs spécialisés de loups, en Amérique du Nord ou en Russie.

Ces si sympathiques paysans industriels

J’ai croisé Christian Pacteau par l’intermédiaire de Générations Futures, une association de combat contre les pesticides, et je savais son engagement en faveur des busards dans le Marais poitevin, notamment autour de la baie de l’Aiguillon. Ces oiseaux nichent à terre, dans des prairies ou des champs, et sans le concours des paysans, il est difficile de sauver nombre de poussins. Une lame de fauche utilisée au mauvais moment détruit évidemment un nid qui se trouve au sol. Bref. Christian, dans un mail adressé au réseau Busards au début de cet été  :  « Vous connaissez tous les hécatombes de prédateurs, notamment du Milan royal en raison de l’usage de la bromadiolone (…) Les agriculteurs de la Baie (…) ont décidé, sans jamais proposer de dialogue à la LPO, de refuser de collaborer à la protection des Busards, donc de refuser la localisation dans les champs et, puisqu’ils sont propriétaires des chemins de remembrements payés à 50% au moins par le Conseil Général, d’interdire leur usage aux stagiaires chargés de la surveillance (…) Ce n’était pas toujours facile, cela devient impossible
La nature n’est pas en sursis, sous nos yeux elle s’effondre »
.

Les loups et les busards ne sont pas seuls dans le collimateur. La Fédération des acteurs ruraux (FAR), lancée dans les Alpes en novembre 2010, veille. L’un de ses responsables, Joseph Jouffrey, est président de la Fédération départementale ovine (FDO) des Hautes-Alpes. Son genre à lui, c’est ça : « Alors que nous vivons en symbiose avec la nature nous voilà considérés comme des terroristes ». La faute au « néocolonialisme environnementaliste ». Mais ça devrait s’arranger dès que les loups et les ours auront été exterminés. Jouffrey ne dit pas ces derniers mots explicitement, mais je jure bien que l’esprit du monsieur n’est pas éloigné de la lettre.

Sur le site internet de la FAR, en ce triste été, on trouve cet extrait d’un article du quotidien régional Le Dauphiné Libéré, en date du 10 juillet : « Entre colère et inquiétude à Plan-de-Baix dans le Vercors drômois. Hier mardi, une vache laitière qui venait de vêler dans une prairie à quelques mètres du domicile d’un exploitant agricole, a été attaquée, vivante, par 150 vautours. “Ils ont tout mangé, ils sont même entrés à l’intérieur !” témoigne l’agriculteur. “Ces vautours doivent crever de faim ! Mais qu’allons-nous faire avec nos bêtes”… ? »

Et un autre, tiré d’un article du même journal, deux jours plus tôt, soit le 8 juillet. Nous ne sommes plus dans le Vercors, mais en Savoie : « Samedi, entre 13 h 30 et 14 heures, une génisse en pension au lieu-dit Fondorsol à Saint-Julien-Montdenis a été attaquée par une cinquantaine de vautours. Ces derniers ont réussi à l’isoler du reste du troupeau avant de se jeter sur l’animal âgé de deux ans. Des vététistes passant à proximité ont assisté à l’attaque, mais ils n’ont rien pu faire, à part prévenir les propriétaires se trouvant plus bas, en train de faire les foins. Ces derniers ont signalé l’attaque à la Direction départementale des territoires de Savoie ».

Les « déificateurs » du monstre

Et encore d’autres extraits, d’autres journaux, rapportant les mêmes histoires de vautours découpant, au rasoir de leur bec, vaches et veaux, en attendant les tendres bébés aux joues rondes, victimes toutes désignées des futures agapes. Une randonneuse de 53 ans, tombée en avril dans un ravin pyrénéen, n’a-t-elle pas aussitôt été dépecée par ces salopards ? Commentaire avisé de la FAR : « Les déificateurs de ce prédateurs tous comme l’administration qui les autorise a créer et entretenir une surpopulation de prédateurs sont responsable de ces attaques ». Je ne me suis pas permis de retoucher, car je tiens à ma peau de « déificateur ». Où l’on voit en tout cas que les vautours feraient bien de planquer leurs miches, car il s’agit comme il se doit de les éliminer.

