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Una giornata al mare (une halte)

Je m’en vais voir la mer, ce qui me fera des vacances après cette série éprouvante sur France Nature Environnement (FNE). Ne croyez pas que la critique soit pour moi un tel plaisir. J’aurais préféré ne pas avoir à écrire ce que j’ai écrit. Je sais que beaucoup me penseront hypocrite, mais je suis le seul à habiter ma tête et à savoir ce qu’elle contient.

J’aime la nature et la vie avec une force qui continue à me surprendre moi-même. J’aime marcher, nager, j’aime la solitude, la neige, les rivières, les vallons perdus, j’aime tous les animaux, l’air que je respire, l’horizon et ses vents, j’aime le soleil de mars et d’avril et de mai et de juin et de chaque mois qui passe. Mais je déteste les barbares qui s’attaquent au monde, et supporte de plus en plus mal ceux qui composent avec la destruction.

Il n’y a donc aucun mystère dans ce que j’écris. Je pars jusqu’à lundi, avec dans la tête cette chanson ancienne – 1974 – qui raconte une journée à la mer. Un type qui n’a que 1 000 lire en poche, disons rien, et qui se demande de quoi une vie est faite. Car elle ne contient que quelques heures, n’est-ce pas ? Heureusement, il y a le risate delle donne, le rire des femmes. L’éclat de leur rire. Je vais donc voir l’océan, et je n’en suis pas malheureux. Oh non !

Notez, parce qu’on ne se refait pas, un mot sur le « Grenelle de la mer », le nouveau truc de messieurs Sarkozy et Borloo. Le Canard Enchaîné de cette semaine se moque du dossier de presse que le ministère de l’Écologie a mis en ligne sur le sujet. Il s’ouvre sur cinq pages consacrées au départ en « mission » d’un bateau, La Boudeuse. Mais rien sur l’état réel des océans. Je vous invite, avant de partir, à  jeter un oeil à cet entretien avec Daniel Pauly, grand spécialiste mondial des pêches (ici). Que dit-il ? Cette vérité insupportable que tous les grands équilibres sont désormais rompus.

FNE (mille excuses d’y revenir) prépare déjà ce rendez-vous, pour lequel le tapis rouge a été déplié par le ministère de l’Écologie. Borloo mise gros sur la présence massive de structures liées à FNE, de manière à faire croire que le « Grenelle de la mer » marquera son temps. Il ne s’agit en fait que d’une farce, mais cette fois, mon petit doigt me dit que les choses ne se passeront pas aussi simplement qu’en octobre 2007, au moment du « Grenelle de l’Environnement »

En attendant, et juste avant de partir, una giornata al mare.

Solo e con mille lire/sono venuto a vedere/quest’ acqua e la gente che c’è/il sole che splende più forte/il frastuono del mondo cos’è/cerco ragioni e motivi di questa vita/ma l’epoca mia sembra fatta di poche ore/cadono sulla mia testa le risate delle signore.

Je vous salue tous.

PS : Pendant mes trois jours d’absence, des commentaires peuvent rester bloqués, dont je m’occuperai à mon retour.

Je n’aime pas du tout la réalité

Je viens de rentrer, après une semaine loin de la vie réelle. Il est bien temps que je me confesse à vous : je ne suis pas fait pour la réalité. Le jour de Noël, vers midi, je suis descendu à la rivière. C’est une affaire, par là où coule cette beauté. Il y a un chemin qui sinue entre les châtaigniers, que bien des gens ignorent purement et simplement. Je n’y ai jamais rencontré personne. Sauf une fois, mais c’était il y a des ans.

Le sol était finement gelé. Les feuilles à terre formaient un tissu tressé de lames jointes. Craquantes. Comme un filet blanchi jeté sur le monde entier. Il y avait un silence minéral. L’air était de pierre froide. Je ne croisais que des troncs abattus dans la pente, et du roc. Et puis j’ai entendu monter un petit bruit, qui a fini par s’étendre et tout dominer. Un son gagnait mes  oreilles et celles de tous les êtres vivant alentour. L’eau. Elle.

