Archives de catégorie : Pouvoir et démocratie

Kofi Annan raconte n’importe quoi (sur la misère et la faim)

À New York, nouvelle palabre mondiale autour de la misère et de la faim. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ne seront évidemment pas atteints. Sarkozy va au restaurant et pérore. Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, montre en toutes lettres son abyssale ignorance. Y a de la joie.

Comme c’est chiant à écrire ! Comme j’aimerais écrire autre chose ! Énième raout, dix millième embrassade, mille millionième entretien avec l’un des supposés grands de ce monde. À propos de la faim et de l’abjecte misère qui l’accompagne. Au sujet de la mort programmée, froidement assumée, de millions d’êtres aussi intéressants que vous et moi. Vous le savez, 192 chefs d’État et de gouvernement sont réunis à New York pour un sommet censé faire le bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) annoncés en 2000 par l’ONU. Il s’agit, il s’agirait, il se serait agi de « réduire de moitié la pauvreté extrême dans le monde d’ici 2015 ». Et tant qu’on y est, de combattre le sida, favoriser l’éducation, promouvoir l’égalité entre les sexes, réduire la mortalité infantile, et faire du shopping à New York.

Ce dernier point est à peine inventé. Notre illustrissime Sarkozy est arrivé deux jours avant la grande réunion avec madame, et l’on a pu les voir sortant du restaurant français Amaranth où, comme par hasard, des photographes les attendaient. Madame adore positivement New York, où elle est parvenue à entraîner son cher mari plusieurs fois depuis leur mariage. C’est magnifique. Comme il se doit, ragaillardi par l’ambiance locale, Sarkozy est allé faire son discours préfabriqué par quelque sbire. Je vous recommande chaudement la lecture du papier du Figaro (ici), dont le titre est déjà une merveille : « Sarkozy mobilise l’ONU contre la pauvreté ». Eh bien, quelle fierté dans notre petit cœur national. La France va une nouvelle fois terrasser le dragon. Notre président propose une taxe mondiale sur les transactions financières. Hi, hi ! Je n’ai pas même la force de rappeler toutes ses fadaises, notamment sa si forte volonté de moraliser le capitalisme et de faire disparaître en fronçant les sourcils les paradis fiscaux. Je n’ai pas davantage d’énergie pour rappeler les mots de la droite, la sienne, contre la taxe Tobin, imaginée dès 1972, avant d’être reprise par les altermondialistes en 1998. Bah, vous savez, tout.

Bien évidemment, cette réunion de New York est une immense foutaise. Les pauvres, les vrais miséreux de ce monde atroce, vont continuer à crever la gueule ouverte. J’ajouterais qu’il existe un consensus caché, car inavouable, et même impensé, sur la question de la faim. Je ne dis pas que tous le partagent. Je dis, au risque de choquer, que seul un racisme des profondeurs permet de comprendre un peu moins mal pourquoi rien n’est fait. De vous à moi, et je préfère ne pas insister, laisserions-nous mourir de faim des millions de gosses blancs ? Tant que nous n’aurons pas examiné jusqu’au tréfonds des consciences ce qui a pu fonder l’esclavage et les conquêtes coloniales, nous en resterons là. Et nous en restons donc là. Un mot sur la situation en cours. L’accaparement de millions d’hectares de terres agricoles pour le besoin d’États solvables ou de transnationales, dans les pays les plus pauvres, ne peut qu’aggraver la faim. Le boom écœurant des biocarburants, qui consiste à changer des plantes alimentaires en carburant, ne peut qu’aggraver la faim. Le reste n’est que foutue hypocrisie. Ne me dites pas que vous l’ignorez.

