La filiation a-t-elle de l’importance ?

Peut-être aurez-vous le temps de lire un article tiré de la revue L’Écologiste (site du journal). C’est tout le mal que je vous souhaite, et dans ce cas, eh bien, vous pouvez le lire ici. Notez au passage que je signe dans ce même numéro un petit texte sur la viande que m’avait demandé mon ami Thierry Jaccaud. Mais celui que je vous conseille est plus intéressant, de loin. Il vaut mieux être lucide. Le sujet en est la filiation, que la loi dite « mariage pour tous » modifie profondément. Comme je sais qu’il existe un grand nombre de malentendants, dont certains très volontaires, je me dois d’apporter une précision. J’accepte sans aucun problème le mariage pour les homos. Cette question étant pour moi réglée depuis belle lurette, reste la grande et véritable question de la filiation. On peut s’en foutre, comme on se fout de tout et du reste. On peut aussi réfléchir à ce que signifie pour une société de s’autoriser sans débat vrai une telle rupture anthropologique.

Une qui réfléchit d’une manière renversante est madame Clémentine Autain, féministe et responsable d’un grandiose groupuscule appelé Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), empli d’anciens – anciens ? – staliniens comme Patrick Braouezec et François Asensi, tous deux d’un département que je connais de très près, la Seine-Saint-Denis. Madame Autain, s’exprimant sur RTL le 24 septembre 2012, notait au sujet des promesses de la loi : « Nous allons créer des parents sociaux qui n’ont rien avoir avec la nature (…) Je me fous totalement de l’état de nature !  (…) Je préfère une société basée sur des principes, qu’une société qui se réfère à l’état de nature. C’est pour ça que nous sommes socialisés depuis 2000 ans ».

On peut trouver cela vachement courageux, impeccablement de gauche. On a le droit de juger cela affreusement con.

Beaucoup plus vite que l’évolution

Cet article a paru dans l’excellent Charlie Hebdo le 24 juillet 2013

Ce con de Darwin peut aller se rhabiller, car la biologie de synthèse se propose de créer de nouvelles formes vivantes grâce à l’ordinateur. Plus besoin d’attendre 10 millions d’années. C’est tout de suite, aux États-Unis, sous la forme de graines d’Arabette des dames.

—————————————-

Quand vous lirez ces lignes, une bande d’incroyables connards aura peut-être réussi son coup, qui consiste à envoyer par la poste des centaines de milliers de graines, à raison de 100 pour chacun des milliers de donateurs. Où est le mal ? Les connards tiennent une société de « biologie de synthèse », nouveauté radicale à côté de laquelle les OGM sont des anges venus du ciel. Genome compiler (http://www.genomecompiler.com), la boîte américaine en question, a lancé au printemps une souscription en ligne, via un site spécialisé (http://www.kickstarter.com) pour produire et distribuer des semences d’une plante, arabidopsis thaliana – Arabette des dames -, de la famille du chou et du radis. C’est très fun, car le jeu consiste à planter ensuite les graines un peu partout, qui devraient donner des plantes produisant de la lumière. Plus besoin d’électricité, les gars ! Au passage, l’Arabette des dames a été totalement repensée, et reconstruite à partir d’un clavier d’ordinateur.

Pour mieux comprendre, laissons donc la parole à Genome compiler, qui annonce la couleur sur son site, sans façon : « We can design and program living things the same way that we design computer code ». Autrement dit, « nous pouvons concevoir et programmer les êtres vivants comme nous concevons les codes informatiques ». On aurait grand tort de s’en foutre, car derrière la fanfaronnade se cache bel et bien un nouveau continent.

La biologie de synthèse, dont personne ne parle encore, ne vise pas, comme avec les OGM, l’introduction d’un gène étranger dans le génome d’un organisme. L’ambition est bel et bien de créer en laboratoire des formes de vie n’ayant jamais existé. D’abord des bactéries. Ensuite, qui sait ? Aidés par les ordinateurs, nos beaux iconoclastes entendent créer à la demande de nouveaux codes génétiques, bricolés sur un coin de table, qui rebâtiraient un monde nouveau, supposément meilleur que celui qu’on doit se farcir.

