Les beaux mystères de l’écotaxe

Ce texte a été publié par Charlie Hebdo le 30 octobre passé. Mais il a été écrit le 24 du même mois, soit voici deux semaines. À cette date, pour ce que je sais en tout cas, nul ne parlait de l’un des dessous cinglés de l’affaire de l’écotaxe : la dévolution du contrat à Écomouv. C’est à cette aune, me semble-t-il, qu’il faut lire ce qui suit.

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Les paysans. Baladés par la droite, qui leur a fait miroiter formica, bagnole et télé, ils sont bananés par la gauche, qui poursuit sur la même route. Dernière trouvaille : l’écotaxe. Inventée par Sarkozy, elle plonge Hollande dans la fosse à lisier.

Le bordel ne fait que commencer, car l’écotaxe prélevée sur les camtars de plus de 3,5 tonnes ne peut pas être acceptée. Autrement dit, les manifs paysannes de la semaine dernière reprendront, sous une forme ou sous une autre, si le gouvernement ne modifie pas en profondeur le dispositif du nouvel impôt. Et s’il le fait, il sera encore un peu ridicule qu’il n’est, ce qui paraît presque impossible.

Mais reprenons dans l’ordre. En 2007, le grand Sarkozy réunit sur la photo une palanquée de dupes, pour la séance « Grenelle de l’environnement ». En 2009, le Parlement à sa botte vote à la suite une loi instituant une taxe sur les camions, qui devra s’appliquer en 2011, avant d’être retardée à 2012, puis 2013, puis janvier 2014. On en est là, et le très cocasse est bien sûr que la taxe est un pur héritage de Sarkozy, qui se foutait totalement et de l’écologie, et des pedzouilles, et de l’état des routes.

La bouffonnerie ne s’arrête pas là, car Sarkozy a laissé aux socialos un deuxième cadeau : Écomouv’. Sur le papier, cette charmante société écolo est chargée par l’État de « la mise en œuvre efficace et correcte du projet », ce qui ne semble pas tout à fait gagné. Nom du proprio d’Écomouv, qui n’est jamais qu’une filiale : Autostrade per l’Italia. Cette dernière, ritale comme son nom le suggère, a construit et gère une grande part du réseau italien d’autoroutes. Depuis 1999, elle fait partie de l’empire Benetton.

Et c’est là qu’on s’autorise un pouffement, car l’écotaxe mise en musique par Écomouv’ épargne totalement les autoroutes françaises. Imaginons un gros-cul de 38 tonnes espagnol qui va livrer ses fraises frelatées au Danemark, passant par l’A9, l’A7, l’A6, l’A4. Il ne paiera pas un rond de taxe, car seules sont concernées les routes nationales et départementales. En revanche, comme cela a été calculé, le bon couillon qui va livrer ses tomates de Chailly-en-Brie (Seine-et-Marne) au marché de Rungis – la distance est de 40 kilomètres – devra banquer 15 euros. Hum, cela sent bon la grosse connerie.

En veut-on un peu plus ? Promenons-nous un trop court instant sur le site internet d’Écomouv’ (http://www.ecomouv.com). La pédagogie y est reine, et les explications sont par conséquent limpides. Par exemple, concernant la tarification : « Le réseau taxable est découpé en sections, à savoir des tronçons de route taxée compris entre deux intersections successives avec d’autres voiries publiques. Lorsque ces intersections sont très proches l’une de l’autre, les sections de tarification peuvent faire l’objet d’un regroupement ».

Qui paiera ? Là encore, la joie domine le tableau. La facture sera acquittée par le routier, obligé de s’équiper d’un boîtier GPS relié à Écomouv’. Mais le payeur sera à l’arrivée le donneur d’ordre, car le transporteur répercutera intégralement le montant de la taxe sur la douloureuse. Est-ce bien clair ? Le tout est censé inciter les « acteurs économiques » à privilégier le transport fluvial ou le train, ce qui est évidemment une blague grandiose, puisque dans la presque totalité des cas, nul n’a le moindre choix. En 2011, la route représentait 88,3 % des transports de marchandises, contre 2,2 % par péniches et 9,5 % par le train.

