Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 avril 2014
C’est parti mon kiki. Au Brésil, on va lâcher dans les villes et les campagnes un moustique génétiquement modifié, OX513A. Officiellement, pour éradiquer la dengue. Mais en réalité, pour soutenir le chiffre d’affaires de Syngenta, le tireur de ficelles.
On n’a pas fini d’applaudir. Les rusés garçons qui tentent d’imposer partout des OGM ont remporté une belle victoire. Une commission officielle brésilienne, la CTNBio, vient d’approuver le lâcher et la commercialisation de moustiques génétiquement manipulés. À la différence de notre consultatif Haut Conseil des biotechnologies (HCB), la CTNBio décide, et on voit mal ce qui pourrait encore arrêter l’aventure : OX513A devrait bientôt voler dans les airs des grandes villes, de Rio à Bahia, de São Paulo à Recife.
OX513A est un moustique mâle Aedes aegypti dans lequel on a injecté deux gènes qui modifient son ADN. Relâché par millions, il devrait, selon le plan, s’accoupler à des femelles traditionnelles et peu à peu réduire drastiquement la descendance. Car il est réputé stérile, ou près de l’être, et transmettrait son incapacité à sa progéniture.
Avant de cogner comme un bûcheron sur cette énième aventure industrielle, précisons que tout repose sur la trouille inspirée par la dengue, une maladie infectieuse on ne peut plus réelle. Virale, elle est transmise dans les pays tropicaux par les moustiques Aedes, et provoque maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, nausées, vomissements, etc. L’une des formes les plus sévères, la dengue hémorragique, s’étend à grande vitesse, et au total, plusieurs millions d’humains seraient infectés chaque année, dont 21 000 sont morts en 2011.
N’est-ce pas génial ? Le tableau ne saurait être plus favorable pour les expérimentateurs : une maladie lourde qui frapperait 120 000 Brésiliens chaque année, un « progrès » à portée de main, un coût dérisoire comparé aux dépenses de santé occasionnées par le virus. Mais comme à l’époque des villages Potemkine – des trompe-l’œil destinés à bercer Catherine II de Russie -, il faut passer de l’autre côté du décor pour comprendre ce qui se passe.
Un, le résultat des essais au Brésil – ils seraient époustouflants – n’a pas été publié. Gabriel Fernandes, responsable d’une association brésilienne pour l’agriculture familiale, AS-PTA (http://aspta.org.br) va droit au but : « Il n’existe aucune donnée montrant que ce moustique OGM réduit vraiment l’incidence de la dengue. Dans ce cas précis, la décision est bien davantage basée sur la propagande que sur des données concrètes venues d’études de terrain ».
Deux, nul ne sait ce que sera le suivi de l’affaire une fois les moustiques relâchés. Aucune autorité n’indique ce qui se passerait en cas d’effet malencontreux. On dissémine, et on compte les points. Trois, d’autres essais menés dans les îles Caïman – sur une surface évidemment restreinte – ont surtout montré les limites du projet. Pour éliminer une population ridiculement faible de 20 000 moustiques « normaux » – combien de millions pour le gigantesque Brésil ? -, il aurait fallu disposer de 7 millions de moustiques OGM par semaine.
Quatre, les conséquences sur la santé humaine et celle des écosystèmes ne sont simplement pas prises en compte. Ce n’est pas une criaillerie d’écologiste attardé. Une baisse temporaire du nombre de moustiques porteurs de la dengue pourrait avoir ce que les spécialistes appellent un effet rebond. L’immunité contre la maladie baisserait aussi, mettant en danger divers groupes en cas de retour massif du virus. Selon certaines sources, la réduction pour un temps de la contamination pourrait en outre entraîner une baisse de l’immunité croisée, qui protège contre les différents sérotypes de la dengue.
Dans tous les cas, on ne sait pas où on va, mais on y va. On ne sait pas, sauf peut-être la petite entreprise cachée dans les coulisses. Un tel scénario passe par des techniciens hautement spécialisés, en l’occurrence ceux d’Oxitec. Cette boîte britannique (www.oxitec.com) se présente évidemment comme philanthropique. Officiellement, elle est « un pionnier dans la lutte contre les insectes vecteur de maladies et ravageurs des récoltes ». Et les solutions proposées, « durables, rentables et respectueuses de l’environnement » peuvent « garder les gens en bonne santé et accroître la production alimentaire ». C’est très beau, c’est très faux.
