Archives de catégorie : Science

Vie et trépas d’un vieux dinosaure (sur l’UICN)

Je sens bien qu’on ne me croira pas, mais au fond, qu’importe : je ne cherche pas à me fâcher avec l’UICN. L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) est un machin de plus, qui n’est pas le pire. En 1945, à la sortie de la guerre mortelle contre le fascisme, tout le monde y allait de son utopie universaliste. On sait la chanson de cette époque-là, qui avait déjà tourné la tête après 1918 : plus jamais ça. Plus de guerre, plus de massacre, plus d’affrontements meurtriers entre peuples frères.

L’Europe, qu’on confondait alors avec le monde, méritait mieux que cela. Il fallait donc des institutions, meilleures que cette SDN (Société des nations) qui avait si lamentablement échoué à entraver Hitler et ses plans criminels. D’où l’ONU, la FAO, l’accord dit de Bretton Woods, la Banque mondiale – appelée alors Banque internationale pour la reconstruction et le développement – et l’UICN. Entre autres.

Créée en 1948 à Fontainebleau – cocorico -, l’UICN rassemble 83 États, 114 agences gouvernementales, au moins 800 ONG et davantage que 10 000 experts et scientifiques du monde entier. Bon, osons le mot : c’est une formidable bureaucratie. Qui, comme telle, encombre le tableau et prend bien plus de place qu’elle ne le mérite. En France, le comité national est présidé par un homme que je connais et que j’estime, François Letourneux, ancien haut fonctionnaire au ministère de l’Écologie, ancien directeur du Conservatoire du Littoral.

Je me rends compte à l’instant, alors que j’ai discuté bien plus d’une fois avec lui, que j’ignore quelles sont ses opinions politiques partisanes. Preuve, si besoin en était, que je m’en fous. En tout cas, le réseau mondial UICN est réuni à Barcelone ces jours-ci, pour un congrès de plus dans la litanie des rendez-vous absurdes en défense de la biodiversité.

Celui-là bat tous les records, et c’est normal, car la situation n’a jamais été pire. Peut-être avez-vous lu quelques titres dans la presse qui vous convient (un aperçu ici). Je refuse de vous noyer sous les chiffres. Disons simplement, pour ce qui concerne les mammifères – nous en sommes, savez-vous ? -, qu’un sur quatre est menacé d’extinction. Peut-être même, car on ignore bien des choses, 36 % au total.

Jamais depuis 65 millions d’années – autant que nous pouvons le savoir – la vie n’a été à ce point menacée sur terre. Et jamais – je l’espère du moins – nous n’aurons entendu autant de baratin sur un sujet aussi grave. À Barcelone, au congrès de l’UICN, entre autres imbécillités – voyez comme je sais me tenir -, on aura entendu évoquer la naissance d’un indice Dow Jones de la biodiversité. Je ne ricane pas à cause du krach en cours, qui donne fatalement de curieuses couleurs à cette trouvaille calamiteuse, non. Mais parce que mettre la nature, sur quoi tout repose, au rang de l’économie, mère de toutes les tragédies, c’est comme annoncer qu’on a renoncé à lutter. C’est comme servir de guide aux braconniers pour tuer les dernières merveilles du monde.

À Barcelone, et j’arrête là, car la nausée me vient, on aura vu aussi Veolia Environnement devenir partenaire du Comité français de l’UICN. L’ancienne Générale des Eaux est une transnationale des métiers dits de l’environnement, qui gagne de l’argent, beaucoup d’argent, en prouvant chaque matin que l’eau est un bien privé, en tout cas privatisable. À ma connaissance, l’ancien patron de la Société Générale – celle qui nous réserve tant de belles surprises -, Daniel Bouton, fait toujours partie de son Conseil d’administration.

Qu’est-ce qui cloche avec l’UICN ? Mais la liberté, bien sûr, la démocratie, la vie, le changement, le coup de torchon ! L’UICN est l’héritière d’une tradition aujourd’hui plus désuète que le drapeau à fleur de lys : celle des sociétés savantes. Pendant un bon gros siècle, à partir du milieu du XIXème siècle, des professeurs dignes entre tous, certains admirables et d’autres pontifiants, ont monopolisé le discours public sur la nature et sa protection. La société les ennuyait, en laquelle ils ne voyaient qu’aveuglement et ignorance. lls régnaient. Sur un monde immobile à jamais. Sur une terre qu’ils seraient seuls à parcourir. À jamais.

