Archives de catégorie : Science

Sans espoir d’éviter un malentendu (sur les OGM)

Je reprends la parole une seconde sur le sujet d’hier. Si je suis radicalement contre les OGM, c’est pour les mêmes raisons que je suis un antinucléaire définitif. Les hommes produisent comme à volonté des mirages, mais des mirages qui deviennent peu à peu des forces matérielles. Si grandes, si mystérieuses, si potentiellement dévastatrices qu’elles représentent un danger per se. En soi. Pour la raison évidente que ces artefacts créent leur propre puissance, bien supérieure aux moyens de contrôle humains.

J’ai voulu dire qu’il est vain de nier une évidence. Il peut se trouver, car il s’est trouvé, et il se trouvera des découvertes angoissantes dont une application apparaîtra, au moins un  temps, comme indiscutable. Le mieux est tout de même d’être préparés, pour ne pas perdre pied face à ceux qui triompheront alors. Je répète, et je suis bien d’accord avec Jeanne, que l’on nous a fait le coup cent fois d’une invention médicale permettant de « justifier » tout un édifice industriel et commercial. Et le travail évoqué sur les moustiques n’est jamais qu’une annonce dont rien, à cette date, n’indique qu’elle pourrait être efficace contre le paludisme réel, celui qui frappe dans ces innombrables trous du cul du monde où aucun touriste n’ira jamais.

Voilà. Ouvrir l’œil, et le bon. C’est tout.

Quand les OGM nous prennent à revers

« Activation of Akt Signaling Reduces the Prevalence and Intensity of Malaria Parasite Infection and Lifespan in Anopheles stephensi Mosquitoes ». Je dois avouer que, même pour qui pratique l’anglais, ce n’est pas une entrée en matière affriolante. En résumé, qui n’engage que moi, l’activation du signal Akt réduit la prévalence et l’intensité de l’infection par le parasite du paludisme et la durée de vie des moustiques anophèles qui en sont les porteurs. Akt est une protéine qui favorise le mouvement de cellules ennuyeuses pour la santé. Le tout est un article paru le 15 juillet dans une revue imparablement sérieuse, Journal of Public Library of Science Pathogens.

À distance, c’est très simple (lire ici). Des chercheurs, parmi lesquels Michael Riehle, professeur d’entomologie à l’Université d’Arizona, sont parvenus à créer des chimères génétiquement modifiées de moustiques, de manière qu’ils ne puissent plus transmettre cette maladie qui tue entre un et trois millions de personnes par an. Bien entendu, on ne sait à peu près rien de l’efficacité on the field, sur le terrain, de cette trouvaille. Mais est-ce bien le problème ?

Ne s’agit-il pas, aussi, de tout autre chose ? Je m’autorise à poser cette question : les OGM – puisque ces insectes sont des OGM – n’apportent-ils pas nécessairement des « avantages » et des améliorations à ce que nous connaissions ? Et la réponse est fatalement oui. Oui,  les OGM peuvent apporter bien des choses positives aux sociétés humaines tout en représentant un danger insupportable pour notre avenir commun. Attention ! Oui, attention à ne pas verser dans le dogmatisme et le manichéisme. Nous en sommes tous menacés.

L’écologie est fondamentalement une disposition plastique de l’esprit humain. Pour moi, en tout cas. Une volonté de comprendre, un effort pour mettre en relation des phénomènes affreusement complexes. Et nous n’avancerons guère, et nous n’avancerons pas si nous nous montrons incapables de contester radicalement – les OGM par exemple – sans pour autant nous ridiculiser en niant certaines évidences. Nous n’avons pas fini d’être surpris par les trucs et astuces des innombrables professeurs Nimbus de la terre. Il vaut mieux donc être prêts à faire face. Au fait, le nucléaire dit civil n’a-t-il pas été, des décennies durant, un formidable espoir de la médecine humaine ? Il me semble.

Allègre et la folie du progrès perpétuel (sur une Fondation)

Ourse m’apprend sans prévenir que Claude Allègre s’apprête à lancer une fondation, « Écologie d’avenir ». Eh, attention à mon cœur fragile ! Je crois qu’il n’est guère besoin de présenter une nouvelle fois, ici en tout cas, mon bon ami Claude. Je me permettrais néanmoins d’inviter les plus patients – c’est long – à lire un article écrit sur Planète sans visa le 19 septembre 2007, il y aura bientôt trois ans. Son titre ? Tazieff et Allègre sont dans un bateau (lire ici). Je ne l’ai pas relu, mais je sais qu’il contient beaucoup d’informations qui ne se trouvent pas aisément. Il montre au passage comment deux soi-disant adversaires déchaînés se sont au moins retrouvés d’accord pour signer en 1992 l’Appel dit d’Heidelberg. Manipulé par l’industrie transnationale et ses excellents manœuvriers, il avait à l’époque été conçu pour faire pièce au Sommet de la terre de Rio, dont les grandes entreprises, bien à tort, avaient pris peur.