Il n’y a guère de mystère : les trois merdeux qui sont derrière toute l’affaire fricotent avec Singularity University, un machin présenté comme autonome, mais logé dans la Silicon Valley, sur le campus de la Nasa. Le cofondateur du bastringue, Raymond Kurzweil, est un informaticien spécialisé dans l’intelligence artificielle, et surtout l’un des théoriciens de l’une des idéologies les plus nauséabondes de l’après-guerre, qui s’appelle le transhumanisme. En deux mots, les tenants de ce courant international pensent que l’homme n’est pas à la hauteur. Et qu’il faut lui adjoindre toutes les machines que la science et la technique sont capables d’inventer. On n’est pas très loin, et peut-être tout près, d’une resucée du surhomme.

Certes, une partie des scientifiques au courant croient plutôt à une nouvelle avancée des techniques OGM, mais le groupe canadien ETC (http://www.etcgroup.org puis kickstopper), qui suit ces mouvements à la soupe binoculaire, vient de lancer une vaste alerte mondiale pour essayer de stopper l’envoi des graines d’Arabidopsis thaliana, qui constituerait un lâcher sauvage sans aucun précédent connu.

De grands journaux angliches et amerloques – The Guardian, Nature, New Scientist, Mother Jones – prennent l’affaire au sérieux, et chacun à sa manière, rend compte de l’opération projetée par Genome Compiler, qui a déjà rapporté 500 000 dollars de dons. Et en France ? Seul le groupe grenoblois Pièces et main d’œuvre (PMO) tente de faire connaître les dessous de la biologie de synthèse (http://www.piecesetmaindoeuvre.com, puis biologie de synthèse). Dans un tract sur la question, PMO cite le patron du Génopole d’Évry, centre de recherche sur le sujet. Selon lui, il faut : « considérer le vivant comme un immense mécano, à partir duquel sont imaginés et construits de nouvelles entités (bactéries), des micromachines (autoreproductibles ou pas), des systèmes qui n’existent pas dans la nature ».

Impeccable. Le plus grand soutien à la biologie de synthèse s’appelle Geneviève Fioraso, et elle est ministre de l’Enseignement supérieur. Les scientistes fous sont au pouvoir.

Et que le cul me pèle, je suis moi aussi Pyrénéen ! (emprunt)

Je pique ce truc à la Buvette des Alpages de ce cher Baudouin de Menten (http://www.buvettedesalpages.be/). Y a rien à ajouter, rien à retirer, c’est une autre vision des Pyrénées que celle des si pénibles ennemis de l’ours et de la vie sauvage.

Et que le cul me pèle, je suis moi aussi Pyrénéen !

Frédéric Vigne photographe

Frédéric Vigne

Pyrénéens, je me demande comment on a pu en arriver là.

Je me demande comment cette terre où l’on connaissait le prix du travail et l’appel de la liberté est devenu un fief d’assistés et de moutons bêlant. Je me demande comment ce que ni Charlemagne, ni Louis XIV, ni Napoléon, ni même Hitler n’ont réussi à faire, quelques décennies de primes de montagne et de politicaillerie locale bas de gamme ont pu l’accomplir.

Nous autres, montagnards, des Pyrénées ou d’ailleurs, avons toujours eu la tête dure et, il faut le reconnaître, l’esprit parfois aussi étroit que nos vallées. Pourtant, il y a toujours eu un moment où nous avons été capables -enfin, certains d’entre nous et jamais la majorité- de prendre le risque de faire ce qui était juste. Les passeurs en sont la preuve.