Selon l’association anglaise GeneWatch (http://www.genewatch.org), Oxitec a « des liens étroits avec la transnationale de l’agrobusiness Syngenta ». Cette dernière a financé certains travaux d’Oxitec, et plusieurs de ses anciens dirigeants siègent au conseil d’administration d’Oxitec. Pourrait-il s’agir d’un faux-nez ? Syngenta, d’origine suisse, est un géant mondial des semences et des OGM, qui ne cesse de chercher des chevaux de Troie pour pénétrer de nouveaux marchés. Le moustique OX513A pourrait bien faire partie de la liste.
Dans cette hypothèse, on risque fort de parler tôt ou tard de moustiques transgéniques en France, car la dengue est très présente dans les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe -, où la grande épidémie de 2009/2010 a frappé plus de 80 000 personnes. Et les Aedes aegypti tripatouillés par Oxitec transmettent également le chikungunya, qui a dévasté la Réunion en 2005 et 2006 et se répand ces dernières semaines dans les Antilles.
Le Sud-Ouest lui-même, sur fond de dérèglement climatique, est menacé. Le 26 mai 2012, un habitant de Marmande (Lot-et-Garonne) envoie à l’administration une photo prise chez lui, en plein centre-ville, qui montre un moustique du genre Aedes, de l’espèce albopictus. Celui qu’on appelle le moustique tigre. C’est d’autant plus chiant que sa présence a été confirmée de nombreuses fois depuis, de Pessac à Talence, et qu’il transmet lui aussi la dengue et le chikungunya.
La France reste loin pour l’instant du Brésil, mais demain ? Rappelons en deux mots l’affaire du DDT, produit miracle qui n’est jamais venu à bout du paludisme, mais a niqué pour de bon d’innombrables écosystèmes. Quarante ans après les premières interdictions, on trouve la trace de ce produit cancérigène dans la plupart des analyses de sang aux Etats-Unis. Ce n’est pas la même chose, mais ça pourrait faire réfléchir les ramollos du bulbe. Peut-être.
Le texte qui suit est tiré du quotidien Libération de ce matin, le 15 octobre 2013. C’est une perle, et c’est pourquoi je le publie de nouveau sur Planète sans visa. De quoi parle-t-il ? De la peur. De la peur et du désarroi que ressentent une poignée de vieux scientistes – Badinter, 85 ans; Chevènement, 74 ans; Juppé, 68 ans; Rocard, 83 ans – face à une réalité fantasmatique. Ne nous attardons pas sur le grotesque, si évident. Parlant de science, ces gens n’expriment que des émotions et des impressions. La critique de la science serait inquiétante, et les scientifiques seraient attaqués de plus en plus souvent. Où sont les faits ? Nulle part.
Non, passons sur ce qui n’est que détail. En revanche, et sur le fond, il faut s’attarder. Car ces grands idiots ne voient pas même cette évidence que la science n’a jamais connu pareille « liberté ». Les pouvoirs politiques, à mesure que se renforce l’industrialisation du monde, lâchent toujours plus la bride aux chercheurs, pensant avec une naïveté grandissante qu’ils finiront bien par trouver des solutions aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, notons que les chercheurs et applicateurs techniques nous ont apporté sans que nous n’ayons rien demandé l’atome et la possibilité d’en finir avec l’espèce ; l’industrie chimique de la synthèse et les pesticides, accompagnés d’un empoisonnement désormais planétaire ; les nanotechnologies ; les abatteuses d’arbres, capables de couper, ébrancher et billonner un tronc en moins d’une minute ; des filets dérivants en nylon de 100 kilomètres de long, etc. Et quand j’écris etc., je veux réellement dire et cætera, sûr que vous complèterez jusqu’à demain matin cette liste sans fin.
Non, vraiment, ce sont des idiots. Et il m’est plaisant de compter parmi eux Robert Badinter, désastreuse icône de la gauche bien-élevée, au motif qu’il aura incarné l’abolition de la peine de mort chez nous en 1981, mesure décidée au Venezuela dès 1863, 120 ans plus tôt. La mémoire est une folle dame. Qui sait ou se souvient que Robert Badinter passa une bonne part de sa vie professionnelle à défendre des patrons ? Et notamment dans la sinistre affaire du talc Morhange (ici) ? Quant aux autres, faut-il insister ? Chevènement, grand homme miniature qui voulait rompre avec le capitalisme en 100 jours, entre mai et juillet 1981, et qui termine aujourd’hui sénateur. Juppé, qui a rêvé toute sa vie d’être président, et qui n’aura fait que Premier ministre droit dans ses bottes. Rocard, 100 fois humilié et ridiculisé par Mitterrand, incapable de construire autre chose que des châteaux de cartes. Bah !