Cet Appel condamnait sans appel les écologistes, et s’achevait par ces mots : « Les plus grands maux qui accablent notre Terre sont l’ignorance et l’oppression, et non la science, la technologie et l’industrie dont les instruments, lorsqu’ils sont adéquatement gérés, deviennent les outils indispensables à un futur façonné par l’Humanité, par elle-même et pour elle-même, lui permettant ainsi de surmonter les problèmes majeurs tels que la surpopulation, la famine et les maladies répandues à travers le monde ». Bref, sous le couvert habituel de la philanthropie, le scientisme.

Et voici donc qu’Allègre poursuit aujourd’hui sa route, exactement dans le droit fil d’il y a vingt ans. Ce que c’est que la constance. Sa fondation semble avoir déjà reçu l’appui de Limagrain, d’Alstom et de GDF-Suez. Le premier des trois groupes est le champion français des OGM et de l’agriculture industrielle. Bien. Le deuxième a fourni une bonne part des turbines géantes du barrage chinois des Trois-Gorges, dénoncé par des scientifiques chinois de premier plan, bien qu’officiels, comme une folie globale. Le troisième est en train de bâtir un immense complexe de barrages en Amazonie brésilienne, qui ruine l’écosystème de la rivière Jirau et menace le sort de milliers d’Indiens, dont certains vivent en dehors de contacts avec nous. D’autres capitaines d’industrie, et peut-être – qui sait ? – quelques chevaliers itou, apporteront plus tard leur soutien. S’il est une chose qui ne risque pas de faire défaut à Allègre, c’est bien le fric. Ces gens ont toujours besoin et auront toujours plus besoin de cautions susceptibles de leur faciliter la tâche. Et cette tâche, on le sait, est de détruire le monde, opération d’ores et déjà bien avancée.

On prête à Spinoza ce bout de phrase célèbre, dont je ne suis pas sûr qu’il l’ait prononcée : « Ni rire ni pleurer, mais comprendre ». Peut-être quelqu’un saura me dire ce qu’il en est ? Je suis en revanche bien certain qu’il a écrit ceci : « Pour moi, ces troubles ne m’incitent ni au rire ni aux pleurs ; plutôt développent-ils en moi le désir de philosopher et de mieux observer la nature humaine ». Et j’en suis certain, car ces mots figurent dans une lettre adressée en septembre 1665 à Henri Oldenburg. Je crains de ne pas être exagérément crédible dans le rôle de l’observateur spinoziste, détaché, philosophe. Il ne faut pas croire, j’ai ma part de lucidité. Mais malgré ce qui précède, qui fait dangereusement monter un sanglot – rire et pleur entremêlés – dans ma gorge, je peux et je dois me ressaisir.

Je le fais en abordant la question des soutiens individuels qu’Allègre a d’ores et déjà obtenus. Je passe sur le premier, extraordinaire baudruche de comédie connue sous le nom de Luc Ferry. En 1992, l’année d’Heidelberg, le monsieur pensant a publié un livre inénarrable, Le Nouvel ordre écologique (Grasset). Pour bien apprécier la saveur du titre, il faut savoir que les nazis, et l’expression est demeurée dans les livres d’histoire, entendaient fonder un Nouvel ordre européen. Hasard ? Je n’en jurerai pas. Ferry les gros bras – et la petite tête – est en effet un expert du syllogisme. Je vous résume en un coup de cuiller à pot son livre : Hitler aimait les animaux; les écologistes aiment les animaux; les écologistes sont hitlériens. Je renvoie les sceptiques au texte, confiant dans leur jugement.

Plus étrange, en apparence, est le soutien apporté à l’Allègre entreprise par des personnalités scientifiques. Je citerai les deux premiers connus, soit Albert Fert et Hervé Le Bras. Le premier est tout de même, mazette, prix Nobel de physique. Et le second, démographe, enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Cette dernière n’est certes pas un temple de la science dure, mais tout de même, la maison est sérieuse ! Alors, pourquoi ? Pourquoi des gens valeureux sur certain plan intellectuel se vautrent-ils dans un soutien public à un truqueur ?  Car Allègre est un truqueur, un homme qui n’hésite pas à inventer des « données » pour démontrer sa vision « iconoclaste » de la crise climatique. J’ai rendu compte ici même de l’implacable livre qu’a consacré Sylvestre Huet aux billevesées de Claude Allègre (voir ici). Tout est sur la place publique. Indiscutable. Terrifiant à plus d’un titre, car les plus grands journaux continuent à donner la parole à un « scientifique » convaincu de forfait intellectuel. Encore une fois, pourquoi diable ce soutien ?

