Deux gauches sont dans un bateau

Cet article a paru dans Charlie Hebdo

Au Brésil, c’est le bobinard. Alors que les manifs reprennent, contre la Coupe du monde de foot et le reste, deux gauche s’affrontent. Le parti de Lula contre une certaine Marina Silva.

Ça merdoie pour Dilma Rousseff, présidente du Brésil, mais grave. On se souvient des manifs monstres commencées en mars à Porto Alegre : après avoir gueulé contre le prix des tickets de bus, des millions de gens ont déferlé dans tout le pays en insultant dame Rousseff, notamment à cause des dépenses délirantes engagées pour la Coupe du monde de foot, qui devraient dépasser 10 milliards d’euros.

À distance, les Brésiliens paraissent bien moins cons que nous. Ce printemps, ils défilaient aux cris de «  Brésil réveille-toi, un professeur vaut plus que Neymar [héros du foot national] ! », et voilà qu’ils remettent le couvert. Les enseignants des écoles publiques sont en grève depuis plus de deux mois, et les manifs de soutien prennent de vives couleurs. 50 000 personnes ont défilé dans les rues de Rio le 7 octobre, relayées en fin de cortège par des servants du drapeau noir – on les nomme Black Block -, qui ont brûlé de la banque et heurté pas mal de flics.

On résume la situation générale pour les oublieux : le Brésil est depuis 2011 la sixième puissance économique mondiale, derrière nous, devant le Royaume-Uni. Si l’on s’en tient aux mesures de richesse classiques, bien sûr, qui ne veulent rien dire de vrai. N’empêche qu’une page est tournée, et que les 200 millions de Brésiliens commencent à compter autrement que pour du beurre ou de la canne à sucre.

On le sait, le pays est tenu par le Parti des travailleurs (PT) de Lula, qui a laissé sa place de président à Dilma Rousseff en 2010. Cette dernière, une ancienne de la guérilla, est une caricature de la gauche « développementiste », pour laquelle il faut des barrages hydro-électriques partout en Amazonie, et ailleurs des forages pétroliers, des centrales nucléaires, des sous-marins d’attaque, de vastes monocultures de canne à sucre – pour les biocarburants – et de soja transgénique pour doper les exportations. Sans compter de nouveaux stades de foot.

Justement, le foot. Le 8 octobre, notre Français à nous, le numéro 2 de la Fifa Jérôme Valcke, s’est fait insulter au cours d’une visite dans un stade brésilien en construction, par quelques enseignants teigneux. On aurait voulu être là, d’autant que ce Valcke est un grand homme. N’a-t-il pas déclaré en avril : « Un moindre niveau démocratique est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde » ?

C’est dans ce contexte détendu que Marina Silva vient de décider un coup politique qui enflamme toute la presse brésilienne. Silva a été ministre de l’Environnement de Lula avant de lui claquer entre les doigts en 2008, et de faire près de 20 % des voix à l’élection présidentielle de 2010, empêchant Rousseff, qu’elle déteste, de passer au premier tour.

Silva est une vraie pauvre, née dans une famille de seringueiros, ces gueux qui récoltent le caoutchouc des hévéas. Pour comble, elle est écologiste, et s’oppose sans cesse aux grands projets industriels de Rousseff. Elle soutient par exemple les Indiens d’Amazonie qui protestent contre le méga barrage de Belo Monte et tempête contre les connivences de Rousseff avec l’agro-industrie, puissance colossale au Brésil. Le pouvoir de Brasilia a tenté toutes sortes de manœuvres pour lui interdire une nouvelle candidature à l’élection présidentielle de 2014, refusant notamment d’enregistrer officiellement son parti – Rede Sustentabilidade -, condition sine qua non d’une participation électorale. Mais Silva, qui n’est pas née de la dernière pluie, a trouvé une parade, en rejoignant à la stupéfaction générale, le petit Parti socialiste brésilien (PSB), ancien allié de Lula.

Le PSB a déjà son candidat pour la présidentielle, mais contrairement à ce qu’ont pu penser les journalistes pressés, Silva entend bien lui contester l’investiture de son parti. Ce qui veut dire très simplement que l’élection de 2014 est désormais ouverte en grand. Dans les sondages, Rousseff a vingt points d’avance sur Silva, mais vu le bordel ambiant et la gnaque de Marina Silva (1), le Parti des Travailleurs de Lula-Rousseff a très chaud au cul.

