Une question mouline toute seule dans ma tête : comment faire avec ceux qui haïssent tant les animaux qu’ils ne contrôlent pas ? Je vois que le dialogue est impossible. Je vois aussi que ces pauvres fous ont l’appui des pouvoirs politiques et sociaux. En vrac, je tire de ma besace deux ou trois histoires dont j’essaie de rire un peu. Pas facile.
Un membre du comité directeur de Chasse, pêche, nature et tradition (CPNT), le regroupement des gros durs, passe sur le net, dans le cadre d’une revue de presse, cette « information » :
Dans le Gers un brocard embroche une jeune touriste
Une touriste venue de la Somme a vécu une drôle d’aventure. Alors qu’elle circulait en scooter avec son conjoint, un brocard leur a coupé la route à l’entrée de Fleurance. Malgré une manouvre désespérée pour éviter l’animal, celui-ci a percuté le deux-roues. Fonçant tête baissée, ce chevreuil a enfoncé ses bois au plus profond de la jambe de la jeune femme. Conduite par les pompiers aux urgences d’Auch, il aura fallu 11 points de suture et 7 points sous-cutanés pour refermer la plaie de la malheureuse.
—————————————
Le 15 juillet, une gosse de 15 ans a été tuée par un requin dans la baie de Saint-Paul (La Réunion). Depuis, festival de propositions plus grotesques les unes que les autres. Comme le proclame un communiqué signé par dix associations (ici), dont ma chère Aspas et mon cher Seashepherd, «Aujourd’hui, la raison a perdu tout droit de cité et nous assistons à un véritable hold-up sur ce dossier qui nous concerne tous mais qui a été phagocyté par une poignée d’individus, peu représentatifs de la population réunionnaise ».
————————————-
En baie de Somme, certains pêcheurs voudraient qu’on les débarrasse des phoques qui sont miraculeusement revenus le long de cette côte. Pardi ! ils osent manger du poisson. On les accuse aussi de dévorer les filets, demain on dira qu’ils violent les grands-mères. C’est à pleurer (ici).
————————————-
Que meurent donc les moustiques aussi ! L’an passé, j’avais oublié de vous parler de cette grande nouvelle : le moustique-tigre attaque (ici). Mais cette année, c’est pire, car il tue : voyez plutôt.
————————————-
On remarquera le silence des imbéciles au sujet des chiens, qui sont en principe soumis au maître. Selon les chiffres du Centre de Documentation et d’Information de l’Assurance – je ne sais ce qu’ils valent -, 500 000 morsures de chiens seraient déclarées chaque année en France (ici). Dans tous les cas, des milliers de drames et d’hospitalisations, sans compter les cicatrices du corps et de l’âme. Mais là, rien. Aucune plainte, aucune gueulante des habituels gueulards.
À part cela, je viens de passer un moment délicieux en compagnie d’un lucane cerf-volant, un mâle renversant de grâce. Une femelle, à ses côtés, avait le poitrail défoncé, et des petites fourmis s’en échappaient. Elle vivait, mais pour combien de temps ? La beauté est encore là.
Ce que vous allez – peut-être – lire est un document. Il y a peu de textes qui disent à ce point la nécessité de refonder une pensée de l’homme et de son avenir. Étienne-Émile Beaulieu est un vieil homme, né en 1926, qui se trouve être le chéri de quantité de journalistes de la place (ici). Mais je me reprends : il est le chéri de toutes les élites en place, car il exprime au mieux, drapé de son large costume d’impeccable scientifique, ce qu’il est tant plaisant de croire. La science est au service de l’homme et de ses souhaits, le progrès est une marche en avant, il faut donner davantage à la recherche, qui trouvera fatalement, puisque telle est sa raison d’être. Vous verrez par vous-même ce qu’il faut penser, y compris de ce que je viens d’écrire.