La bande des Quatre nous raconte une histoire totalement imaginaire à laquelle elle croit sans nul doute. Le débat sur la science et la technique est truqué et rendu inutile par les chefferies administratives qui l’organisent. Mais cela ne suffit pas à nos maîtres. Ils voudraient que cessent la mise en cause et la critique. Ils voudraient pouvoir continuer sans limite aucune, jusqu’à la fin des fins, qui semble s’approcher de plus en plus. Ils ne voient pas même qu’ils réclament la dictature, l’effacement du dissensus par l’intervention de l’État. Vu d’ici, cela fait furieusement penser à un paratotalitarisme.
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La tribune de Libération
La France a, plus que jamais, besoin de scientifiques et techniciens
Nous assistons à une évolution inquiétante des relations entre la société française et les sciences et techniques. Des minorités constituées autour d’un rejet de celles-ci tentent d’imposer peu à peu leur loi et d’interdire progressivement tout débat sérieux et toute expression publique des scientifiques qui ne partagent pas leurs opinions. L’impossibilité de tenir un débat public libre sur le site de stockage des déchets de la CIGEO (Le site souterrain de stockage des déchets hautement radioactifs proposé par l’ANDRA) est l’exemple le plus récent de cette atmosphère et de ces pratiques d’intimidation, qui spéculent sur la faiblesse des pouvoirs publics et des élus.
De plus en plus de scientifiques sont pris à partie personnellement s’ils osent aborder publiquement et de façon non idéologique, des questions portant sur les OGM, les ondes électromagnétiques, les nanotechnologies, le nucléaire, le gaz de schistes….Il devient difficile de recruter des étudiants dans les disciplines concernées (physique, biologie, chimie, géologie). Les organismes de recherche ont ainsi été conduits à donner une forte priorité aux études portant sur les risques, même ténus, de telle ou telle technique, mettant ainsi à mal leur potentiel de compréhension et d’innovation. Or c’est bien la science et la technologie qui, à travers la mise au point de nouveaux procédés et dispositifs, sontde nature à améliorer les conditions de vie des hommes et de protéger l’environnement.
La France est dans une situation difficile du fait de sa perte de compétitivité au niveau européen comme mondial. Comment imaginer que nous puissions remonter la pente sans innover? Comment innover si la liberté de créer est constamment remise en cause et si la méfiance envers les chercheurs et les inventeurs est généralisée, alors que l’on pourrait, au contraire, s’attendre à voir encourager nos champions ? Il ne s’agit pas de donner le pouvoir aux scientifiques mais de donner aux pouvoirs publics et à nos concitoyens les éléments nécessaires à la prise de décision.
Nous appelons donc solennellement les médias et les femmes et hommes politiques à exiger que les débats publics vraiment ouverts et contradictoires puissent avoir lieu sans être entravés par des minorités bruyantes et, parfois provocantes, voire violentes. Il est indispensable que les scientifiques et ingénieurs puissent s’exprimer et être écoutés dans leur rôle d’expertise. L’existence même de la démocratie est menacée si elle n’est plus capable d’entendre des expertises, même contraires à la pensée dominante.
Robert Badinter, ancien Ministre, ancien Président du Conseil Constitutionnel
Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre de la Recherche et de la Technologie, ancien Ministre de la Recherche et de l’Industrie, ancien Ministre de l’Education Nationale
Publié dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo le mercredi 14 août 2013
Les industriels ont ajouté de l’aluminium dans tous les vaccins, y compris ceux pour les bébés. On s’en foutrait si ce métal n’était pas gravement soupçonné de provoquer une nouvelle maladie. Pendant ce temps, le gouvernement pionce.
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Pourquoi ? Jusqu’en 2008, on pouvait encore trouver des vaccins sans aluminium. Depuis, impossible. Chaque injection introduit fatalement une dose de cet adjuvant dans le corps, qu’on soit bébé ou vieillard. Or, il y a un sacré lézard. Une association de malades, E3M (http://www.myofasciite.fr), mène un formidable combat pour le retour de vaccins sans aluminium, et plusieurs de ses membres viennent d’ailleurs de mener une grève de la faim de plus d’un mois, soutenus par des parlementaires – les écolos Michèle Rivasi et Corinne Lepage, la sénatrice communiste Laurence Cohen, le Modem Jean Lassalle. Trois malades ont d’ailleurs porté plainte contre X pour blessures involontaires.
Du côté du pouvoir, Marisol Touraine, ministre de la Santé, avait promis le retour de vaccins sans alu pendant la campagne présidentielle, mais elle ne veut plus bouger un doigt. 75 000 personnes ont signé en ligne un appel de soutien à la grève de la faim, mais pour le moment, nib. On attend prudemment septembre.