Dans ces conditions délirantes, où ira le fric collecté ? L’écotaxe pourrait rapporter 1,2 milliard d’euros par an, ce qui n’est plus une goutte d’eau. En toute certitude, ce tas d’or ne servira pas à changer de système de transport. Mais comme le fisc a horreur du vide, on peut parier qu’une partie sera donnée aux collectivités locales pour éternellement refaire le macadam. Quant au reste, il y a d’autres trous à boucher, dans le budget général cette fois. On parie ?

Un dernier point qui laisse songeur. On se rappelle peut-être la privatisation des autoroutes sous le règne Chirac-Villepin, en 2005. Le cadeau fait à Eiffage, Vinci et Abertis était si somptueux qu’à l’époque, Bayrou y avait vu un vol pur et simple. Et il avait raison. La rente que l’État pourrait toucher chaque année avec les péages est grossièrement de 1,2 milliard d’euros. Comme cette foutue écotaxe.

Encadré

L’écœurement des pedzouilles

Honneur aux ancêtres. Dans L’identité de la France, livre paru en 1986, un an après sa mort, le grand historien Fernand Braudel raconte : « Le chambardement de la France paysanne est, à mes yeux, le spectacle qui l’emporte sur tous les autres (…) La population a lâché pied, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l’on ne peut plus tenir ».

C’est simple : il y avait 10 millions d’actifs agricoles en 1945, sur une population de 40 millions d’habitants. Il en reste moins d’un million pour 66 millions d’habitants. Entre les deux, une entreprise parfaite, qui a conduit des millions de pedzouilles – surtout leurs enfants – des champs à l’usine, via la banlieue. Ce qu’on appelle le progrès.
Boostée par le plan Marshall en 1947, puis la volonté de « grandeur » chère à De Gaulle, à partir de 1958, l’industrialisation a totalement remodelé les campagnes, à coup de remembrement, de pesticides et de tracteurs. Il fallait produire pour nourrir, avant de produire pour faire du fric, par exemple avec les sinistres biocarburants.

Les pedzouilles ont avalé toutes les couleuvres. Ils ont intensifié, dégueulassé les sols et les eaux, et les voilà autant à poil que l’Empereur du conte d’Andersen. La Bretagne, que Pisani avait promis en 1965 de transformer en « atelier à viande et  à lait », est proche de la faillite. On parlait d’un « miracle économique », et voilà qu’on découvre un vaste désastre écologique. Les pedzouilles sont endettés, écœurés. L’écotaxe, bâclée, jamais expliquée, est la goutte d’eau de trop. On les plaint ? Ouais, quand même, on les plaint.

Giscard à la chasse

Amis lecteurs, c’est une première : je partage avec vous un article du journal Le Figaro, charmant quotidien aux mains d’un marchand d’armes. Et comme cela tombe bien ! Ce qui suit est en effet consacré à la chasse, telle que vue par l’un de nos grands chasseurs, Valéry Giscard d’Estaing. Je dois préciser pour les plus jeunes d’entre vous que Giscard a bel et bien existé. La preuve, c’est qu’il continue à tuer.

Cet homme renversant de sottise pseudo-aristocratique, confit dans un absurde sentiment de supériorité, a été président de notre pauvre République entre 1974 et 1981. Que reste-t-il ? Rien. Peut-être la photo jaunie, dans des collections anciennes, de Giscard invitant les éboueurs du quartier à partager son petit-déjeuner de l’Élysée. Tout le reste n’aura servi à rien, tout le reste n’est déjà plus qu’un infime tas de poussière sur les étagères du passé.

Si je vous offre sans rechigner le morceau de bravoure qui suit, c’est parce qu’il éclaire un pan de notre ténébreuse psyché. Pourquoi le mal ? Pourquoi la tuerie ? Pourquoi ces plaisirs si malsains ? Je n’en sais rien. Mais sous couvert de la grotesque personne de Giscard, cette interrogation lancinante m’arrache un sourire. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

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Entretien paru dans Le Figaro du 3 novembre 20013

INTERVIEW – Poil ou plume, chasses présidentielles ou safaris privés, l’ancien président de la République a toujours revendiqué sa passion pour la chasse.

LE FIGARO. – Que signifiela chasse pour vous?