La crise écologique brutale où nous sommes plongés rend ridicule toute l’institution. Laquelle, ayant grossi, a besoin de toujours plus d’argent qui lui est donné par ceux-là mêmes qui organisent la destruction ou l’autorisent : l’industrie et les États. C’est pourquoi l’UICN est à mes yeux définitivement incapable de parler de la nature et de la biodiversité en notre nom commun. À la suivre, nous pérorerons encore jusqu’au moment où nous serons seuls dans la cage, face à quelques arthropodes.

Nous sommes les contemporains d’une crise jamais vue depuis des dizaines, peut-être des centaines de millions d’années, et il faudrait suivre le chemin indiqué par les vieilles barbes du temps jadis ? Je sais que ce n’est pas agréable à lire, et je redis mon estime pour Letourneux, non pour des raisons diplomatiques. Je le sais sincère. Mais il est temps de faire la sociologie, l’histoire et même l’ethnographie des associations dites de protection de la nature. Il est temps d’être rebelle, il est temps de dynamiter, ce n’est plus l’heure des falbalas. Le moment est venu d’agir, ce qui n’a strictement rien à voir.

Recette pour se faire des ennemis (téléphonée)

Je crois devoir vous dire cette vérité pénible : je hais le téléphone portable. Je reconnais de suite que je n’ai aucun mérite, car c’est instinctif. J’essaie vaille que vaille de ne pas détester du même enthousiasme leurs possesseurs, car ils sont, car vous êtes bien trop nombreux pour cela. Je ne fais pas le poids.

Je crois que je pourrais écrire un livre sur tout ce qui me déplaît dans cet objet et ses si étonnants usages. Mais baste, quand je serai mort, peut-être. Il me faut néanmoins vous signaler le sort fait à la fameuse étude Interphone, commencée en 2000 dans treize pays. Censée faire le point sur les problèmes de santé publique éventuellement créés par le téléphone portatif, elle a été menée auprès de 14 000 personnes s’il vous plaît, ce qui en fait, et de loin, la plus importante jamais réalisée.

Est-elle achevée ? Oui. Depuis 2006. Mais enfin, sa publication est sans cesse retardée pour quelque raison ridicule. Il n’y a plus aucun doute qu’il y a anguille sous roche. Laquelle ? Je n’en sais strictement rien, mais un signe parmi d’autres ne trompe pas : les industriels s’agitent dans les coulisses, d’après tous les semblants d’information qui me parviennent. Peut-être vous souvenez-vous qu’en juin, une vingtaine de médecins avaient lancé un appel à la prudence (lire ici), aussitôt conspués par l’Académie de médecine (ici), dont chacun sait aujourd’hui – devrait savoir – ce qu’il convient d’en penser.

Il est probable, hautement probable, que l’étude Interphone est préoccupante pour l’industrie du téléphone portable. Mais aussi, n’oublions pas ce qui reste l’essentiel, pour la santé des utilisateurs, parmi lesquels de nombreux enfants. Tenez, des scientifiques importants ont tenu devant le Congrès américain des propos que je me dois de vous rapporter. David Carpenter, spécialiste de santé publique et professeur de santé environnementale . « On ne doit pas rééditer ce que nous avons connu à propos de la cigarette et du cancer du poumon, où notre nation a pinaillé sur chaque détail d’information avant d’avertir le public ». Ronald Herberman de l’université de Pittsburgh : « À la lumière des 70 ans que cela nous a pris pour retirer le plomb des peintures et des 50 ans qu’il a fallu pour établir de façon convaincante le lien entre la cigarette et le cancer du poumon, j’affirme qu’on ferait bien de tirer les leçons du passé pour mieux interpréter les signes de risques potentiels. Il y a dans le monde 3 milliards d’usagers réguliers de téléphones cellulaires. Nous avons besoin d’un message de précaution ». Je ne souhaite pas entrer plus avant dans le débat sur la dangerosité du portable, et me contenterai d’un simple commentaire : il faut être tout de même assez nigaudon – pardon à tous – pour ne pas se poser de questions a priori.

Car tout de même, toutes ces ondes nouvelles, créées ex nihilo, pour satisfaire de curieux besoins, traversent en permanence des tissus vivants. Les radios, ordinateurs, téléphones, micro-ondes, et quantité d’autres objets émettent bel et bien quelque chose qui nous traverse. Oui ou non ? Je n’entends pas vous dire qu’il faut renoncer à tout, mais la marge de précaution me semble tout simplement géante. Or, à chaque innovation bien emballée par l’industrie du mensonge – la publicité -, la machine repart en ayant tout oublié du raté précédent.

