Archives de catégorie : Pouvoir et démocratie

Monique Lang et Anne Hidalgo (paso doble)

C’est le hasard. Je rouvre sans y penser le très remarquable livre intitulé Histoire secrète du patronat (sous la direction de Benoît Collombat et David Servenay, La Découverte, 720 pages, 25 euros). Vraiment, si vous avez de l’argent, a fortiori  si vous conservez des illusions, lisez ! Et faites lire. Il y a de cela treize années, j’ai vu comme bien d’autres – nous étions en 1997 – un papier du Canard Enchaîné concernant l’emploi accordé par la Lyonnaise des Eaux à l’épouse de Jack Lang. Vous situez le monsieur ? Un grand rebelle, qui a abandonné Blois parce que les électeurs le boudaient, et qui, n’ayant pas obtenu l’investiture socialiste à Paris – ce Delanoé, quelle crapule ! -, a dans son immense bonté accepté une circonscription législative acquise de toute éternité à la gauche, Boulogne.

J’espère vivement que les trajets entre Le Marais – Paris – et le Pas-de-Calais sont tout de même moins fatigants que les allers simples de son ami Jacques Mellick entre Paris et Lille en 1993 (ici). Je vous confirme au passage que Wikipédia sait être une excellente fille avec les excellents citoyens comme Lang (ici). Nulle trace de sa campagne acharnée contre Delanoé. Nulle trace de son amitié incandescente avec Mellick, le roi de la conduite à 300 à l’heure. Nulle trace bien sûr de la faveur faite à son épouse Monique.

Ce n’est pas seulement étrange. C’est directement stupéfiant. Si vous tapez sur Google : « monique lang » lyonnaise des eaux, il n’y a que 20 occurrences. Je n’ai aucune preuve, et n’en cherche d’ailleurs pas, mais je ne serais pas étonné d’apprendre un jour que les Excellences de ce monde ont trouvé le moyen d’agir sur ces moteurs de recherche. Quoi qu’il en soit, voici un extrait du livre cité en préambule, en sa page 582 :

« Fin 1992, alors que se profilait un désastre pour le Parti socialiste aux législatives de mars 1993, une de ses filiales [ de la Lyonnaise] a embauché Monique Lang, épouse de Jack Lang, jusque-là chargée de mission au cabinet de son époux, ministre de l’Education nationale de 1992 à 1993. La filiale en question, la Compagnie auxiliaire de services et de participations (Caspar), lui a versé de janvier 1993 à 1994 un salaire de 25 000 F nets par mois (3 800 €). Interrogée en 1997 par le Canard enchaîné qui avait révélé l’affaire, Monique Lang avait admis n’avoir « jamais avoir mis les pieds au siège de la Caspar » et ne pas avoir de traces écrites de ses prestations. Elle mettait en avant un travail de mise en relations, de prises de contact…».

Dans le même genre, pour faire penser. Un coup de chapeau à l’ami Marc Laimé, dont je retrouve un article – oublié, je le confesse – publié en mars 2005 dans Le Monde Diplomatique (ici). Il y revient, entre autres, sur les excellentes relations nouées entre l’ancienne Compagnie Générale des Eaux (CGE), devenue Veolia, et ceux que l’on appelle les socialistes, sans doute par sens de l’humour. Je le cite : « Ainsi Mme Anne Hidalgo était la numéro 2 de la direction des ressources humaines de la Générale des eaux de 1995 à 1997, avant de devenir en 2001 première adjointe au maire de Paris, M. Bertrand Delanoë. Ex-responsable du Parti socialiste (PS) de la région de Lille, membre du cabinet de Mme Martine Aubry, M. François Colin deviendra responsable des affaires sociales de Vivendi Universal (VU), ex-Générale des eaux, de 1998 à 2003. Le porte-parole pour l’économie et les entreprises de l’état-major de campagne de M. Lionel Jospin en 2002, M. Eric Besson, député PS de la Drôme, dirigeait, quant à lui, la Fondation Vivendi, de 1998 à 2002. Ancien conseiller technique de Charles Hernu au ministère de la défense, M. Jean-François Dubos deviendra secrétaire général de Vivendi Universal en 1997 ».

Vous savez quoi ? Je crois que je n’ai pas davantage de goût pour ces gens que pour les autres. Mais je ne veux décourager personne d’accomplir un si noble travail civique que le dépôt d’un bulletin dans une urne.

Je cède ma place à Bruno Le Maire (de bon cœur)

Soyons franc : je n’ai pas le temps. De vous écrire. Cela reviendra. Mais là, impossible. Il est heureusement d’autres lectures possibles, et je vous mets ci-dessous un entretien accordé par Bruno Le Maire, notre ministre de l’Agriculture, aux journalistes de Libération Guillaume Launay et Christian Losson (vendredi 26 novembre 2010). C’est un document en or massif qui dit, plutôt qui confirme ce qu’est aujourd’hui en France un ministre de l’Agriculture. Rien d’autre qu’un lobbyiste au service d’un modèle industriel. J’ajoute que Le Maire, villepiniste bon teint – il doit à Villepin l’essentiel de sa carrière publique -, ne sait évidemment rien des problèmes agricoles. Il est titulaire d’une agrégation de Lettres modernes, il a fait Sciences-Po et l’ENA, bref.

S’il a été nommé à ce poste par Sarkozy, c’est essentiellement pour deux raisons. La première, c’est qu’ainsi Sarkozy commençait – nous étions en juin 2009 – sa manœuvre de destruction politique de Villepin, estimé tout de même menaçant dans la perspective du 1er tour de la présidentielle de 2012. Et la seconde, c’est qu’il a jugé Le Maire intelligent – c’est juste – et suffisamment souple pour servir Sarkozy en même temps que sa propre carrière. Le Maire n’est là que pour cajoler un monde paysan qui se détourne massivement de Sarkozy – selon de nombreux sondages – alors qu’il vote très majoritairement à droite. D’ici les élections de 2012, tous les cadeaux seront faits aux pedzouilles pour qu’ils retrouvent, in fine, le bon bulletin de vote.

