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Avant toute explication supplémentaire

J’avais annoncé en janvier que je comptais réfléchir au futur conditionnel de Planète sans visa avant de vous donner quelques nouvelles le 1er mars. Eh bien, je le ferai demain, et non pas aujourd’hui. Car aujourd’hui, je voudrais vous dire deux mots qui me paraissent préalables. Je sais qu’ils ennuieront plus d’un lecteur, qui se moquent bien de la question que je vais évoquer. Mais je n’y peux rien.

Comme on sait, la droite commande ce pays. Comme on sait, la gauche social-démocrate entend la remplacer demain. Comme on devrait savoir, il n’y aura jamais aucun espoir à attendre de ce côté-ci de ce qu’on appelle l’échiquier. Ni de l’autre. Ni d’aucun. Bon, je dois me montrer un poil plus précis. Je le ferai en sept points, qu’on pourra juger indépendamment les uns des autres. Pour moi, ils forment une cohérence. Ils donnent un sens évident à l’époque dans laquelle nous sommes tous fourvoyés. Mais jugez.

1/En décembre 2009, dans son numéro 2352, Le Nouvel Observateur publie au moins deux textes exceptionnels. Dans le premier, l’éditorialiste Jacques Julliard s’en prend avec une rage contenue mais essentielle à l’écologie (lire ici). Il invente pour cela des ennemis imaginaires – la deep ecology chère à son ami de comptoir Luc Ferry -, se vautre lui aussi dans de honteux rapprochements entre nazisme et protection de la nature, mais dans le même temps, glisse des choses vraies. Oui, il est bien certain que l’écologie est contradictoire avec l’idéologie du progrès dont Julliard et ses amis « de gauche » ne voient pas qu’elle nous conduit droit au gouffre. Julliard est indigne, mais lucide.

L’autre texte du même numéro est plus risible que détestable. Mais il vaut. Signé par Olivier Pérétié, qui réalise pour ce bel hebdomadaire les essais automobiles des modèles à 30 000 euros, il s’attaque à la célèbre église de « Sciencécologie ». On est prié de trouver cela très fun (lire ici). Cette excellente personne ne croit pas à la « doctrine » du réchauffement climatique, qui n’est jamais qu’une « hypothèse ». Et, par Dieu, il faudra bien qu’elle le reste, de gré ou de force. Car comment M. Pérétié ferait-il pour continuer d’allécher les futurs acheteurs de grosses cylindrées ? Pour lui, la cause est entendue : le Giec est la Curie d’une nouvelle congrégation religieuse.

2/Dans un livre dont je vous ai déjà parlé (lire ici), Lionel Jospin, qui eût pu être notre président de la République, balade ses interlocuteurs en n’expliquant rien à propos de vingt ans de liens directs avec l’un des mouvements les plus mystérieux de l’après-guerre, longtemps appelé Organisation communiste internationaliste (OCI), sans doute par antiphrase. Et comme tout passe, tout passe. Ce qu’il a été réellement, ce qu’il a fait vraiment, nous ne le saurons jamais. L’un des chefs occultes de l’OCI, Alexandre Hébert, qui se faisait passer pour anarchiste, vient de mourir. Il avait pris comme aide de camp, depuis une vingtaine d’années, un responsable du Front National, Joël Bonnemaison. Lequel, se mariant, avait choisi comme témoins Le Pen d’un côté et Hébert de l’autre.

3/ Ministre de cet excellent Jospin jusqu’en 2002, ancien membre de l’OCI comme lui, adhérent du parti socialiste pendant 31 ans – une courte paille -, Jean-Luc Mélenchon a finalement créé un nouveau parti. Le Parti de Gauche. Qui se veut aussi, en plus de tout le reste, écologiste. C’est infiniment crédible. C’est comme si c’était fait. Il suffit de se mettre à prier. Alleluia, mes frères, un Messie républicain nous est né. On peut abandonner une défroque vieille de plus de quarante ans – le productivisme, l’absolu mépris pour la nature – et se métamorphoser en une nuit. Comme c’est beau, la vie !

4/Claude Allègre, que l’on ne présente plus ici, a connu Jospin il y a cinquante ans, et il a été son ministre, chéri entre tous. Il publie ces jours-ci un livre appelé L’Imposture climatique (Plon). Je ne l’ai pas encore parcouru, et ne sais si je le ferai, car j’ai déjà tant lu de ce monsieur qu’il me semble le bien connaître. Deux journalistes que je respecte, Sylvestre Huet, de Libération, et Stéphane Foucart, du Monde, lui taillent un costard XXXL. Allègre a inventé des noms, des études, et confond par exemple Georgia Tech, diminutif de Georgia Institute of Technology, avec le nom d’une personne, qu’il cite à l’appui de ses thèses. Il fut le principal conseiller de Jospin, alors Premier ministre de la France, dans le décisif dossier du climat.

