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Un certain 14 juillet 2010

J’imagine qu’on garde le droit d’être balancé. J’espère que l’on conserve la liberté de penser ceci en même temps que cela. L’un des nombreux drames de l’époque – mais y en eut-il de plus favorables ? -, c’est qu’il faut nécessairement dire une chose sans accepter son envers. Avers ou envers, c’est pourtant toujours la même pièce, oui ou non ? Je veux parler de la révolution démocratique de 1789, dont on fête ce jour le 221ème anniversaire. Cela ne nous rajeunit pas, aucun doute hélas.

Moi, j’aime 89. Dans ma maison au-dessus du vallon magique – au fait, Hacène, j’y suis, j’ai tracé, je ne suis plus à Paris -, j’ai une pierre sur laquelle est inscrite la date fatidique : 1789. Je suis allé la chercher il y a un couple d’années avec mon ami Patrick, chez un homme de la vallée qui disposait de belles pierres venues d’une maison défunte. J’en avais besoin, je le lui en ai achetées quelques-unes. Dont une splendide entre toutes, sur laquelle est gravée cette date : 1789.

Disons-le, même si c’est passablement évident : j’aime la révolution. J’ai toujours aimé la révolution. À la folie, mais vraiment à la folie quand j’étais jeune et que je la voyais comme évidente, naturelle, arrivant à point nommé pour régler les questions du monde. Alors, je croyais sincèrement que l’on pouvait tirer sur les malheurs au fusil d’assaut. Un M16 ou un AK47 me semblaient la meilleure façon d’appréhender les problèmes du temps. Je reconnais que c’était une funeste sottise, mais elle fut mienne.

Maintenant que le temps a passé, je vois bien que la révolution est aussi inévitable qu’impossible. Je ne crois plus dans « l’homme nouveau », cet hombre nuevo qui paraissait si vrai, qui me paraissait à portée de main, ou de flingue. Mais dans le même temps, seul un bouleversement total des valeurs et des hiérarchies permettrait de limiter au moins la casse désormais inévitable de la crise dans laquelle nous sommes tous immergés. Et qui est, avant tout autre considération, écologique.

Je retrouve cette ambivalence à propos de 89. D’un côté, il s’agit d’un mouvement prodigieux de l’âme humaine. Les hommes d’il y a deux siècles ne pouvaient plus supporter le carcan. Celui du roi de droit divin. Celui des argousins au service des maîtres. Celui de la taille et de la gabelle. Celui des évêques emperlousés. Celui des guerres absurdes et meurtrières. Celui des enfants mort-nés. Celui des lettres de cachet. Celui des famines et des maladies. Celui des interminables labeurs. Celui de la soumission aux éternelles autorités. Dieu ! comme je me sens proche, aujourd’hui encore, des insurgés de la Bastille. Au fait, saviez-vous ce qui s’est passé rue Dénoyez quelques jours avant la prise de la célèbre prison ? On y attaqua un percepteur des impôts du roi, et je crois bien me souvenir qu’on lui fit la peau. Moi, je me promène parfois dans cette ruelle de Belleville (Paris), où résiste je ne sais quoi de ce passé. En 1789, la rue Dénoyez, qui était hors les murs de Paris, abritait quantité d’auberges et de bistroquets où la canaille – celle que j’aimerai toujours – se saoulait avant de se jeter à l’assaut du ciel.

Où en étais-je ? Le vin généreux que je bois ici m’aura monté à la tête, je crois. L’ambivalence. Je me sens donc du côté des émeutiers de 89, pardi. Ils sont des miens, je suis des leurs. Et en même temps, la révolution démocratique aura ouvert une tragique boîte de Pandore, celle des droits de l’homme, réduits à ceux de l’individu. J’entends déjà les cris de protestation. Non, pas ça ! La liberté ne se divise pas. Les droits de l’homme sont la plus belle conquête de l’histoire moderne, etc. Eh bien, je n’en suis pas si sûr. 89 aura finalement sacralisé le droit absurde de l’individu à réclamer toujours plus un dû qui ne peut lui être consenti. Rien n’arrête l’infernale revendication de procréation – jusqu’à 110 ans ? -, d’union, de possession, d’argent, de bonheur, de santé, d’espérance de vie même. Tout est désormais dû. En Italie, il existe une expression que j’utilise quand l’occasion m’en est donnée. La voici : « Piove, governo ladro ! ». Autrement dit : il pleut, gouvernement de voleurs !