Beaulieu, on s’en souvient peut-être, est « l’inventeur » de la pilule RU-486, qui permet dans certains cas d’avorter sans passer entre les mains d’un chirurgien. Il a également travaillé sur le vieillissement, au travers de recherches sur la déhydroépiandrostérone (DHEA), qui a donné beaucoup d’espoirs – vains – à qui rêve de repousser les limites humaines. Je me doute qu’il ne serait pas d’accord, mais pour ma part, je classe volontiers Beaulieu dans le camp en perpétuelle expansion des transhumanistes, et ce n’est pas un compliment. Le transhumanisme, qui postule la nécessité « d’améliorer » l’homme par adjonction de créations scientifiques et technologiques, est à mon sens une résurgence des idéologies les plus délétères du passé. Celle du « surhomme » ? En effet, tel est bien mon état d’esprit.
Dans l’entretien ci-dessous qu’il a accordé au grand médiacrate Christophe Barbier, de L’Express, Beaulieu enfile quelques perles qui prouvent en fait l’innocence de sa pensée. Au sens de naïveté. Franchement ! Son point de vue sur le mariage pour tous, qui ouvre l’article, est à peine digne des échanges de bistrot. Bon. Pas grave. Pas grave, mais significatif : on peut passer sa vie dans un laboratoire, éventuellement y faire de grandes découvertes, et n’avoir rien à dire sur la marche redoutable du temps. Est-ce le cas de Beaulieu ? Presque. Presque, car se sentant à l’abri entre les mains de Barbier – et il a bien raison -, Beaulieu se lâche.
Je ne vous livre que quelques extraits, qui sont manifestement du goût de notre grand journaliste de poche. En gras, les questions de Barbier. En maigre, les réponses de Beaulieu :
Extrait 1 : « Etes-vous favorable à la PMA pour tous?
Je ne suis contre aucune avancée, par principe. Cela arrivera inévitablement.
Extrait 2 : Etes-vous pour la GPA, la gestation pour autrui ?
Encore une fois, je suis pour tout ce que les gens désirent, je crois que c’est dans l’intérêt général, j’ai confiance dans la sagesse des humains.
Extrait 3 : Pourra-t-on un jour faire un enfant sans le ventre d’une femme, par une gestation entièrement externe, dans une machine ?
Je ne sais pas, mais il n’y a rien d’impossible pour le génie humain.
Fin des extraits.
Je ne sais pas trop ce que vous penserez de ces énormités. Moi, elles me paraissent dessiner les contours d’une barbarie en marche. Il est (relativement) facile, pour qui se réclame de la gauche en tout cas, de pourfendre le spectre du fascisme. Il est (extrêmement) difficile, pour qui se réclame de la gauche en tout cas, de tirer un bilan sérieux de l’histoire des stalinismes. Il est (pratiquement) impossible, pour qui se réclame de la gauche – et de la droite en l’occurrence -, de mettre en question l’idéologie du progrès, cette pensée absurde qui affirme la linéarité, du bas vers le haut supposé, de l’histoire humaine.
Oui, décidément, je tiens l’entretien avec Beaulieu comme un impressionnant moment de vérité. La pensée écologiste, je l’aurai assez écrit, est de rupture. Complète et définitive. La pensée écologiste, telle que je la défends, tient l’idée de limite pour essentielle. Beaulieu et la plupart des contemporains croient exactement le contraire. L’affrontement est inévitable.
——————————————–
Étienne-Émile Baulieu: « Les gens ont peur du grand âge »
Propos recueillis par Christophe Barbier – Photo Rudy Waks pour L’Express, publié le
Entretien avec le chercheur Etienne-Emile Baulieu, au coeur des préoccupations contemporaines comme la pilule contraceptive et les « pilules du lendemain », ou la lutte contre la maladie d’Alzheimer.
Rudy Waks
Mariage pour tous, PMA, GPA, statut de l’embryon… L’année en cours est marquée par de nombreux débats éthiques. Sommes-nous une société bloquée à toute évolution dès qu’il est question des enfants ?
Le débat sur le mariage est étonnant quand on considère la tolérance des Français à l’égard des comportements sexuels, même comparée à celle des New-Yorkais. En France, l’adultère, c’est commun, sinon « normal » ! Mais socialement, collectivement, si on veut sortir de la famille classique, il est rejeté.