5/Vincent Peillon, responsable national socialiste, pose au philosophe et aime à citer les classiques, y compris ceux du mouvement ouvrier français. Il se veut noble autant qu’irréprochable. Il se rêve calife à la place de la dame que vous savez, et probablement davantage encore quand il se rase. Et il se rase chaque jour. Peillon est un moraliste intransigeant, mais quand il faut aborder le cas Frêche, l’homme qui traite les harkis de sous-hommes dans une ville – Montpellier – où la canaille fasciste est puissante, il déclare : « C’est un humaniste. C’est un professeur de droit romain. Frêche n’est ni raciste ni antisémite ». Aucun rapport avec le poids des réseaux Frêche dans le courant même de Peillon, nommé, je n’invente rien : « L’espoir à gauche ». Car les fédérations « socialistes » et néanmoins « frêchistes » du Languedoc-Roussillon votent Peillon au moindre coup de sifflet. Comme c’est aimable.

5/Bernard-Henri Lévy doit une bonne part de sa fortune à la déforestation de l’Afrique de l’Ouest après-guerre. Son père André a en effet longtemps dirigé la Becob, une entreprise forestière qui a changé radicalement le visage de pays entiers, dont la Côte d’Ivoire. Mais chut ! car il est de gauche. Je répète : de gauche. On le sait, dans un accès de drôlerie formidable, Bernard-Henri a publié un livre, « De la guerre en philosophie » (Grasset), où il cite un auteur inventé par le journaliste Frédéric Pagès, Jean-Baptiste Botul, le prenant pour un notable philosophe. Et pas à propos d’un détail, certes non ! Pour régler son compte, vite fait bien fait, à un certain Emmanuel Kant. Lequel serait un « fou furieux de la pensée », comme l’a excellemment démontré Botul l’imaginaire dans une série de conférences qui n’ont jamais eu lieu.

6/Bien entendu, le grand penseur de gauche Bernard-Henri Lévy ne pouvait rester seul face à la mitraille toute relative qu’a pu déclencher sa fantaisie. Jean Daniel, l’un des fondateurs du Nouvel Observateur, où il continue d’écrire à près de 90 ans, et beaucoup – encore bravo -, s’est immédiatement proposé comme témoin de moralité (lire ici). Mais comment dire ? Son argumentation rend un son un peu étrange. Voici : « J’ai depuis longtemps un faible pour ce glorieux cadet qui se rêve à la fois l’héritier de Malraux, de Levinas et de Brummell, et assume avec une élégance provocatrice son dandysme philosophique. Il risque sa vie sur tous les fronts humanitaires, mais prend hélas des risques encore plus grands du fait d’une trop imposante stratégie de surexposition médiatique.

» J’ai un jour été très bassement attaqué pour mon œuvre. Bernard-Henri Lévy a aussitôt pris ma défense, et d’une façon fidèle, radicale et spectaculaire. Je veux lui dire que je ne l’oublierai jamais et que si mes sombres prévisions se sont réalisées, j’en ai pour lui de la peine ».

Sauf très grave erreur d’interprétation, il me semble bien que Jean Daniel défend Bernard-Henri pour la raison que l’autre en a déjà fait autant. Ne me dites pas que l’on appelle cela un renvoi d’ascenseur, cela gâcherait ma journée.

7/Enfin, the last but not the least,  Ségolène Royal, qui eût pu, elle aussi, être présidente de la République, vole au secours du pauvre Bernard-Henri, injustement calomnié. Vous vous souviendrez avec moi que la candidate socialiste aux présidentielles de 2007 avait fait du grand philosophe son conseiller personnel, et qu’en retour, celui-ci la portait aux nues, jusqu’au ridicule achevé. Ou peut-être l’avez-vous oublié ? C’est sans grande importance. Madame Royal a publié une tribune dans le journal le Monde (lire ici) qui commence par ces mots fatidiques : « Je lis ce qui s’écrit, tous ces jours-ci, sur Bernard-Henri Lévy. J’observe l’incroyable chasse à l’homme déclenchée contre lui pour une obscure histoire d’auteur sous pseudonyme qui l’aurait prétendument piégé ».