Je viens de lire une tribune de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, dans le journal Libération (ici). Misère ! Quelle nullité crasse !  Je pioche au milieu du néant. Premier extrait : « Je crains que ces obstacles transforment le sommet sur les OMD en un exercice futile, ponctué de grands discours et de promesses soigneusement formulées, mais suivi de peu d’actions significatives. Plusieurs donateurs importants ont déjà revu leurs engagements ou ont relâché leurs efforts, invoquant une gamme de raisons allant des doutes sur l’efficacité de l’aide au besoin d’un accord global providentiel ». Ô le bel arnaqueur ! Il a dirigé l’ONU entre 1997 et 2006, et il n’aura rien vu venir ? Et il n’aura rien dit. Cette connerie d’OMD, mais c’est SA chose. C’est sous son règne que l’ONU a inventé cette bluette censée calmer notre si sincère conscience. Deuxième extrait : « Le message doit être clair. Réaliser les OMD n’est pas une option, mais bien une nécessité. Celle d’investir pour un monde plus sûr, plus humain et plus prospère ». Même commentaire, auquel j’ajoute que la langue bureaucratique est en soi un mensonge.

Lisant ce si vilain papier signé Annan, je suis tombé sur une invraisemblable erreur. Une erreur qui en dit si long sur l’ignorance du grand personnage. Citant quelques progrès malgré tout obtenus, Annan écrit : « Nous avons vu les taux d’inscription à l’école pratiquement doubler en Ethiopie et en Tanzanie, et des pays comme le Malawi et l’Algérie passer du statut d’importateurs de produits alimentaires à celui d’exportateurs ». J’ai aussitôt bondi, car si je ne sais à peu près rien du Malawi, je connais assez la situation de l’Algérie pour avoir immédiatement saisi que Kofi Annan racontait n’importe quoi. Lisez plutôt ce qui suit (ici), qui date de 2008 : « L ’Algérie est aujourd’hui le premier importateur africain de denrées alimentaires, avec 75% de ses besoins assurés par les importations. L’insuffisance de la production agricole algérienne, couplée à une demande massive et croissante de produits agroalimentaires, fait de l’Algérie un pays structurellement importateur. De façon générale, les importations algériennes ont augmenté de 42% en 2008 par rapport à 2007. Dans le même temps, les importations alimentaires ont affiché une croissance supérieure à 55%, pour atteindre 7,7 Mds USD, soit le 3ème poste d’importation de l’Algérie en 2008 ».

Il est vrai qu’entre janvier et mai 2010, les importations alimentaires de l’Algérie ont baissé, mais à la suite de mesures étatiques et douanières. Lesquelles ne changent rien au fait que l’Algérie est et restera un importateur massif de nourriture. Donc, Annan déconne, à pleins tubes, à propos d’un pays majeur de la scène internationale. Que peut-il en être, dans ces conditions, du Malawi ? Je pose respectueusement la question. Et au-delà, je crois devoir écrire que je ne donnerai plus jamais ma voix à qui ne mettrait pas en avant, comme priorité absolue, la lutte véritable contre la misère. Oui, je pense au milliard d’humains qui n’ont rien à manger sur une terre où tant se goinfrent. J’y pense en me rasant. J’y pense quand je ne me rase pas. On ne risque pas de me voir à la sortie d’un isoloir en 2012.

Statistiques et salopards (sur la faim)

Je ne sais pas. Je ne peux rien garantir. D’ailleurs, il n’y a rien à garantir. Seulement, la FAO, cette agence de l’ONU bureaucratisée jusqu’à l’os, infestée par les grands lobbies industriels, vient de proclamer à la face du monde que les affamés chroniques seraient passés de 1,023 milliard en 2009 à 925 millions en 2010 (ici). Ces chiffres sont absurdes, ils sont à la fois politiques et criminels, bien que repris par la totalité de la presse française. Absurdes, car nous sommes le 15 septembre, et comment oser tirer un bilan de cette nature, foutus bureaucrates, sur moins des trois quarts d’une année ? Criminels, car même s’ils étaient vrais – et ils sont faux -, ils ne pourraient que conduire à démobiliser le peu qui se lève contre cette lèpre universelle. Or, de l’aveu même des crapules – je répète, crapules, de la FAO – cette diminution providentielle apparaît après  quinze années d’augmentation constante.