Une telle attitude n’est pas née avec 89, mais indiscutablement, la révolution a enfoncé dans la tête de tous et de chacun que nous avions des droits, et que ces droits pratiquement sans limite devaient être garantis par l’État. Or, la multiplication de droits individuels qui ne sont jamais contrebalancés conduit au chaos. J’appelle chaos un monde où des possesseurs de portables, parce qu’ils le méritent bien, parce qu’ils ont payé pour cela, privatisent un espace public au profit de leur intérêt privé. Ce n’est qu’un exemple, que l’on peut multiplier par 100 et 1 000.

Je crois discerner ce qui a tragiquement manqué à 1789. Je ne fais pas de procès rétrospectif aux héros de ce temps passé. Ce qu’ils avaient à faire, ils l’ont fait, et merveilleusement. En revanche, je suis stupéfait par l’incapacité des sociétés d’Occident à imposer le complément vital des événements d’il y a deux siècles. Car bien entendu, nous avions, nous avons encore besoin d’une seconde Déclaration universelle. Enfin, réfléchissez avec moi : cela crève les yeux ! Je veux parler d’une Déclaration universelle des devoirs de l’homme et du citoyen, sans laquelle nous sommes perdus. Le monde malade qui est le nôtre exige cette déclaration. Il exige que soit proclamé avec solennité le devoir des hommes à protéger toutes les formes de vie qu’il menace de mort avec tant d’allégresse.

Notre terrifiante puissance de feu matérielle a fait de notre espèce une force géologique. Comme les volcans ou les tremblements de terre. Nous sommes passés sans oser le dire de l’ère holocène à l’ère anthropocène, celle que les humains ont forgée. La moindre des sagesses serait de tenter de limiter cette incroyable capacité à changer toutes les faces du monde. Moi, je vous propose pour finir l’article 1 de cette nouvelle Déclaration universelle. Voici : « L’homme détruit le vie, mais a les moyens de la protéger. Il a en conséquence le devoir premier, préalable, essentiel d’empêcher la disparition de formes de vie qui portent témoignage des insondables mystères de la création. Se soustraire à cette tâche reviendrait à nier l’homme en son essence ».

Cuba, le Maroc, Ramonet, Pedro Juan Gutiérrez, Claudia Cadelo

C’est l’été, nous sommes bien d’accord. Je vais donc vous parler de livres. Et d’abord une sorte de chef d’œuvre, en son genre du moins, de l’écrivain cubain Pedro Juan Gutiérrez. J’ai eu le bonheur de lire Trilogía sucia de La Habana dans sa langue d’origine, le castillan mâtiné de cubain. Mais je vous rassure, il existe une traduction chez Albin Michel (Trilogie sale de La Havane). Mon frère Emmanuel – eh, frangin, tu es là ? – l’a lue et aimée, ce qui est bon signe.

Trilogía sucia est un furieux délire, qui raconte la vie quotidienne d’un marginal, Pedro Juan, dans cette ville de plus en plus incertaine qu’on appelle La Havane. Il est hautement probable qu’un jour proche, une vague géante emportera El Malecón, ce boulevard de tous les trafics, en bord de mer, les bagnoles américaines d’avant 1959 et les immeubles rongés par le sel et la vieillesse, qui ne tiennent que grâce à deux points de colle et trois affiches à la gloire du régime. La vie de Pedro Juan est simplement réelle. Si puissamment authentique qu’on arrête assez vite de se poser des questions sur l’extrême violence des mots et des situations. Le monde du narrateur est celui des bas-fonds, des appartements collectifs sans eau, des frigos sans électricité, des putains, des vérolés, des détrousseurs, des flics, des malades mentaux et des assassins. Ici, on baise. Vivement. Sur un palier, sur un balcon branlant, sous le nez du voisin. Pas le choix. Et la merde, la vraie merde est omniprésente.