(1)  Elle est aussi évangéliste – protestante, donc – et réclame un référendum sur l’avortement, après avoir longtemps défendu son interdiction. Mais ceci est une autre histoire.

L’éternel retour des gaz de schiste

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 octobre 2013

Le Conseil constitutionnel valide la loi sur l’interdiction de la fracturation hydraulique. Derrière cette « victoire » à la Pyrrhus, tout est prêt, chez les socialos comme à droite, pour le grand voyage vers l’Eldorado.

Vendredi passé, le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État après d’une plainte de l’industriel américain Schuepbach, a validé toute la loi de 2011 sur l’interdiction des gaz de schiste. C’est donc fini, et les cocoricos n’ont pas manqué de s’élever dans le ciel tricolore, de José Bové au ministre de l’Écologie, Philippe Martin. Encore une victoire française !

La décision du Conseil, heureuse à n’en pas douter, cache au passage son lot de très mauvaises surprises. Rappelons pour commencer le contexte du vote de la loi de 2011. À l’extrême fin de l’année 2010, le mouvement contre les gaz de schiste commence ses manifestations, qui font rapidement craindre une jacquerie générale dans les régions les plus concernées, de l’Ardèche à l’Aveyron, en passant par les Cévennes. Le printemps 2011 fait flipper tous les politiques, qui comptabilisent les centaines d’élus locaux, maires en tête, qui montent au front. Sarkozy, déjà lancé dans la campagne de 2012, ne veut pas de bordel dans ses meetings électoraux, et décide de calmer le jeu. De leur côté, les socialos de Hollande pensent tenir un levier supplémentaire en surfant sur la colère du sud de la France.

La loi de 2011 sera votée pratiquement à l’unanimité, mais sur la base d’une incompréhension totale des enjeux de l’affaire. Car le sous-sol français fait maladivement saliver les transnationales du pétrole et de la chimie. Pour la raison simple que les estimations des réserves de gaz et de pétrole de schiste – il y a les deux – sont franchement foldingues, même si elles ont souvent été faites au doigt mouillé. L’Institut français du pétrole, public, parlait en 2011 d’un Eldorado de pétrole de schiste sous le Bassin parisien : de quoi assurer entre 70 et 120 années de production d’un pays comme le Koweït.

La droite, qui s’est ressaisie, cassera à coup sûr la loi en cas de retour au pouvoir. Mais la gauche, pour le moment coincée par ses engagements solennels, attend le moment favorable pour ouvrir les vannes. Ce qui dépendra de l’état des lieux mondial et notamment des prix du pétrole et du gaz. Il se murmure raisonnablement fort que le sujet est suivi par Hollande, qui a une ligne directe avec le patron de Total, Christophe de Margerie, via son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, très vieux pote de notre président et patron de la surpuissante Caisse des dépôts et consignations.

Comme le note Sylvain Lapoix sur le site Reporterre, l’industrie française est prête à bondir sur la moindre occase. Et elle a d’ailleurs commencé. Total a injecté la bagatelle de 2,32 milliards de dollars dans l’entreprise Chesapeake, deuxième producteur américain de gaz de schiste. Vallourec, notre « leader mondial des solutions tubulaires » fournit outre-Atlantique une part croissante des tuyaux nécessaires à la fracturation, et vient d’ouvrir sur place une usine à plus de 1 milliard de dollars. Lafarge, qui refile plein de fric au WWF, fournit une partie du ciment destiné au bétonnage des puits de forage.

Question formatage des esprits, tout se met également en place. Anne Lauvergeon, socialo-compatible virée d’Areva, s’occupe pour le compte de Hollande d’une pittoresque Commission pour l’innovation. Il fallait l’entendre sur France-Info, le 11 octobre, insistant sur l’importance des recherches et explorations du gaz de schiste, pour mieux comprendre ce qui se profile. Jetons ensemble un œil sur une photo officielle publiée en avril par notre beau gouvernement. On y voit de gauche à droite, annonçant du haut d’une tribune la création de la Commission, Fleur Pellerin, Geneviève Fioraso, Jean-Marc Ayrault, Anne Lauvergeon et Arnaud Montebourg. Une brochette de scientistes militants, sertie d’au moins un(e) complet(e) nigaud(e). Saurez-vous le (la) reconnaître ?