Tout cela n’est que bluff abject. Savoir qui a faim est une entreprise colossale, qui implique l’envoi de milliers de gens de bonne foi, militants et honnêtes, dans les villages des trous du cul du monde, où personne n’ira jamais. Évidemment, la FAO ne s’appuie que sur des courbes et statistiques, des tableaux qui ne disent rien sur rien. C’est lamentable. Je n’insiste même pas, car mon écœurement est sans bornes. La vraie raison de ce ramdam médiatique est que les bureaucrates qui ont le cul vissé sur leur si confortable fauteuil, Viale delle Terme di Caracalla, au siège romain de la FAO, ont besoin de chiffres pour continuer à jouir de secrétariats, de voitures climatisées avec chauffeurs, de notes de frais arrosées de grappa. La FAO, en sa munificence, a promis de réduire de moitié le nombre des affamés à l’horizon 2015. Les chiffres doivent suivre. Et ils suivront. Parce qu’il le faut bien.

Par ailleurs, je vous laisse lire  le début d’un article de Peuples solidaires ( la suite ici). Il n’y a pas de commentaire.

Kenya : Carburant contre paysans

En janvier 2010, les populations de la région de Malindi sont alertées par des fumées inhabituelles émanant de la forêt de Dakatcha. Elles comprennent que des bulldozers ont commencé à raser les arbres : une entreprise étrangère vient d’obtenir l’accord des autorités pour exploiter 50 000 hectares de terres afin de produire du jatropha, une plante dont l’huile sera utilisée comme carburant. Vingt mille personnes pourraient être déplacées et l’équilibre écologique de la région est menacé.
Ce projet est emblématique d’un phénomène global : l’accaparement des terres pour la production d’agrocarburants, dont l’impact sur la faim dans le monde et le climat risque d’être catastrophique. Il est donc essentiel de soutenir les organisations kenyanes qui se mobilisent face à cette situation.

Au Kenya, comme ailleurs en Afrique, le gouvernement est aujourd’hui partagé entre deux politiques contradictoires : d’un côté, il renforce les droits des communautés à cultiver leurs terres ; de l’autre, il cède aux appétits d’entreprises et Etats qui veulent exploiter ces mêmes parcelles.

Ainsi, dans la région côtière de Malindi, le gouvernement vient de confier 50 000 hectares de terres à une entreprise privée qui projette de raser une forêt de 30 000 hectares et d’exploiter les terres des communautés locales. D’après ActionAid Kenya, 20 000 personnes seraient affectées et éventuellement déplacées. Parmi elles, de nombreux paysans dont les productions vivrières nourrissent la population et une communauté indigène, les Wa Sanya, qui vit de la chasse et de la cueillette.

Brice Lalonde serviteur du faux (Rio 2012)

Ce qui suit est une reprise d’un article publié mercredi passé dans Charlie-Hebdo. J’écris dans ce journal, oui. Entre autres. Et ce n’est pas de la pub, car cela dure depuis une année environ, et vous êtes assez grands pour savoir ce que vous voulez. Si je publie de nouveau ce texte, c’est qu’il annonce, je l’espère du moins, une mobilisation exceptionnelle contre le Sommet de la terre prévu en 2012 à Rio, vingt ans après celui de 1992. Ce qui se prépare, ce qui se jouera, c’est la parole publique légitime autour de la crise écologique. Il y a  ceux comme Brice Lalonde, d’ores et déjà couchés devant le capitalisme vert, qui nous assure de nouveaux désastres. Et les autres, dont je suis. Puis-je vous demander de parler de tout cela autour de vous ? Je crois que se prépare un grand combat, une bagarre que nous ne pouvons pas perdre. Peut-on parler d’une priorité ? Il faut en faire LA priorité des prochains mois. Beaucoup ici se demandent quand et comment se lever ensemble. Voilà une occasion unique.

L’affaire semble crétine en diable, mais elle est si passionnante en vérité que l’on ne tardera pas à en reparler. Brice Lalonde, ci-devant écolo, sarkozyste de choc, vient d’être discrètement désigné par les Nations Unies pour organiser le Sommet de la terre 2012 de Rio, vingt ans après le premier. Et notre bon maître à tous n’est pas étranger à la combinazione.