Valéry GISCARD D’ESTAING. – La chasse a été la première activité de l’homme. En France, c’était à l’origine un privilège féodal, qui a été aboli à la Révolution. Depuis, le nombre de chasseurs se compte par millions, c’est un sport national bien plus étendu que le foot. Une activité profondément ancrée dans l’humanité, un vaste monde.

Quelles sont vos chasses à vous?

Elles ont été diverses. J’ai d’abord eu le privilège de participer aux chasses présidentielles, à Rambouillet, à Chambord et à Marly. Le général de Gaulle ne chassait pas, mais, par tradition, il participait à la dernière battue, et j’en ai suivi quelques-unes avec lui.

J’ai aussi toujours chassé avec des amis, en France, pour le plaisir. Je continue d’ailleurs : je ne sais pas pourquoi on a écrit que je n’ai pas renouvelé mon permis de chasse, c’est inexact. Je traque des petits animaux, des perdreaux, des faisans. Je regrette d’ailleurs que les perdreaux gris, qui étaient par excellence le gibier français, aient disparu, à cause des pesticides. Je chasse parfois le cerf, animal emblématique dans tous les pays d’Europe. On doit pour cela attendre la saison du brame, sinon ils se terrent et on ne les voit pas. Si l’on veut rencontrer de grands cerfs, il faut se rendre dans les pays de l’Est, comme la Pologne, ce que j’ai fait régulièrement. Pour les grands animaux comme le buffle, l’éléphant ou les grandes antilopes, je suis beaucoup allé en Afrique, au Cameroun, au Gabon, au Kenya, en Tanzanie, dans les anciennes colonies françaises et anglaises. Mais j’ai cessé un jour, car ma fille, lorsqu’elle était petite, me le reprochait.

Quel plaisir de poursuivre ainsi un animal?

Chasser est un sport, on peut marcher des dizaines de kilomètres en pistant un animal. Mais le vrai plaisir est celui procuré par la nature. La chasse est souvent une solitude, et on se retrouve parfois seul face à la forêt. En Afrique, j’ai vu la planète telle qu’elle devait être depuis les origines. C’est vrai que le chasseur est dans une relation étrange avec les animaux : on ne tue plus pour la nourriture, l’industrie s’en charge désormais. Alors quand un grand animal tombe, on éprouve une sensation de nostalgie, une émotion triste. Tous les chasseurs connaissent ce sentiment curieux.

Vous avez tous les «anti»contre vous désormais.

L’espèce humaine s’urbanise de plus en plus, elle ne comprend plus la chasse. Nous sommes dans un monde où les «anti» font beaucoup de bruit, même s’ils ne représentent pas grand-chose. J’ai tout de même l’impression que les jeunes de la campagne continuent d’aimer et de pratiquer la chasse.

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Ci-dessous le lien de l’article :

http://www.lefigaro.fr/culture/2013/11/03/03004-20131103ARTFIG00028-valery-giscard-d-estaing-la-chasse-est-souvent-une-solitude.php?m_i=SfVSkXuiONQhJw10LxLszEl4WacUfSfkFAgfRIo0bZOuxfISl

Faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ?

Je suis comme vous, du moins j’espère que vous êtes comme moi, sur un point au moins. Et c’est que j’aime rire. Comme je ne raconte pas mes Mémoires, je ne peux vous dire quand tout cela a commencé, mais c’était il y a fort longtemps. Le drame était chez moi plutôt quotidien, et si je n’avais pas souvent explosé de rire en face d’événements d’une rare tristesse, je n’aurais pas survécu. Nul n’est contraint de me croire, c’est pourtant la simple vérité.

Je ris, donc, en lisant la nouvelle suivante : un monsieur Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, a des idées merveilleuses pour sortir le Sahel de sa dépendance aux fantaisies de la pluie. Mais avant de continuer, deux éclairages. Le premier sur le Sahel, cette bande de terre au sud du Sahara, qui court de l’Atlantique à la mer Rouge, sur environ 5500 kilomètres de longueur et 400 à 500 kilomètres de largeur. Il y pleut, du nord au sud, entre 100 et 500 mm d’eau par an, mais d’une manière affreusement irrégulière. Les orages peuvent ainsi être dévastateurs, en plus d’être imprévisibles. Il y aurait autour de 80 millions d’habitants, répartis en dizaines, voire en centaines de groupes ethniques, et selon les calculs entre 10 et 14 États, tous très pauvres bien sûr.