Cela s’appelle du clientélisme ? Pardi oui, et rien d’autre. Je vous conseille respectueusement de lire lentement l’entretien qui suit, dont chaque phrase a été pesée au trébuchet. Je vous livre tout de même mes préférées. À propos du thon rouge, que la rapacité d’une poignée de (riches) pêcheurs fait disparaître de Méditerranée : « Si on va trop vite, on va mettre à la casse des bateaux de pêche, on va perdre des emplois – 1 000 emplois sont concernés ». Sur le cauchemar de l’agriculture productiviste, qui a détruit une partie notable de l’âme de l’Europe : « Mais n’oublions pas que l’agriculture la plus propre au monde, si on parle des grands pays agricoles, c’est l’agriculture européenne ». Sur la farce de la bio, que le Grenelle de l’Environnement voulait faire passer de 2 % de la surface agricole utile (SAU) à 6 % de 2007 à 2012 : « Je suis prêt à soutenir le bio, et je rappelle que j’ai maintenu l’intégralité des crédits pour le soutien au bio sur 2011, après les avoir augmentés en 2010 ». Pour apprécier toute la saveur de ce propos, sachez que nous en sommes, à un peu plus d’un an des échéances, autour de 2,50 %. Autrement dit, les engagements pris sont déjà oubliés, et sans regret.

Dernière citation, qui résume tout : « Mon travail, c’est que tout le monde travaille ensemble. Il n’y a pas d’agriculteurs forts sans une industrie forte. Et il n’y a pas d’industrie agroalimentaire qui puisse vivre sans que les paysans soient correctement rémunérés ». On prévoit que jusqu’à 30 % des paysans ayant survécu à la politique des amis de Bruno Le Maire – celle de la terre brûlée – pourraient encore disparaître en France d’ici deux ou trois ans. Bien joué ! Bien vu ! Place aux gros engins, aux pesticides, aux engrais et à la mort programmée des sols fertiles qui nous restent. En attendant, retenez le nom de Le Maire. Cet homme en apparence insignifiant – il l’est, d’ailleurs – vise Matignon. Et peut-être davantage. Nous en sommes là.

Entretien avec Bruno Le Maire paru le 26 novembre 2010 dans Libération

Les dossiers chauds n’auront finalement pas quitté la table de Bruno Le Maire, confirmé la semaine dernière dans ses fonctions de ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Pêche. Thon rouge, PAC, environnement, régulation… le ministre défend ses positions.

Pourquoi la France campe-t-elle sur une position maximaliste, en demandant le maintien du quota de thon rouge, alors que l’opinion française comme la Commission européenne demandent une baisse ?

Ce n’est pas une position maximaliste, c’est une position équilibrée, entre préservation de la ressource et maintien de l’activité de pêche traditionnelle. J’ai écouté beaucoup de monde, en France et en Europe. Les scientifiques nous disent que pour atteindre l’objectif de renouvellement de la ressource en 2022, avec des chances de succès élevées, il faut un quota de 13 500 tonnes. Je ne fais que suivre cet avis.

L’avis scientifique dit :«avec des chances de succès de 60%»…

De plus de 60%. Je comprends ceux qui disent qu’on pourrait aller plus vite avec des chances de succès de 100%. Mais ma responsabilité, c’est de trouver un équilibre. Si on va trop vite, on va mettre à la casse des bateaux de pêche, on va perdre des emplois – 1 000 emplois sont concernés.

Mais 80% du quota français va à la pêche «industrielle», à la senne [pêche au filet, ndlr]…

Pas de caricature sur les pêcheurs senneurs : ce n’est pas de la pêche industrielle. Par ailleurs, on a réduit considérablement la voilure : entre 2010 et 2011, le nombre de bateaux qui vont partir en campagne de pêche va baisser de 30 à 40%. La France a tiré les leçons du passé. Elle a fait des erreurs, elle a fait de la surpêche. Nous sommes le seul Etat à l’avoir reconnu et à déduire de son quota les erreurs du passé.

La Commission européenne a publié la semaine dernière ses propositions pour la PAC après 2013. Elle suggère de «verdir» les aides. Y êtes-vous favorable ?

C’est une bonne proposition, sous réserve que cela se fasse en concertation étroite avec les agriculteurs, que cela ne signifie pas plus de paperasse, plus de contrôle, mais que ce soit bien une direction fixée à l’Europe, vers une agriculture durable. C’est l’attente des citoyens européens, et c’est l’intérêt économique des agriculteurs. Mais n’oublions pas que l’agriculture la plus propre au monde, si on parle des grands pays agricoles, c’est l’agriculture européenne. La Chine emploie plus de 300 kg d’intrants [engrais, pesticides, etc.] par hectare, la France aux alentours de 130.

Ce qui la place en tête des agricultures européennes…

Cela montre surtout nos progrès par rapport aux autres grandes agricultures mondiales.

L’agriculture européenne est-elle vraiment la moins polluante ?

C’est celle qui a fait le plus d’efforts. On lui a demandé de produire le plus possible, de manière intensive, puis de changer totalement d’orientation, en lui disant «vous produisez et polluez trop». Ces efforts ont été faits. Ne mettons pas systématiquement les agriculteurs en cause, je suis là pour les défendre, avec force. N’oublions pas la crise économique qu’ils ont vécue en 2009. C’est une réalité qui pousse des paysans à mettre la clé sous la porte.

Certains syndicats prévoient une baisse de 30% du nombre de paysans d’ici deux ans…

Je me bats pour que ça n’arrive pas. Je crois à une agriculture qui représente aussi de l’emploi. Mais certaines des règles environnementales ont un coût. Il faut savoir adapter le rythme en fonction de la réalité économique. On a un monde agricole fragile, qui reprend son souffle : il ne faut pas casser l’élan. Et il faut aller vers davantage d’harmonisation européenne. Les agriculteurs français ne supportent pas d’avoir des règles plus strictes que leurs voisins. Vouloir systématiquement donner l’exemple, c’est se tirer une balle dans le pied.

La France ne montre pas encore vraiment l’exemple sur le bio…

Je suis prêt à soutenir le bio, et je rappelle que j’ai maintenu l’intégralité des crédits pour le soutien au bio sur 2011, après les avoir augmentés en 2010.

Dire que l’environnement a un coût, n’est-ce pas une façon de le présenter comme une contrainte ?