Mais d’abord, un rappel rapide de la carrière d’un si gentil garçon. Écolo dans l’après-68, tendance PSU, Lalonde passe ensuite quinze ans à freiner l’émergence des Verts puis à tenter de les casser. Un beau travail d’expert. Ainsi, en 1984, il présente une liste aux Européennes contre les Verts, qui viennent de naître, en compagnie d’un ancien ministre de droite, le sublime Olivier Stirn. Comme il est élu de Normandie, ce dernier est également appelé « L’andouille de Vire ». Serait-ce une allusion ?

En 1989, Mitterrand appelle Lalonde au gouvernement pour faire semblant de s’occuper d’écologie, mais surtout pour concurrencer les Verts, qui viennent d’obtenir 10,59 % des voix aux Européennes. Commence une époque épique pour Lalonde, qui monte avec Jean-Louis Borloo – lui-même – une grande opération de diversion connue sous le nom de « Génération Écologie » ou GE. Aux régionales de 1992, GE fait à peu près jeu égal avec les Verts, ce qui arrache des sanglots de joie au vieux Mitterrand, qui déteste l’écologie.

Lalonde est déjà reparti ailleurs. La gauche ne plaît plus au monsieur, qui appelle à voter Chirac en 1995, puis s’acoquine dans la foulée avec l’ultralibéral Alain Madelin. Madelin, c’est du lourd. Le 13 mai 1986, 15 jours après Tchernobyl, il déclare, alors qu’il est ministre de l’Industrie : « Dans cette affaire du nucléaire, il faut jouer la transparence. Il n’y a eu aucun maillon faible dans la sécurité des Français ». Presque aussi beau que le coup du nuage arrêté à la frontière.

En 1995, à peine ministre des Finances, il réclame une réforme des retraites plus radicale que celle de Sarko aujourd’hui. En 1998, ayant conquis le Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, il refuse de condamner Million et Blanc, qui se sont allié à Le Pen pour gagner les régionales à Lyon et Montpellier. Bien entendu, il soutient avec vigueur Bush et son intervention en Irak. Un sans faute.

Et notre Lalonde ? Il ne jure plus que par l’industrie, très grosse de préférence, et se désintéresse peu à peu de la politique. Il laisse tomber Génération Écologie, petite entreprise en difficulté, et disparaît de la scène. Jusqu’à l’été 2007, quand commence la belle mise en scène du « Grenelle de l’Environnement ». Coup de fil de son vieux copain Borloo, devenu chef cuistot à l’Élysée. Le ministre de l’Écologie lui propose un poste taillé sur mesure, celui d’« ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». Lalonde remonte en selle et parcourt le monde en avion pour préparer le sommet climatique de Copenhague, en décembre 2009, dont Sarkozy attend beaucoup.

Mais cela foire, et en grand. Les petits bras blancs du président n’ayant pas suffi à sauver le monde, Lalonde se retrouve à la tête d’un poste inutile. Fini ? Mais non, les amis ! Les réseaux élyséens s’agitent en coulisses pour une nouvelle manœuvre auprès des Nations Unies, qui vient de réussir : Lalonde va donc préparer officiellement le grand Sommet de la terre de dans deux ans, qui occupera une bonne part de l’espace médiatique au printemps 2012.

Tout cela relève-t-il d’un heureux hasard ? Euh, non : Sarkozy entend utiliser Lalonde pour montrer au moment des présidentielles, épaulé par un Borloo aux anges, que la droite est non seulement écologiste, mais aussi planétaire. Le coup marchera-t-il ? Pour l’instant, on s’en fout. Mais il faut ajouter deux ou trois bricoles sur l’arrière-plan des festivités de Rio. L’édition 2012 devrait consacrer pour un bon bout de temps le triomphe du « capitalisme vert ».

Qu’est-ce que c’est ? De la peinture. Du ripolinage. Ce qu’on appelle en Amérique du greenwashing, c’est-à-dire l’art éternel d’entuber le beau monde. Un, on lance sur le marché l’expression « développement durable », dont la vraie traduction est business as usual. Deux, on occupe les places qui comptent. Trois, on applaudit. De 1972 à 1992, du premier sommet de la terre de Stockholm à celui de Rio première manière, le grand organisateur de ces rendez-vous « écolos » s’appelait Maurice Strong, fascinant personnage lié de tout temps à l’industrie pétrolière. Adjoint du même dès la fin des années 80 : le Suisse Stephan Schmidheiny, alors patron d’une transnationale de l’amiante, Eternit, qui a tué les prolos par milliers. Lalonde s’inscrit à la perfection dans la tradition. Rio 2012 ? Un grand moment du faux.