C’est la rançon de l’idéologie : en France, on est idéologue, on considère que, pour que les choses changent, il suffit d’y avoir pensé, et on n’accepte pas la réalité, on a du mal à être objectif. Il y a de la superficialité et parfois de l’hypocrisie dans cette réflexion décrochée du réel.
Pourtant, les Français sont capables de se confronter à la réalité, tels ces jeunes chercheurs qui vont dans les pays anglo-saxons et dont la culture générale peut devenir un atout.
Le savant doit-il lutter contre ce conservatisme idéologique?
L’avantage, pour celui qui oeuvre dans la science, c’est qu’il est dans la marche de la société, car science et société vont ensemble.
Ainsi, je n’ai pas décidé un beau matin de m’intéresser à l’interruption de grossesse ou au vieillissement, mais, en faisant porter mes recherches sur des aspects fondamentaux de la vie, je me suis retrouvé en phase avec l’évolution de mes contemporains.
Etes-vous favorable à la PMA pour tous?
Je ne suis contre aucune avancée, par principe. Cela arrivera inévitablement. L’humanité bouge depuis un événement fondateur : l’invention de la pilule contraceptive. Il y a eu là un changement pour la nature humaine. Gregory Pincus, l’homme qui a porté cette révolution, n’a laissé son nom à aucune rue, aucun amphithéâtre…
Mon labo est le seul au monde à porter son nom. Pincus n’est ni glorifié ni détesté, il est ignoré, c’est pire ! Il a été effacé, alors qu’il était très en vue à son époque, dans les années 1950. Tout se passe comme si l’humanité avait intégré le changement qu’il a apporté et l’avait refoulé, lui, comme dans un remords, par mauvaise conscience, comme elle a abandonné Prométhée une fois qu’il lui a offert le feu.
Les rapports entre les hommes et les femmes, entre les parents et les enfants ont été changés à jamais par la pilule. La conséquence automatique et quasi inéluctable de la relation sexuelle a été remplacée par des interactions construites sur les qualités ou les défauts des uns et des autres.
C’est une avancée formidable, car on quitte la reproduction, mot vulgaire, « industriel », pour passer au désir d’enfant. Je n’ai jamais voulu dire cela trop haut, car il y a toujours des restes de conservatisme, et mieux vaut parfois aller simplement à l’effet : les femmes savent toutes qu’on peut désormais contrôler sa reproduction.
Le RU 486, qui interrompt une grossesse, est-il le complément de la pilule, ou son contraire?
Le RU 486 a fait plus de bruit que la pilule, qui, elle, a finalement été acceptée. L’immédiateté de la « contraception d’urgence » était encore plus effrayante. J’avais inventé un mot pour éviter de dire « avortement » : la « contragestion ».
Hélas, j’ai échoué. Puis il y eut, vingt ans plus tard, l’expression « pilule du lendemain », astucieuse. Mais le RU 486 est tellement resté synonyme d’avortement que je n’ai jamais réussi à le faire commercialiser comme pilule du lendemain, alors que ce serait le produit le plus efficace pour cela. Est-il diabolisé ?
Etes-vous pour la GPA, la gestation pour autrui ?
Encore une fois, je suis pour tout ce que les gens désirent, je crois que c’est dans l’intérêt général, j’ai confiance dans la sagesse des humains.
L’adoption est une sorte de gestation pour autrui, puisqu’on élève un enfant porté par une autre mère. La seule différence, c’est qu’il n’y a pas eu de concertation au préalable. Or il est établi que les enfants adoptés sont aimés et heureux d’une manière comparable à ceux des familles ordinaires.
Les grands mots entendus contre la GPA sont donc inappropriés, et parler de la « marchandisation » des femmes, ou d’enfants « à la carte », c’est insulter ce qui peut être très beau entre des parents et leur progéniture.
Pourra-t-on un jour faire un enfant sans le ventre d’une femme, par une gestation entièrement externe, dans une machine ?
Je ne sais pas, mais il n’y a rien d’impossible pour le génie humain. C’est extraordinairement compliqué, il est vraisemblable que cela n’aura pas lieu avant longtemps et que ce sera freiné par des autorités moralisantes exprimant la crainte du nouveau, mais ce ne peut être totalement exclu.