Ce n’est pas une contrainte. Mais il faut écouter ce que disent les agriculteurs. Soyons pragmatiques.

Vous insistez depuis un an pour que votre ministère reprenne la main sur les questions d’environnement…

Il n’est pas question de maîtrise, de périmètre ou de pouvoir. L’enjeu, c’est que les agriculteurs soient associés, aient leur mot à dire. Je m’entends parfaitement avec Nathalie Kosciusko-Morizet [la ministre de l’Ecologie]. Sous l’autorité du Premier ministre, nous travaillerons ensemble.

Les ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture ne sont-ils pas condamnés à s’affronter ?

Au contraire. Je ne dis pas que c’est facile, que ça se fait du jour au lendemain. On ne revient pas sur des décennies de différences en un claquement de doigt.

Et le prochain dossier qui fâche ?

Notre ligne, c’est tout le Grenelle, rien que le Grenelle. On peut discuter thon rouge, nitrates, installations classées en Bretagne. Les équilibres, on les trouve quand on discute.

Cet équilibre n’a-t-il pas été rompu lorsque Nicolas Sarkozy a dit que l’environnement, «ça commence à bien faire» ?

Il n’y a pas eu de basculement. Le cap fixé par le Président, c’est l’agriculture durable…

Pour revenir à la PAC, le volet régulation de la proposition de la Commission est-il assez ambitieux ?

La proposition de Dacian Ciolos [commissaire européen à l’Agriculture] sur la régulation est un bon point de départ, cependant le compte n’y est pas encore. Mais d’où venons-nous ? Il y a un an, la proposition, c’était la réduction de 30 à 40% du budget de la PAC et l’élimination de tout dispositif d’intervention sur le marché. Grâce à la France, la PAC va être préservée, et la régulation est revenue au cœur du débat. On a renversé la tendance, mais il faut aller plus loin en matière de transparence sur les volumes afin de permettre aux producteurs de mieux s’organiser pour négocier les prix. Nous voulons avec l’Allemagne un budget ambitieux.

La France n’est-elle pas écartelée entre agrobusiness et petits paysans ?

Mon travail, c’est que tout le monde travaille ensemble. Il n’y a pas d’agriculteurs forts sans une industrie forte. Et il n’y a pas d’industrie agroalimentaire qui puisse vivre sans que les paysans soient correctement rémunérés.

Prenons Yoplait, sur lequel Lactalis et Nestlé ont jeté leur dévolu. Cela vous dérangerait de voir passer ce symbole sous contrôle étranger ?

Notre préoccupation, c’est de nous assurer que les intérêts des producteurs français et des emplois salariés de nos industries agroalimentaires sont bien préservés.

Faut-il constituer des gros pôles d’agrobusiness français ?

Le modèle agricole français est singulier. Je veux le défendre. Ce modèle repose sur l’emploi présent sur tout le territoire. Il garantit une production diversifiée et une alimentation de qualité. Mais il faut savoir évoluer pour garantir sa pérennité. Cela passe par une industrie agroalimentaire puissante, capable de prendre des parts de marché à l’étranger. Il faut des champions, on en a…

De moins en moins…

On en a de moins en moins. Il faut donc que les PME grossissent.

Ce n’est pas contradictoire avec les intérêts des producteurs ?

Non, si on prend les mesures nécessaires pour qu’ils puissent mieux se regrouper. Il faut penser filières.

Au sein de l’Organisation mondiale du commerce, la France campe sur une ligne plutôt radicale, et le cycle de Doha est toujours paralysé…

Tant que nous n’avons pas de garanties qui montrent que les échanges seront équilibrés, avec une stricte réciprocité des règles, je continuerai à dire «niet». On ne peut abandonner nos intérêts agricoles contre d’autres intérêts, sur les biens ou les services. Nous sommes allés au maximum de nos concessions. Nous n’irons pas plus loin.

L’un des trois dossiers de la présidence française du G20 vise à lutter contre la volatilité des prix des matières premières. Concrètement ?

A la demande du président de la République, nous travaillons sur trois pistes. D’abord, une meilleure coopération entre les acteurs du G20. Est-il normal que le premier producteur mondial de blé, la Russie, frappé par une sécheresse et des incendies, décide sans concertation avec ses grands partenaires un blocus de ses exportations, déstabilisant le marché ?

Pour le bonheur de la France qui a pu doper ses exportations…

Pour le bonheur des céréaliers, mais le grand malheur des éleveurs, qui paient leur alimentation 20 à 25% plus cher. Il faut ensuite davantage de transparence sur la production et les stocks. Enfin, il faut un meilleur encadrement de la spéculation. A la Bourse de Chicago, le plus grand marché des produits agricoles, pour un échange physique, il y a 2 000 échanges immatériels. Ce n’est pas normal.

Les gaz de schistes annoncent-ils une révolution ?

Je vous ai parlé il y a quelques semaines des gaz de schistes. Plutôt, j’ai reproduit un article que j’avais écrit pour Charlie-Hebdo (voir ici). Si j’ai mis un point d’interrogation au titre du papier d’aujourd’hui, c’est bien entendu par précaution. N’étant nullement devin, ni ne souhaitant faire semblant, je ne suis pas certain de ce que j’écris. Mais de très nombreux éléments convergent vers un constat : la découverte de gisements – réels ou potentiels – de gaz de schistes un peu partout paraît devoir changer la donne énergétique mondiale.

D’ores et déjà, les États-Unis sont en train de se libérer à grande vitesse des importations massives de gaz naturel en provenance de pays instables ou même hostiles. Certains disent que ces « gaz non conventionnels » piégés dans des couches géologiques argileuses représentent au moins quatre fois les réserves de gaz jusqu’ici connues. Et c’est pourquoi des permis d’exploration sont accordés partout où ils sont demandés. En France, comme je l’ai écrit ici, Total, GDF Suez et des compagnies américaines ont déjà reçu une autorisation signée Jean-Louis Borloo. La zone la plus prometteuse se situerait en Ardèche, mais il en est bien d’autres.