En bas, les blocs de quartzites, saupoudrés, montaient une garde précaire et provisoire juste au-dessus de la rivière. Erratiques mais statiques. Même eux ne sont que de passage sur cette terre. Sur la grève, le sable avait disparu. Le blanc qui le recouvrait n’était pas de la neige, ce n’était pas une pelisse. Disons un voile. Une poudre. Gelée. Tout était gelé. Le pied butait contre le gel.

Je dois être un idolâtre, car j’ai mis mes mains dedans l’eau au moins sept ou huit fois. En parlant. Je parle à cette rivière, pas de doute. Elle n’était pas comme elle est parfois, nerveuse, pleine de bosses et de cavalcade. Elle était grosse, embarrassée d’elle-même et de sa puissance. Verte. Profonde. Conquérante. Elle occupait les postes où je me mets en mai, en juin ou en juillet. Elle n’était plus le serpent vif d’antan. Elle était une route traçant son chemin dans les gorges. Une force assurée que rien ne l’arrêtera jamais. Souveraine de son grand pays de schiste.

Le nid du rouge-queue, que j’admire à chaque fois, était encore là, plaqué contre une haute pierre levée à la verticale par le temps géologique. Ce nid de mousse, présent depuis trois ans au moins. Et ce socle qui le porte, né il y a peut-être trois millions d’années. Ou trente. Ou trois cents.

Les castors étaient là aussi. Pas loin. Ils avaient brouté d’innombrables bouquets de saules et d’aulnes des berges. Des dizaines, des centaines de tiges s’en trouvaient biseautées. Comme je n’avais pas de couteau sur moi, je n’ai pu prendre en les cassant que trois rameaux qui trônent près de mon feu. Trois rameaux, vingt coups de dents.

Je me suis approché d’un saillant, haut déjà. Comme une avant-scène au-dessus de la pente. Une saillie de pierre, au bord fait de cheveux de mousse. Des stalactites pendaient. Une cinquantaine de cônes en verre, d’une telle beauté que j’aurais pu pleurer. J’en ai cassé un pour en admirer le tour divin. Comment un tel chef d’œuvre est-il possible ? Certains étaient tenus aux deux bouts. Par la mousse en haut. Par la pierre en bas. On aurait dit un pont vertical. J’en ai vu qui retenaient prisonniers des herbes au long de leur cours translucide. Certains étaient annelés. Des anneaux de glace d’une régularité si grande que quelque personnage a fatalement surveillé leur formation. Le plus sublime imitait une harpe transparente. Un film de glace s’était formé au contact d’une branche en forme d’arc. Je suis certain qu’un souffle de vent aurait fait chanter l’instrument.

À un moment, j’ai glissé et je me suis raccroché, une fragile seconde, à une motte de glace qui retenait des feuilles. Une seconde, moins qu’une seconde qui aura suffi pour trouver une prise plus sûre. Je crois pouvoir écrire que j’ai été sauvé par de la glace. Autrement, je serais tombé. Je ne me serais pas tué. Je me serais fait mal. La glace m’a rendu l’équilibre.

Ensuite, j’ai pensé que cette rangée de stalactites était la mâchoire d’un tigre à dents de sabre. Et je le crois toujours. Jadis, avant de mourir à jamais, le tigre à dents de sabre habitait par ici. Et il faut bien que cette splendeur soit allée quelque part, non ? Je pense que c’est là. Je pense que le tigre se rappelle de temps à autre à notre bon souvenir. Je pense que ses dents de glace étaient en faction à l’entrée de la caverne. Car la saillie formait bel et bien un abri sombre, que protégeait une cascade figée par le gel. Ne masquait-elle pas une entrée ? Je ne suis pas Alice, hélas. Mais je m’entraîne, je ne désespère pas encore.

PS : Les jours suivants, il y a eu de la neige. Plusieurs fois de la neige. Je me suis promené seul au pays neuf. Le monde mérite d’être beau.

On the road again (en attendant la neige)

Je passe mon tour, je laisse la place pour une semaine. Ya me voy. Vado a casa mia. Je vais donc chez moi, où les connexions avec le monde extérieur sont abolies par décret princier, avec cette précision que le prince, c’est moi.