Que les journaux écrivent n’importe quoi, je suis assez bien placé pour le confirmer. Mais un Fert, mais un Le Bras ? Je les crois possédés. Non pas à la manière qu’affectionne le diable, quoique. Je les crois possédés par la passion, au moment même où ils prétendent ne défendre que la raison. Oui, les Fert et les Le Bras, et il y en aura d’autres, sont passionnément tenus par l’idée centrale des sociétés occidentales depuis 1750. C’est l’idée du progrès, comme vous aviez sans doute deviné, d’un progrès non seulement linéaire mais définitif. Un progrès qui débouche fatalement sur l’abondance, et peut-être la paix éternelle. C’est le mythe de l’alliance – vertueuse – entre la raison et la science, entre l’esprit et la technique. C’est la croyance qu’il existe nécessairement une solution technologique aux problèmes qui se posent. C’est au fond une très pauvre pensée, incapable de saisir le neuf, incapable de comprendre les points de rupture et de basculement, incapable en conséquence de proposer la moindre perspective.

En fait et en réalité, il s’agit d’idéologie concentrée, qui ne peut se présenter comme telle, jusques et y compris dans la tête des Fert et des Le Bras. Il leur faut croire, absolument, que nous sommes, nous les écologistes, des charlatans et des obscurantistes, tandis qu’ils maintiendraient dans la tempête la lueur des Lumières. Pathétique ? Oui, je dois avouer que je trouve cela pathétique. Des hommes qui ont eu le privilège insigne d’étudier, de réfléchir, de s’informer, acceptent de faire la courte échelle à un vulgaire imposteur de la pensée. Voilà peut-être ce que voulait dire Spinoza quand il se proposait de « de mieux observer la nature humaine ».

Foutre la paix aux iguanes (et aux autres)

Je n’ai guère de temps, car je lis en ce moment un livre inouï et la biographie – inouïe – de l’auteur du livre. Je ne vous en dis pas plus, c’est tout simplement fabuleux. J’y reviendrai, comptez sur moi. N’ayant pas de temps, je vous renvoie à une étude à la fois sérieuse et loufoque, remarquable sans doute, mais effrayante pourtant,  qui porte sur les iguanes des Galápagos (lire ici). Elle vient de paraître dans une revue sérieuse, Proceedings of the Royal Society B.

Les auteurs, L. Michael Romero et Martin Wikelski, ont soumis 98 iguanes adultes capturés à une série de mesures. Il s’agissait de tester leur «gestion » de glucocorticoïdes naturels, des hormones qu’on appelle chez les hommes cortisol. Les glucocorticoïdes sont de petites merveilles qui permettent de lutter contre la fièvre, la douleur, les inflammations, le stress. Entre autres. C’est cette dernière fonction qui était visée par les chercheurs. Qui ont soumis les animaux à divers stimuli destinés à voir comment ils réagissaient face à des situations de grand stress – capture et manipulation -, jusqu’à quel point ils pouvaient secréter des hormones antistress, et la vitesse à laquelle ils étaient capables de les éliminer.

Le tout était examiné en relation avec les effets du courant océanique El Niño. Au bout de quelques mois,  23 iguanes étaient morts, apparemment et selon l’étude, ceux qui n’avaient su expulser assez vite cette hormone pourtant très protectrice dans un premier temps. Bon, assez joué comme cela. La vérité franche, c’est que je m’en fous, de cette étude. Plutôt, elle aurait tendance à m’angoisser sur les bords. Car des petits malins, qui sont de braves « communicants », vendent de par le monde ces résultats en les extrapolant, de manière sauvage, à ce qui se passe dans le golfe du Mexique, en Louisiane et en Floride.

Formidable, disent-ils. Cette étude est formidable, car elle permet d’imaginer, d’anticiper peut-être comment les animaux vont faire face – ou non – à la terrifiante marée noire en cours. Et telle me paraît bien devoir être l’attitude des humains au temps du choléra planétaire. Puisqu’on ne peut éviter, puisqu’il est d’évidence impossible d’empêcher, du moins étudions. Au moins regardons mourir les bêtes, et applaudissons les quelques-unes qui s’en sortent, qui nous permettront de publier, de briller une seconde ou deux avant de laisser la place au suivant, et de la sorte jusqu’à extinction finale de tous les feux de la vie brûlant encore à la surface de la terre.

Je vous choque ? J’abhorre cette science pervertie qui ramène toutes choses au scalpel, à l’examen, à l’objectivité supposée du microscope électronique. Moi, je m’en fiche bien, que les iguanes se débarrassent ou non de leurs glucocorticoïdes. Il sera toujours temps de le savoir demain, s’il est un demain. Ou dans 10 000 ans pourquoi pas, quand nous aurons tout, ainsi que le chante ce vieux frappadingue de Léo. Je rêve de scientifiques nouveaux, qui ne feraient plus semblant. Semblant qu’il est encore temps de passer sa vie à des examens qui ne serviront jamais à personne s’ils ne prennent pas, dés aujourd’hui, le chemin du maquis. Le chemin du maquis de l’esprit. Je n’en vois pas d’autre. Je n’en connais plus aucun autre.