Tentons un résumé de ce vaste bobinard. Le 1er août 1998, le professeur Gherardi – hôpital Henri Mondor, Créteil – et une poignée de ses collègues publient un article remarqué dans le journal scientifique The Lancet (1). Ils y décrivent une nouvelle maladie, appelée myofasciite à macrophages (MFM). Peu à peu, un petit groupe de scientifiques, autour de Gherardi, se convainc par de multiples examens cliniques que l’aluminium contenu dans les vaccins pourrait être la cause de la MFM. Et cet aluminium semble bien, chez une partie des vaccinés, rester dans la zone d’injection au lieu de se dissoudre naturellement, avant de migrer jusqu’au cerveau, provoquant de graves dégâts cognitifs, de nombreuses douleurs et des fatigues invalidantes. Le cœur de la controverse est là. Ceux de l’association E3M réclament au moins, compte tenu de très fortes suspicions, le retour au libre choix de vacciner sans aluminium.
On en était là jusqu’à la publication ces tout derniers jours d’un copieux rapport officiel (2) du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Intitulé « Aluminium et vaccins », ce texte de 63 pages, qui se veut une analyse mondiale de la question, « estime que les données scientifiques disponibles à ce jour ne permettent pas de remettre en cause la sécurité des vaccins contenant de l’aluminium, au regard de leur balance bénéfices/risques ». Laissons de côté le verbiage technocratique, et signalons plutôt l’étrangeté du texte. Car à côté de cette conclusion, qui ne peut que complaire à l’industrie du vaccin, le Haut Conseil essaie maladroitement de prendre des précautions, au cas où.
Constatant l’évidence de questions sans réponse – par exemple : « quelle est la durée normale de persistance [des] lésions et après quel délai l’aluminium du muscle se résorbe-t-il ? » -, le rapport suggère de nouvelles études. Y aurait pas de risques, mais faudrait voir. De son côté, l’association E3M se livre à un commentaire critique qui oblige à se poser de pénibles questions, y compris sur la persistance possible de conflits d’intérêt entre certains auteurs de la synthèse et des labos pharmaceutiques.
Le rapport du Haut Conseil consacre par ailleurs beaucoup de place à dézinguer le travail du professeur Gherardi, visiblement sa bête noire, et même d’E3M. Or Gherardi n’a été auditionné que quelques jours avant la validation du texte, alors que les conclusions étaient déjà arrêtées, et l’association n’a quant à elle jamais été reçue, ce qui fait un tantinet beaucoup.
Ajoutons deux points. Un, l’aluminium utilisé dans la « fabrication » de l’eau potable est fortement soupçonné de jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer. Deux, la toxicologie de papa, celle du HCSP, postule avec Paracelse, depuis près de 500 ans, que la dose fait le poison. Des études de plus en plus nombreuses pulvérisent cette vieillerie, car certains toxiques sont bien plus actifs à des doses infinitésimales. Mame Touraine, c’est si dur, de tenir une promesse ?
Ce que vous allez – peut-être – lire est un document. Il y a peu de textes qui disent à ce point la nécessité de refonder une pensée de l’homme et de son avenir. Étienne-Émile Beaulieu est un vieil homme, né en 1926, qui se trouve être le chéri de quantité de journalistes de la place (ici). Mais je me reprends : il est le chéri de toutes les élites en place, car il exprime au mieux, drapé de son large costume d’impeccable scientifique, ce qu’il est tant plaisant de croire. La science est au service de l’homme et de ses souhaits, le progrès est une marche en avant, il faut donner davantage à la recherche, qui trouvera fatalement, puisque telle est sa raison d’être. Vous verrez par vous-même ce qu’il faut penser, y compris de ce que je viens d’écrire.
Beaulieu, on s’en souvient peut-être, est « l’inventeur » de la pilule RU-486, qui permet dans certains cas d’avorter sans passer entre les mains d’un chirurgien. Il a également travaillé sur le vieillissement, au travers de recherches sur la déhydroépiandrostérone (DHEA), qui a donné beaucoup d’espoirs – vains – à qui rêve de repousser les limites humaines. Je me doute qu’il ne serait pas d’accord, mais pour ma part, je classe volontiers Beaulieu dans le camp en perpétuelle expansion des transhumanistes, et ce n’est pas un compliment. Le transhumanisme, qui postule la nécessité « d’améliorer » l’homme par adjonction de créations scientifiques et technologiques, est à mon sens une résurgence des idéologies les plus délétères du passé. Celle du « surhomme » ? En effet, tel est bien mon état d’esprit.
Dans l’entretien ci-dessous qu’il a accordé au grand médiacrate Christophe Barbier, de L’Express, Beaulieu enfile quelques perles qui prouvent en fait l’innocence de sa pensée. Au sens de naïveté. Franchement ! Son point de vue sur le mariage pour tous, qui ouvre l’article, est à peine digne des échanges de bistrot. Bon. Pas grave. Pas grave, mais significatif : on peut passer sa vie dans un laboratoire, éventuellement y faire de grandes découvertes, et n’avoir rien à dire sur la marche redoutable du temps. Est-ce le cas de Beaulieu ? Presque. Presque, car se sentant à l’abri entre les mains de Barbier – et il a bien raison -, Beaulieu se lâche.