Montebourg a réclamé sans rire une « exploitation écologique » des gaz de schiste. Pellerin a défendu à mort les ondes électromagnétiques des portables, tumeurs comprises. Fioraso est une croisée des nanotechnologies et même de la biologie de synthèse. Lauvergeon a dirigé le nucléaire français. Et Ayrault est Ayrault. On ira. On y va.

Bernard Guetta, la NSA et le souffle perdu (plus un ajout)

Le mot de décadence est connoté, je le sais. Il a été si souvent utilisé, au travers des temps historiques, par des vieux cons, que l’on peut hésiter à l’employer. Mais peut-être suis-je devenu, sans m’en rendre bien compte moi-même, un vieux con ? Chi lo sa ? C’est en tout cas ce mot qui m’est venu à l’esprit en écoutant voici un quart d’heure Bernard Guetta, sur France-Inter.

Guetta est un journaliste multicouronné, qui fait des éditos de politique étrangère chaque matin de la semaine. Il est bien rare que je tombe d’accord, mais je lui reconnais sans barguigner du talent, et un don vrai pour l’analyse comme pour la synthèse. Politiquement, je crois pouvoir dire qu’il n’est pas loin de ce que sont aux États-Unis les Démocrates. Pas de droite, pas vraiment de gauche non plus. Une sorte de social-démocrate ayant achevé la mue de rupture avec la tradition socialiste.

Bon. Ce matin, Guetta parlait des écoutes de l’agence de renseignement américaine NSA. Des millions de conversations privées entre Français interceptées dans l’illégalité, pour la seule période 10 décembre 2012-8 janvier 2013. Et Guetta de commenter l’événement à sa manière habituelle, pondérée, raisonnable. Sauf qu’il déconnait à cent sous de l’heure, oubliant superbement le fait que des citoyens d’un pays officiellement libre sont sous la surveillance étroite d’un appareil étatique. Il ajoutait, sans doute pour aggraver son cas, que tous les pays font de même, et que seuls les moyens technologiques et financiers pouvaient expliquer les différences d’échelle entre disons les capacités d’espionnage du Malawi et celles des États-Unis. À en croire son propos, il y avait comme automaticité. Nulle politique. Aucun choix. Pas la moindre décision de qui que ce soit.

Notons immédiatement que c’est intéressant. Un appareil étatique conduirait fatalement au flicage. Mais comme il faut aller au-delà, disons tout net que Guetta exprime bien mieux que ces pauvres nouilles de Hollande ou Valls où en est rendu l’esprit public. Car bien sûr, de telles révélations eussent dû conduire à une crise morale majeure. Au sursaut. Aux manifestations de masse. À l’émeute, pourquoi pas ? Or rien d’autre qu’un friselis à la surface des choses ordinaires. Rien.

Certes, j’ai souvent écrit, car c’est une évidence, que l’on sait tout cela depuis des décennies au moins. Les activités du réseau Échelon – avec au centre la NSA – ont été révélées en 1988, et il s’agissait déjà d’espionnage généralisé des sociétés humaines. 13 ans avant le 11 Septembre, qui leur sert aujourd’hui de justification. De la même façon que nos politiques, Mitterrand en tête, firent semblant de protester, ceux d’aujourd’hui miment stupéfaction et indignation. Je dois constater qu’ils jouent très mal.

Mais l’essentiel, à mes yeux de vitupérateur, est ailleurs. Je sais que la démocratie est morte, mais je reste à chaque fois meurtri quand on me le rappelle. Je veux parler de l’esprit de la démocratie, qui renversa le monde au cours des 18ème et 19ème siècles. L’énergie, pour ne pas dire la foi, était là. Et tout a disparu, décennie après décennie. De plus en plus.