Je ne sais si cela vous fera envie ou non, mais moi, j’ai adoré. Un morceau tiré au hasard, je le jure : « Anoche, en medio de la música, las borracheras y la algarabía habitual de cada sábado, Carmencita le cortó la pinga a su marido. No sé comó fue porque intento mantenerme al margen de esta gente. En realidad estoy aterrado, pero ellos no deben percibirlo. Si olfeatan que me molestan y que me dan miedo, estoy perdido ». Bon, allons-y, ce n’est pas triste. La voisine, Carmencita, a coupé la bite de son mari au milieu de la musique, des saouleries et des vociférations de chaque samedi soir. Et Pedro a les jetons, ce qu’on comprend. Il se dit que si ces deux-là – la coupeuse, le coupé – sentent sa trouille, il est foutu. Au fait, pourquoi Carmencita a-t-elle saisi un couteau ? Drame de la jalousie. Elle crie à son Nègre de mari, tenant à la main gauche le bout de son pénis : « Ahora vas a seguir singando por ahí a todas las que te gustan, hijoputa ». Ce n’est pas bien, mais on comprend : « Maintenant, va donc niquer toutes celles qui te plaisent, fils de pute ».

Certes, nous sommes loin de l’imagerie pieuse, fût-elle guévariste et avant-gardiste. Ce qui est normal, puisque la propagande n’a pas encore réussi à tuer les formes de vie stupéfiantes que cinquante années de castrisme n’ont cessé de faire proliférer. Cuba ressemble-t-elle à Pedro Juan ou davantage à Fidel Castro en survêtement ? Voyez jusqu’où je pousse ma tolérance : vous choisissez ce que vous voulez. Autre trouvaille cubaine, le blog de Claudia Cadelo, une jeune femme qui habite La Havane. Il existe, si vous avez le goût, une traduction en français (lire ici). Claudia joue constamment avec la censure d’État, car un coup de fil du moindre flic peut tout arrêter. À Cuba, il n’est évidemment pas question de disposer d’Internet chez soi, sauf si l’on est un bureaucrate du parti au pouvoir. Claudia envoie donc ses post depuis un hôtel à touristes. Cela tiendra autant que cela tiendra.

En tout cas, tiene cojones, comme disent les personnages de Pedro Juan. Elle en a, pardonnez-moi. Le 28 juin 2010, elle note : « Un des derniers changements apportés par notre président désigné a été la modification de la loi sur l’âge de la retraite: une nuit – sans cris, sans joie, sans protester et sans syndicats furieux demandant des explications – Les Cubains ont été avertis que notre droit à la retraite serait porté de l’âge de 60 à 65 ans pour les hommes, et de l’âge de 55 à 60 ans pour les femmes. Alors, sans plus tarder, les “masses de travailleurs” du paradis socialiste ont été forcés à avaler cette pilule amère de l’état abusif et de prolonger leur vie active de cinq ans ».

Dans le même temps, exactement le même, la télé d’État cubaine diffusait des images de nos manifs contre la réforme Sarkozy au sujet des retraites. J’adore. C’est de l’humour. Fume, c’est du cubain. Comme je suis moi-même un vaurien, au lieu que d’évoquer de bons ouvrages autobronzants, je me sens une fois de plus contraint de mordre mon prochain. Et le premier à portée de crocs s’appelle Ignacio Ramonet. Je sais qu’il est une (petite) icône de la gauche altermondialiste, et donc d’une partie des lecteurs de Planète sans visa. Je n’en dirais pas autant de moi. Mais d’abord, rappelons que Ramonet a été le directeur du Monde Diplomatique de 1990 à 2008, soit pendant la si courte période de 18 ans. Et qu’il est l’un des indiscutables fondateurs du mouvement Attac.

Comme il est né en 1943, il a nécessairement eu une autre vie avant cela, ce qui ne manque pas d’un certain intérêt. Né au Maroc, où il a vécu jusqu’en 1972, il semble très fort qu’il n’ait pas eu une conscience précoce de la nature exacte du régime chérifien. On lui prête en effet des liens amicaux avec Hassan II, mais reconnaissons que cela n’est pas prouvé. Il est certain, en revanche, que Ramonet a enseigné dans le saint des saints de la nomenklatura marocaine, c’est-à-dire le Collège du Palais royal de Rabat. Il est difficile d’imaginer lieu plus select et fermé, car c’est là qu’étaient formées les élites du pays. Et c’est là, d’ailleurs, que Ramonet enseigna au fils du roi Hassan II, le futur Mohammed VI. Ce dernier point est également une information, pas une supposition. Une partie de l’entourage proche de Mohammed VI est au reste passé par le Collège royal de Rabat. Avouons une certaine perplexité.