Je ne vous livre que quelques extraits, qui sont manifestement du goût de notre grand journaliste de poche. En gras, les questions de Barbier. En maigre, les réponses de Beaulieu :
Extrait 1 : « Etes-vous favorable à la PMA pour tous?
Je ne suis contre aucune avancée, par principe. Cela arrivera inévitablement.
Extrait 2 : Etes-vous pour la GPA, la gestation pour autrui ?
Encore une fois, je suis pour tout ce que les gens désirent, je crois que c’est dans l’intérêt général, j’ai confiance dans la sagesse des humains.
Extrait 3 : Pourra-t-on un jour faire un enfant sans le ventre d’une femme, par une gestation entièrement externe, dans une machine ?
Je ne sais pas, mais il n’y a rien d’impossible pour le génie humain.
Fin des extraits.
Je ne sais pas trop ce que vous penserez de ces énormités. Moi, elles me paraissent dessiner les contours d’une barbarie en marche. Il est (relativement) facile, pour qui se réclame de la gauche en tout cas, de pourfendre le spectre du fascisme. Il est (extrêmement) difficile, pour qui se réclame de la gauche en tout cas, de tirer un bilan sérieux de l’histoire des stalinismes. Il est (pratiquement) impossible, pour qui se réclame de la gauche – et de la droite en l’occurrence -, de mettre en question l’idéologie du progrès, cette pensée absurde qui affirme la linéarité, du bas vers le haut supposé, de l’histoire humaine.
Oui, décidément, je tiens l’entretien avec Beaulieu comme un impressionnant moment de vérité. La pensée écologiste, je l’aurai assez écrit, est de rupture. Complète et définitive. La pensée écologiste, telle que je la défends, tient l’idée de limite pour essentielle. Beaulieu et la plupart des contemporains croient exactement le contraire. L’affrontement est inévitable.
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Étienne-Émile Baulieu: « Les gens ont peur du grand âge »
Propos recueillis par Christophe Barbier – Photo Rudy Waks pour L’Express, publié le
Entretien avec le chercheur Etienne-Emile Baulieu, au coeur des préoccupations contemporaines comme la pilule contraceptive et les « pilules du lendemain », ou la lutte contre la maladie d’Alzheimer.
Rudy Waks
Mariage pour tous, PMA, GPA, statut de l’embryon… L’année en cours est marquée par de nombreux débats éthiques. Sommes-nous une société bloquée à toute évolution dès qu’il est question des enfants ?
Le débat sur le mariage est étonnant quand on considère la tolérance des Français à l’égard des comportements sexuels, même comparée à celle des New-Yorkais. En France, l’adultère, c’est commun, sinon « normal » ! Mais socialement, collectivement, si on veut sortir de la famille classique, il est rejeté.
C’est la rançon de l’idéologie : en France, on est idéologue, on considère que, pour que les choses changent, il suffit d’y avoir pensé, et on n’accepte pas la réalité, on a du mal à être objectif. Il y a de la superficialité et parfois de l’hypocrisie dans cette réflexion décrochée du réel.
Pourtant, les Français sont capables de se confronter à la réalité, tels ces jeunes chercheurs qui vont dans les pays anglo-saxons et dont la culture générale peut devenir un atout.
Le savant doit-il lutter contre ce conservatisme idéologique?
L’avantage, pour celui qui oeuvre dans la science, c’est qu’il est dans la marche de la société, car science et société vont ensemble.
Ainsi, je n’ai pas décidé un beau matin de m’intéresser à l’interruption de grossesse ou au vieillissement, mais, en faisant porter mes recherches sur des aspects fondamentaux de la vie, je me suis retrouvé en phase avec l’évolution de mes contemporains.
Etes-vous favorable à la PMA pour tous?
Je ne suis contre aucune avancée, par principe. Cela arrivera inévitablement. L’humanité bouge depuis un événement fondateur : l’invention de la pilule contraceptive. Il y a eu là un changement pour la nature humaine. Gregory Pincus, l’homme qui a porté cette révolution, n’a laissé son nom à aucune rue, aucun amphithéâtre…
Mon labo est le seul au monde à porter son nom. Pincus n’est ni glorifié ni détesté, il est ignoré, c’est pire ! Il a été effacé, alors qu’il était très en vue à son époque, dans les années 1950. Tout se passe comme si l’humanité avait intégré le changement qu’il a apporté et l’avait refoulé, lui, comme dans un remords, par mauvaise conscience, comme elle a abandonné Prométhée une fois qu’il lui a offert le feu.