Je pense bien entendu à cette phrase attribuée – elle est en tout cas dans sa manière – à Napoléon : « On avance et puis on voit ». Voilà bien l’étendard qui réunit l’époque entière. En avant ! Produisons ! Consommons ! Détruisons ! En avant, comme avant, comme toujours ! Hélas, hélas, je crois que nous touchons là une tension qui est en chacun de nous. Et qui ne disparaîtra pas. C’est celle, probablement, qui a conduit les humains hors de ce qui ne s’appelait pas encore l’Afrique, pour une conquête de tous les espaces disponibles sur terre.

Oui, je crois que nous touchons du doigt une partie essentielle de notre humanité. Autant dire que je l’accepte. Plutôt, que j’accepte l’existence de ce qui ne saurait disparaître. Mais ! Mais ! Nous pouvons, nous devons élever des digues. Nous pouvons, à l’intérieur de nous-mêmes, mieux connaître les défauts de nos pauvres cuirasses. Nous pouvons combattre, nous pouvons réduire, nous pouvons gagner, même si jamais la victoire ne sera définitive. Le premier pas serait de nommer. Oui, commençons donc par nommer ce qui nous pousse vers le désastre.

Le jour où il aurait fallu s’arrêter

J’écoute désormais du coin de l’oreille, et continue de dormir de l’autre. À quoi bon mobiliser tout son esprit pour de telles sornettes ? Ce matin, Jacques Attali, pérorant comme à son habitude sur France-Inter. La crise économique. Les moyens d’en sortir. Les magnifiques idées qu’un magnifique penseur – lui – a imaginées dans le secret de son cerveau surdéveloppé. Etc. Ad nauseam.

On reparlera tantôt de ce grand minuscule monsieur, car le procès dit de l’Angolagate est annoncé lundi prochain, et il en sera. Je ne préjuge de rien, et c’est sincère. Je ne sais rien du dossier, sauf qu’il est infâme. Jacques Attali, Jean-Christophe Mitterrand, Jean-Charles Marchiani, Paul-Loup Sulitzer, Charles Pasqua sont poursuivis à des titres divers dans le cadre d’un présumé trafic d’armes géant à destination du président angolais Edouardo Dos Santos. Une honte absolue, qui n’a profité dans tous les cas qu’aux corrompus du parti au pouvoir, le MPLA.

Mais je voulais juste vous dire deux mots du jour où l’on aurait dû tout arrêter pour de vrai. Le krach économique, dont je ne sous-estime certes pas la puissance destructrice, n’est encore rien en face du krach écologique vers lequel nous nous précipitons avec ardeur. Il existe une ONG canadienne, Global Footprint Network, qui a mis au point un indicateur écologique frappant, c’est le moins que l’on puisse dire. Allez lire – c’est un lecteur de ce blog, salut ! – ce qu’en dit Sandro Minimo (ici). Le résumé est simple : le 23 septembre passé, nous avons dépassé la limite.

Adapté, développé à partir de la notion d’empreinte écologique, le Global Overshoot Day est le Jour du dépassement global. Entre le 1 janvier et le 23 septembre, estime Global Footprint Network, nous aurions consommé, nous les humains, tous les biens naturels que nous offre la terre chaque année. Au-delà, les « intérêts » ayant été croqués, nous dévorerions à pleines dents le « capital ». La date fatidique aurait été l’an passé le 6 octobre, et la situation ne cesserait donc de se dégrader. Selon les comptables canadiens, les activités humaines auraient commencé à dépasser les possibilités de renouvellement des écosystèmes naturels en 1986.

Je ne garantis rien de tout cela, et personne ne peut le faire sérieusement. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la tendance lourde, et même fatale, est là. Il est évident pour quelqu’un comme moi, je dis bien évident, que nous surexploitons d’une manière folle la planète. Non parce que je serais plus malin, mais simplement – si je peux écrire de la sorte – pour la raison que je digère chaque jour des informations significatives. Et que je les organise dans un cadre de pensée différent. Profondément différent de celui où se perdent des milliers d’Attali.

Il faut sortir du cadre. Si possible ensemble.

À lire calmement et avec application (sérieux)

Court prologue : si vous en avez l’occasion, faites circuler s’il vous plaît les informations développées ci-dessous. Pas nécessairement mon texte. Dans ce domaine si particulier, le moindre copyright serait encore plus insupportable qu’ailleurs. Mais ce qu’il contient non seulement nous concerne, mais nous oblige. À quoi ? Chacun répondra pour lui-même.  