Je vais là où je dois être, entre les Causses et les Cévennes. Une maison, un vallon, le troupeau de Jean, la grange à René, Patrick juste au-dessus, Lili à côté. Je sais que la neige a tenté vaillamment de résister, mais qu’elle a fini par céder contre l’assaut de cet imbécile de redoux. Je pense que Patrick va m’aider à installer son vieux poële dans la pièce du haut de la petite maison. Ce sera donc la révolution, quand même. Et comme je me rapproche à petits pas de l’achat d’un potager, je dois ajouter que la vie n’est pas si affreuse qu’elle en a l’air.

Voici mes questions du jour, telles qu’elles m’occupent. La neige va-t-elle revenir ? Le ruisseau a-t-il gélé et verrai-je ou non des stalagmites pointer de ses berges ? La buse splendide qui erre dans les chataîgniers me montrera-t-elle une fois encore son ramage ? Que font les blaireaux ? Irai-je vérifier si des castors montés de la rivière ont installé un avant-poste au confluent du ruisseau et du flot de la grande combe ? Ce n’est pas une mince affaire. Il y a des indices. Enfin, aurai-je assez de bois, tout bien considéré, si le froid devait revenir ?

Bon, je quitte sans déplaisir la crise écologique globale et planétaire, mon ennemie jurée et probablement mortelle. Je n’ai aucun conseil à donner, mais un avis peut être écouté, et même entendu. Oubliez tout. Bon Noël.

Avis à la population

Bonjour à tous,

Pour la raison que je dois m’occuper d’autres choses, je vais devoir laisser tranquille ce rendez-vous. Je ne renonce pas à y écrire ce que je veux, mais le rythme devrait notablement changer, et s’orienter à la baisse. En un peu plus d’un an, j’ai écrit ici quelque chose comme 350 articles, et ma foi, c’est beaucoup. N’hésitez pas à revenir de temps en temps car, je me répète, ce n’est pas une fermeture.

Appelons cela une pause. Ci sentiamo.

Le jour où j’ai failli être un terrible idiot

Une pause. Il faut savoir faire une pause, et je la fais ce samedi, mes doigts de pied en éventail, au soleil de septembre. Il ne fait pas si chaud, là où je vis, mais le soleil ne fait pas les choses à moitié. Il a envahi l’appartement, transformé tout l’espace disponible, je crois qu’il fait comme chez lui. Mais il est chez lui.

Un jour de novembre 1993, j’ai reçu un télégramme. D’une certaine Elena Adam, qui était alors rédactrice-en-chef du magazine Terre Sauvage. Elle voulait me voir. Auriez-vous refusé ? J’y suis allé. Le journal était installé au sous-sol d’un immeuble – de vraies catacombes -, 9 rue Christiani, dans le 18ème arrondissement de Paris. On descendait à Barbès, le magasin Tati était encore là, qui vendait par sacs entiers des vêtements à cinq francs. Les pauvres, souvent des immigrés, plongeaient leurs mains dans les bacs et paniers, et repartaient chargés comme des mules.

Pourquoi voulait-elle me voir ? Pour me proposer un boulot. Elle avait lu un reportage sur l’ours des Pyrénées – voyez donc comme cette affaire est chenue – paru dans l’hebdomadaire Télérama. Que j’avais fait. Qu’elle avait aimé. Elle voulait que je travaille pour Terre Sauvage. Que je parcoure chaque mois la France la plus reculée, à pied. Et que je raconte ensuite aux lecteurs ce que j’avais vu et ressenti. En marchant, en cheminant, en sauvage que je suis.

Eh bien, j’ai refusé. Je l’ai regardée – je m’en souviens parfaitement – et je lui ai dit non, et merci. Je ne sais plus pourquoi. Je crois que je ne comprenais pas ce qu’elle voulait. Je dois ajouter que je connaissais mal les plantes et les bêtes. Pas atrocement mal, mais enfin, pas si bien. Et j’imaginais sans doute qu’on me demanderait tôt ou tard de prouver que j’étais botaniste. Entomologiste. Ornithologue. Mammologiste. J’ai dit non.