Ce si pauvre uranium appauvri

C’est l’été nucléaire. Logique : après l’hiver du même nom, l’été. Brûlent les terres de toutes les Russies, et meurent les enfants de Falloujah. Cette ville irakienne d’environ 300 000 habitants, à 70 kilomètres à l’ouest de Bagdad, est bordée par l’Euphrate. Faut-il vraiment vous rappeler que ce fleuve est l’un des lieux d’origine de notre belle civilisation ? Faut-il rappeler que Turcs, Persans, Kurdes, Arabes, Arméniens lui donnent un nom différent ? L’Euphrátês des Grecs de l’Antiquité devrait être notre flambeau, il est notre honte.

En 2004, un an après la si glorieuse invasion américaine, la ville est aux mains d’insurgés fondamentalistes, qui défient l’ordre nouveau à coup de massacres et de bombes. Dans la nuit du 6 au 7 novembre, les troupes américaines y lancent l’opération Phantom Fury, qui durera un peu plus de trois semaines. Les fantoches de l’armée irakienne servent de supplétifs à la reconquête du bastion extrémiste. Chacun sait alors, et les Américains mieux que personne, qu’une part importante de la population civile est demeurée en ville. Mais Falloujah est un symbole, et les symboles doivent être traités comme tels. Rien de tel qu’une bonne préparation d’artillerie contre des écoles, des immeubles, des dispensaires et des mosquées. Il est établi depuis des années que la soldatesque étasunienne – entre 10 000 et 15 000 soldats suréquipés – a bombardé massivement une ville, utilisant notamment des obus au phosphore blanc, qui vitrifient sur place leurs victimes. Il est probable que du napalm, en théorie interdit, a également servi à nettoyer les rues. Charmant, le napalm, il suffit de demander aux Vietnamiens rescapés des folles années 60 et 70 du siècle passé.

Ce qu’on vient d’apprendre ajoute à la fraîcheur de ces événements. Un article (lire ici) publié dans International Journal of Environnemental Research and Public Health démontre par des chiffres précis que Falloujah a été le théâtre de crimes contre l’homme. Contre l’humanité, si vous préférez, et au diable les simagrées juridiques ! Entre 2005 et 2009, le risque relatif de développer un cancer était 4,22 fois plus élevé dans la ville irakienne qu’en Égypte par exemple. Et 12,6 fois chez les moins de 14 ans, ce qui explique en partie une mortalité infantile quatre fois plus forte que dans les pays voisins ! Ajoutons que les cancers constatés semblent bien proches de ceux observés dans la ville japonaise d’Hiroshima après la bombe de 1945. Enfin, et comme à Hiroshima, le nombre de garçons a brutalement chuté après 2005.

C’est un constat, qui n’explique rien des causes de ce massacre silencieux. Mais tout concorde pour désigner un coupable possible et même infiniment probable : l’uranium appauvri ( lire ici). Cet uranium-là est utilisé dans les charges d’obus destinés à percer les blindages les plus épais et les bunkers de béton. L’Amérique vertueuse, évangéliste, puritaine et criminelle de mister W. Bush, maintes fois accusée depuis six ans d’utiliser ce matériau radioactif, ne s’en est que mollement défendue. Pardi ! Quelle armée se priverait d’un si merveilleux instrument de destruction ? Croyez-vous sérieusement que la France des droits de l’homme fait exception ? Les armées de l’Otan n’ont-elles pas massivement utilisé des obus de ce type dans l’ancienne Yougoslavie ? La règle d’or des militaires a toujours été de tester ses nouveautés in the field, sur le terrain même d’opération.

Voilà donc. Presque rien. Des gosses qui meurent. Des familles qui pleurent. De bon Chrétiens qui continuent d’aller à la messe le dimanche, la main bien placée sur le cœur. Rien d’autre que notre monde en action. Et cette nausée authentique qui me prend au moment où j’écris ces lignes. Que se passe-t-il en Afghanistan, bande de salauds ?