Quant à la Banque mondiale (ici), que vous dire ? C’est une infernale saloperie, dont seule la disparition pourrait sembler un pas en avant. Et revenons au cas de ce monsieur Makhtar Diop. Il vient de déclarer au cours d’un colloque tenu au Sénégal, pays sahélien, que l’avenir était à…l’irrigation de l’agriculture. Pas là où il pleut, non pas. Au Sahel. Citation : « Dans notre sous-région du Sahel, nous sommes véritablement en face d’un défi de la généralisation de la maîtrise de l’eau pour l’agriculture sahélienne. (…) Aujourd’hui, peu ou prou, le Sahel compte 400.000 hectares irrigués. Faire passer ce nombre à 1 million d’hectares en 2020, c’est le défi que je nous lance à tous ». Et il ajoute – le mantra est obligatoire – que telle est la voie de la croissance. La croissance, telle que vue par la Banque mondiale, au Sahel.

Cela n’arrivera évidemment pas. L’irrigation je veux dire. Le fric mobilisé dans les années 70 pour soi-disant réaliser la même chose a disparu dans des poches anonymes, et celui qu’on trouvera peut-être finira dans des poches similaires. Bien au-delà, ces propos absurdes d’un homme ignorant nient toutes les réalités agricoles et humaines de la région. Et tournent le dos au seul avenir concevable, autour de l’agroécologie. Je n’y insiste pas.

Je souhaite en revanche dire deux mots au sujet de l’eau. De la situation réelle des ressources en eau dans tant de pays de la planète. Une parfaite occasion m’est donnée à la lecture d’une info publiée par un institut américain dont je garantis le sérieux, le World Resources Institute (WRI). Selon l’une de ses dernières études (ici), le quart de la production agricole mondiale vient de zones soumises à un stress hydrique élevé. Le stress hydrique est un indicateur signifiant le déséquilibre entre la ressource en eau disponible et la demande. Or donc, le quart de la production agricole dans des régions qui s’approchent à grand pas de la pénurie. Et dans le même temps, note le WRI, 40 % de cette même production vient de l’irrigation, dont les dégâts – c’est moi qui précise – sur la qualité et la quantité de l’eau sont l’une des causes du vaste pandémonium planétaire où nous sommes rendus.

Bref. Ce monsieur Makhtar Diop, vraisemblablement diplômé des meilleures écoles d’Occident, est un ignorant total, qui propose, sous les vivats des politiques à sa botte, une direction simplement criminelle. Arrivé à ce stade, je crois devoir formuler la question qui se trouve dans le titre : faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ? J’avoue, malgré la forte et saine tendance qui est mienne, que j’ai quelque mal.

Deux livres avant d’autres

Je vous signale rapidement deux livres récents, avant que d’oublier. Bien entendu, ils sont en rapport avec l’objet essentiel de Planète sans visa, c’est-à-dire la crise écologique planétaire qui dévaste notre avenir commun. Je ne vous ennuie pas avec les romans et les essais qui remplissent aussi ma vie.

Et tout d’abord un livre gai, on ne peut plus plaisant, écrit par un homme que je dois désigner comme un copain : Jean-François Noblet. Jean-François, Grenoblois,  a participé au lancement de la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) dans l’Isère, il y a des lustres, puis il a créé et longtemps dirigé le service Environnement du conseil général de l’Isère. C’est un amoureux profond, enthousiaste, définitif de la nature et des bêtes. Voici un petit paquet d’années, il a publié un livre épatant, La nature sous son toit, consacré à la cohabitation entre eux et nous, sous le même toit. Et Jean-François ne se contente pas de donner des conseils, il pratique ce qu’il prêche. J’ai eu la chance d’aller le visiter, et j’ai vu comment les animaux communs, dans sa demeure comme dans son jardin, étaient traités. Comme des hôtes, comme des invités permanents. Je vous le dis comme je le pense : c’est beau.