En tout cas, je ne dirai jamais qu’il est essentiel psychologiquement d’être passé par le ventre de sa mère, que sans cela l’enfant serait « désinséré » de toute filiation, de toute relation avec les ancêtres.
La filiation est tout de même importante !
Bien sûr ! Surtout pour moi qui ai perdu mon père à l’âge de 3 ans ! Mais je ne passe pas de temps à pratiquer la généalogie.
Certes, si on m’apporte mon arbre, cela pourra me passionner ; néanmoins, je préférerai toujours ce qui arrivera demain à ce qui s’est passé hier.
Pourquoi, toujours, des forces conservatrices se mettent-elles en travers des évolutions ?
Elles pensent que le progrès n’en est pas un, que ce qui est nouveau peut être mauvais pour l’homme. C’est sans doute un résidu du passé religieux de l’humanité, au temps où l’autorité morale était punitive…
Parfois, je me demande, en voyant un chercheur se tromper de voie, s’il est incapable techniquement d’aborder le « nouveau » ou bien s’il subit des blocages inconscients, parce qu’il ne veut pas avancer dans telle ou telle direction.
Le Parlement vient d’autoriser la recherche sur les embryons humains : est-ce une bonne chose ?
Pour l’instant, je crois que oui. Mais les discussions sur le stade de développement où l’on peut disposer ou non de ces cellules souches ne sont pas mon domaine.
Dans Libre Chercheur, vous esquivez cette question : à partir de quand l’embryon est-il une personne et non plus un amas de cellules ?
La réponse que je préfère n’est pas biologique, j’allais dire « matérielle ». Considérer qu’à partir de un, huit ou quatorze jours on est en présence d’un humain n’a pas de sens – d’ailleurs, le calcul change selon les religions.
C’est méconnaître le regard porté par la société, à commencer par les parents, sur un nouvel être, dont l' »indépendance » n’a pas tant d’importance. Etre enceinte n’est pas l’événement primordial pour dire qu’il y a être humain.
Quand les parents désirent un enfant et en forment le projet, l’être à venir existe déjà. Cet amour pour une descendance imaginée compte plus que tout à mes yeux.
Pourquoi n’êtes-vous pas partisan de l’euthanasie ?
Qu’en savez-vous ? Je n’ai jamais donné mon opinion profonde sur ce sujet. J’ai été l’un des tout premiers signataires pour le droit à mourir dans la dignité, mais je ne suis pas un militant, sauf pour mes recherches, car, en soi, militer m’ennuie.
Je ne m’intéresse pas assez à la mort pour me passionner pour ce débat, mais j’ai connu des gens qui se sont suicidés et je m’en serais voulu de les encourager à le faire : j’aime tellement la vie que je trouve dommage qu’on la supprime, a fortiori qu’on se la supprime. Je suis pour la liberté et la vie. Pour la vie, et pour la liberté.
Ne manquez-vous pas de sens de la transcendance ?
Pas du tout. J’ai une pudeur et une certitude de l’incompréhension incontournable de l’au-delà qui me pousse à me taire.
Y a-t-il quelque chose quelque part, après la vie ?
Possiblement. Je n’élimine pas cette hypothèse, car je me plains de ne pas comprendre pourquoi je suis là. Que l’on soit là ou pas n’a aucune importance pour le reste de l’univers, mais que ce soit incompréhensible m’est insupportable.
Non seulement je n’ai pas de certitude métaphysique, mais je ne saisis pas même la finalité de ce qui est. L’extrême opposition ou la non-différence, car c’est la même chose pour moi, entre une pierre, une étoile et notre vie humaine me fascine. Le moindre caillou va durer plus que moi : pourquoi ? Le mot clef est « incompréhension », ce qui pour un scientifique est insupportable.
Ainsi, la science ne peut expliquer pourquoi l’homme a accompli, en quelques milliers d’années, autant de progrès dans la connaissance du monde. Car le plus extraordinaire chez l’homme, c’est ce que l’on connaît le moins : le cerveau…
Justement, quand les recherches sur le vieillissement du cerveau aboutiront-elles ?