Ce qui commence est assurément une bagarre mondiale d’une ampleur inédite, car elle touche et touchera au cœur de nos modes de vie. Déjà, les pétroliers affinent une propagande que l’on nous servira ad nauseam. Le gaz contribuerait nettement moins que le charbon à l’effet de serre. Ce qui est vrai, mais n’a en réalité aucun sens. Car les tenants de l’économie réelle n’ont qu’un seul but et l’auront jusqu’au bout : continuer. Continuer à produire des merdes que l’on entasse avant de les jeter. Et pour cela ajouter au pétrole, au charbon, au gaz conventionnel, au nucléaire, tout ce qu’ils trouveront à mettre dans leurs foutues machines. Aucune réduction des émissions de gaz à effet de serre ne serait alors seulement tentée. Avec les gaz de schistes, nous allons droit à un emballement de la si vaste et si complexe machine climatique. Les ordres de grandeur font que plus rien n’aura d’importance. Si vous relâchons les milliers de milliards de mètres cubes de gaz de schistes contenus sous terre, la crise climatique deviendra probablement sans issue humaine. Il n’y a aucun compromis possible avec les criminels qui préparent cette nouvelle « révolution énergétique ». Ou nous arrêterons le développement des gaz de schistes – et la tâche est herculéenne-, ou nous subirons tous une défaite historique aux conséquences incalculables. Il faut d’ores et déjà s’y mettre. Pas demain. Maintenant. Car les pétroliers arpentent déjà notre terre. Nos terres. Notre terre.

Je vous mets ci-dessous, en anglais pardonnez-moi, un article ébouriffant du plus grand quotidien économique de la planète, The Financial Times (FT). Je n’ai pas le temps de le traduire, mais il n’est guère difficile. Bien que n’évoquant qu’à l’extrême marge les problèmes écologiques posés par les gaz de schistes, il est passionnant de la première à la dernière ligne. Voilà ce que voient les maîtres du monde : la possibilité pour l’Occident de reprendre la main face à la Russie et aux pays du Sud producteurs de gaz et même de pétrole. Le titre dit tout « Les gaz de schistes changeront le monde » (ici).

Shale Gas Will Change The World

Everybody’s favourite moment in The Graduate is when the film’s hero is cornered by one of his parents’ friends. The older man’s advice to Benjamin Braddock consists of just one word – « plastics ». Something similar keeps happening to me at international conferences. I will be minding my own business, when a delegate will get up with a gleam in his eye and announce portentously – « shale gas! »

This conference chatter is a reflection of growing excitement in the US and Europe at the idea that we may have discovered a large part of the answer to one of the most vexatious problems in foreign and economic policy – energy security.

For decades, American politicians have vowed to pursue « energy independence » and to free the US from reliance on foreign supplies. Yet the reality was that America was facing a future of growing dependence on oil and gas from a variety of unstable, unfriendly and autocratic countries. Meanwhile, the European Union has become increasingly paranoid about its reliance on natural gas supplies from Russia – particularly given the Russian propensity to exert pressure on its neighbour, Ukraine, by cutting off gas supplies. Just to add to the frustrations for the US and Europe, one of the very few alternative suppliers of natural gas is Iran.

It has long been known that the US is sitting on potentially huge supplies of unconventional shale gas. But until recently, these reserves were very hard to exploit. Now, however, technological breakthroughs mean that many of the economic and technical concerns about exploiting shale gas reserves are being dealt with. Over the past three years, American production has soared. This year, the US overtook Russia to become the world’s biggest gas producer for the first time in a decade.

The result is that the shipping terminals that the US built to receive liquid natural gas from overseas are now lying virtually empty. The rise of shale gas, which can be used to produce electricity, reduces dependence on domestically produced, but dirty, coal. If cars powered by electricity or gas improve, shale gas would also reduce reliance on Middle Eastern oil.

Both the EU and China are excited by the idea that they too may soon enjoy a shale gas bonanza. Chinese foreign policy has increasingly been driven by the need to secure energy supplies. But China looks as if it may have its own shale gas reserves, and has signed an agreement with the US to look into exploiting them.

The excitement in Europe is even more pronounced. Just as North Sea oil and gas supplies are running down, the British are hoping that they may discover exploitable supplies of shale gas in Wales and north-west England. The Poles, who have their own special reasons to fear energy dependence on Russia, also think they have exploitable reserves. Radek Sikorski, the Polish foreign minister, recently visited Houston to talk to the big US energy companies about shale gas.

Even if European reserves are not as promising as some hope, the EU still stands to benefit indirectly from American shale gas. Supplies of liquid natural gas from Africa and the Gulf, which might have gone to the US, are now being redirected to Europe – reducing the Union’s dependence on Russian gas.

The geopolitical effects of all this may be already being felt. In recent months, western officials have noticed a distinctly more friendly tone in their dealings with Russia. The Russians have signed a new nuclear arms reduction treaty with the US, accepted the idea of tougher sanctions on Iran and responded to the air crash on Russian soil that killed the Polish president and his entourage with unexpected openness and sensitivity.

Some western officials attribute this change in tone in the Kremlin to the US altering its position on missile defence; others credit the growing influence of President Dmitry Medvedev. But some think that Russia is already adapting its foreign policy in response to the sharp fall in the price of gas and the shift on world energy markets.

Of course, there are shale gas sceptics. Some veterans of the energy industry point out that there have been false dawns before – miraculous new sources of energy that disappointed in the end. It is true enough that most miracle cures fail – in energy, as in most other walks of life. But it is also true that predictions in the 1970s that the world was « running out » of fuel were disproved by a combination of technological advances and new discoveries – precisely the combination offered by shale gas.

Some environmentalists are also less than delighted by the shale gas revolution. There are concerns about environmental dangers posed to groundwater by the chemicals that are used to extract the shale gas – and such fears will only be heightened by the oil spill off the coast of Louisiana.

In the short term, increased use of gas will make it much easier for the US and Europe to cut emissions of carbon dioxide, because gas is much less polluting than coal. On the other hand, shale gas is still a fossil fuel and produces greenhouse gases. For those environmentalists who dream of a future powered by windmills and solar panels, the dash for gas is a distinctly mixed blessing.

Of course, shale gas cannot be a complete answer to the west’s energy security problems – far less to climate change. But in a world that is not short of bad tidings at the moment, shale gas is a welcome piece of genuinely good news.