Bon, le livre. La nature au Café du Commerce (Plume de Carotte, 156 pages, 15 euros). Une trentaine de chapitres, dont le titre annonce le propos : Les animaux sauvages sont méchants, Les chasseurs régulent la faune, Les écolos lâchent des vipères dans la nature, Les chauves-souris s’accrochent aux cheveux, etc. On aura reconnu les lieux

Jean-François Noblet - La nature au café du commerce - Préjugés et lieux communs sur la faune et la flore. communs qui traînent chez tant de gens rencontrés ici ou là. Noblet a choisi le ton qu’il fallait pour tordre le coup à ces increvables inventions. Plutôt, les tons. Celui de l’humour, celui du pédagogue, parfois celui du grand frère compréhensif. Intervenant à la première personne, distillant les anecdotes, jamais agressif, il livre au fond un livre de sage, qui en a beaucoup vu, et qui en est revenu. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il écrit. Je pense par exemple qu’il aurait mieux fait de lire les ouvrages de Moriceau au sujet des attaques de loups sur les hommes avant d’envoyer son travail aux pelotes. Mais cela fait un moment que je n’avais pas lu avec autant de plaisir des histoires d’animaux. En France. Aujourd’hui.

Toxique Planète A. Cicolella Autre genre, Dieu sait ! Je connais et j’apprécie également André Cicolella, lanceur d’alerte bien connu dans certains cercles. Cico, comme on l’appelle familièrement, est chercheur et toxicologue. Il a été chassé de son emploi à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), en 1994, parce qu’il avait organisé une conférence scientifique sur les éthers de glycol, danger toxique extrême. La justice lui a donné raison six ans plus tard, et entre-temps, il était devenu une figure publique. Responsable de la commission Santé d’Europe-Écologie-les-Verts – qui est parfait ? -, il a présidé la Fondation Sciences Citoyennes avant de diriger l’excellent Réseau Environnement Santé (RES, http://reseau-environnement-sante.fr).

Dans Toxique Planète ( le scandale invisible des maladies chroniques), paru au Seuil (316 pages, 19 euros), Cico détaille la folle expansion mondiale de maladies comme le cancer, le diabète, l’obésité, les affections cardio-vasculaires, les allergies. Et il démontre avec clarté que nombre de systèmes de santé n’y résisteront pas, ployant et même cassant sous la charge. Il convainc de même que le sempiternel déficit de notre Sécurité sociale n’a rien d’une crise financière, mais tout d’un désastre sanitaire. Il faudrait évidemment remonter aux causes de ces authentiques épidémies. Savez-vous bien que le tiers des Français souffrent aujourd’hui d’une allergie au moins, qu’elle soit respiratoire, alimentaire, cutanée ? Mettant en cause l’alimentation et l’agriculture productiviste, les produits de l’industrie chimique,  le tabac bien sûr, il en appelle à une révolution paradigmatique dans la santé publique.

Et ? Le livre fourmille de données impeccables, d’études, d’inquiétudes fortement documentées. À ce titre, il est davantage que précieux. Il faut non seulement le lire, mais aussi le conserver non loin de soi. Reste qu’il y manque selon moi un examen des responsabilités. Celles de l’industrie. Celles de la publicité, reine du mensonge. Celles des autorités publiques. Celles des forces politiques. Celles, même, des habitants de ce pays, que nous sommes tous. Je vois bien que Cico a voulu montrer que la critique écologiste était sérieuse, argumentée, solide puisqu’étayée.  Mais le constat me paraît manquer de mise en perspective. Le livre refermé, on a un peu le sentiment d’un grand malheur fatal, lié au développement d’une méta-machine incontrôlable, qu’on ne pourrait contenir qu’à ses marges. Cela ne change rien à l’intérêt évident du livre, mais cela devait être dit.

La mort nucléaire rapporte un max

 Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 octobre 2013

Ils sont si mignons. EDF veut faire durer 60 ans des centrales nucléaires prévues pour s’arrêter au bout de 30. C’est délirant, mais ça peut rapporter très gros à Proglio et à l’État actionnaire. Des milliards d’euros.