Faut-il vous faire un dessin ? J’en doute. Les ennemis des bêtes retrouvent, intacte, leur haine du sauvage et de tout ce qui échappe à leur délétère emprise. Ils ne tarderont pas à planter les rapaces nocturnes sur leurs granges en polystyrène. Enfin, ils trouveront autre chose, car tout de même, ne sont-ils pas nos vrais « progressistes » ? Comment voulez-vous que les vautours, conformés par l’évolution pour être des charognards se mettent à tuer des animaux vivants ? C’est inepte, contraire aux connaissances de base, mais que s’en foutent les abrutis ? Il s’agit de montrer qu’on en a, n’est-ce pas ? Que l’on ne va pas se laisser emmerder par des écolos-des-villes et des animaux-des-champs. Qui commande la nature, dites-moi donc ?

En conséquence directe, ce n’est pas à ces dangereux crétins que je m’adresse, mais à vous. Le Vautour fauve, réintroduit à si grand-peine en France – je m’incline au passage devant la ténacité des frères Jean-François et Michel Terrasse – compte quelques centaines d’individus, et c’est de loin le plus nombreux dans nos ciels. Le Vautour moine, le Percnoptère, le Gypaète barbu – les trois autres espèces vivant en France – ont des effectifs dérisoires. Et il leur faut échapper aux lignes à haute tension, aux pesticides, aux chasseurs fous, beaucoup moins rares qu’eux. Vous trouverez au bas de cet article un commentaire avisé du grand naturaliste Roger Mathieu, auquel il n’y a rien à ajouter. Et poursuivons ce chemin de croix.

Un si joli terrier artificiel

Philippe Charlier – merci ! – m’envoie un compte-rendu de l’Assemblée générale de la Fédération des chasseurs de la Nièvre, qui date d’un an. Elle s’est en effet tenue le 5 mai 2012, mais le texte n’en a, semble-t-il, jamais été rendu public. On va donc y remédier, mais avant cela, sachez que le maire-adjoint de Nevers, Christophe Warnant, a ouvert cette belle séance sur des mots d’anthologie. Voici : « Nous faisons annuellement appel à vos services. Nous allons le faire prochainement pour éliminer les oiseaux qui sont en trop grand nombre dans cet espace urbain ». Bienvenue à Nevers, ville socialiste, et merci à Christophe Warnant, vaillant militant du parti au pouvoir.

Donc, cette assemblée générale. Intervention tout en beauté de madame Émilie Philippe, secrétaire de l’association Vénerie sous terre. Pour ceux qui ne connaissent pas ce délicieux passe-temps, je précise que la vénerie sous terre consiste à acculer dans leurs terriers des animaux comme le Blaireau ou le Renard, par exemple à l’aide de chiens entraînés. Puis de les sortir de force, par exemple à l’aide de pinces. Puis de les tuer. Puis de s’embrasser pleine bouche en essuyant le sang qui coule.

Ce jour d’assemblée, madame Émilie Philippe a besoin d’un coup de main. On ne parle pas assez des soucis et tracas des équipages de vénerie. Voyez-vous, et c’est madame Émilie Philippe qui parle, « nous recherchons une bonne âme, habitant à proximité, qui accueillerait un couple de renards ». Voilà qui est bien mystérieux si l’on ne connaît pas le reste. La suite : « Nous avons pour projet la mise en place d’un terrier artificiel, pour que toute personne qui le souhaite vienne entraîner ses chiens, c’est un outil qui manque cruellement ». Ces excellentes personnes font donc prisonnier un couple de renards, de manière que leurs chiens puissent les terroriser, dans un terrier artificiel, le temps d’un nécessaire apprentissage. En deux mois, conclut madame Émilie Philippe, « à deux équipages, nous avons déjà comptabilisé une centaine de renards ». Vous aurez probablement remarqué l’euphémisation de l’assassinat, qui devient par extraordinaire un simple acte comptable. Les vrais tueurs ont toujours trouvé des mots de remplacement pour décrire leurs activités.