Prenez votre temps, je vous en prie, nous ne sommes pas à une heure près. Prenez votre temps pour lire ce qui suit, et que je n’ai pas tiré de ma besace pour gâcher votre journée. Prenez votre temps, vous m’obligeriez, car c’est encore plus important que d’habitude. Pour commencer, je vous présente un organisme international que vous ne connaissez peut-être pas. Tel était mon cas encore hier : il s’agit du Global Carbon Project (GCP), qui rassemble des scientifiques de bonne tenue, du monde entier. Ce machin-là étudie ou tente d’étudier dans sa totalité le cycle du carbone, l’un des constituants de la vie. C’est lui qui, sous la forme de CO2, contribue le plus à aggraver l’effet de serre, lequel est la base du dérèglement climatique en cours.

Si j’étais Claude Allègre, j’aurais déjà éructé sur ces savants qui affolent le monde pour remplir les caisses de leurs laboratoires. Mais j’ai l’honneur de ne pas être Claude Allègre, et je continue donc mon petit chemin de lanceur d’alerte. Alors, voici : selon Corinne Le Quéré (université d’East Anglia et British Antarctic Survey), membre du GCP, « depuis 2000, les émissions [de gaz à effet de serre] ont crû en moyenne de 3,5% par an, soit quatre fois plus vite qu’entre 1990 et 2000, où cette augmentation annuelle n’avait été que de 0,9% environ (ici ) ».

Dans l’absolu, c’est dingue, mais relativement aux prévisions du Giec, c’est encore pire. Le Giec est cette Internationale scientifique qui, dans le cadre de l’ONU, cherche à modéliser l’évolution du climat planétaire. Le Giec est le modeste phare dont nous disposons pour éclairer les ténèbres de l’avenir. Eh bien, les pires prévisions du Giec sont actuellement fondées sur une augmentation moyenne annuelle des émissions de gaz de 2,7 %. Et nous en sommes à 3,5 %. Les pires prévisions, je me permets d’insister lourdement.

Est-ce tout ? Mais non ! Les pays développés, qui avaient pris des engagements chiffrés à Kyoto, en 1997 – à l’exception de cet excellent Bill Clinton – n’ont globalement pas diminué leurs rejets. Et les pays du Sud, dont la Chine et l’Inde, voient les leurs exploser sans aucune retenue. Je m’empresse d’ajouter que j’éprouve des doutes quant à certaines affirmations du GCP (ici). Il existe en effet une grande incertitude concernant la déforestation en zone tropicale. Des spécialistes sérieux – je dois dire que je juge leur propos crédible – signalent par exemple que le drainage de tourbières dans un pays comme l’Indonésie relâche des quantités effarantes de gaz à effet de serre, qui ne sont prises en compte par personne.

Mais je reviens au bilan du GCP. La leçon est simple : rien n’a bougé en vingt ans. Car il y a vingt ans que l’alerte mondiale a été lancée, notamment par la revue scientifique Nature. Car il y a dix ans qu’a eu lieu la funeste conférence mondiale de Kyoto, d’où sont sortis des voeux pieux, et des engagements ridicules. Or, même cela ne sera pas atteint en 2012, au moment du bilan du fameux Protocole dit de Kyoto. Pensez une seconde à toutes ces informations bidon publiées ici ou là. Pensez à ces envolées du haut des tribunes. À ces dizaines de conférences ronflantes, rutilantes et sublimes. À ces milliers de discours. À tous ces misérables Grenelle de l’Environnement, quel que soit le nom qu’on leur donne et donnera. Pensez à ces entreprises, transnationales ou non, qui font semblant d’agir, aidées par des journaux devenus sans morale, et sans objet, mais surchargés de publicité à la gloire du néant. Pensez que 90 % des « nouvelles » circulant dans un pays comme le nôtre concernent l’âge du capitaine et de Johnny Halliday. Les affres de PPDA et cette grossesse de Carla Bruni, qui se fait attendre. Le mariage de la Princesse, suivi de son divorce, puis de sa tentative de suicide. En conscience, en toute certitude, nous avons ouvert ensemble une boîte de Pandore aux dimensions sans précédent.