Le Collège royal de Rabat, pour d’évidentes questions de sécurité, est alors l’un des lieux les mieux protégés de ce royaume policier. Et ceux auxquels le régime donne le droit d’y enseigner doivent évidemment être irréprochables sur le plan politique. Lorsque Ramonet y passe quelques années, le plus distrait des observateurs sait ce que dissimule la Cour. En octobre 1965, Hassan a fait enlever, torturer et assassiner en plein Paris l’opposant de gauche Medhi Ben Barka. Le monde dit libre frissonne de peur, car il craint la révolution. Ben Barka préparait activement une réunion internationale qui devait avoir lieu à La Havane, chez Castro, pour lancer un mouvement appelé Tricontinentale. Ce qu’on n’appelait pas encore le Sud défiait ouvertement l’Amérique impériale, et les régimes corrompus qui lui étaient inféodés. J’espère que je ne vexerai pas Ramonet en écrivant que le Maroc en faisait partie.

Je l’espère d’autant plus que j’enfonce une porte ouverte. Le Maroc, au temps où Ramonet servait le roi, était un pays-clé dans la lutte contre la « subversion », un pays où la CIA faisait la pluie et le beau temps. Un pays où l’on tuait les militants de gauche et les syndicalistes. Et bien sûr, Ramonet ne pouvait l’ignorer. Plus tard, en 1990, dans son livre sinistre et sans appel (Notre ami le roi, Gallimard), Gilles Perrault devait rassembler l’essentiel. J’extrais de son livre ce résumé : « Roi du Maroc, Hassan II symbolise pour nombre d’Occidentaux le modernisme et le dialogue en terre d’islam. Mais ces apparences avenantes dissimulent le jardin secret du monarque, l’ombre des complots et des prisonniers, des tortures et des disparus, de la misère. Il règne, maître de tous et de chacun, brisant par la répression, pourrissant par la corruption, truquant par la fraude, courbant par la peur ». Et Perrault d’ajouter quelques mots pesés sur les morts-vivants du bagne de Tazmamart et le sort inhumain fait aux enfants du général Oufkir, coupables de leur père.

Eh bien, Ramonet n’aura donc rien vu de tel, et en choisissant de servir notre ami le roi, il n’aura jamais fait que son si noble travail de pédagogue. Oui, je me moque, ouvertement. Ramonet n’a jamais eu la moindre légitimité pour représenter un quelconque mouvement vivant de critique du monde. Les postes qu’il a obtenus, jusques et y compris au Monde Diplomatique, c’est par la grâce de relations de travail, au sein de bureaux où l’entregent joue toujours davantage que l’engagement réel sur le terrain, avec tous les risques que cela comporte. Je n’insulte pas, je crois. Je constate.

En 2002, il s’est passé à La Havane – tous les chemins semblent décidément mener à cette ville, comme c’est étrange ! – un événement suffocant. Nous sommes en février, et le déjà si vieux Castro s’apprête à inaugurer la onzième foire internationale du livre, dont la France est l’invitée d’honneur. Le caudillo souhaite rencontrer Ignacio Ramonet, qui revient du sommet altermondialiste de Porto Alegre. Ramonet se prépare à une conférence sur son dernier livre, Propagandes silencieuses, devant 400 personnes. Pas si mal, pour un livre dont personne en France, huit années plus tard, ne se souvient plus depuis longtemps. 400 personnes, dans cette ville où manger  – quand on est pauvre comme l’est le peuple – est un problème quotidien, ce n’est pas mal du tout.

Mais je vois que vous ne connaissez pas Castro. Le patriarche en son hiver tonne, éructe, commande qu’on prépare pour Ramonet le théâtre Karl-Marx de La Havane, qui peut lui contenir…5 000 personnes. Trois jours après de fiévreux préparatifs, Ramonet parle devant une foule ameutée par les services du régime. Qui est assez sot pour croire que 5 000 personnes se déplaceraient volontairement pour écouter ce qu’ils entendent chaque jour depuis des décennies ? Pas Ramonet, tout de même ! Les spectateurs n’ont pas tout perdu. Le directeur du Diplo délivre un long exposé sur la soumission de la presse américaine au pouvoir de l’argent (lire ici). C’est frais, cela tombe à pic dans un pays où l’on fusille – en 2003 – des gosses de vingt ans qui ont osé détourner un bateau sans tuer personne, eux.