Les rapports entre les hommes et les femmes, entre les parents et les enfants ont été changés à jamais par la pilule. La conséquence automatique et quasi inéluctable de la relation sexuelle a été remplacée par des interactions construites sur les qualités ou les défauts des uns et des autres.
C’est une avancée formidable, car on quitte la reproduction, mot vulgaire, « industriel », pour passer au désir d’enfant. Je n’ai jamais voulu dire cela trop haut, car il y a toujours des restes de conservatisme, et mieux vaut parfois aller simplement à l’effet : les femmes savent toutes qu’on peut désormais contrôler sa reproduction.
Le RU 486, qui interrompt une grossesse, est-il le complément de la pilule, ou son contraire?
Le RU 486 a fait plus de bruit que la pilule, qui, elle, a finalement été acceptée. L’immédiateté de la « contraception d’urgence » était encore plus effrayante. J’avais inventé un mot pour éviter de dire « avortement » : la « contragestion ».
Hélas, j’ai échoué. Puis il y eut, vingt ans plus tard, l’expression « pilule du lendemain », astucieuse. Mais le RU 486 est tellement resté synonyme d’avortement que je n’ai jamais réussi à le faire commercialiser comme pilule du lendemain, alors que ce serait le produit le plus efficace pour cela. Est-il diabolisé ?
Etes-vous pour la GPA, la gestation pour autrui ?
Encore une fois, je suis pour tout ce que les gens désirent, je crois que c’est dans l’intérêt général, j’ai confiance dans la sagesse des humains.
L’adoption est une sorte de gestation pour autrui, puisqu’on élève un enfant porté par une autre mère. La seule différence, c’est qu’il n’y a pas eu de concertation au préalable. Or il est établi que les enfants adoptés sont aimés et heureux d’une manière comparable à ceux des familles ordinaires.
Les grands mots entendus contre la GPA sont donc inappropriés, et parler de la « marchandisation » des femmes, ou d’enfants « à la carte », c’est insulter ce qui peut être très beau entre des parents et leur progéniture.
Pourra-t-on un jour faire un enfant sans le ventre d’une femme, par une gestation entièrement externe, dans une machine ?
Je ne sais pas, mais il n’y a rien d’impossible pour le génie humain. C’est extraordinairement compliqué, il est vraisemblable que cela n’aura pas lieu avant longtemps et que ce sera freiné par des autorités moralisantes exprimant la crainte du nouveau, mais ce ne peut être totalement exclu.
En tout cas, je ne dirai jamais qu’il est essentiel psychologiquement d’être passé par le ventre de sa mère, que sans cela l’enfant serait « désinséré » de toute filiation, de toute relation avec les ancêtres.
La filiation est tout de même importante !
Bien sûr ! Surtout pour moi qui ai perdu mon père à l’âge de 3 ans ! Mais je ne passe pas de temps à pratiquer la généalogie.
Certes, si on m’apporte mon arbre, cela pourra me passionner ; néanmoins, je préférerai toujours ce qui arrivera demain à ce qui s’est passé hier.
Pourquoi, toujours, des forces conservatrices se mettent-elles en travers des évolutions ?
Elles pensent que le progrès n’en est pas un, que ce qui est nouveau peut être mauvais pour l’homme. C’est sans doute un résidu du passé religieux de l’humanité, au temps où l’autorité morale était punitive…
Parfois, je me demande, en voyant un chercheur se tromper de voie, s’il est incapable techniquement d’aborder le « nouveau » ou bien s’il subit des blocages inconscients, parce qu’il ne veut pas avancer dans telle ou telle direction.
Le Parlement vient d’autoriser la recherche sur les embryons humains : est-ce une bonne chose ?
Pour l’instant, je crois que oui. Mais les discussions sur le stade de développement où l’on peut disposer ou non de ces cellules souches ne sont pas mon domaine.
Dans Libre Chercheur, vous esquivez cette question : à partir de quand l’embryon est-il une personne et non plus un amas de cellules ?
La réponse que je préfère n’est pas biologique, j’allais dire « matérielle ». Considérer qu’à partir de un, huit ou quatorze jours on est en présence d’un humain n’a pas de sens – d’ailleurs, le calcul change selon les religions.
C’est méconnaître le regard porté par la société, à commencer par les parents, sur un nouvel être, dont l' »indépendance » n’a pas tant d’importance. Etre enceinte n’est pas l’événement primordial pour dire qu’il y a être humain.
Quand les parents désirent un enfant et en forment le projet, l’être à venir existe déjà. Cet amour pour une descendance imaginée compte plus que tout à mes yeux.