Il y a une manière de continuer à croire en l’avenir. Et cela concerne justement Pandore. On discute encore sur le contenu réel de cette boîte, qui était une jarre. Elle contenait tous les maux de l’humanité, pour sûr. Dont la mort. Mais aussi, selon certaines traductions – contestées, hélas -, l’Espérance. Admettons la présence de cette dernière, car sait-on jamais. Il reste que l’irresponsabilité collective dont nous faisons la preuve à propos du climat me renforce dans ma volonté de rupture personnelle, intime, définitive avec ce monde et ses représentants officiels.

Plus jamais je n’accorderai la moindre confiance à qui ne mettrait au premier plan cette question clé. Cela vaut pour tous et chacun, à commencer par les pitoyables politiques de toute tendance, ceux que nous méritons, certes. Si nous sommes capables de réunir assez de force morale collective pour rendre ce sujet obsédant, alors oui, l’Espérance sortira de la boîte de Pandore. Et sinon, Inch’Allah. Je ne nie pas, vous le savez, les autres impasses écologiques, celles qui touchent les océans, les sols, les eaux douces, les forêts. Mais la mère des batailles, qui les commande toutes, c’est le climat. D’après des estimations on ne peut plus prudentes, bien qu’affolantes, un centimètre d’élévation du niveau des mers créerait mécaniquement sur terre un million de réfugiés écologiques en plus (ici).

Pour l’heure, nous perdons pied. L’économie assassine le monde, et nous lui offrons notre flanc et notre gorge. Il faut, il faut, il faudrait. Il va falloir se lever. Je ne sais pas comment. Je sais juste qu’il faudra.

 PS qui ne rajeunira personne : Le 23 mars 1995, j’ai écrit dans le journal Politis une chronique dont le titre était Avis de tempête. Cela se passe aisément du moindre commentaire. Ci-dessous, in extenso.

On envie leur bonne humeur et leur goût de la plaisanterie. C’est à qui sera le plus joueur : monsieur Balladur assure qu’il vaincra les méchants, monsieur Chirac qu’il aime l’Europe; quant à monsieur Jospin, il propose, vingt ans après un programme socialiste qui exigeait les 35 heures, 37 heures de travail hebdomadaire dans deux ans. Quelle drôlerie !

Pendant ce temps, le climat change. Pas celui du microcosme ni même celui de la France éternelle, mais plus gravement peut-être celui de Gaïa, notre terre, notre mère. Du 28 mars au 7 avril, une conférence des Nations-Unies – sorte de nouveau Rio – doit décider à Berlin de mesures pour lutter contre l’effet de serre. Certes, on est très loin d’être sûr de tout dans ce domaine pourtant décisif. Mais les lobbies à l’oeuvre n’ont quant à eux aucun doute sur la marche à suivre : il faut et il suffit de saboter toute politique de prévention.

L’Arabie saoudite notamment, qui redoute comme la peste une diminution de la consommation de pétrole, aura tout tenté, dans les coulisses, pour que la conférence échoue. On peut imaginer les moyens utilisés, dans ce monde où tout s’achète. Caricatural, le royaume wahabite n’est pourtant pas isolé : Texaco, Shell, Amoco, BP et compagnie – c’est le cas de le dire – sont allés jusqu’à créer une organisation spéciale, Global Climate Coalition, pour défendre le intérêts de la boutique.

Le malheur, c’est que tous les gouvernements, peu ou prou, sont d’accord avec les boutiquiers. Le nôtre n’a guère besoin d’aller à Berlin, car il a déjà fait connaître sa position.Un seul exemple : le transport par poids lourds produit cinq fois plus de CO2 au km que par train. Dans la vallée d’Aspe, il y a une voie de chemin de fer, inutilisée depuis 25 ans. Il y aura demain un tunnel, pour y faire passer les 38 tonnes. Quand viendront les tempêtes climatiques, Chirac, ou Balladur, ou encore Jospin nous trouveront bien une solution. Un parapluie, peut-être ?

Une très bonne nouvelle (si)

Je ne suis pas crédible dans ce rôle de composition, mais on me pardonnera peut-être : me voici porteur d’une nouvelle extraordinaire. Un okapi a été photographié en forêt, en liberté, et pour la première fois dans ces conditions pourtant si évidentes. Je répète : un okapi libre a été fixé sur une pellicule, et c’est la toute première fois. Attendez, soyez patients, ce n’est pas fini, des surprises ne sont pas à exclure dans ce papier débordant de joie (sincère).