Ce qui reste du souffle historique de 1789, c’est le pire. Je veux dire la glorification de l’individu, jadis moteur de l’émancipation, aujourd’hui consommateur déchaîné pour lequel la machine invente chaque jour de nouveaux objets. L’individualisme, clé de l’industrialisation capitaliste de la planète, fait de chacun un rouage militant du gaspillage universel. Oui. Ne nous reste que le pire. Comme du reste, d’un certain point de vue, mai 68 n’a laissé derrière, pour l’essentiel, que des nuées d’individualistes-hédonistes prêts à plébisciter les écrans plats et les téléphones portables.

Je me suis perdu, excusez-moi. La NSA. N’importe quelle personne, pensant par elle-même, pouvait prévoir ce que donnerait Internet et l’ordinateur aux mains des puissances que l’on sait. Mais il semble que plus la menace se précise, plus se développent des formes de déni de celle-ci. Plus ça va, moins on regarde dans les coins et sous le tapis, certains que nous sommes d’y découvrir les monstres qui hantent nos nuits.

Nos sociétés épuisées recèlent-elles suffisamment de force cachée pour susciter un mouvement neuf ? Capable de s’attaquer à toutes les NSA, dont certaines sont évidemment françaises ? Puis de parler enfin de la seule question qui vaille vraiment, c’est-à-dire la crise de la vie ?

Ajout (plus tard le même jour) : M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, répond aux questions du journal Le Monde. J’extrais ceci de ses réponses :

« La démesure des écoutes auxquelles procèdent les Etats-Unis est proportionnelle aux moyens qu’ils y consacrent. La communauté du renseignement américain bénéficie d’un budget qui avoisine les 75 milliards de dollars par an ; elle se compose de 16 services (on a tout lieu de penser qu’en réalité ils sont au nombre de 17) ; elle emploie près de 110 000 personnes et recourt à de nombreux sous-traitants. Il s’agit donc d’un rouleau compresseur ».

Mon commentaire : tout est cinglé, mais un bout de phrase l’est davantage encore. Celui-ci : « On a tout lieu de penser qu’en réalité ils sont au nombre de 17 ». Il existe donc peut-être, aux yeux de notre spécialiste national un service américain plus secret que les autres services secrets, qui sont au nombre de 16 déclarés. À ce compte-là, pourquoi pas 38 ? À ce compte-là, pourquoi pas en France aussi ?

Une botte de poireaux, trois kilos d’oiseaux (la nature monétarisée)

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 9 octobre 2013

La nature a-t-elle un prix ? Peut-elle être vendue sur les marchés ? Oui, jure le Conseil économique, social et environnemental, où siègent des « écologistes » bien propres sur eux.

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Belles moquettes, beaux salons, superbes breloques. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont tout le monde se fout, entretient 233 conseillers : des patrons, des syndicalistes, des pedzouilles, et depuis Sarkozy des écolos dûment estampillés, qui savent rester gentiment à leur place. Compter 3800 euros par mois d’indemnités, et jusqu’à 7500 euros pour le président. Le tout siégeant quatre après-midi par mois au charmant palais d’Iéna, à Paris.

Le CESE, purement consultatif, donne des avis au Sénat, à l’Assemblée, au gouvernement, et pond d’ébouriffants rapports. Par exemple, et parmi les tout derniers : « La coopération franco-allemande au cœur du projet européen », « Pour un renforcement de la coopération des Outre-mer », « Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ? ». On ne rit pas, c’est sérieux.

On s’arrêterait volontiers là si une vilaine opération n’était en cours, façon ballon d’essai. Pour bien comprendre la suite, un mot sur les « mesures compensatoires » en cas de destruction d’un milieu naturel. Un aménageur ne peut aujourd’hui tout bousiller que s’il dispose d’un plan  destiné à compenser ailleurs. En remplaçant par exemple un bout de marais ou de forêt, plus ou moins comparables au plan biologique.

C’est con, mais en plus, ça coince. Les mesures proposées en remplacement des 2 000 hectares où Ayrault veut foutre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont contestées de toute part. Par les naturalistes de terrain, mais aussi par plusieurs commissions officielles. Or le même Ayrault, s’appuyant sur le rapport Boulard-Lambert (Charlie du 24 avril 2013), ne rêve que d’une chose : contourner les rares lois de protection de la nature, et combattre « l’intégrisme normatif dans le domaine de l’environnement ». La croissance, à tout prix.

