Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 26 juin 2013
Le pays de Lula est devenu un repaire de beaufs et de bœufs, qui ne rêvent que de nucléaire, de barrages et d’avions de combat. L’écologiste Marina Silva sauve l’honneur et réclame un vrai changement.
Nul ne sait comment va tourner la mobilisation en cours au Brésil. Quand s’arrêteront les manifs ? Selon la version officielle, la merveilleuse croissance d’un pays devenu la septième « puissance économique mondiale » a créé des tensions, des contradictions, et de nouvelles exigences. Une partie des classes moyennes voudrait consommer davantage, à moindre prix. Le certain, c’est que derrière le rideau de scène se joue une tragédie.
Premier détour par Marina Silva, qui aura sa statue, aucun doute. Plus tard, quand elle aura été flinguée par des pistoleiros, cette joyeuse engeance au service du fric et des propriétaires terriens. En attendant, elle fait bien chier la présidente en titre, Dilma Roussef. Car Marina, longtemps membre du Parti des travailleurs (PT) de Lula et Roussef, n’a pas supporté la corruption massive de ses anciens copains et la destruction systématique des grands écosystèmes du pays, à commencer par les fleuves et la forêt amazonienne.
Ancienne très pauvre, proche du syndicaliste Chico Mendes, buté en 1988 par des tueurs à gage, elle est devenue écologiste, dans le genre sérieux, c’est-à-dire radical. Et populaire. Toute seule ou presque, elle a obtenu 19,33 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle du 16 mai 2010, contraignant Dilma Roussef, qui succédait à Lula, au ballottage. Ce qui ne s’oublie pas chez ces gens-là.
Si Marina Silva a tant cartonné, c’est parce qu’elle incarne une autre vision du Brésil. Ministre de l’Environnement de 2003 à 2008, elle s’est progressivement fâchée avec tous les apparatchiks du parti de Lula. Par exemple à propos du sort des Indiens, dont 500 ont été assassinés depuis 2003 selon les chiffres de l’Église catholique. Marina Silva n’a pas hésité à prendre position pour ceux qui s’opposent au barrage géant de Belo Monte sur le rio Xingu, en pleine Amazonie, dont le coût pourrait dépasser 20 milliards de dollars. Dans le Brésil d’aujourd’hui, c’est une déclaration de guerre à toutes les élites, à commencer par celles du Parti des travailleurs.
D’autant qu’elle s’oppose aussi au soja transgénique, dont les dizaines de millions d’hectares envahissent et trucident le cerrado, une savane d’une incroyable biodiversité, qui abriterait 160 000 espèces de plantes, de champignons et d’animaux. Selon les chiffres du gouvernement, la moitié du cerrado – environ 2 millions de km2 au total – aurait disparu en cinquante ans.
Pour faire bon poids, Silva critique aussi la transformation d’une part énorme de la canne à sucre en éthanol, un biocarburant destiné à la bagnole, et la déforestation de l’Amazonie, redevenue massive ces dernières années. On imagine la réaction des patrons, des bureaucrates et des politiques de toute couleur, qui misent tout sur le « développement », autre nom de la destruction.
On ne s’en rend pas compte en Europe, mais les rêves de grandeur de Lula et Dilma se paient au prix fort. Comme la Chine à une autre échelle, le Brésil dévaste ses territoires les plus beaux et bousille un à un ses équilibres les plus essentiels. Le maître-mot est : puissance. Dès 2008, le Brésil avait annoncé sa volonté de construire 60 centrales nucléaires au cours des cinquante prochaines années. Et de construire des dizaines de barrages sur les plus belles rivières du pays. Et d’exploiter au plus vite des gisements de pétrole off shore, au large de ses côtes. Et d’augmenter encore la production d’éthanol, qui représente déjà le quart de la consommation nationale de carburant.
Le Brésil est un pays devenu fou de son énergie et de ses réalisations. Et comme tout autre de sa taille, il entend désormais être un gendarme continental. En avril 2013, au moment du salon de l’armement de Rio de Janeiro, le gouvernement de Roussef a lancé cinq appels d’offres internationaux en vue d’acheter 15 milliards d’euros d’avions, de navires de guerre, de satellites. 15 milliards, à rapprocher des 11 milliards que pourraient coûter la coupe de foot des Confédérations – en cours – et le Mondial l’an prochain.
Le Brésil est un géant dont la tête est pleine de merde.