Je vous présente l’okapi. Il pourrait faire penser à une girafe, en plus petit, avec un cou nettement plus court, des jambes antérieures plus longues que les autres, et un pelage rayé. N’oublions pas la langue protractile, qui s’allonge d’elle-même, pratique pour boulotter les feuilles des arbres. Où vit-il ? Exclusivement dans les forêts denses d’une petite partie de la République démocratique du Congo (RDC), l’ancien Zaïre. Surtout celle de l’Ituri, où une réserve a été créée pour lui.

C’est là que commence le sortilège. Car la région de l’Ituri est l’une des plus meurtries par l’épouvantable guerre civile en cours en RDC, qui aurait tué plus que cinq millions d’hommes en une dizaine d’années. Je n’essaie pas d’imaginer, car je n’en suis pas capable. Outre les viols et les massacres, les tueurs patentés auraient utilisé le cannibalisme pour mieux terroriser les civils. Ce n’est pas une histoire drôle.

Donc l’Ituri. Mais comme si cela ne suffisait pas, la photo de l’okapi, mammifère devenu rare, mammifère menacé on s’en doute – il peut peser ses 300 kilos de chair et d’os – a été photographié dans le parc national des Virunga, l’un des lieux les plus fantastiques de notre terre. Surface :  790 000 hectares, répartis entre 680 et 5109 mètres d’altitude. En bas, des marécages et des steppes, en haut une végétation afro-alpine, faite de fougères arborescentes et de lobélies. En bas, 20 000 hippopotames. En haut, des gorilles des montagnes. Avec des volcans. Avec des neiges éternelles. Avec des vols d’oiseaux venus de Sibérie. Le Parc abrite 218 espèces de mammifères, 706 d’oiseaux, 109 de reptiles et 78 d’amphibiens. Et compte 22 espèces de primates, dont trois grands singes : le gorille de montagne déjà cité, le gorille des plaines de l’Est et le chimpanzé de l’Est. Si vous êtes déjà allé aux Virunga, je vous en prie, pas de commentaire. Pensez aux autres.

Revenons à l’okapi, qui a été photographié en un lieu d’où on le croyait disparu. Car personne n’en avait jamais vu dans les Virunga depuis 50 ans. Des biologistes de la Société zoologique de Londres ont installé un piège photographique, qui a donc donné ce résultat inouï (ici, avec photos). Je ne trouve pas ce résultat seulement beau, mais franchement incroyable. Car des dizaines de milliers de soldats campent dans les Virunga et alentour. Des factions, de sinistres factions qui s’entretuent quand elles ne s’en prennent pas aux paysans pauvres de la région. Schématiquement, trois groupes sont présents. D’abord l’armée nationale congolaise, si on peut appeler ainsi cette milice. Puis les ignobles Interhamwe, milice génocidaire hutue – du Rwanda voisin – repliée là après avoir découpé à la machette 800 000 Tutsi en 1994. Enfin, les troupes d’un soudard congolais, rebelle tutsi qui prend prétexte de la présence des Hutus haïs pour mener ses affaires.

Tragique ? Tout cela dépasse nos pauvres mots habituels. En plus des trafics et du braconnage, omniprésents, la faune sauvage des Virunga voit disparaître la forêt dense qui est son univers. Car le charbon de bois est devenue une industrie qui pèserait cent fois plus que l’écotourisme lié aux gorilles de montagne. En 2006, le commerce du charbon de bois aurait rapporté plus de 30 millions de dollars, contre 300 000 pour le tourisme. Voilà pourquoi votre soeur est muette, et la forêt en perdition.

Et pourtant ! Au milieu de ce merdier sans nom, les rangers qui surveillent le parc restent. Des dizaines d’entre eux ont été assassinés. Mais ils restent. Je les vois comme de grands humains, je les sais attachés à la vie sauvage, malgré l’horreur absolue des conditions locales. Qu’on me permette de saluer la très noble figure de l’un d’entre eux, Paulin Ngobobo. Menacé dans sa vie, il est pour le moment caché à Kinshasa, en attendant une improbable éclaircie. Une poignée d’étrangers tentent eux aussi l’impossible, parmi lesquels Robert Muir, de la Société zoologique de Francfort. Ce dernier cherche et trouve (peut-être) des solutions pour réduire la pression sur la grande forêt magique (ici, en anglais).

C’est dans ce pandémonium géant que l’okapi a trouvé un petit espace. Oui, je sais, comme bonne nouvelle, on devrait pouvoir faire mieux. Je vais donc chercher. Mais de vous à moi, n’est-ce pas tout de même réconfortant ?