Les tigres fantômes du parc Jim Corbett

Est-ce tout ? Encore deux bricoles. Le journal indien Down to Earth – ohé ! Laurent Fournier –  publie une enquête formidable et désastreuse sur le sort fait aux tigres sur le territoire du parc national Jim Corbett, le plus ancien du pays. C’est long, et en anglais (ici). Également en anglais, une chronique du grand journaliste britannique George Monbiot, que je ne lisais plus depuis un atroce papier sur le nucléaire qu’il avait commis. Je m’y remets, apparemment. Dans ce texte (ici), Monbiot constate cette évidence que les défenseurs de la nature ont très souvent baissé pavillon, et se contentent des miettes et confetti qui leurs sont concédés. Son titre : « The Naturalists Who Are Terrified of Nature ».

Enfin, un très remarquable effort de l’association Robin des Bois, qui lance un trimestriel consacré au « braconnage et la contrebande d’animaux » (lire-ici.pdf). Que vous dire d’autre ? Si même nous n’étions que dix à défendre nos frères les animaux, il faudrait encore se lever pour eux. Or nous sommes un peu plus, et cela ne se sait pas assez. Savez-vous ? Je vomis ces barbares, et leurs innombrables soutiens. Comme dirait l’autre, on ne lâche rien. Ni personne. Pas la moindre libellule. Pas le dernier des orvets. Pas un seul ver luisant. Nous avons raison, car la vie est un principe supérieur à la mort qu’ils répandent.

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Les explications du naturaliste Roger Mathieu sur les vautours :

Pour ceux qui veulent essayer de comprendre et ne pas mourir idiots, voici “comment ça marche” :

Pour se nourrir, la plupart des organismes vivants répondent à des stimuli. Concernant les vautours, le stimulus majeur est l’immobilité totale et prolongée d’un animal avec absence de réaction lors des manœuvres d’approche des oiseaux. Ce comportement est celui d’un cadavre. Un animal sain et en pleine possession des ses moyens laisse les vautours indifférents et n’a rien à craindre.

Entre ces deux scénarios classiques, Il existe des circonstances exceptionnelles qui leurrent les vautours et les incitent à se poser. Le comportement anormal d’un animal immobilisé, incapable de se mouvoir à l’approche des oiseaux et présentant des plaies importantes ou des saignements peut déclencher l’intervention des vautours. Ces stimuli se rencontrent, par exemple, à la suite d’une mise bas particulièrement difficile d’un animal allongé, isolé, et incapable de se mouvoir. Dans ces circonstances et en l’absence d’intervention humaine les vautours peuvent intervenir et entraîner la mort par hémorragie. S’agissant d’animaux domestiques, ces faits qui supposent l’accumulation de facteurs défavorables, sont rarissimes.

Un peu plus fréquents sont les interventions des vautours ante mortem sur des animaux couchés, incapable de se mouvoir, victimes de blessures graves ou d’une pathologie avancée ou aiguë ( entérotoxémie bovine par exemple). Dans ces cas, les vautours ne font qu’anticiper la mort d’animaux condamnés. Ces scénarios exceptionnels ne peuvent s’apparenter à des comportements de prédation. Le comportement de prédation  sous entend qu’il existe une volonté délibérée du prédateur de mettre à mort sa proie avant de la consommer ; le stimulus déclenchant la prédation est précisément le mouvement de la proie.

A l’inverse, dans le cas des vautours, le stimulus est l’immobilité absolue de l’animal cible (animal mort) ; les cas d’intervention ante mortem se produisent sur des animaux qui, par leur immobilisme et leur absence de réaction, leurrent les vautours, les incitent à consommer, entraînant la mort par hémorragie « sans intention de la donner ».

Roger Mathieu

Barroso vend l’Europe à la marchandise

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 3 juillet 2013

En catimini, notre glorieuse Commission européenne négocie un nouvel Accord commercial avec l’Amérique impériale. Bienvenue aux gaz de schiste, au poulet chloré et aux OGM.

Expliquons. Le libre-échange est une théorie devenue « force matérielle », pour paraphraser le vieux Marx, qui avait oublié d’être con. Certes, il parlait d’autre chose, mais d’évidence, le capitalisme ne connaît qu’une position, et c’est la marche avant. Témoin l’affaire, toute chaude encore, du « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement », ou PTCI.