Seulement voilà: les passeurs n’existent plus que dans les livres d’Histoire et le Pyrénéen d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ses grands-parents. Il est devenu un consommateur ordinaire. Consommateur de Pyrénées, aussi, qui sont simplement le décor grand format de ses activités de loisirs. Il écoute la larme à l’œil et la glace Miko qui fond sur ses genoux des histoires de bergers…

Mais où sont les bergers ? Il va voir des reconstitutions des Pyrénées d’autrefois et claironne en pantalon Décathlon et polo Lacoste que c’était mieux avant. Mieux avant, quand le seul choix laissé à celui ou celle qui n’était pas l’aîné de la famille était la soumission ou l’exil? Il écoute distraitement les histoires de Jean de l’Ours ou des sept lacs de l’Ardiden, va voir la Montagne aux Marmottes ou le Parc’Ours, de la nature sous préservatif, lyophilisée, dominée, mutilée, alors qu’il aboie comme un chacal épouvanté dès qu’on lui dit qu’il y a vingt ours, des vrais, libres, dans la montagne, et qu’il ne les verra jamais ?

Cette caricature de Pyrénéen vit dans le déni et le fantasme. Le Pyrénéen, le vrai, pue la merde et la sueur, le foin coupé et l’odeur âcre de ses moutons. Il n’a rien en commun avec ces éleveurs de primes de montagnes qui vont benner leurs animaux à l’estive au printemps et n’y remontent que de temps à autre en saison dans leurs Toyota climatisés (ou leurs Lada Niva quand ils veulent faire prolétaires). Ce pyrénéen-là n’a ni mollets, ni âme, ni tripes. Il ne sera jamais un passeur. Il aboie avec la meute, celle des ACCA, des élus locaux, de la coopérative locale. Il peint en cachette des slogans à la con sur les routes avant le Tour de France, c’est là son seul courage, et il voudrait qu’on entonne « Le Chant des Partisans » pour lui?

On raconte que les Pyrénéens sont les enfants de l’Ours, du moins certaines légendes le disent. Ce Pyrénéen là, désolé, ressemble à ses moutons. Il est né pour se faire rôtir et tondre. Il attend son quota de subventions, de primes, d’ASSEDIC ou de RSA (ça, c’est une spécialité ariégeoise, plutôt). La Fête des côtelettes à Luz lui va très bien, elle est à son image, celle de la barbaque sous le couteau du boucher!

Est-ce que les Pyrénées ne sont destinées qu’à être un terrain de jeu doublé d’une carte postale vide, avec quelques festivals en costumes aseptisés pour les touristes et des photos sépia dans les bistrots des stations de ski, à Ax, à la Mongie ou à Cauterets?

Les vieux en boufferaient leur béret et en pleureraient de honte.

Brebis montre ses fessesC’est entre nos mains, Pyrénéens. Si nous valons mieux que ça, il est grand temps de le montrer, de parler fort et clair, et de ne pas laisser cette minorité de Talibans Fascistes aboyer pour nous. Ils en bouffent, du système! C’est pour ça qu’ils vont si bien et nous pas! Ce sont NOS Pyrénées, pas seulement les leurs. La majorité silencieuse, ça n’existe pas. Ou alors ça doit fermer sa gueule pour de bon et ne pas se plaindre sur Facebook ou les forums en se planquant derrière des avatars ou des pseudos.

Je m’appelle Frédéric Vigne, je persiste et je signe!

Et que le cul me pèle, je suis moi aussi Pyrénéen!

Frédéric Vigne, photographe

La guerre aux bêtes (ad libitum)

Tout spécialement destiné à notre nouveau ministre de l’Écologie, Philippe Martin

Ce qui suit n’est qu’une alarme lancée par l’un de nos vrais grands naturalistes, Roger Mathieu. Peut-être se trompe-t-il. J’aimerais sincèrement qu’il ait tort, mais j’ai un malheureux pressentiment. On a vu qu’un Plan National prévoit de pouvoir buter 24 loups en toute quiétude. Depuis, des (petites) armées de chasseurs sont sur le sentier de la guerre, en 4×4 avec GPS, avec fusil à longue portée et viseur nocturne. Or le Loup est un animal qui, même s’il fait peur, réjouit secrètement la plupart d’entre nous. Tel n’est pas le cas du Vautour, dont la réputation a jadis favorisé l’éradication en France. Aussi bien, la crainte exprimée ci-dessous par Roger est on ne peut plus réelle. L’appareil d’État, qui a tant contribué à détruire ce pays, se passerait aisément de vautours dans nos ciels.