Alors voilà. C’est pas drôle, mais c’est sérieusement marrant. Le 13 octobre, le Journal du Dimanche publie une énorme connerie. Quoique. Extrait : « Selon plusieurs sources proches du gouvernement, l’État se prépare à autoriser EDF à prolonger de dix ans la durée de vie des 58 réacteurs nucléaires ». Et l’une d’elles assure même que c’est « inéluctable ». La durée de vie administrative des centrales nucléaires passerait en France de 40 à 50 ans. Après avoir déjà gagné 10 ans en 2003. La vaste machinerie se met en route, et toute la presse embraie. TF1, mais aussi Le Monde, avec juste un poil de prudence.

Présenter l’affaire comme le fait le JDD n’a au premier regard pas de sens. L’article ne cite même pas l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pourtant la seule instance ayant le droit de donner un éventuel feu vert. Créée en 2006, l’ASN est en théorie indépendante, et peut donc envoyer bouler qui elle veut. Actuellement, elle procède tous les dix ans à une inspection de chaque centrale, et signe – ou pas – une autorisation de poursuivre l’activité pour dix années supplémentaires.

Or, et telle est sans doute l’explication du plan com’ en circulation, l’ASN tire à ce sujet une tronche de dix mètres de long. Dans L’Usine Nouvelle du 4 octobre, le patron de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, parle gentiment de « terra incognita ». C’est aussi simple que flippant : au-delà de quarante ans de fonctionnement, une centrale devient une « terre inconnue ». Et Chevet d’ajouter, non sans savoir ce qu’il fait : « EDF a déposé un premier dossier sur cette question. Pour l’instant, c’est un très gros point d’interrogation ». Le comble, c’est que tous les acteurs savent évidemment à quoi s’en tenir. Le calendrier est limpide : d’abord le dépôt d’un dossier complet d’EDF, puis une décision attendue en 2015, et pas avant. Alors, pourquoi l’article du JDD ?

La chronologie parle d’elle-même. Le 4, l’ASN joue au billard, et signale au pouvoir politique dans quelle merde nous nous trouvons tous. Les nombreux services de propagande d’EDF se mettent alors en mouvement pour contrer l’opération et appuyer tous ceux qui, dans l’appareil d’État, soutiennent sa logique. Inutile de dire qu’ils sont nombreux. Pourquoi ? À cause du blé. Les petits cerveaux d’EDF et son patron sarkozyste Proglio savent au moins lire les journaux. La France de Hollande cherche désespérément de quoi boucher les trous et faire plaisir à la Commission européenne. Or, l’opération demandée par EDF permettrait un miracle.

Et d’un, amortir le coût des centrales en cinquante ans plutôt que quarante dégagerait une marge supplémentaire annuelle colossale, peut-être pas loin d’un milliard d’euros. Et de deux, l’État se goinfrerait lui aussi avec bonheur. Depuis l’introduction en Bourse d’EDF, en 2005, l’État actionnaire a ramassé 16 milliards d’euros de dividendes. Les centrales étant par définition de plus en plus « rentables », les caisses publiques pourraient ramasser jusqu’à 2 milliards d’euros annuels en cas de passage de 40 à 50 ans.

Ne reste plus qu’une minuscule question : la sécurité. Notons pour commencer deux faits. Le premier, c’est que 48 des 58 réacteurs nucléaires français ont été mis en service entre 1978 et 1989. Sans accord de l’ASN, les plus vieux devraient fermer dès 2018, ce qui créerait une sorte de chaos, car nos bons maîtres n’ont rien prévu pour les remplacer. Le second, c’est qu’EDF, ne pensant qu’à ses résultats financiers, pousse en fait à un passage à 50 ans, suivi d’un passage à 60. 60 ans, les amis, deux fois plus que la durée prévue au départ.

Est-ce bien raisonnable ? Bien sûr que non. D’importantes parties des centrales ne peuvent être remplacées, à commencer – selon un point de vue officiel – par les cuves des réacteurs. Et bien entendu, des milliers de pièces fragiles, soumises à des radiations constantes, à l’usure et à la corrosion,   ne sauraient tenir un demi-siècle. Mais EDF s’en tape, car EDF ne cesse de marquer des points en Bourse. L’économie, une mort si intelligente. nike air max ladies nike air max ladies