Ce n’est pas terminé. Les 5 000 spectateurs forcés ont la surprise de trouver sur leur siège une édition cubaine du livre de Ramonet. J’avoue ignorer s’il existait un texte espagnol. Peut-être aura-t-il fallu traduire en deux jours les 170 pages, en mobilisant par exemple 500 traducteurs héroïques de La Havane. Qui sait ? Ce qui est sûr, c’est que le quotidien du parti communiste cubain, Granma, n’est pas sorti le jour de la splendide conférence de Ramonet, car ses rotatives avaient été mobilisées par El Jefe Castro, de manière à pouvoir imprimer le grand ouvrage du grand maître de l’altermondialisme. Stop ? Stop. Un autre monde est possible. Mais à bien y réfléchir, j’aimerais moi qu’un autre monde que cet autre monde-là soit possible. C’est jouable, vous croyez ?

Borloo dans le rôle du fieffé (voir définition)

Borloo est malin. On ne lui retirera pas cela. Ce ministre de l’Écologie, ancien et toujours grand pote de Nanar Tapie, sait comment profiter des écrans de fumée. L’affaire Bettencourt-Woerth occupant tous les esprits et tous les regards, monsieur se glisse entre deux paravents, masqué, et frappe. Un grand coup, je dois dire. La suite n’est pas de moi, et se décompose en deux parties.

Un, le journal Le Monde écrit ceci en octobre 2007, quand la farce du Grenelle de l’Environnement permet à Borloo de faire le beau : « Première déclaration du ministre de l’écologie lors de l’ouverture des deux journées du Grenelle de l’environnement, mercredi. Le premier ministre, François Fillon, et le ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, ont ouvert, mercredi 24 octobre, la table-ronde finale du Grenelle de l’environnement, qui doit durer deux jours. A l’ouverture des débats, M. Borloo a annoncé au journal Le Monde la décision d’arrêter la construction d’autoroutes (sauf les contournements de villes) et le lancement d’un programme d’isolation de l’habitat financé à hauteur de 20 milliards d’euros par l’Etat ».

Deux, et cela date de ce 1er juillet 2010, communiqué des associations Agir pour l’environnement et Réseau Action Climat. Vous trouverez sans moi le commentaire adéquat. Ah ! ce qui suit est un copié-collé, et cela vaut le coup, croyez-moi.

Jean-Louis Borloo ministre des autoroutes ?

Paris, le 1er juillet 2010 – Coup sur coup, le ministre de l’Ecologie a annoncé la construction de trois nouvelles autoroutes en France : l’A9bis à Montpellier, la future autoroute entre Castres et Toulouse et la mise en concession de la RN154 entre Orléans et Dreux (Décision parue au JO du 1er juillet 2010). Pour les associations, cette triple décision est le signal d’une relance autoroutière qui ne dit pas son nom.

S’il fallait une preuve supplémentaire de la mort clinique du Grenelle de l’environnement, cette triple décision ministérielle permettrait d’étayer les doutes des acteurs associatifs les plus critiques.

Alors que la loi Grenelle 1 impose à l’Etat de publier, avant la fin 2009 (!), un Schéma national des infrastructures de transport dans lequel tous les projets autoroutiers doivent être évalués à l’aune de critères écologiques, énergétiques et climatiques, le ministère de l’Ecologie se presse d’autoriser de nombreux projets grenello-incompatibles afin d’éviter toute évaluation rigoureuse.

Pour les associations, cet écoulement de bitume aux quatre coins du territoire est un véritable bras d’honneur à toutes celles et ceux qui ont pu croire au Grenelle de l’environnement. Entre le discours du ministre de l’écologie et l’application concrète du ministre des autoroutes, la rupture est désormais largement consommée.

L’incohérence entre le dire et le faire est telle qu’il y a lieu de s’interroger non seulement sur cette soit disant révolution écologique née du Grenelle de l’environnement qui proroge un modèle de développement et un système de transports énergivores mais également sur l’honnêteté d’un processus de concertation présenté comme exemplaire.