Si d’aventure on transformait ces oiseaux de rêve en dépliants publicitaires pour régions touristiques, on assisterait à une régression telle qu’elle appellerait bien des remises en cause, et peut-être quelques ruptures dans les liens malfaisants existant parfois entre les protecteurs de la nature et les services officiels.

———————————————–

L’APPEL DE ROGER MATHIEU

A toutes et tous,

“On” nous informe que le plan “Vautours et pastoralisme”, qui était totalement en sommeil, vient de se réveiller et, toujours “On”, nous annonce que ce plan serait bouclé en urgence pour fin Juillet 2013.

Ce plan introduirait l’effarouchement et demanderait de supprimer tout équarrissage hors placette.

En clair, on commence à préparer les esprits au tir des vautours (voir ce qui s’est passé avec le loup…) et on refuserait que les vautours fassent ce qu’ils ont toujours fait et qui est autorisé explicitement par l’Europe ; on refuserait que les vautours interviennent sur les estives… Et qu’ils ne se nourrissent QUE sur les placettes (éleveurs et placettes d’équarrissage centralisées).

Si ce plan prenait cette direction NOUS DEVRIONS LE REFUSER VIGOUREUSEMENT ; accepter ce plan serait une très mauvaise nouvelle pour l’avenir des vautours fauves et moines.

L’effarouchement et la suppression de l’autorisation de l’équarrissage en pleine nature, autorisée par l’Europe (Estives et accès difficile) doit marquer la ligne rouge à ne pas franchir…

Si nous cédons la dessus, je ne donne pas cher de l’avenir des vautours fauves ET DE TOUTE LA NATURE SAUVAGE (Blaireaux, renards, phoques, bouquetins, busards, lynx, ours, loups, castors…). Tout ce qui ne se chasse pas et/ou ne se mange pas devra disparaître….

Cordialement,

*********************************
Roger MATHIEU

Une réponse à Yves Bonnardel (sur les défenseurs du Loup)

Comme je manque toujours – péniblement – de temps, je m’étais dit que je ne devais pas répondre au commentaire d’Yves Bonnardel (voir l’original au bas de ce texte), publié ici à la suite de mon article titré La guerre aux bêtes (un été pourri). Bien m’en a pris, car cela a permis à nombre d’entre vous d’échanger, dans une clarté somme toute convenable. Mais en même temps, je ne souhaite pas laisser passer ce texte sans y ajouter quelques remarques. À l’avance, que l’on m’excuse pour le peu de temps que j’y consacre. Ce n’est certes pas par manque d’intérêt, ou de respect pour qui que ce soit. Chacun a ses obligations.

Yves Bonnardel, je ne vous connais pas, et je vois bien comme vos propos sont sincères. Mais comme vous n’y allez pas avec le dos de la cuiller pour pourfendre vos supposés adversaires – l’obscénité prêtée aux « écologistes » n’a rien d’une gentillesse -, je me permettrai moi aussi d’utiliser un ton plutôt dur. Il ne vous vise pas vous, Yves, mais les idées que vous défendez.

Je déteste la souffrance, la violence et la mort. J’ai fait souffrir, j’ai utilisé la violence, et parfois l’extrême violence, je me sens capable d’infliger la mort. Hum. Je suis peut-être bien un salopard accompli. C’est possible. On ne se connaît pas soi même.