C’est dans le métro que je me suis mordu les lèvres, et la langue. Car je venais de comprendre ce qu’Elena Adam m’avait proposé. Elle me paierait pour que, chaque mois, j’aille me balader à pied dans les coins les plus beaux de ce pays. Aïe ! La morsure que je m’infligeais commençait à être douloureuse. À peine rentré chez moi, je l’ai rappelée. N’insistons pas, je n’étais pas fier. Je lui ai dit sur un ton que j’espérais léger que, tout bien considéré, cela valait la peine d’essayer. Qu’on verrait bien. Qu’elle verrait bien. Que l’expérience serait de toute façon profitable, etc. Tu parles d’un hypocrite.

Et c’est ainsi que sept années de bonheur ont commencé. Sept ! Chaque mois, trois balades, trois itinéraires de la France sauvage. Toujours à pied, toujours seul. Je n’ai jamais renoncé à aucune, quel qu’ait pu être le temps au jour dit. J’ai marché dans la neige, sous les trombes, au crépuscule, à la tombée des jours et dès l’aube, subi la canicule, humé tous les brouillards de la création. Je peux vous dire ici quelques unes des merveilles que j’ai connues dès la première année, qui serait suivie de bien d’autres.

Dès 1994, donc, la baie du mont Saint-Michel, et la mer sous le phare de Carteret. Et tant d’oiseaux que je préfère n’en citer aucun. Si, tout de même : vous connaissez le huîtrier-pie ? J’ai connu le vallon de l’Aiguebrun, dans le Luberon, et le cincle, et le « gros patas », que nous appelons absurdement le grand corbeau. Qui n’est jamais allé à Sivergue ne sait pas ce qu’est le bout de la route. Moi, je me suis assis sur un banc, contre un muret de pierre sèche, et j’ai regardé le Mourre Nègre. J’ai vu la baie de l’Aiguillon, et ses sternes, et ses barges, et ses bernarches, et ses tadornes. Plus un mot, ou j’y retourne. La baie, et aussi ce pays du héron cendré, entre Courdault et Aziré. Peut-être voyez-vous ce que signifient hottonie et populage ?

Je me suis baigné, et c’était mars, sur la plage de Cala, au cap Corse. Il y avait des vaches assoupies sur le sable, j’essayais de les convaincre de me rejoindre. Rien à faire. J’ai également traversé les hêtraies autour du Monte San Petrone. Vous voyez, n’est-ce pas ? Au pays basque, à Larressore, je me suis arrêté chez Charles Bergara, maître absolu du makila, bâton de défense et aiguillon du berger. Le makila se taille dans du néflier, et ce jour-là, j’en ai commandé un pour moi. L’atelier tournait depuis 400 ans, et il fallait attendre son tour. Je tiens le makila en ce moment même sur mes genoux, et je peux vous dire ce que Charles Bergara y a écrit pour moi, à ma demande : Askatasuna ! Le mot liberté, en basque.

Je me suis perdu voluptueusement dans les landes du Cragou, encore hantées par la présence du loup breton, omniprésent jadis. Et il pleuvait ce jour comme pissent les vaches. C’était un temps fait pour le roi Arthur et tous les sortilèges. J’ai entraperçu des castors non loin de l’île au Beurre, sur le Rhône, là où j’imaginais ne voir que mes pieds, là où je croyais la nature perdue à jamais. J’ai été bombardé par la grêle sur la Margeride, mais il y avait des myrtilles, que je protégeais de mon grand imperméable noir. Et elles étaient bonnes à se pâmer. J’ai même adoré le terril de Pinchonvalles, où un botaniste local m’avait parlé d’un érigéron – une plante – venu de Sumatra, et qui colonisait les pentes de schistes noirs.

Voilà ce que j’avais refusé. Voilà ce que j’ai obtenu pour la seule année 1994, en ravalant ma pauvre petite fierté. De la chance ? Oui, de la chance. J’ai eu une chance insolente. Le jour où j’ai accepté a changé ma vie.