Si on travaille et si on a les moyens nécessaires – on ne les a pas aujourd’hui -, la réponse est : dans quelques années.
Moins de dix ans ?
Oui, les problèmes d’insuffisance du fonctionnement cérébral rattachés au vieillissement peuvent être traités dans les dix ans à venir. Alors, les hommes auront encore moins envie de disparaître qu’aujourd’hui.
« Vivre jusqu’à 120 ans, quelle horreur ! » me disent souvent mes interlocuteurs quand j’explique mes recherches. Cela me stupéfie à chaque fois ! Ils ont une immense difficulté à dépasser la peur du vieillissement pour imaginer une vie normale à un très grand âge.
C’est pourquoi ils donnent si peu d’argent pour la recherche. Chacun sait qu’il a une chance sur trois d’être atteint d’Alzheimer ou d’une autre démence sénile après 85 ans ! Il suffirait que 100 000 personnes nous donnent 10 euros par an pour compléter notre financement : vos lecteurs vont-ils donner l’exemple ?
Les gens ont peur !
Ils ont peur d’aider à traiter ce dont ils ont peur : c’est fou, non ? Ils ont peut-être même peur d’y penser…
Pourquoi les Etats ne vous financent-ils pas plus, alors que vous expliquez dans votre livre que 10 % des malades d’Alzheimer français soulagés pendant un an, c’est 1 milliard d’euros économisés?
Il est plus rentable, dans une démocratie, de payer pour réparer tout de suite un trottoir que de subventionner des chercheurs qui auront des résultats dans plusieurs années.
Sans doute le désir d’inventions ralentit-il depuis qu’il y a eu beaucoup de progrès. L’humanité semble rassasiée, ou fatiguée, ou peut-être déçue ; les gens pensent qu’il n’y a pas plus de bonheur aujourd’hui qu’il y a trois cents ans.
Avez-vous rencontré des politiques prêts à endosser un discours de soutien à vos travaux ?
Jamais. Ni à droite ni à gauche. Les politiques apportent une réponse purement sociale aux démences du grand âge. Nicolas Sarkozy avait lancé un plan Alzheimer, mais les fonds vont au gardiennage des malades plutôt qu’à la recherche.
Or il faudrait un effort de recherche majeur et non le saupoudrage de quelques crédits. Le concept d' »égalité » est difficile à utiliser en recherche scientifique, car les façons de penser, de travailler, ne sont pas égales. La liberté et la fraternité sont au coeur de la recherche ; l’égalité, non.
Pourquoi aimez-vous tant Shakespeare ?
Au-delà du talent, il avait un tel courage, pour parler de tout : ce qu’il écrit est brutal, il prend la liberté de qualifier et de juger les gens dont il parle.
Chaque humain a dans sa vie des histoires, des moments indicibles. C’est cela que Shakespeare met sur la table, dans une sorte de « hors circuit » social. Il a le courage d’entrer dans l’humain avec force.
Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 7 août 2013
Gattaz, c’est du lourd. Président du Medef depuis le départ de Laurence Parisot, le « patron des patrons » conchie avec une belle vigueur toutes les contraintes. L’écologie ? Encore une invention des ennemis de l’industrie.
—————————————–
Qui a dit sur RTL : « Je dis non à toute fiscalité écologique » ? Lui, Pierre Gattaz, nouveau chefaillon du Medef depuis que la Parisot a été balancée à la benne. Gattaz n’est pas la moitié d’un idiot. La preuve immédiate avec le diesel, qui ne tue jamais – prématurément – que 42 000 personnes par an en France (chiffres OMS). Selon lui, le taxer serait un crime contre la bagnole et ses acheteurs, qui perdraient du pouvoir d’achat. Sans compter que le coût du transport de la pacotille ne pourrait qu’augmenter. Il est mieux de mourir que de voir ça.