Chaussons ces lunettes et lisons le dernier Avis du CESE sur la biodiversité (http://www.lecese.fr). Au détour d’une phrase, on s’attaque sans préavis à près de quarante ans de lois censées protéger la nature. Citation : « Dans le cas où les espaces consommés ne peuvent pas être compensés en surfaces », eh bien, il faudra bien trouver autre chose. C’est le bon sens qui parle. Et le CESE d’ajouter : « Il doit être envisagé, dans les cas où la compensation écologique en surface de terrains est contre-productive, voire impossible, que celle-ci soit monétarisée ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est une révolution. En clair, l’adoption du langage de l’économie et de la finance : tu détruis, mais tu paies. Derrière les mots, des dizaines, des centaines de banques et d’agences, dans le monde entier, se voient en « instruments financiers innovants », veillant aux « paiements pour services écosystémiques ». Commentaire de Maxime Combes, d’Attac (http://bastamag.net), à propos d’une tendance mondiale au « capitalisme vert » : « Niant la complexité, l’unicité et l’incommensurabilité des écosystèmes, cette approche transforme les écosystèmes et les services qu’ils rendent en actifs financiers comparables, quantifiables et échangeables sur des marchés ».

Bien entendu, on n’en est pas là en France, et l’Avis du CESE pourrait n’être qu’un feu de paille. Mais il provoque des secousses dans le milieu associatif. À commencer par les Amis de la Terre, dont la présidente actuelle, Martine Laplante, membre du CESE, a voté sans état d’âme le texte. Plusieurs adhérents, parmi les plus anciens, ne rêvent que de la lourder au plus vite, rappelant l’une des dernières grandes campagnes internationales des Amis de la Terre : « La nature n’est pas à vendre ».

De leur côté, les dirigeants de France Nature Environnement (FNE) – 3 000 associations revendiquées – membres du CESE ont voté l’Avis en bloc. Commentaire d’un responsable, opposant de longue date à la ligne majoritaire : « Sans débat interne, sans égard pour les luttes en cours, voilà nos cadors du CESE qui se lancent dans la financiarisation de la nature ». Sans débat, c’est vite dit, car ils en ont forcément parlé entre eux.

Badinter, Chevènement, Juppé et Rocard au service du scientisme

Le texte qui suit est tiré du quotidien Libération de ce matin, le 15 octobre 2013. C’est une perle, et c’est pourquoi je le publie de nouveau sur Planète sans visa. De quoi parle-t-il ? De la peur. De la peur et du désarroi que ressentent une poignée de vieux scientistes – Badinter, 85 ans; Chevènement, 74 ans; Juppé, 68 ans; Rocard, 83 ans – face à une réalité fantasmatique. Ne nous attardons pas sur le grotesque, si évident. Parlant de science, ces gens n’expriment que des émotions et des impressions. La critique de la science serait inquiétante, et les scientifiques seraient attaqués de plus en plus souvent. Où sont les faits ? Nulle part.

 Non, passons sur ce qui n’est que détail. En revanche, et sur le fond, il faut s’attarder. Car ces grands idiots ne voient pas même cette évidence que la science n’a jamais connu pareille « liberté ». Les pouvoirs politiques, à mesure que se renforce l’industrialisation du monde, lâchent toujours plus la bride aux chercheurs, pensant avec une naïveté grandissante qu’ils finiront bien par trouver des solutions aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, notons que les chercheurs et applicateurs techniques nous ont apporté sans que nous n’ayons rien demandé l’atome et la possibilité d’en finir avec l’espèce ; l’industrie chimique de la synthèse et les pesticides, accompagnés d’un empoisonnement désormais planétaire ; les nanotechnologies ; les abatteuses d’arbres, capables de couper, ébrancher et billonner un tronc en moins d’une minute ; des filets dérivants en nylon de 100 kilomètres de long, etc. Et quand j’écris etc., je veux réellement dire et cætera, sûr que vous complèterez jusqu’à demain matin cette liste sans fin.