Pourquoi n’êtes-vous pas partisan de l’euthanasie ?
Qu’en savez-vous ? Je n’ai jamais donné mon opinion profonde sur ce sujet. J’ai été l’un des tout premiers signataires pour le droit à mourir dans la dignité, mais je ne suis pas un militant, sauf pour mes recherches, car, en soi, militer m’ennuie.
Je ne m’intéresse pas assez à la mort pour me passionner pour ce débat, mais j’ai connu des gens qui se sont suicidés et je m’en serais voulu de les encourager à le faire : j’aime tellement la vie que je trouve dommage qu’on la supprime, a fortiori qu’on se la supprime. Je suis pour la liberté et la vie. Pour la vie, et pour la liberté.
Ne manquez-vous pas de sens de la transcendance ?
Pas du tout. J’ai une pudeur et une certitude de l’incompréhension incontournable de l’au-delà qui me pousse à me taire.
Y a-t-il quelque chose quelque part, après la vie ?
Possiblement. Je n’élimine pas cette hypothèse, car je me plains de ne pas comprendre pourquoi je suis là. Que l’on soit là ou pas n’a aucune importance pour le reste de l’univers, mais que ce soit incompréhensible m’est insupportable.
Non seulement je n’ai pas de certitude métaphysique, mais je ne saisis pas même la finalité de ce qui est. L’extrême opposition ou la non-différence, car c’est la même chose pour moi, entre une pierre, une étoile et notre vie humaine me fascine. Le moindre caillou va durer plus que moi : pourquoi ? Le mot clef est « incompréhension », ce qui pour un scientifique est insupportable.
Ainsi, la science ne peut expliquer pourquoi l’homme a accompli, en quelques milliers d’années, autant de progrès dans la connaissance du monde. Car le plus extraordinaire chez l’homme, c’est ce que l’on connaît le moins : le cerveau…
Justement, quand les recherches sur le vieillissement du cerveau aboutiront-elles ?
Si on travaille et si on a les moyens nécessaires – on ne les a pas aujourd’hui -, la réponse est : dans quelques années.
Moins de dix ans ?
Oui, les problèmes d’insuffisance du fonctionnement cérébral rattachés au vieillissement peuvent être traités dans les dix ans à venir. Alors, les hommes auront encore moins envie de disparaître qu’aujourd’hui.
« Vivre jusqu’à 120 ans, quelle horreur ! » me disent souvent mes interlocuteurs quand j’explique mes recherches. Cela me stupéfie à chaque fois ! Ils ont une immense difficulté à dépasser la peur du vieillissement pour imaginer une vie normale à un très grand âge.
C’est pourquoi ils donnent si peu d’argent pour la recherche. Chacun sait qu’il a une chance sur trois d’être atteint d’Alzheimer ou d’une autre démence sénile après 85 ans ! Il suffirait que 100 000 personnes nous donnent 10 euros par an pour compléter notre financement : vos lecteurs vont-ils donner l’exemple ?
Les gens ont peur !
Ils ont peur d’aider à traiter ce dont ils ont peur : c’est fou, non ? Ils ont peut-être même peur d’y penser…
Pourquoi les Etats ne vous financent-ils pas plus, alors que vous expliquez dans votre livre que 10 % des malades d’Alzheimer français soulagés pendant un an, c’est 1 milliard d’euros économisés?
Il est plus rentable, dans une démocratie, de payer pour réparer tout de suite un trottoir que de subventionner des chercheurs qui auront des résultats dans plusieurs années.
Sans doute le désir d’inventions ralentit-il depuis qu’il y a eu beaucoup de progrès. L’humanité semble rassasiée, ou fatiguée, ou peut-être déçue ; les gens pensent qu’il n’y a pas plus de bonheur aujourd’hui qu’il y a trois cents ans.
Avez-vous rencontré des politiques prêts à endosser un discours de soutien à vos travaux ?
Jamais. Ni à droite ni à gauche. Les politiques apportent une réponse purement sociale aux démences du grand âge. Nicolas Sarkozy avait lancé un plan Alzheimer, mais les fonds vont au gardiennage des malades plutôt qu’à la recherche.
Or il faudrait un effort de recherche majeur et non le saupoudrage de quelques crédits. Le concept d' »égalité » est difficile à utiliser en recherche scientifique, car les façons de penser, de travailler, ne sont pas égales. La liberté et la fraternité sont au coeur de la recherche ; l’égalité, non.
Pourquoi aimez-vous tant Shakespeare ?
Au-delà du talent, il avait un tel courage, pour parler de tout : ce qu’il écrit est brutal, il prend la liberté de qualifier et de juger les gens dont il parle.