Il est assez rare d’énoncer autant de choses fausses en aussi peu de mots, et je crois devoir saluer cet exploit. Chasse à l’homme ? L’essentiel de la presse se tait ou soutient le martyr. Obscure histoire ? Elle est limpide de bout en bout. Mais si gênante, qu’elle doit, par obligation supérieure, devenir incompréhensible. Auteur sous pseudonyme ? Mais non, madame. Auteur imaginaire, imaginé, fictif, inventé de toutes pièces sans même la volonté de nuire. Prétendument piégé ? Mais si, madame. Piégé. Votre bel ami a bel et bien été piégé, et par lui-même, et par lui seul. Il aura apporté une nouvelle fois la preuve, qui indiffère hélas, qu’il ne lit pas, et ne sait pas grand chose. Ajoutons que madame Royal utilise un argument jumeau de celui de Jean Daniel. Citation de la dame : « J’ai retrouvé la passion et la voix de l’un de ceux qui m’ont soutenue jusqu’au bout, et au-delà, sans jamais douter ni se lasser ». Ce qu’on pourrait décrire, ce me semble, comme une forme hypertrophiée d’égotisme.

Revenons-en au héros une seconde. Déjà confondu en 1979 par ces véritables intellectuels que furent Pierre Vidal-Naquet et Cornelius Castoriadis, ridiculisé comme il arrive rarement par le grand Simon Leys dans ses Essais sur la Chine Dans son aimable insignifiance, l’essai de M. Levy semble confirmer l’observation d’Henri Michaux : les philosophes d’une nation de garçons-coiffeurs sont plus profondément garçons-coiffeurs que philosophes »), Bernard-Henri reçoit en tout cas, et à juste titre, les excellents soutiens qu’il mérite.

Je sais et j’assume. J’ai été long, j’ai perdu en route les trois quarts des lecteurs du départ, et le pire est que je m’en moque, car c’était inévitable. Le Net est cet instrument qui, sous nos yeux, bouleverse le rapport qu’une partie de la population entretenait avec l’acte majeur de lire, relire, et réfléchir tranquillement. Sur le Net, cette pesante activité est sur le point de disparaître totalement. Il faut, il faudrait, il faudra peut-être – mais alors, je n’en serai pas -, faire court, résumer, ne pas dépasser quelques centaines de signes. Twitter, si je ne m’abuse, en est à 140, record à battre. Ce monde-là m’intéresse si peu que je ne parviens même pas à souhaiter sa mort. Si, tout de même. Comme dans le roman Ravage, de Barjavel, j’aimerais bien voir s’effondrer ce château de cartes biseautées. Et qui sait ?

J’ai voulu montrer ici, et cela n’a pas été trop difficile, qu’il n’y a strictement rien à attendre de la politique en place. J’ai parlé des socialistes parce qu’ils sont candidats à tout. Mais j’ai plus d’une fois abusé de votre patience à propos des staliniens, du NPA ou des Verts. Du point de vue qui est le mien, tous se valent. Aucun courant n’incarne si peu que ce soit l’avenir, en tout cas un avenir humain possible, qui passerait par la restauration des écosystèmes de la planète et la proclamation universelle des devoirs de l’homme envers le vivant et les autres que lui-même. Au sein d’une humanité d’où la faim aurait disparu, ce qui est tout de même le point de départ moral de tout renouveau. Nous en sommes loin ? Oui, si loin que l’illusion est notre pire adversaire. Pour commencer, pour commencer vraiment, pour commencer seulement, il faut rompre. Mais qui le veut ? À demain, pour une autre explication concernant Planète sans visa.

Inventaire (bis)

Je me permets d’ajouter un mot complétant le précédent. J’ai reçu à l’adresse nicolino.fabrice1@orange.fr un joli nombre d’avis et de commentaires concernant Planète sans visa et j’en remercie tous les auteurs, cela va de soi. Mais je crains de ne pas avoir été assez explicite avec vous. Quoi que vous ayez à dire, cela me sera infiniment précieux, et m’aidera à décider de la suite à donner à ce rendez-vous.

En clair, ne vous retenez pas. Dites-moi simplement et sans détour ce qui vous passe par la tête au moment où vous écrirez ces quelques mots. Pour une fois, le lecteur, c’est moi. Et ceux qui écrivent, vous. Et j’aime lire, moi.

Comme promis, au 1er mars, au plus tard.