Copyright 2010, Financial Times

Pour le cas où Borloo serait nommé (souvenirs, souvenirs)

La France retient son souffle. Son Excellence Sérénissime, ci-devant Président de notre pauvre République, hésiterait. Garder Fillon comme Premier ministre ? Nommer le bon Jean-Louis Borloo ? Je ne sais évidemment rien, n’excluant nullement l’irruption d’un troisième personnage, façon Raymond Barre en 1976 (je parle là pour les vieux schnoques). Me permettra-t-on quelques rappels ? Eh bien, nous sommes au printemps 2007, et Sarkozy vient de triompher. C’est alors qu’entre en piste un personnage démonétisé, qui va porter l’idée du Grenelle de l’Environnement pendant quelques semaines, jusqu’à la rendre crédible. Qui ? Alain Juppé, le maire de Bordeaux. Incroyable ? Vrai. Bien qu’ignorant à peu près tout de ces questions, Juppé a compris, sur un plan strictement intellectuel, que l’écologie devenait un enjeu. Et, ne soyons pas chien, un véritable problème.

D’une façon plus personnelle, il a saisi que ce thème populaire pouvait lui permettre de relancer une carrière politique nationale en panne sèche depuis de longues années. Dès le début de l’année 2007, il est entendu que Juppé, en cas de victoire de Sarkozy, sera ministre de l’Écologie. Ministre d’État. Haut placé dans la rigide hiérarchie officielle. Presque vice-premier ministre en charge du « développement durable ». L’opération est presque parfaite, mais va hélas buter sur cet absurde suffrage universel. Aux législatives qui suivent la victoire de Sarkozy aux présidentielles, ce pauvre Juppé prend un gadin. Désavoué par les électeurs de Bordeaux, il ne peut plus être le numéro deux d’un gouvernement qui promet la Lune aux Français, pour commencer. Il quitte aussitôt son mégaministère. Aïe ! Que faire ? La question a été posée dans le passé par bien d’autres. Sarkozy cherche, et ne trouve pas. Il y aurait bien Nathalie Kosciusko-Morizet, la protégée de Chirac, et qui passe pour être l’écologiste – la seule – de l’UMP. On reviendra sur son cas foutraque, mais en attendant, deux mots suffiront. Et d’un, Sarkozy se méfie profondément d’elle, précisément parce qu’elle a été propulsée par Chirac. Et de deux, il ne la croit pas capable de manœuvrer comme il l’entend ce si prometteur Grenelle de l’Environnement prévu à l’automne 2007.

Tout bien considéré, il ne reste guère que Jean-Louis Borloo. Quoi, ce type mal peigné, mal rasé, qui semble toujours sortir de son lit ? Oui. À cet instant de l’histoire, Borloo est l’archétype du brave garçon, authentique, créatif, imaginatif. Et puis – défense de rire, ce n’est pas le moment -, n’est-il pas l’un des cofondateurs de Génération Écologie en 1990, invention politicienne destinée à empêcher l’émergence des Verts ? Qui oserait voir son autre face, celle du bateleur de foire impénitent ? Qui oserait dire qu’il est aussi un tueur, qui a fait ses classes avec des pros nommés Michel Coencas et Bernard Tapie ? Suivez-moi dans les catacombes.

Au tournant des années 80, Borloo a 30 ans. Jeune avocat, il a la singularité, dans ce milieu, de fort bien connaître le droit des affaires. Nul ne le sait encore, mais la crise économique commence, qui va marquer plusieurs générations. Droite comme gauche cherchent toutes les solutions possibles pour montrer qu’elles agissent. Cela sera la chance de Borloo. Les faillites commencent, et l’avocat aide les patrons à sauver ce qui peut l’être, s’appuyant strictement sur la loi. Rien à dire. Mais en 1982 – les socialistes viennent d’arriver au pouvoir -, Borloo noue un lien décisif avec une banque. Et pas n’importe laquelle. Elle s’appelle SdBO, ou Société de Banque Occidentale, et c’est une filiale du Crédit Lyonnais. Créée en 1981 – grâce à la vague rose socialiste -, la SdBO a le magnifique projet de « réindustrialiser » les entreprises en difficulté. Mais comme c’est noble ! Son directeur général, Pierre Despessailles, a été avant cela président de chambre au tribunal de commerce de Paris. Il a eu à connaître, de très près, la situation d’entreprises en grande difficulté, ce qui va se révéler utile. En outre, cet excellent homme est l’excellent copain d’un certain Bernard Tapie. Pas d’anachronisme : en 1982, Tapie n’est guère qu’un chanteur raté, qui s’est reconverti dans le rachat, pour le franc symbolique, de sociétés à bout de souffle.

Récapitulons : Despessailles, dont on ne sait pas encore qu’il est corrompu, copine avec Tapie, et le présente à Borloo, avocat plein de promesses. On peut parler d’un  coup de foudre, lequel, aux dernières nouvelles, dure toujours. Près de trente ans d’amitié entre Borloo et Tapie, cela réchauffe le cœur. Alors commence une période d’euphorie. La banque banque – prêts à tout va, facilités de toutes sortes – et le duo Tapie-Borloo rachète à tout va, devant les tribunaux de commerce que connaît si bien Despessailles, des ruines industrielles dont certaines se révèleront de purs joyaux. Il serait malhonnête d’oublier un autre personnage, Michel Coencas. Ce ferrailleur de haut vol – il dirigera, au sommet de sa gloire, 59 filiales et 13 000 salariés – se mêle au duo, ce qui en fait, sauf erreur, un trio. L’argent rentre à flots, et transforme les philanthropes en hommes riches. Le magazine américain Forbes classe Borloo parmi les avocats d’affaire les mieux payés au monde, Tapie et Coencas deviennent milliardaires.