Les gaz de schiste ? C’est évidemment « une filière d’avenir », et il faut autoriser de toute urgence son exploration en France. La vieille croûte nucléaire de Fessenheim ? Il ne faut surtout pas fermer la centrale en 2016, comme l’a promis Hollande, car il ne s’agit, tout bien considéré, que d’une « décision politique ». En somme, carton plein. Parisot se foutait de l’écologie, Gattaz aussi, mais avec en plus la bave aux lèvres.
Ne pas croire pour autant qu’il serait un simple gogol. La « fiscalité écologique » est, sur le papier du moins, une bombe thermonucléaire susceptible de détruire l’édifice industriel tout entier, ce qui embêterait un chouïa le Gattaz. Essayons la simplicité, et citons pour commencer André Gorz, penseur défunt de l’écologie politique. On trouve dans Écologie et liberté (Galilée, 1977) ceci : « L’homo œconomicus (…) ne se pose jamais de questions de qualité, d’utilité, d’agrément, de beauté, de bonheur, de liberté et de morale, mais seulement des questions de valeur d’échange, de flux, de volumes quantitatifs et d’équilibre global ».
On aura reconnu pas mal de gens. L’industrie est intrinsèquement incapable de s’interroger sur le sens. Elle produit, vend, crache du flouze pour ses maîtres, et aimerait bien que la police de la pensée débarrasse le monde de ses détracteurs. Dans ces conditions, Gattaz a bien raison de refuser des taxes écologiques, car ce serait pour lui mettre le doigt dans l’engrenage.
La bagnole individuelle, pour ne prendre que cet exemple, n’existe que parce que ses innombrables coûts cachés ne sont pas pris en compte. Si l’on commence à demander des comptes pour les poumons des subclaquants du diesel, où s’arrêtera-t-on ? La bagnole enchaîne des foules au crédit, tue les villes du monde, contribue massivement au dérèglement d’un climat à peu près stable depuis 10 000 ans. La taxer sérieusement, c’est l’interdire. Un programme irrésistible.
Voilà où en est le Medef en cet été 2013 : surtout, on ne lâche rien. Gattaz, pour en revenir un instant à lui, est l’héritier de son bon papa Yvon, lui aussi « patron des patrons » entre 1981 et 1986, quand le Medef s’appelait le CNPF. Les deux, très proches, partagent une même vision du monde, qui nous ramène à des temps disons controversés. Le vieux, Yvon, a signé à l’été 2010, dans la revue Commentaires, un article réclamant gentiment la suppression des syndicats. Car en effet, écrivait-il, « les syndicats, menaçants, tragiques, démolisseurs, démoralisateurs, gréviculteurs, sont plus médiatiques que le bon patron caché dans sa province sans syndicat, à la recherche du bonheur social ». On a le droit de songer aux beaux discours de Vichy, qui rendaient les ouvriers tellement patriotes.
Quant à son fiston, Pierre, on sait qu’il arrive à la tête du Medef accompagné d’un revenant, Denis Kessler, auteur – décidément – d’un très remarquable article (Challenges, 4 octobre 2007), qui s’achève sur ces mots : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ».
Avec de tels maîtres de la pensée, l’écologie est en de bonnes mains. Hollande, qui se moque du tiers comme du quart, a refilé le 2 avril la grand-croix de la Légion d’honneur au vieux. Et le jeune, de son côté, est raccord. Comme il le dit avec simplicité (Les Échos, 29 octobre 2010), « Nous disposons, en France, de tous les atouts. Mais pour retrouver la croissance, il faut renouer avec le temps des bâtisseurs et des conquérants ». Tout détruire, c’est forcément rebâtir.
Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 31 juillet 2013
Officiel, démentiel. Arnaud Montebourg, grand délirant de l’industrie lourde, vient de donner une autorisation pour une mine de cuivre, de zinc et d’or entre la Sarthe et la Mayenne. Sur place, les refusants rappellent quelques bricoles aux Excellences socialistes.
———————————————
Tirer encore sur lui ? Faut ce qu’il faut, et rappelons tout de même que le Montebourg, ministre du Redressement productif de mes deux, n’a encore rien d’une ambulance. Il exprime au contraire à merveille ce que le ventre mou du gouvernement n’assume pas encore. Et donc feu, pas de quartier.