Fabrice Nicolino

Fermé pour cause d’inventaire

Je fais une pause d’au moins un mois. Planète sans visa s’arrête pour un moment, ce qui va me permettre de souffler et de réfléchir calmement. Depuis septembre 2007, j’ai écrit plus de 500 articles ici, ce qui est énorme. J’ai consacré avec plaisir un temps pourtant compté à ce rendez-vous presque quotidien avec vous. Simplement, il me faut me demander : et puis ?

Je ne fais pas de crise, je ne me plains de rien, je me félicite au contraire d’avoir eu l’idée de créer ce lieu. Peut-être continuerai-je. Peut-être arrêterai-je. Peut-être changerai-je la forme de cet espace. On verra bien. En attendant, je vous laisse une adresse où vous pourrez m’envoyer idées et commentaires. Je lirai tout, mais je vous préviens que je ne répondrai pas nécessairement. Ce sera au cas par cas. Soyez bien certains que j’ai grand besoin, de toute façon, de savoir ce que vous pensez de Planète sans visa. Je préfère les compliments aux coups de bâton, mais j’accepte volontiers les deux. N’hésitez donc pas, car à la vérité vraie, je compte sur vos messages. En abondance.

Au plus tard le 1er mars, peut-être un peu avant, je reviendrai vous dire ce que j’entends faire. En attendant, portez-vous bien.

Mon adresse : nicolino.fabrice1@orange.fr

Fabrice Nicolino

Une belle année 2010, mais si

On dirait que je présenterais mes vœux, et que je ne serais pas ridicule. Mission impossible. Sachez en tout cas que je vous souhaite réellement, à tous, à chacune, à chacun d’entre vous, une belle année 2010. Si possible avec bagarres et réjouissance. Donc une ou deux victoires. Je pense très fort, en ce début d’année, à cette idée insupportable d’aéroport près de Nantes, qui sacrifierait des milliers d’hectares d’un superbe bocage. Je pense aussi fort, j’imagine, à tous ces gens du Sud, qui n’ont rien à attendre de personne, et qui sont pourtant nos frères. Je pense également aux animaux, aux plantes, à tous les êtres vivants qui ont suivi la route avec nous.

Je nous souhaite à tous de renforcer nos liens de solidarité, d’amitié et d’affection, de manière que les choses aillent, au moins, un tout petit peu moins mal. Je nous souhaite à tous un voyage au pays de la liberté vraie et de la vie authentique. On a le droit de rêver. Salut ! ¡ Salud y fraternidad !

Inutile de frapper à la porte (je m’absente)

Je ne vais pas être là pendant quelques jours. Je ne peux vous dire à quel point je suis heureux, cela ferait des jaloux. Je cours, vole et me venge de tous ces mots accumulés ici ou là, et qui parfois me pèsent. Il me semble avoir promis au départ de Planète sans visa d’écrire librement. Eh bien, oui, cela me pèse de temps à autre, peut-être un peu plus ces dernières semaines. J’ai certes le tempérament combatif, mais je n’aime rien davantage que la nature sans les humains.

Aïe ! c’est l’aveu que tant d’adversaires attendaient. Sans les humains. Mais je sais bien ce que j’ai écrit. J’aime la société des hommes, mais elle m’est aussi insupportable. La fausseté, la vilenie, le pouvoir, la hiérarchie, la domination sont partout. Je fais semblant de ne pas voir, de ne pas trop voir, mais la marée est si forte qu’elle emporte tout. Je me sens assailli chaque jour ou presque par le rappel de la laideur universelle.

Aussi bien, il était temps d’aller respirer un autre air. Je le fais, je m’en vais dans mon petit pays perdu, où une marinade, voici dix jours, a ennoyé le vallon de 150 mm de pluie au mètre carré. En moins de quarante-huit heures. C’est énorme, mais le monde caché, c’est-à-dire le monde réel, de là-bas en avait besoin. La sécheresse est comme une deuxième peau, dans ce pays lointain. Mais je préfère sa première, faite d’humus et de clapotis, de brumes montant du ruisseau, de ciels surchargés de vie passante.

Je débranche, quoi. Je tâcherai de voir le blaireau, sait-on jamais. Je regarderai de près où en sont les castors, qui colonisent, il n’y a pas d’autre mot. Je pense et je suis sûr que la buse se signalera dès l’entrée dans le chemin magique sous les châtaigniers, celui qui mène chez moi. Si tout se passe bien, Alban sera déjà là, et la table sera mise à mon arrivée. Pas de téléphone, pas de machine, pas de contact avec l’extérieur de moi. J’ai besoin de la solitude de mon âme. À bientôt.