Sautons un deux épisodes, pourtant édifiants, et précipitons-nous à Valenciennes pour cinq minutes d’arrêt. À la fin des années 80, cette ville du Nord, de vieille industrie, est sinistrée. La sidérurgie et le textile ont disparu de concert, entraînant la cité dans un terrible déclin. Borloo, qui semble avoir épuisé les charmes sulfureux d’achats industriels pour le franc symbolique, se lance en politique. Il a vaguement été maoïste dans sa jeunesse, et il est parvenu – on le félicite – à saluer le président Mao en personne, au même moment qu’une flopée d’autres maolâtres. En 1989, il n’est plus de gauche, il n’est pas de droite, quoique. Valenciennes est à prendre, et Borloo en devient le maire cette année-là, probablement pour des motifs  dont il n’y a pas de raison de douter. Tout indique que sa face lumineuse a trouvé là l’occasion d’exprimer une réelle compassion pour ceux qui souffrent et serrent les dents. On ne peut d’ailleurs exclure une sorte de tentative de rachat moral après tant d’années passées à la barre des tribunaux de commerce.

Valenciennes. Borloo va y retrouver comme par miracle ses deux compagnons de travail, Tapie et Coencas. Peut-être vous souvenez-vous du match truqué qui oppose le club de Valenciennes VA et celui de Marseille, le 20 mai 1993 ? Par sécurité, rappelons les faits. L’OM, le club marseillais, prépare une finale de coupe européenne contre Milan AC, huit jours plus tard, et ne souhaite pas fatiguer inutilement ses joueurs. Marseille, c’est l’Olympe, sans jeu de mots, et VA un pauvre club de province qu’il doit être possible d’acheter avec des cacahuètes. Ce qui se produit bel et bien. Tapie donne l’ordre de corrompre des joueurs du VA, de manière à ce qu’ils laissent gagner l’OM. Le résultat est acquis, mais la funeste moralité du jour valenciennois Jacques Glassmann conduit droit à une enquête judiciaire qui prouvera l’achat de joueurs par Marseille.

C’est le moment de se souvenir. Qui est le patron de l’OM ? Bernard Tapie, finalement condamné à deux ans de prison, dont un ferme. Mais qui préside le club VA au même moment ? Michel Coencas, que Borloo a fait venir à Valenciennes, probablement en souvenir du bon vieux temps. Attention, et ce n’est pas pure forme : dans cette affaire, seul Tapie a été mis en accusation. Rien ne permet de penser que Coencas ou Borloo étaient au courant de quoi que ce soit. Il reste que ce match d’anthologie, par un curieux hasard, rassemble dans une seule main le maire de la ville et les deux responsables des clubs concernés.

Est-ce bien tout ? Non. Certes, et j’y insiste, Borloo n’a été mis en cause dans aucune affaire judiciaire, ce qui en fait, et il n’y a pas d’arrière-pensée, un innocent. Mais on peut, mais on doit écrire que Tapie, Coencas, et ce si brave directeur de la banque SdBO ont tous été lourdement condamnés pour différents délits graves. Tapie pour corruption, fraude fiscale, faux, usage et recel de faux, abus de confiance abus de biens sociaux, banqueroute. Coencas ira trois fois en prison entre 1995 et 2006, poursuivi notamment pour escroquerie et abus de biens sociaux. Quant à Pierre Despessailles, le directeur de la SdBO, il est mort avant de connaître les foudres de la justice. Je cite une dépêche AFP du 15 octobre 2009 : « En première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait jugé 13 administrateurs et mandataires judiciaires dans cette affaire où le corrupteur présumé, l’ancien directeur général de la SDBO, Pierre Despessailles, est mort et l’action publique à son encontre est éteinte. Ce banquier était soupçonné d’avoir conçu un “pacte de corruption” afin d’inciter les prévenus à placer à la SDBO les fonds des sociétés en difficulté ou en liquidation dont ils s’occupaient, ainsi que leurs revenus professionnels. En échange, ces auxiliaires de justice installés en région parisienne auraient obtenu entre 1982 et 1996 des prêts, dont certains de plusieurs millions de francs, à des taux préférentiels pour l’époque (de 0 à 6%) ».

Remarquons ensemble combien la justice peut prendre son temps quand cela lui convient. Une condamnation définitive en 2009, quand les faits remontent, pour les premiers, à 1982, 27 ans avant. Mais quelle prévenance ! Et ajoutons pour faire le compte que la SdBO a commencé ses magouilles dès 1982. L’année où son directeur Despessailles met en contact Tapie et Borloo. Encore une fois, ne jouons pas avec la loi. Rien n’indique, chez Borloo, le moindre délit. Mais tout montre qu’il a fréquenté et fréquente encore des gens habitués à toutes les ruses, acrobaties et trucages financiers.  Sans que cela le gêne plus que cela, puisqu’il fréquente toujours et Tapie et Coencas. Peut-être vaut-il mieux connaître ces menus détails avant de continuer le chemin.

Question : Jean-Louis Borloo n’aura-t-il pas été marqué, bien malgré lui, par une décennie de fréquentations constantes avec de si braves personnes ? L’hypothèse n’est pas folle, comme on va en juger de suite. Et pour l’occasion, on se contentera d’un exemple presque anodin, celui des maisons magiques à 100 000 euros. Commençons par un arrêt qui n’a rien de symbolique, à l’extrême fin de 2001. Borloo est « déçu » par la politique. Il est, confie-t-il aux gazettes (L’Expansion du 20 décembre 2001) ruiné par Valenciennes, ville dans laquelle il aurait investi et perdu beaucoup d’argent personnel. Il laissera d’ailleurs tomber son poste de maire en 2002. Dans le même temps, il est tout de même le porte-parole d’un certain François Bayrou, candidat aux élections présidentielles prévues au printemps 2002. On a connu plus ferme appui, car Borloo ne cache pas qu’il soutient Bayrou un peu comme la corde soutient le pendu. Pour parler comme Nanar Tapie, son vieux pote, Borloo taille costard sur costard à Bayrou, qui n’en peut mais. Il a 50 ans, et jure qu’il va recommencer le grand tour des tribunaux de commerce, et enfiler de nouveau la cape noire d’avocat d’affaires. Ne vient-il pas de tourner autour du dossier de reprise de Moulinex, qui a dépose son bilan en septembre 2001 ?