Oui, c’est déjà chiant, mais la suite vaut la peine. Les ministres du Commerce de l’Union européenne, dûment « briefés », viennent de donner mandat à la Commission européenne pour négocier un nouvel accord commercial avec les Amerloques, le PTCI. Rappelons pour les sourds et malentendants que le président de la Commission s’appelle José Manuel Barroso, ce fin lettré portugais qui ne supporte pas que l’on mette la culture hors le champ de l’économie.

Donc, le PTCI. Son but principal est d’abaisser les barrières douanières qui existent encore, de manière que les marchandises circulent mieux, plus vite, plus loin. Ne pas croire que les États-Unis seraient les gros méchants de l’histoire. La Commission européenne, incapable de la moindre idée, multiplie depuis 2006 les accords bilatéraux de ce genre. Avec la Colombie, la Corée du Sud et le Pérou, en attendant Singapour et les pays dits ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique).

Et le drôle est que la bande à Barroso n’arrive pas même à justifier le PTCI, qui n’apporterait au mieux, selon ses propres calculs, que 400 000 emplois. Or il existe 26,5 millions de chômeurs dans l’Union européenne. Kempf, journaliste au quotidien Le Monde, a fait le calcul : ces emplois nouveaux feraient passer le taux de chômage de 11 % aujourd’hui à 10,83 % demain. Côte PIB, c’est encore plus mignon : les experts qui nous représentent si bien parlent d’un gain de croissance possible de 0,5 % à l’horizon 2027. Ergo, on se fout de notre gueule, mais grave.

Et c’est d’autant plus vrai qu’Américains et Européens conviennent que les barrières tarifaires sont déjà basses, à l’exception des biens culturels et de l’agriculture. « Ce projet d’accord, note l’association Attac dans une lettre adressée à notre ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, ambitionne donc de s’attaquer en priorité aux barrières “non-tarifaires” et aux normes et règlements ». Et c’est là qu’on entre dans le dur.

L’un des points les plus vicelards concerne le règlement des conflits commerciaux. Par le biais de ce que le jargon appelle Investor-State Dispute Settlement – déjà en vigueur dans d’autres Accords -, des transnationales pourraient attaquer la politique d’un État via une procédure ad hoc. Commentaire du Corporate Europe Observatory (1), une ONG basée à Bruxelles : « [Le PTCI] ouvrira les vannes à un flot de millions d’euros de poursuites des entreprises, contestant les politiques démocratiques de protection de l’environnement et de santé publique ».

Les viandes clonées ou passées au chlore, les produits OGM, ou encore les gaz de schistes obtenus par fracturation hydraulique – la technique est interdite par la loi française – pourraient être les premiers à profiter du micmac. Faut-il compter sur les socialos pour refuser le PTCI ? Ce serait audacieux. Rappelons que le patron actuel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), boîte noire du libre-échange, n’est autre que le grand socialiste Pascal Lamy. Rappelons de même qu’un certain DSK a dirigé le FMI, chantre des mêmes valeurs, entre 2007 et 2011.

Pourquoi un énième accord, après tant d’autres déjà signés, dont le si funeste Accord général sur le commerce des services (AGCS) ? Parce que. Ce n’est pas un complot, c’est une politique. Une obsession. Il n’y a qu’un seul monde, et c’est celui de la marchandise.

PS qui n’a presque rien à voir : notre beau Conseil d’État pourrait prochainement renvoyer devant le Conseil constitutionnel la loi du 13 juillet 2011 interdisant l’exploitation des gaz de schiste en France. En cas d’inconstitutionnalité, la porte serait ainsi entrouverte aux forages made in France.

(1) http://www.tni.org/briefing/transatlantic-corporate-bill-rights?context=70931
(2) http://www.no-transat.be

Le Brésil a la tête pleine de merde

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 26 juin 2013

Le pays de Lula est devenu un repaire de beaufs et de bœufs, qui ne rêvent que de nucléaire, de barrages et d’avions de combat. L’écologiste Marina Silva sauve l’honneur et réclame un vrai changement.