La vie reste un mystère total, malgré les apparences d’explication imaginées par les hommes depuis des dizaines, peut-être des centaines de milliers d’années. Je reconnais que nos cerveaux sont fertiles, inventifs, ingénieux, parfois même – dans les limites imposées – géniaux. Mais enfin, soyons honnêtes au moins cette fois : à chaque fois que l’on prétend faire reculer la question en inventant une réponse, une autre interrogation surgit sans prévenir. C’était vrai au temps de Socrate, et cela le demeure sous le ciel des astrophysiciens.

Ce monde est régi par des règles qui, même si elles nous échappent au fond, marquent nos faibles esprits. Il n’est pas drôle pour une âme noble – et je suis certain, sans nul jeu, que vous êtes, Yves Bonnardel, une âme noble – de constater l’évidence que la mort nourrit la vie. Pour ce que l’on sait, le temps géologique – appelons cela, faute de mieux, l’Évolution – a créé, éliminé, sélectionné des millions  d’espèces de formes vivantes. Nous ne considérons guère que les animaux, très vraisemblablement parce qu’ils évoquent, fût-de de loin, ce que nous sommes. Les végétaux, avouez-le sans honte, tout le monde s’en moque.

Demain ou dans 10 000 ans – c’est la même chose, non ? -, d’autres humains que nous auront peut-être une vision élargie de ce qu’est réellement le vivant. La perception des arbres, pour ne prendre qu’un exemple, a considérablement changé en une cinquantaine d’années. On sait, bien que cela nous dépasse, qu’ils se parlent. Par exemple. Que ne saura-t-on demain à leur sujet ? Ou à propos des herbes de la prairie, que dévorent vos chèvres avec appétit ? Ou des champignons et lichens ? Ou des pierres elles-mêmes,  qui nous semblent mortes ?

Je note, et nul ne peut raisonnablement s’écarter du constat, que des animaux sont des carnivores. Ils consomment de la chair. Ils ont appris ainsi, sans qu’apparemment on leur ait demandé, et la totalité de leur organisation interne est liée à ces besoins. Car ce sont des besoins, et non des désirs. Ou si ? Renonceraient-ils à la viande, sur quelque étrange impulsion, qu’ils mourraient fatalement, après – qui sait ? – d’horribles souffrances. Leurs éventuels petits également.

D’innombrables chaînes alimentaires – peut-être toutes, à bien réfléchir – sont nouées en fonction de l’existence d’espèces carnivores. Je n’hésiterai pas à écrire que si, par un douteux coup de baguette magique, les espèces carnivores disparaissaient, l’ensemble si extraordinaire que l’on a coutume d’appeler la Vie courrait des risques d’extinction. Je note en passant que les activités humaines aboutissent d’ailleurs à ce résultat.

Et je reprends. La Vie – et l’existence d’espèces carnivores – est-elle plaisante ? Pas seulement, il s’en faut de beaucoup. Pour en rester au sujet évoqué par Yves Bonnardel, je déteste penser aux escargots qui finissent dans la gueule du hérisson. Attention ! je ne dis pas cela par ironie. Je déteste. La pensée d’une brebis égorgée par un loup est une souffrance. Et je maudis aussi, au passage, les imbéciles qui s’en sont pris, dans ce coin du Sud que j’aime tant, à ce bout de forêt qui descend vers Saint-Jean. Et pas seulement, je le jure bien, par dépit esthétique. Mais parce que l’idée d’une tronçonneuse attaquant la chair vive d’un être plein de sève me dégoûte.

Le reste me sépare totalement d’Yves Bonnardel. Les positions qu’il défend me paraissent relever de ce que j’appellerai un délire culturaliste. Ou si l’on préfère anthropocentrique. L’Homme est à ce point tout-puissant qu’on attend de lui qu’il rebatte les cartes de la Création, qu’il redessine les contours d’un monde qu’il ne comprend pas, qu’il distribue les bons points à quelques Élus, et une malédiction éternelle à ces masses profuses qui ne suivent pas l’Enseignement. En résumé, ces conceptions donnent à la culture humaine – pour laquelle j’ai pour ma part beaucoup d’admiration et beaucoup de détestation – le droit et le devoir de se substituer à la Nature, qui aurait si gravement failli.