Que penser de tout cela ? Au moins que la fréquentation assidue de Tapie et Coencas, mœurs incluses, ne l’a pas dégoûté des affaires. Et c’est heureux, n’est-ce pas ? Mais le coup de blues ne dure qu’un mois. Après avoir lâché en rase campagne ce pauvre Bayrou, Borloo remonte sur son cheval, et devient ministre de la Ville en 2002, puis de l’Emploi, puis du Logement. Arrêtons-nous une seconde : nous sommes en 2005, et notre bon garçon annonce le 25 octobre vouloir construire  20 000 à 30 000 « maisons à 100 000 euros » par an. Voilà une intention sociale indiscutable. Aidés par l’État, des dizaines, des centaines de milliers de « vraies gens », modestes en diable, vont pouvoir devenir propriétaires.

Comme on respire déjà mieux ! Le dispositif, auquel « tous les maires » doivent donner la main, permettra d’offrir « aux ménages les plus modestes » des maisons « respectant des normes strictes en matière de développement durable », assurant au passage « des économies d’énergie ». Ce n’est pas encore le Grenelle, mais on s’en approche gentiment. Une telle initiative mérite, cela va sans dire, les journaux télévisés du soir, la grande presse, de longs interviews. S’il est une chose qu’on ne contestera pas à Borloo, c’est son (grand) art de la mise en scène médiatique. Je ne sais combien d’articles cette opération de bluff aura suscités, mais je dirais avec retenue  : beaucoup. Le mot bluff est-il ici déplacé ? Abritons-nous sous l’ombre vertueuse du Figaro, assez peu suspect de nuire aux droites gouvernementales. Édition du 29 janvier  2008, et citation : « Fin 2005, Jean-Louis Borloo lançait à grand renfort de communication la maison à 100 000 euros. Entre 20 000 et 30 000 de ces habitations devaient sortir de terre chaque année en faveur du logement social. De quoi satisfaire les 87% de Français déclarant que l’accès à la propriété est une priorité. Plus de deux ans après ces déclarations, le bilan est catastrophique. “Actuellement, quatre maisons ont vu le jour”, déclare l’Association française pour l’accession à la propriété (Afap), baptisée un temps “Association des maisons à 100 000 euros” ».

Mais qui s’intéresse alors à cet entrefilet ? Au même moment ou presque, Borloo, devenu ministre de l’Écologie, se baigne à Bali (Indonésie), toujours sous l’objectif des caméras. Il n’est plus question de maisonnettes pour les pauvres, car on considère désormais, d’un vaste regard circulaire, les si lourdes affaires de la planète. Si Jean-Louis – allons, autorisons-nous cette familiarité – plonge dans l’océan le 13 décembre 2007, en marge de négociations internationales sur la question climatique, c’est pour réimplanter un morceau de corail sur un massif malmené. En tout point charmant. Borloo prétendra que l’opération n’était pas prévue au programme – télés, radios, journaux étaient bien entendu présents – et pour preuve, prétendra ne pas disposer de maillot de bain ad hoc. On verra donc le ministre, qui pilote le Grenelle de l’Environnement – nous y sommes – depuis septembre, sauter à l’eau en caleçon bleu. Bleu comme la mer. Comme c’est beau.

Au fait, Borloo est-il écologiste ? Il faut bien dire deux mots de la création croquignolette de Génération Écologie, en 1990. L’année précédente, aux élections européennes du 10 juin 1989, les Verts, conduits par Antoine Waechter, ont obtenu 10,59 % des voix. Il est de bon ton, dans les journaux, de moquer Waechter au profit du flamboyant Cohn-Bendit. Le premier serait un nain, le second un grand politique. La réalité est un peu différente, même si la mémoire est totalement absente des « analyses » politiques habituelles. Le fait est, pourtant, que Cohn-Bendit, dix ans plus tard – le 13 juin 1999 – n’aura fait, lui, que 9,72 %. Mais il passe si bien à la télé.

En 1989, l’étonnante percée électorale des Verts fait résonner une vilaine musique aux oreilles du président, qui s’appelle alors François Mitterrand. Ce manœuvrier hors pair est parvenu au pouvoir grâce à l’affaiblissement du parti communiste, dont il aura toute sa vie préparé la disparition. Ses réflexes politiques, jusqu’à la fin de sa vie, l’auront toujours conduit à flairer, à redouter la concurrence. Les Verts étaient-ils un nouveau signal ? Le temps du parti socialiste, sa chose, approchait-il de son terme ? Mitterrand était trop fin pour croire que l’on pouvait arrêter un mouvement historique par la ruse. Au reste, comment distinguer, à distance, l’écume et la vague ? Dans le doute, on pouvait toujours espérer retarder les échéances. Et c’est ce qu’il fit.

De la même façon qu’il manipula le mouvement des jeunes immigrés au début des années 80, propulsant le duo Harlem Désir-Julien Dray, « créateurs » de SOS-Racisme, il poussa Brice Lalonde à créer Génération Écologie. Un mot sur Lalonde, membre du PSU – alors parti soixante-huitard – au début des années 70, qui fut écolo pendant une décennie,avant d’évoluer de plus en plus vite vers la droite, devenant ces dernières années un proche de l’ultralibéral Alain Madelin. On reviendra sur son cas, qui ne manque pas d’un certain intérêt. En 1990, donc, Génération Écologie. Lalonde a été nommé sous-ministre à l’Environnement en 1988, puis ministre délégué en 1990, justement. Il n’est pas lieu ici de raconter comment ce parti fictionnel fut installé sur la scène médiatique. Le fait est qu’aux régionales de 1992, il fit à peu près jeu égal avec les Verts, les deux mouvements approchant 14 %, quand les socialistes ne dépassaient guère 18 %. Mitterrand avait vu juste : il y avait bien le feu au lac.

Ajoutons un ultime détail, qui ne manque pas de fraîcheur rétrospective : parmi les fondateurs de Génération Écologie, tout proche alors de Lalonde, un certain Jean-Louis Borloo. Ce n’est pas que rigolo, car ce lointain engagement politicien permet encore à ce dernier d’exciper d’une profonde préoccupation pour la planète. Bien entendu – mais qui sera surpris ? -, Borloo ne s’est jamais souvenu, en vingt ans, qu’il avait aidé Lalonde dans une énième « coup », cette fois au service de Mitterrand qui venait d’être réélu pour sept ans, bouchant l’avenir politique à droite.