Jean-Marc Ayrault a refait sa vie (en Espagne)

À CEUX DE NOTRE-DAME-DES-LANDES (ET À MARIE)

Résumé des épisodes précédents. Jean-Marc Ayrault fut, comme on le sait, député-maire socialiste de Nantes pendant quelque trois siècles. Avant son départ précipité, il avait, dans un geste ultime de philanthropie, offert à sa ville la perspective grandiose et futuriste d’un nouvel aéroport à la campagne, sur les terres chouannes de Notre-Dame-des-Landes ( lire le résumé ici). On le sait, l’ingratitude du petit peuple est sans limites, et les paysans au front bas du bocage, poussés vers l’émeute par une chienlit écologiste, monta un jour à l’assaut de l’hôtel de ville de Nantes, fourches au poing, hurlant des obscénités sur le compte pourtant valeureux de monsieur Jean-Marc Ayrault. N’entendit-on pas ces criminels ensabotés, crottés jusqu’aux narines, hurler : « Ayrault, fumier, tu serviras d’engrais » ? Si. Ils le firent.

Alors, comme vous vous en souvenez tous, le maire fut contraint au départ, n’emportant qu’une maigre valise, embarquant in extremis à bord d’un antique Avion III créé par Clément Ader, doté de tiges de bambou, barbes en toile et papier de Chine. Pendant 120 ans environ, le sort de Jean-Marc Ayrault est demeuré inconnu, et je ne suis pas peu fier, aujourd’hui, de vous livrer en exclusivité un scoop de derrière les fagots, qu’on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval, dont on parlera dans Landerneau, digne des meilleurs professionnels.

Ayrault a réussi à refaire sa vie en Espagne, sous un faux nom naturellement. Visiblement bien introduit sur place, il est parvenu en peu de temps à tenir une place aussi enviable que celle qu’il occupait chez nous. Car il est en effet président – socialiste toujours – de la région chère au cœur de l’Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, autrement dit Castille-La Manche. Mais se refait-on jamais ? Connu en Espagne sous le nom de José Maria Barreda, Ayrault a décidé, financé, soutenu de toutes ses vives forces un aéroport international appelé Ciudad Real. ll ne peut s’agir que d’un clin d’œil au formidable humour que l’on prête à Miguel de Cervantes. Car autant vous le dire, Ciudad Real signifie, comme vous ne l’ignoriez sûrement pas, Ville Réelle. Ville Royale d’abord, mais aussi Ville Réelle.

Mais quel facétieux, cet Ayrault-Barreda ! Après investissement de 500 millions d’euros – ce n’est qu’un début, une mise en bouche – et construction de pistes de 4 kilomètres de long pouvant accueillir des Airbus 380, l’aéroport est prêt à recevoir ses 2,5 millions de passagers par an ( lire ici). Beau travail, Jean-Marc (tu permets que je t’appelle Jean-Marc ?) ! Beau travail. Des centaines d’emplois ont été créés, et des entreprises ont installé des bureaux à prix cassés par les aides publiques. Normal : le TGV doit relier Madrid en moins de cinquante minutes, les autoroutes sont innombrables, et l’emprise directe au sol – 1250 hectares – permet d’envisager des agrandissements à répétition.

Bien sûr, il reste à régler quelques détails. Après le départ de la compagnie Air Berlin, l’Irlandaise Ryanair occupe à elle seule l’aéroport international, retenue au moment où elle pliait bagage par une subvention publique. En somme, tout est désert, fantasma. Les 24 comptoirs d’enregistrement sont fermés toute la sainte journée, on ne croise ni hôtesse ni passagers, mais tout de même quelques-uns des 300 employés chargés de l’entretien et de la gestion. Car il faut bien gérer, non ? La passerelle prévue pour relier l’aéroport à la ligne de train Madrid-Séville s’achève au-dessus du vide. On peut toujours sauter.

La réussite est complète. Deux ans après son inauguration, le bel oiseau a déjà creusé un trou de 300 millions d’euros, entraînant la faillite de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche (CCM), obligeant la région de mon ami Jean-Marc-José à créer de toute urgence une société publique capable de financer les pertes astronomiques. Et c’est là, je vous le demande personnellement, que nous devons tous nous lever pour applaudir. Je vous en prie, faites-moi confiance au moins une fois dans votre vie. Standing ovation ! N’écoutant que son courage de grand élu socialiste, Ayrault-Barreda refuse de baisser les bras.