Nous ne sommes pas loin – je crois que la porte est grande ouverte  – du transhumanisme. Autrement dit, cette idéologie nauséabonde pour laquelle il faut « améliorer » l’Homme par une adjonction continuelle de colifichets technologiques.  Je ne dis pas qu’Yves Bonnardel est un transhumaniste (ici); j’affirme qu’il leur ouvre des voies d’accès. Et je me permets de dire que cet esprit de toute-puissance est au fondement de l’infamie industrielle, qui détruit sous nos yeux, un à un, tous les équilibres écosystémiques. Si l’on pense que la culture et la morale sont capables de refaire le monde en arrachant de la sorte ses racines – dont l’âge se chiffre en centaines de millions d’années -, c’est donc que tout est possible. Tout.

Je n’entends pas renoncer pour autant à me battre contre la cruauté, contre le mal fait aux animaux, contre la souffrance autant qu’il est possible. Car tel me paraît être le rôle d’un homme accompli sur cette Terre martyrisée :  utiliser sa morale, si petite et fragile qu’elle soit, de manière à faire reculer le Mal. Et si cela n’est que d’un millimètre, tant pis. Cette aune est la nôtre, celle de nos êtres passagers. Le millimètre est bien notre mesure réelle.

Un ultime point, et je m’adresse cette fois à Yves Bonnardel. À lui seul. Pourquoi ce désastreux besoin de disqualifier par avance, et avec des arguments qu’ils ne défendent pas, ceux que vous critiquez ? Vous avez bien le droit de ne pas aimer les loups, mais au nom de quel étrange dérèglement pouvez-vous juger que ceux qui les défendent défendraient de même « l’admiration des forts, l’oubli des faibles » ? Ce n’est pas seulement ridicule, c’est obscène, pour reprendre un mot de votre vocabulaire.

Et pourquoi diable renvoyer les mêmes défenseurs du Loup, comme un vulgaire Luc Ferry dans son affreux pamphlet (Le Nouvel Ordre Écologique), à la soumission au fascisme ? Les heures noires ? C’est simplement désolant.

—————————————-

yves bonnardel | Bonjour,

Je me permets de vous faire entendre un autre son de cloche concernant la présence des loups. Un son de cloche non spéciste. Il y a huit mois, j’ai pris en charge 64 chèvres cachemire, justement pour les sauver : l’éleveur qui les avait auparavant en avait perdu 85 sur 170 en deux ans, massacrées par ces prédateurs tant admirés. Malheureusement, ces chèvres que j’ai reprises en urgence alors qu’elles se faisaient décimer tous les jours, étaient « pleines » et je me retrouve maintenant avec 93 chèvres et chevreaux à protéger (il va de soi qu’elles n’iront pas à l’abattoir, ni ne seront exploitées). Or, un couple de loups en provenance du Vercors vient de s’installer dans la région (je suis dans le Haut-Diois, limite Drôme provençale). J’ai beau passer un temps fou à essayer de faire des parcs électrifiés tout autour (des parcs qui font parfois plus de 5 km de long !), je sais que ça ne les découragera pas de venir attaquer les chèvres (et les autres : il y a aussi des cerfs, des chevreuils, etc.), de les pourchasser en les terrorisant, de les égorger et finalement de les massacrer les unes après les autres : les brebis de l’éleveur voisin se font ainsi décimer depuis un mois et demi à à peine un km de chez moi : plus d’une vingtaine ont déjà été tuées en si peu de temps (une fois, une dizaine d’un coup), les autres sont complètement traumatisées… La présence de chiens de défense de troupeaux hélas n’y change pas grand chose…