Chaque humain a dans sa vie des histoires, des moments indicibles. C’est cela que Shakespeare met sur la table, dans une sorte de « hors circuit » social. Il a le courage d’entrer dans l’humain avec force.
Cet article a paru dans l’excellent Charlie Hebdo le 24 juillet 2013
Ce con de Darwin peut aller se rhabiller, car la biologie de synthèse se propose de créer de nouvelles formes vivantes grâce à l’ordinateur. Plus besoin d’attendre 10 millions d’années. C’est tout de suite, aux États-Unis, sous la forme de graines d’Arabette des dames.
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Quand vous lirez ces lignes, une bande d’incroyables connards aura peut-être réussi son coup, qui consiste à envoyer par la poste des centaines de milliers de graines, à raison de 100 pour chacun des milliers de donateurs. Où est le mal ? Les connards tiennent une société de « biologie de synthèse », nouveauté radicale à côté de laquelle les OGM sont des anges venus du ciel. Genome compiler (http://www.genomecompiler.com), la boîte américaine en question, a lancé au printemps une souscription en ligne, via un site spécialisé (http://www.kickstarter.com) pour produire et distribuer des semences d’une plante, arabidopsis thaliana – Arabette des dames -, de la famille du chou et du radis. C’est très fun, car le jeu consiste à planter ensuite les graines un peu partout, qui devraient donner des plantes produisant de la lumière. Plus besoin d’électricité, les gars ! Au passage, l’Arabette des dames a été totalement repensée, et reconstruite à partir d’un clavier d’ordinateur.
Pour mieux comprendre, laissons donc la parole à Genome compiler, qui annonce la couleur sur son site, sans façon : « We can design and program living things the same way that we design computer code ». Autrement dit, « nous pouvons concevoir et programmer les êtres vivants comme nous concevons les codes informatiques ». On aurait grand tort de s’en foutre, car derrière la fanfaronnade se cache bel et bien un nouveau continent.
La biologie de synthèse, dont personne ne parle encore, ne vise pas, comme avec les OGM, l’introduction d’un gène étranger dans le génome d’un organisme. L’ambition est bel et bien de créer en laboratoire des formes de vie n’ayant jamais existé. D’abord des bactéries. Ensuite, qui sait ? Aidés par les ordinateurs, nos beaux iconoclastes entendent créer à la demande de nouveaux codes génétiques, bricolés sur un coin de table, qui rebâtiraient un monde nouveau, supposément meilleur que celui qu’on doit se farcir.
Il n’y a guère de mystère : les trois merdeux qui sont derrière toute l’affaire fricotent avec Singularity University, un machin présenté comme autonome, mais logé dans la Silicon Valley, sur le campus de la Nasa. Le cofondateur du bastringue, Raymond Kurzweil, est un informaticien spécialisé dans l’intelligence artificielle, et surtout l’un des théoriciens de l’une des idéologies les plus nauséabondes de l’après-guerre, qui s’appelle le transhumanisme. En deux mots, les tenants de ce courant international pensent que l’homme n’est pas à la hauteur. Et qu’il faut lui adjoindre toutes les machines que la science et la technique sont capables d’inventer. On n’est pas très loin, et peut-être tout près, d’une resucée du surhomme.
Certes, une partie des scientifiques au courant croient plutôt à une nouvelle avancée des techniques OGM, mais le groupe canadien ETC (http://www.etcgroup.org puis kickstopper), qui suit ces mouvements à la soupe binoculaire, vient de lancer une vaste alerte mondiale pour essayer de stopper l’envoi des graines d’Arabidopsis thaliana, qui constituerait un lâcher sauvage sans aucun précédent connu.
De grands journaux angliches et amerloques – The Guardian, Nature, New Scientist, Mother Jones – prennent l’affaire au sérieux, et chacun à sa manière, rend compte de l’opération projetée par Genome Compiler, qui a déjà rapporté 500 000 dollars de dons. Et en France ? Seul le groupe grenoblois Pièces et main d’œuvre (PMO) tente de faire connaître les dessous de la biologie de synthèse (http://www.piecesetmaindoeuvre.com, puis biologie de synthèse). Dans un tract sur la question, PMO cite le patron du Génopole d’Évry, centre de recherche sur le sujet. Selon lui, il faut : « considérer le vivant comme un immense mécano, à partir duquel sont imaginés et construits de nouvelles entités (bactéries), des micromachines (autoreproductibles ou pas), des systèmes qui n’existent pas dans la nature ».
Impeccable. Le plus grand soutien à la biologie de synthèse s’appelle Geneviève Fioraso, et elle est ministre de l’Enseignement supérieur. Les scientistes fous sont au pouvoir.