On se lève tous (contre Notre-Dame-des-Landes)

C’est un test, un test que je crois décisif. La question est celle-ci : saurons-nous, collectivement, nous opposer à cette lamentable sottise connue sous le nom d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (lire notamment ici) ? Il est des dossiers qui symbolisent l’état d’une société. Celui du deuxième aéroport de Nantes fait partie du lot. Ou la machine continuera sa course folle, en avions s’il vous plaît, et en ce cas, nous replierons nos gaules, une à une. Ou nous saurons détruire ce projet à la racine, proclamant que l’avenir n’appartient ni au pétrole ni à la vitesse. Et alors, il restera de l’espoir.

Quoi de neuf à propos de Notre-Dame-des-Landes ? D’abord une bassesse coutumière. Un appel d’offres avait très normalement été lancé au sujet des travaux d’infrastructure. Qui allait gagner ? Grand suspense. Tout soudain, le microcosme apprit comme par miracle que le géant Vinci allait emporter les enchères. Ce qui provoqua, quelques heures avant la décision  publique, ce cri de Louis-Roland Gosselin, patron du groupe d’ingénierie SNC Lavalin, qui pétitionnait lui aussi : « C’est un peu inquiétant. Cela fait peser quelques doutes sur la régularité du processus. Nous ne voulons pas y croire et considérons qu’il s’agit plutôt de désinformation. Je suis serein sur la qualité de notre offre et de nos partenaires et je suis sûr que le choix se fera sans autre considération que celle-là (lire ici) ».

Je ne crois pas utile d’enfoncer le clou. Les mots se suffisent, n’est-ce pas ? Là-dessus, quelques dizaines d’opposants au projet – Marie et tous les autres, tenez bon ! – ont occupé quelque temps le siège du conseil général de Loire-Atlantique (lire ici). Cette collectivité est gérée par les socialistes, grands défenseurs, avec Ayrault, le maire de Nantes, du projet d’aéroport. Où l’on voit pour la millième fois que la gauche et la droite partagent la même vision du monde. Où l’on pressent, pour la millième fois, que l’argent public sera tôt ou tard mobilisé pour combler les pertes du privé, comme c’est le cas avec l’aéroport de Ciudad Real, en Espagne.

Vinci triomphe pourtant, au moins provisoirement. À lui le chantier, et les centaines de millions d’euros que coûteront, pour commencer, les travaux d’aménagement. Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, amuseur public, rigolo de service, écolo à la sauce Grenelle, esbroufeur de première, copain comme cochon avec le désosseur d’entreprises Nanar Tapie, Borloo a ajouté son grain de sel au dossier. On est là dans le registre des farces et attrapes, croyez-moi. Car Borloo, non content d’avoir fait annoncer par ses services la victoire de Vinci, vient de décider la création d’une liaison tram-train entre Nantes et le nouvel aéroport (lire ici). Une formidable « victoire environnementale », ainsi que notre excellent ami le proclame à tout va.

Ce foutage de gueule a quelque chose de sublime. Un, on aura – on aurait – un aéroport de plus, au détriment d’un bocage miraculeusement préservé. Et deux, au nom de l’écologie, une nouvelle ligne ferroviaire qui zébrerait un peu plus ce pays. Au fait, Jean-Louis, tu n’as pas dit à qui seraient attribués les travaux de la ligne. Tu permets que je te tutoie, j’imagine ? Alors, et ces travaux en plus ? À Vinci, j’espère.

Je me répète et radote jusqu’à plus soif. Il n’est, à ma connaissance, aucun dossier plus important, ces temps-ci – en France, cela va sans dire – que celui de Notre-Dame-des-Landes. Mais pour l’heure, la vraie grande mobilisation que j’espère tant n’a pas commencé. Il faut pourtant s’y mettre, et malgré le poids émollient d’août, je compte sur nous, je compte sur vous pour que tous les réseaux chauffent jusqu’à ébullition. Il faut sortir du bois et de la paille, descendre des collines. Il va falloir se battre. Et jusqu’au bout ¡ Adelante !