Fin mai, notre homme double s’est à nouveau engagé, en hidalgo : « El presidente de Castilla-La Mancha, José María Barreda , aseguró que el Gobierno regional hará todo lo posible, dentro de la legalidad, para que el proyecto del aeropuerto privado de Ciudad Real tenga viabilidad en el futuro y “pueda despegar definitivamente”». Vous pourrez lire le texte intégral (ici ), ou vous en tenir à mon court résumé. Ayrault-Barreda veut davantage de fric pour que Ciudad Real  « pueda despegar definitivamente ». Pour qu’il puisse « décoller définitivement ». J’espère que vous goûtez comme moi, et à nouveau, l’humour noir de Janus. Décoller. Définitivement. Cela ouvre bien des perspectives.

Dans un autre entretien, Ayrault-Barreda a finement présenté les deux termes de l’alternative.  Ou l’argent public coule à nouveau, ou l’on abandonne. Et si l’on abandonne, il ne faudra pas s’étonner que « crezca la hierba en la pista de aterrizaje y se estropeen las instalaciones ». Il y en a pour trembler, comme dit un vieil homme de ma connaissance. L’herbe pousserait alors sur les pistes, et les magnifiques installations rouilleraient peu à peu, avant de disparaître dans la poussière de Rocinante. Rossinante, quoi.

Et maintenant, avant de rendre l’antenne, deux post-scriptum.

Le premier : l’Espagne est en train de sombrer. Il est plaisant qu’un olibrius comme moi ait pu le dire si longtemps avant les commentateurs appointés (lire ici, ici encore, et  ). Elle sombre. Un million de logements y sont en vente. 40 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. La spéculation et la corruption de masse ont détruit un pays. Telle est la réalité. Extrait de l’article cité tout en haut de cette page : « Surtout, au lieu de construire 800 000 logements chaque année, l’Espagne va se limiter à 100 000 pendant plusieurs années. Avec un impact terrible sur la croissance et sur l’emploi : “Il faut réinventer 18 % du PIB”, résume un économiste ». Oui, c’est à eux, aux économistes, aux politiques responsables de ce désastre biblique qu’on demande de réinventer du PIB. PIB ! Paltoquets, Imbéciles, Branlotins. Nous en sommes là, au point zéro d’une histoire à recommencer.

Le second : la dette des régions d’Espagne atteint 95 milliards d’euros, une somme inouïe. Le siège luxueux des braves gens aux commandes, les ronds-points, les subventions à l’agriculture industrielle, aux barrages, aux transferts d’eau vers le Sud à sec, les aides aux villes fantômes du littoral, tout cela coûte cher. Au fait, Ségolène Royal ne se faisait-elle pas appeler la Zapatera, nom dérivé de celui de José Luis Rodríguez Zapatero, le cornichon socialiste en place à Madrid, qui achève de dynamiter ce qui reste ? le Figaro rapporte une visite de Royal à Madrid en octobre 2007. Elle vient donc de perdre face à Sarkozy. Et voici l’extrait du journal, qu’il faut savourer à la petite cuiller : « Zapatero aurait chaleureusement encouragé Ségolène Royal à se présenter à la prochaine élection présidentielle. “Je me sens très proche de Zapatero et de cette gauche pragmatique”, a commenté celle que l’on dénomme ici “la Zapatera francesa”. Enchantée de porter ce surnom, Royal a estimé qu’elle avait plusieurs points communs avec Zapatero : “Au départ, Zapatero n’était pas forcément le favori au sein de son parti. Il était jugé trop jeune, inexpérimenté ou sans stature, mais il a réussi à prouver le contraire…” ».

C’est tout bête ( sur la retraite)

C’est le jour du grand refus. De la manif, de centaines de manifestations à travers la France pour protester contre le projet gouvernemental sur les retraites. J’y serai, oh oui ! J’enfile en ce moment mes chaussures de marche assorties de guêtres, lustre mon chapeau d’Indiana Jones, ajuste ma veste de chasse, et compte les minutes. J’y serai pour deux raisons au moins. L’une est conjoncturelle, et l’autre plus fondamentale.