Nul ne sait comment va tourner la mobilisation en cours au Brésil. Quand s’arrêteront les manifs ? Selon la version officielle, la merveilleuse croissance d’un pays devenu la septième « puissance économique mondiale » a créé des tensions, des contradictions, et de nouvelles exigences. Une partie des classes moyennes voudrait consommer davantage, à moindre prix. Le certain, c’est que derrière le rideau de scène se joue une tragédie.

Premier détour par Marina Silva, qui aura sa statue, aucun doute. Plus tard, quand elle aura été flinguée par des pistoleiros, cette joyeuse engeance au service du fric et des propriétaires terriens. En attendant, elle fait bien chier la présidente en titre, Dilma Roussef. Car Marina, longtemps membre du Parti des travailleurs (PT) de Lula et Roussef, n’a pas supporté la corruption massive de ses anciens copains et la destruction systématique des grands écosystèmes du pays, à commencer par les fleuves et la forêt amazonienne.

Ancienne très pauvre, proche du syndicaliste Chico Mendes, buté en 1988 par des tueurs à gage, elle est devenue écologiste, dans le genre sérieux, c’est-à-dire radical. Et populaire. Toute seule ou presque, elle a obtenu 19,33 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle du 16 mai 2010, contraignant Dilma Roussef, qui succédait à Lula, au ballottage. Ce qui ne s’oublie pas chez ces gens-là.

Si Marina Silva a tant cartonné, c’est parce qu’elle incarne une autre vision du Brésil. Ministre de l’Environnement de 2003 à 2008, elle s’est progressivement fâchée avec tous les apparatchiks du parti de Lula. Par exemple à propos du sort des Indiens, dont 500 ont été assassinés depuis 2003 selon les chiffres de l’Église catholique. Marina Silva n’a pas hésité à prendre position pour ceux qui s’opposent au barrage géant de Belo Monte sur le rio Xingu, en pleine Amazonie, dont le coût pourrait dépasser 20 milliards de dollars. Dans le Brésil d’aujourd’hui, c’est une déclaration de guerre à toutes les élites, à commencer par celles du Parti des travailleurs.

D’autant qu’elle s’oppose aussi au soja transgénique, dont les dizaines de millions d’hectares envahissent et trucident le cerrado, une savane d’une incroyable biodiversité, qui abriterait 160 000 espèces de plantes, de champignons et d’animaux. Selon les chiffres du gouvernement, la moitié du cerrado – environ 2 millions de km2 au total – aurait disparu en cinquante ans.

Pour faire bon poids, Silva critique aussi la transformation d’une part énorme de la canne à sucre en éthanol, un biocarburant destiné à la bagnole, et la déforestation de l’Amazonie, redevenue massive ces dernières années. On imagine la réaction des patrons, des bureaucrates et des politiques de toute couleur, qui misent tout sur le « développement », autre nom de la destruction.

On ne s’en rend pas compte en Europe, mais les rêves de grandeur de Lula et Dilma se paient au prix fort. Comme la Chine à une autre échelle, le Brésil dévaste ses territoires les plus beaux et bousille un à un ses équilibres les plus essentiels. Le maître-mot est : puissance. Dès 2008, le Brésil avait annoncé sa volonté de construire 60 centrales nucléaires au cours des cinquante prochaines années. Et de construire des dizaines de barrages sur les plus belles rivières du pays. Et d’exploiter au plus vite des gisements de pétrole off shore, au large de ses côtes. Et d’augmenter encore la production d’éthanol, qui représente déjà le quart de la consommation nationale de carburant.

Le Brésil est un pays devenu fou de son énergie et de ses réalisations. Et comme tout autre de sa taille, il entend désormais être un gendarme continental. En avril 2013, au moment du salon de l’armement de Rio de Janeiro, le gouvernement de Roussef a lancé cinq appels d’offres internationaux en vue d’acheter 15 milliards d’euros d’avions, de navires de guerre, de satellites. 15 milliards, à rapprocher des 11 milliards que pourraient coûter la coupe de foot des Confédérations – en cours – et le Mondial l’an prochain.

Le Brésil est un géant dont la tête est pleine de merde.