Non, vraiment, ce sont des idiots. Et il m’est plaisant de compter parmi eux Robert Badinter, désastreuse icône de la gauche bien-élevée, au motif qu’il aura incarné l’abolition de la peine de mort chez nous en 1981, mesure décidée au Venezuela dès 1863, 120 ans plus tôt. La mémoire est une folle dame. Qui sait ou se souvient que Robert Badinter passa une bonne part de sa vie professionnelle à défendre des patrons ? Et notamment dans la sinistre affaire du talc Morhange (ici) ? Quant aux autres, faut-il insister ? Chevènement, grand homme miniature qui voulait rompre avec le capitalisme en 100 jours, entre mai et juillet 1981, et qui termine aujourd’hui sénateur. Juppé, qui a rêvé toute sa vie d’être président, et qui n’aura fait que Premier ministre droit dans ses bottes. Rocard, 100 fois humilié et ridiculisé par Mitterrand, incapable de construire autre chose que des châteaux de cartes. Bah !

 La bande des Quatre nous raconte une histoire totalement imaginaire à laquelle elle croit sans nul doute. Le débat sur la science et la technique est truqué et rendu inutile par les chefferies administratives qui l’organisent. Mais cela ne suffit pas à nos maîtres. Ils voudraient que cessent la mise en cause et la critique. Ils voudraient pouvoir continuer sans limite aucune, jusqu’à la fin des fins, qui semble s’approcher de plus en plus. Ils ne voient pas même qu’ils réclament la dictature, l’effacement du dissensus par l’intervention de l’État. Vu d’ici, cela fait furieusement penser à un paratotalitarisme.

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La tribune de Libération

La France a, plus que jamais, besoin de scientifiques et techniciens

Nous assistons à une évolution  inquiétante des relations entre la société française et les  sciences et  techniques. Des minorités constituées autour d’un rejet de celles-ci tentent d’imposer peu à peu leur loi et  d’interdire progressivement tout débat sérieux et toute expression publique des scientifiques qui ne partagent pas leurs opinions. L’impossibilité de tenir un débat public libre sur le site de stockage des déchets de la CIGEO (Le site souterrain de stockage des déchets hautement radioactifs proposé par l’ANDRA) est l’exemple le plus récent de cette atmosphère et de ces pratiques d’intimidation, qui spéculent sur la faiblesse des pouvoirs publics et des élus.

De plus en plus de scientifiques sont pris à partie personnellement s’ils osent aborder publiquement et de façon non idéologique, des questions portant sur les OGM, les ondes électromagnétiques, les nanotechnologies, le nucléaire, le gaz de schistes….Il devient difficile de recruter des étudiants dans les disciplines  concernées (physique, biologie, chimie, géologie). Les organismes de recherche ont ainsi été conduits à donner une forte priorité aux études portant sur les risques, même ténus, de telle ou telle technique, mettant ainsi à mal leur potentiel de compréhension et d’innovation. Or  c’est bien la science et la technologie qui, à travers la mise au point de nouveaux procédés et dispositifs, sontde nature à améliorer les conditions de vie des hommes et de protéger l’environnement.

La France est dans une situation difficile du fait de sa perte de compétitivité au niveau européen comme mondial. Comment  imaginer que nous puissions remonter la pente sans innover? Comment innover si la liberté de créer est constamment remise en cause et si la méfiance envers les chercheurs et les inventeurs est  généralisée, alors que l’on pourrait, au contraire, s’attendre à voir encourager nos champions ? Il ne s’agit pas de donner le pouvoir aux scientifiques mais de donner aux pouvoirs publics et à nos concitoyens les éléments nécessaires à la prise de décision.

Nous appelons donc solennellement les médias et les femmes et hommes politiques à exiger  que les débats publics vraiment ouverts et contradictoires puissent avoir lieu sans être entravés par des minorités bruyantes et, parfois provocantes, voire violentes. Il est indispensable que les scientifiques et ingénieurs puissent s’exprimer et être écoutés  dans leur rôle d’expertise. L’existence même de la démocratie est menacée si elle n’est plus capable d’entendre des expertises, même  contraires à la pensée dominante.

 Robert Badinter, ancien Ministre, ancien Président du Conseil Constitutionnel

Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre de la Recherche et de la Technologie, ancien Ministre de la Recherche et de  l’Industrie, ancien Ministre de l’Education Nationale

Alain Juppé, ancien Premier Ministre

Michel Rocard, ancien Premier Ministre