Je gage donc que Jean-Louis Borloo se moque éperdument du sort des écosystèmes. Et il n’est pas besoin de courir bien loin pour le prouver. Lorsque Sarkozy est élu président de la République le 6 mai 2007, Borloo se retrouve donc au gouvernement. Pour y défendre les rivières, les sols, les forêts, les ours, les baleines, pour y pourfendre les industriels irresponsables qui préfèrent leurs profits au maintien des équilibres essentiels ? Euh non. Borloo est nommé le 18 mai ministre de l’Économie. Un poste décisif, un marchepied pour parvenir au poste de Premier ministre, qui fascine et obsède le grand écologiste. Tout est bien. La place est belle, elle est superbe, mais elle ne sera octroyée que quelques courtes semaines.

Car, comme je l’ai raconté plus haut, ce pauvre Juppé a été balayé aux législatives par les électeurs de Bordeaux, et doit quitter le gouvernement avant d’avoir pu déballer ses affaires. Quand Sarkozy décide finalement de proposer le poste de ministre de l’Écologie à Borloo, celui-ci se cabre. Il aurait même, dans un premier temps, refusé ! Je ne suis pas, pas encore une petite souris, et ne peux garantir ce dernier point. Mais une personne proche du dossier, comme disent les gens sérieux, m’en a fait la confidence. Baste ! ce n’est pas essentiel. Voilà où nous en sommes, et préparez vos mouchoirs.

 

« J’suis cocu, mais content », air connu (le triste Grenelle)

Je ne sais plus si je dois les plaindre ou les vomir. Peut-on faire les deux ? En ce cas, je prends. Les pauvres marionnettes écologistes du Grenelle de l’Environnement pendent encore par leurs ficelles, mais cette fois dans le vide. Dernier camouflet en date : Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture industrielle. Ce triste sire, qui s’est vendu pour une bouchée de pain aux pesticides à Sarkozy, après avoir servi Villepin, vient tout simplement d’énoncer une vérité élémentaire, et c’est que l’écologie peut aller se faire foutre.

Je cite une dépêche de l’AFP : « Le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire souhaite « une pause en matière de règles environnementales », a-t-il déclaré dans une interview au quotidien Ouest-France daté de lundi. « Nous devons adapter un certain nombre d’objectifs qui ne sont plus atteignables », a affirmé Bruno Le Maire, interrogé sur la capacité de l’agriculture à tenir les objectifs du Grenelle de l’environnement, qui prévoit notamment un renforcement de l’encadrement des produits phytosanitaires. Le ministre demande « une pause en matière de règles environnementales pour laisser le temps aux paysans français de mettre en place ce qui a déjà été décidé, plutôt que de rajouter toujours plus de règles qu’ils n’arriveront pas à suivre dans l’état actuel ». « L’agriculture française est en convalescence. Ne freinons pas son redémarrage », a expliqué M. Le Maire ».

Je suis navré de devoir l’écrire, mais mon ami François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF), a pour l’occasion publié un bien triste communiqué, dont j’extrais ces lignes : « Nous exigeons de M. le ministre une re?affirmation forte des objectifs pris dans le cadre du Grenelle, il en va de la cre?dibilite? de la France en matie?re d’agriculture et d’environnement. Nous attendons aussi de M.Borloo, Ministre de l’Ecologie ainsi que de la Secre?taire d’Etat a? l’e?cologie, Mme Jouanno, une telle re?affirmation ». C’est pathétique. Je dois rappeler que l’objectif dérisoire consenti par nos maîtres au Grenelle était celui-ci : une re?duction de 50% des pesticides a? l’horizon 2018, à la condition expresse que d’autres solutions existent. Et sinon, balle-peau. Mais même cet objectif grotesque – les pesticides sont-ils, oui ou non, un poison massif pour tous les organismes vivants ? – était de trop pour les marchands de mort.

Donc, Le Maire s’est couché, ce qu’il adore faire. Évidemment, il l’a fait sur ordre. De Sarkozy, qui prépare 2012 et cajole en conséquence les « publics spécifiques » chers à Chantal Jouanno (ici, un film comique). Les écologistes officiels sont donc cocus, et ridicules. Je me permets de dire que je déteste en fait le mot de cocu, mais il me paraît s’imposer dans ce climat loufoque digne des pièces de Feydeau. Les portes claquent, les médailles – la Légion d’honneur est partout -, s’envolent, les ministresses s’éventent, les placards sont pleins de surprises, et pas seulement d’amants cachés. Même le WWF, artisan clé des si glorieux « Accords du Grenelle de l’Environnement », fronce les sourcils. Ah ça, nous aurait-on menés en bateau ? Eh non, grands chefs écologistes, c’est vous qui avez mené la société en balade, avant de l’abandonner au fond des bois.

Le WWF, j’y reviens, est exemplaire (lire ici). Serge Orru, le directeur, et Isabelle Autissier, la présidente, font les gros yeux. Le premier : « Si l’objectif d’une réduction de 50% des pesticides d’ici 2018 était remis en cause, ce serait proprement irresponsable : il en va de la santé de dizaine de milliers d’agriculteurs. Nous appelons le président de la République à confirmer son engagement sur cet objectif ». Et la seconde : « Ce n’est pas avec de tels assouplissements que le France échappera aux condamnations pour non respect des objectifs européens ». Ouh là là ! Je sens que Sarkozy va prendre peur, et revenir à son engagement écologiste de toujours. Il aura été trompé par de mauvais ministres, comme tant d’autres avant lui. Plus sérieusement, les associations écologistes officielles sont plongées dans une merde qu’elles ont elles-mêmes pelletée. Incapables de la moindre analyse sérieuse de notre société, tenues en laisse de multiples manières, dépourvues du moindre relais réel dans la société, elles se réfugient comme de juste dans le virtuel d’Internet et les ronds de jambes endimanchés.

Cela durera ce que cela durera. Faire disparaître ces très mauvais instruments du combat écologiste est hors de portée. Mais on peut en tout cas se préparer. Mais on peut, mais on doit en attendant parler sans avoir peur. Sans reculer. Sans bredouiller. C’est la honte, voilà tout ce que je peux dire.