Soit un petit pays oublié, entre Sarthe et Mayenne. Le 17 juin dernier, alors qu’on prépare localement les maillots de bain, bing. Montebourg accorde un permis « de recherches exclusif de mines de cuivre, zinc, plomb, or, argent et substances connexes ». Le permis est dit de Tennie, 1 051 habitants – sans compter ses poulets de Loué élevés en plein air. Bénéficiaire du cadeau : une société lancée à Orléans en 2010, Variscan Mines. Cette charmante boîte créée par des anciens ingénieurs du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), est la propriété de la transnationale australienne PlatSearch (1), financée en partie par du fric singapourien. Ce qu’on appelle une bonne entrée en matière. Le permis portait au départ sur 205 km2, mais le ministre Montebourg a préféré retirer 8 km2 au dernier moment.
L’explication est toute mignonne. Entre 1989 et 1997, Elf puis Total ont exploité en toute tranquillité une mine à ciel ouvert au beau milieu du nouveau permis. Autrement dit, Variscan s’apprêtait à creuser une deuxième fois au même endroit. Deux tonnes d’or et sept d’argent ont été retirées avant fermeture, mais Total s’est comme il se doit assis sur ses obligations légales. Un arrêté préfectoral du 30 avril 2013 exige que Total se bouge le cul. Entre autres, le groupe pétrolier laisse filer à la rivière des eaux de ruissellement dégueulasses, sans seulement les analyser. Et le spectacle sur place est de toute beauté, comme le rapporte un témoin (2) : « C’est un no man’s land entouré d’un haut grillage interdisant l’accès au public, où l’on distingue depuis la route une maigre végétation desséchée et un immense monticule de terre (…) Vingt ans après, il subsiste sur le site entre 250.000 et 300.000 m3 de terres stériles et une forte pollution liée à l’utilisation du cyanure ».
On comprend mieux pourquoi on a préféré oublié les 8 km2 dévastés par Total. Les inclure obligerait à tirer le bilan de la mine abandonnée, et il est désastreux. Il vaut mieux oublier. Ce que n’avaient sans doute pas prévu Montebourg et son gouvernement d’adorateurs de la croissance et du PIB, c’est l’esprit de résistance. Même dans ce trou du cul du monde ? Même. Plusieurs associations refusent que le sous-sol devienne un gruyère accommodé de centaines de produits chimiques, avant que d’arroser en dividendes des gens définitivement inconnus. Variscan a beau promettre Lune et vaseline – entre 150 et 300 emplois directs, jusqu’à 1500 induits -, les opposants savent lire et écrire, par chance pour eux.
Ceux de Rouez Environnement (http://www.rouez-environnement.org) ou encore ceux du Collectif pour la sauvegarde de la Charnie ne marchent pas dans l’embrouille. C’est que l’affaire est en réalité mondiale. Le 22 juillet dernier, les refusants de Tennie ont célébré avec des milliers d’autres dans le monde El día mundial contra la minería, c’est-à-dire la Journée mondiale contre les activités minières (http://www.noalamina.org). En Amérique latine, d’où tout est parti, on appelle ce mode de destruction de la vie et des communautés el extractivismo. En deux mots, ce dernier désigne le pillage de ressources naturelles sans tenir compte de rien. Ni des paysages, ni des habitants, hommes ou autres, ni des effets à long terme. La seule réalité est l’augmentation mécanique du PIB du pays esquinté. En somme comme en résumé, on extrait du cuivre pour continuer à tirer du fil, partout, toujours, jusqu’à la mort.
Il y aurait, en cet été 2013, 192 conflits en cours pour la seule Amérique latine, qui affecteraient la vie quotidienne de 286 communautés. Le Chili et le Pérou en compteraient chacun 33. Question crétine adressée à Montebourg : franchement, grand couillon, tu crois que cela vaut le coup ?