Bref, je me retrouve confronté au « problème du loup » de la même façon que les éleveurs, si ce n’est que, évidemment bien plus que eux, je me soucie du sort des victimes elles-mêmes : elles ne sont pas pour moi des sources de profit, mais sont des êtres sensibles (sentients) comme vous et moi et qui, comme vous et moi, souhaitent de toutes leurs forces jouir de leur vie le mieux possible et le plus longtemps possible. Je ne fais pas de différence spéciste à ce niveau-là entre elles et moi : nous tous voulons vivre, voulons éviter de vivre dans la peur constante, voulons éviter de perdre nos proches (nos petits, par exemple, ou notre mère), voulons éviter d’avoir à courir désespérément devant des animaux affamés dont les machoires ne pardonnent pas…
Oscar Horta a publié récemment un texte qui en dit long sur la peur qu’inspirent les loups à leurs proies, là où ceux-ci peuvent agir à leur guise : dans le parc de Yellowstone, aux USA, on a réintroduit des loups pour tenter de diminuer les populations de Wapitis (des sortes de chevreuils) qui, trop nombreux, mettaient en danger la reproduction d’une plante. Ça a très bien marché : la population de wapitis a diminué de moitié, non pas tant parce qu’ils se font manger (ce qui est aussi le cas) que parce qu’ils sont terrorisés et n’osent plus s’aventurer en espace découvert, s’alimentent de ce fait insuffisamment, et meurent en conséquence de maladies ou de malnutrition… On imagine la réalité qu’ils vivent au quotidien, pour « préférer » se laisser mourir de faim !!!
(cf. Oscar Horta, « Éthique de l’écologie de la peur versus paradigme antispéciste. Changer les objectifs des interventions dans la nature » : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article422)

Je trouve que la façon dont les éleveurs se rapportent au problème de la présence des loups est obscène : l’élevage est un rackett sanguinaire qui s’exerce à l’encontre des bêtes élevées, et les éleveurs sont des assassins différés qui n’aiment évidemment pas la concurrence. En fin de compte, il ne s’agit rien moins que de rivalité entre prédateurs, les uns mangeant les proies que les autres comptaient sans scrupule amener à l’abattoir (encore que la plupart des éleveurs que je connais n’aient tout de même pas si bonne conscience que cela).

Mais, et c’est pour cela que je réagis à cet article, je trouve la réaction des écologistes, quoique fort différente, absolument aussi obscène.
Jamais la moindre empathie pour les victimes des ours, ou pour celles des loups. Ce qui compte pour les écolos, c’est l’ordre naturel, la beauté de la biodiversité quelle qu’elle soit, l’harmonie résultant de l’interdépendance (un mot dégoûtant pour signifier que certains massacrent les autres), bref, c’est une sorte de rapport esthétique au monde qui se moque de la triviale réalité vécue par les êtres terre à terre qui sont assimilés à « la nature » et qui vivent dans la crainte perpétuelle, dans la douleur de perdre leurs proches, dans la souffrance de la vie qui s’écoule par la gorge ouverte…
Ce qui compte aux yeux de tant de naturalistes, c’est que continue à s’exercer la prédation, ce symbole si fort de la « nature » (cf. « La prédation, symbole de la nature » : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article104).
Ce qui compte, c’est de pouvoir continuer à admirer les prédateurs, c’est continuer à se projeter en eux, et non en leurs proies.

C’est vraiment un sale rapport au monde qui s’exprime là : l’admiration des forts, l’oubli des faibles, la vénération pour la totalité (« la nature ») sans considération pour ce qu’elle signifie « en vrai » (dans la réalité vécue) pour les êtres qui sont censés lui « appartenir »…

Ce rapport-là me rappelle les heures les plus sombres de notre histoire occidentale, quand c’est non pas « la nature », mais « la société » qui en était l’objet. C’est fondamentalement le même rapport qui continue de s’exprimer, et dont certains restent condamnés à faire les frais.