La première devrait être commune à tous. Ce gouvernement n’a évidemment pas la moindre légitimité pour imposer une réforme odieuse au peuple de ce pays. Je rappelle, sans entrer dans les détails, que bonne part du changement sera payée par les prolétaires – je ne connais pas de mot meilleur -, lesquels vivent déjà bien moins, et bien moins bien que les cadres supérieurs. Ces derniers, je le rappelle aux oublieux,  passent leur vie à chercher les moyens d’extraire davantage de plus-value sur le dos des premiers. C’est une loi économique, ce n’est pas de la méchanceté. Reste qu’à 35 ans, l’écart entre l’espérance de vie des cadres supérieurs et celle des ouvriers est de six ans, et même de 10 ans pour l’espérance de vie « sans incapacités ». Prolo, un sport dangereux. Je note que les retraités, qui gagnent – en moyenne – davantage que les actifs, ne seront pas sollicités. Pour la raison éclatante qu’ils demeurent une base sociale essentielle de la droite au pouvoir.

Et quelle droite ! Ce gouvernement compte dans ses rangs des racistes condamnés – Brice Hortefeux, chef des flics -, des truands au cigare – Christian Blanc, qui a fait payer à la France 12 000 euros de cigares en un an, à peu près ce que gagne un smicard dans le même temps -, des truqueurs de permis de construire – Alain Joyandet, convaincu de fausse déclaration pour l’agrandissement d’une maison dans le golfe de Saint-Tropez -, d’étranges pourfendeurs de l’évasion fiscale – Éric Woerth fait les gros yeux aux planqués des comptes suisses tandis que sa dame conseille les mêmes -, des traitres de (mauvaise) comédie – Kouchner en paillasson, Besson en histrion, Bockel en homme invisible – d’Arabes de service – on ne présente plus Fadela Amara, son appartement de fonction prêté à sa famille, et ses plans en faveur des banlieues qui par malheur restent toujours en plan -, des bateleurs de foire dont le numéro commence à faire rire – Borloo dans le rôle fellinien du grand Zampano de La Strada.

Bon, on aura compris que je n’aime guère ces gens-là. Avouons que je les exècre, ce sera plus franc, leur chef à tous en première ligne, bien entendu. J’ai commencé à regarder de près la politique quand j’avais autour de 13 ans, alors que s’effaçait De Gaulle et que lui succédait Pompidou, en 1969. Nombre de connards et de crapules se sont succédé depuis, y compris après la « victoire » de la gauche en 1981, mais je n’ai jamais ressenti un tel écœurement. Tant de bassesse concentrée, tant d’idiotie, tant d’âpreté au gain et de clinquant, non. Jamais. On se croirait dans La Curée, de Zola, ce roman où le ministre Eugène Rougon aide son frère Aristide à dépecer Paris.

Leur réforme de classe sur la retraite est aux dimensions de leurs personnes. Elle est un acte de guerre sociale, une insulte à ces générations de travailleurs qui, depuis les débuts de la révolution industrielle, ont perdu leurs poumons, leurs mains et bras, leurs âmes, leurs vies, pour que les papas et mamans passés de nos Excellences puissent continuer de roter discrètement entre deux libations. Tenez, regardez comment Prévert voyait nos maîtres dans son immortelle Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France (1931) :

Ceux qui pieusement…
Ceux qui copieusement…
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… on
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons…

Voilà pour la première raison de ma participation à la manif d’aujourd’hui. Je crois que pour l’occasion je vais ressortir mon poing tendu. Quant à la deuxième, voici : la question de la retraite est une occasion unique – aurait été une occasion unique – de discuter ensemble de ce qu’est une vie humaine. De ce que représente le travail. Des liens nécessaires au bien public entre les jeunes et les vieux. De la place de la formation. De la durée globale du temps contraint, à l’échelle d’une vie. De l’intérêt qu’il y a à se lever le matin pour contribuer à la fabrication d’un nombre incalculable d’objets inutiles et souvent désastreux pour notre avenir commun. Et cetera desunt.

L’équipe en place est bien entendu incapable par nature d’ouvrir un débat sur de tels sujets, car il prendrait vite la forme d’un gigantesque cahier de doléances d’une société épuisée, affolée, angoissée par un avenir qui devient chaque jour plus fatal. J’irai donc, bien que sachant qu’aucune des questions que je juge essentielles pour notre malheureuse humanité – n’y aurait-il pas aussi, quelque part, un Sud ? – ne sera abordée par les manifestants. Il est des jours où il faut marcher, et c’est tout. Je marcherai.