C’est explosif. Si. Il ne faut surtout pas dire un mot des primes et subventions agricoles. Si on le fait, on est un salaud d’urbain. Pardonnez, mais pour ma part, j’ai toujours défendu, et continuerai de le faire, le soutien financier aux paysans étranglés par les règles du marché mondial. Seulement, quand on accepte des subventions qui parfois dépassent le chiffre d’affaires réel d’une exploitation, cela a des conséquences. La société – et dans la société le point de vue écologiste – peut alors réclamer que ses avis soient pris en compte.
Autrement dit, les éleveurs qui beuglent contre l’Ours et le Loup, réclamant à hauts cris leur éradication, oublient opportunément de reconnaître que, sans les aides publiques, ils seraient morts. Pas seulement les brebis boulottées par le monstre, mais le troupeau entier. Eux compris. Encore une fois, pas de démagogie : oui aux aides, mais oui aussi aux contreparties. Ces dernières impliquent à mes yeux une discussion libre sur la présence du sauvage dans un pays où des millions d’hectares ne sont (presque) plus pénétrés par les activités humaines.
Je vous mets ci-dessous un article paru sur le site de l’excellent Journal de l’Environnement (ici). Ce quotidien en ligne est payant, mais en ce qui me concerne, je trouve le prix justifié par la qualité des informations, qui peuvent être partagées. Je ne devrais pas piquer ainsi un article qui n’est pas en libre accès, je sais. J’espère être pardonné, car c’est aussi une publicité pour l’abonnement, sans la moindre hypocrisie.
L’article évoque quelques cas, et je crois juste d’en rester là, même si ce site permet d’en savoir bien plus, du moins sur les GAEC, ces groupements locaux de paysans. Je ne vous donne pas le mode d’emploi, et je précise, pour ceux qui iraient voir dans le détail, que les chiffres bruts, parfois impressionnants, doivent être pondérés de bien des manières. Sur le fond, il demeure que beaucoup de paysans sont fortement subventionnés. Certains, même si ce mot les choque violemment, sont devenus, volens nolens, des fonctionnaires non déclarés de la République. Ce n’est pas en niant d’aussi claires évidences qu’on trouve des solutions.
54.925.194,58 euros. Le groupe volailler Doux restait, en 2011, le leader incontesté de la subvention agricole européenne la plus élevée de France. C’est ce que l’on peut (re)découvrir sur le site mis en ligne hier par le ministère de l’agriculture, qui publie la liste d’une partie des bénéficiaires français des fonds agricoles européens, pour la période comprise entre octobre 2010 et octobre 2012. «Ce service a pour unique finalité l’information du public», précise le ministère, qui a dû se mettre conformité avec la législation européenne imposant la transparence sur ces données. Une transparence souhaitée par 62 % des citoyens européens, qui considéraient en 2011 que les noms des bénéficiaires et les montants qu’ils reçoivent devraient relever du domaine public et être accessibles à tous, selon un sondage Eurobaromètre. La liste des bénéficiaires du fonds européen pour la pêche –«l’outil de gestion européen pour développer la pêche et l’aquaculture tout en préservant la ressource et la biodiversité marine»- est également disponible.
Le voile n’est toutefois levé que partiellement, puisque les sommes versées aux personnes physiques -c’est-à-dire, pour l’essentiel, les exploitants agricoles à titre individuel- n’apparaissent pas. La moitié des bénéficiaires ne sont donc pas répertoriés. «Les données publiées ne concernent que les structures sociétaires agricoles (GAEC, SCEA, EARL, organisations de producteurs…), les entreprises agroalimentaires, les interprofessions, les établissements publics et les collectivités, ainsi que les organisations caritatives et les associations», précise le ministère. Toutes ces informations sont directement issues des données individuelles de paiement (DIP), transmises par les organismes payeurs à la Commission européenne, dans le cadre de la déclaration annuelle des comptes.
Aux côtés d’exploitations situées dans les Antilles françaises, on trouve les Restos du cœur (20 millions), le secours populaire français (21 millions) ou la fédération des banques alimentaires (29 millions) dans la liste des 136 bénéficiaires d’une aide supérieure à 1 million d’euros. Le montant total des aides directes versées aux agriculteurs français ont été récemment stabilisées à 47 milliards d’euros sur 7 ans. Pour le développement rural, elles se montant à 8,8 milliards d’euros.