Vous avez peut-être lu. Je ne suis pas sûr de vous le souhaiter, tant cette façon de voir le monde nous déshonore tous un peu, mais baste. Mario Draghi, (très) grand libéral, a été président du Conseil en Italie. Chef du gouvernement. Il est aussi banquier d’affaires, et l’Europe officielle lui voue un culte, car il parle – pense-t-elle – avec franchise. Dans un rapport tout récent, cet ancien président de la Banque Centrale Européenne suggère fortement d’investir 800 milliards d’euros par an, à l’échelle continentale, faute de quoi l’Union des 27 ira vers une lente agonie.
Ce bougre d’imbécile s’en prend à de nombreuses réglementations dites « écologiques ». Elles ne le sont évidemment pas – écologiques -, mais selon Draghi, elles entraveraient le commerce et videraient peu à peu la corne d’abondance. Ils en sont donc là. Il ne faut pas protéger ce qui reste, il faut achever.
Je n’entends pas défendre un être aussi absurde, mais je lui donnerai raison sur un point : l’agonie est bel et bien au programme. Et je m’en tiendrai à la France, au moment même où un Michel Barnier recule de jour en jour la constitution d’un gouvernement introuvable. Mon point de vue est simple : la totalité de la classe politique a failli dans des proportions telles que ce n’est pas rattrapable. Si l’on veut désormais avancer, il faudra s’en débarrasser en bloc. Comme après 1789. Comme après août 1944.
Avez-vous remarqué combien l’écologie a disparu ? Mélenchon et son parti aux ordres en faisaient la priorité des priorités, et c’est fini jusqu’à la prochaine mascarade. Aucune idée, aucun projet, aucune volonté n’auront émergé de tant de propos centrés sur la retraite et le niveau du smic. Que ceux qui voudraient me chercher sur ces questions sachent que je me suis souvent exprimé, et que je suis pour une redistribution radicale et planétaire des biens et des ressources.
Reste qu’ils ne disent plus rien après avoir clamé qu’il existait pourtant « une urgence écologique ». Il est vrai que Mélenchon soutient la bagnole électrique, désastre écologique et moral, et souhaite industrialiser la mer et l’espace, tenus pour la nouvelle frontière de notre folie. Les autres compères – zécolos officiels, post-staliniens du PCF, socialos bien sûr – ne valent pas mieux. Quant à la droite, qui inclut Macron et ses soumis, et l’extrême-droite, je n’insiste pas, car je n’ai jamais rien espéré de ce côté-là.
Parlons peu. La France s’enfonce dans l’impasse qu’elle a elle-même ouverte. Je ne peux entrer dans le détail, mais citons en vrac ce qui ne peut plus être financé. Outre la dette publique, commençons par l’état des routes. Cela vous étonne ? Les ingénieurs des Ponts (aujourd’hui rejoints par les Eaux et Forêts) ont bâti un réseau de 1 100 000 km de routes et autoroutes, car ils avaient intérêt, via les « rémunérations dites accessoires » à en construire beaucoup. Ils n’ont pas pensé à l’entretien, les pauvres avaient tant de travail. Vous avez vu l’état de tant de routes jadis nationales ? Et les départementales ? Et les communales ? Vous avez vu le rafistolage des autoroutes ?
Qui paiera pour les vieux, de plus en plus nombreux, de plus en plus malades, de plus en plus coûteux ? En 2019, la dépense moyenne d’entretien d’une personne âgée dépendante atteignait 22 000 euros par an. La France paie environ 30 milliards d’euros pas an pour la dépendance, et devrait passer à 50 milliards avant 2030. C’est beaucoup plus lourd que la question des retraites.
Et de même pour l’éducation. Et de même pour les hostos. Et de même pour la Sécu, qui accorde pour quelque temps encore le statut Affection Longue Durée (ALD) à 12 millions de Français. En grande partie selon moi parce que l’industrie chimique, pesticides compris, règne en maîtresse sur notre santé. J’arrête ici une liste plus longue, car la démonstration me semble faite. La situation est si dégradée qu’il serait formidable d’avoir un véritable débat national, hors les éternelles pressions des lobbies industriels.
Oui, ce serait grandiose. Nous pourrions dire enfin quelle France nous voulons, qui ne passe pas, qui ne peut plus passer par l’hyperconsommation d’objets jetables. Si une telle demande devait apparaître sur la scène publique, elle serait aussitôt ridiculisée, je le sais bien. Mais retenez ce qui suit : en 1974, tandis que triomphaient les guignols bien connus – Chirac, Giscard, Marchais, Mitterrand – un certain René Dumont publiait pour sa campagne présidentielle un affreux petit livre chez Jean-Jacques Pauvert. Malgré sa piètre présentation, malgré ses énormes défauts typographiques, il dit de manière stupéfiante la vérité du monde. Je le sais, j’ai le livre dans ma bibliothèque.
La classe politique de 2024 – toute la classe politique -, c’est celle de 1974. Pour faire croire aux journalistes – triste corporation – qu’il est écologiste, Barnier est arrivé à l’Élysée à vélo. Juppé, Hidalgo l’avaient fait avant lui pour les mêmes raisons. De bien belles photos à l’arrivée, de bien belles manipulations. C’est la merde ? Oui, c’est la merde.
Publié le 16 sept. 2024 à 13:25