Un aigle de Bonelli en moins sur la terre et au ciel

Ci-dessous, un communiqué de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) de Rhône-Alpes. Il arrive, comme on verra, que le plomb des chasseurs, ces amis de la biodiversité, menace directement la survie d’une espèce. J’ai déjà pu voir un aigle de Bonelli en vol, dans le sud de la France. Et je n’ai pas oublié l’éclair de beauté dans un ciel bleu.

Un Aigle de Bonelli retrouvé mort en Ardèche

 par Kévin MATHIEU

Mis à jour le lundi 10 juin 2013

 Un Aigle de Bonelli retrouvé mort dans la Réserve Naturelle Nationale des Gorges de l’Ardèche. La présence de 5 plombs explique la mort !

Le 3 avril 2013 un agent de la Réserve Naturelle Nationale des Gorges l’Ardèche (SGGA [1]) a signalé la présence d’un cadavre de rapace à la LPO [2] Rhône-Alpes. Cette dernière a retrouvé cet oiseau, le surlendemain (5 avril 2013) au sein de la Réserve, en bordure de rivière en plein milieu du canyon sur la commune de La-Bastide-de-Virac. Transporté par le service garderie de l’ONCFS [3] Ardèche, les examens vétérinaires et les radiographies ont révélé la présence de 5 plombs de petit calibre qui sont à l’origine de la mort de cette espèce protégée.

Un acte non isolé détruit tout un espoir

Il s’agissait d’une femelle d’Aigle de Bonelli âgée d’environ 4 à 5 ans qui avait été repérée depuis plusieurs mois par la LPO sur la partie amont des Gorges de l’Ardèche. Alors que la population d’aigle de Bonelli ne compte que 2 couples dans le sud Ardèche depuis plus de 30 ans, la présence de cet oiseau représentait l’espoir, pour tous les acteurs de la conservation de cette espèce en Rhône-Alpes, de l’installation tant attendue d’un troisième couple.

Une fois de plus cette espèce est victime d’un tir en France. La Liste est hélas déjà longue, mais certainement très incomplète (les cadavres ne sont pas toujours trouvés) : un cas en mars 2008, un fin octobre 2009, un début 2011, un en novembre 2012 et un probable fin décembre 2012.

Une espèce très menacée

Il est consternant de constater de nos jours et année après année, la présence de plombs sur les aigles de Bonelli retrouvés morts, alors qu’il s’agit de l’espèce de rapaces la plus menacée en France. Avec seulement 30 couples en 2013, et moins de 30 jeunes envolés par an, la population ne peut supporter de tels actes.

Un partenariat autour de l’Aigle de Bonelli en France

L’aigle de Bonelli fait l’objet d’un Plan National d’Actions, réunissant en Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon, plusieurs structures (associations naturalistes, conservatoires des espaces naturels, collectivités locales, État, gestionnaires d’espaces naturels, fédérations de chasse…). En Rhône-Alpes ce plan est coordonné par la LPO Rhône-Alpes et la DREAL [4] Rhône-Alpes. Ce plan national a pour objectif de garantir la survie de l’espèce sur le long terme. Les principales actions menées portent sur le suivi et la surveillance de la reproduction (dérangements), la réduction des causes de mortalités d’origine anthropique (électrocution, percussion des câbles électriques, tirs) la gestion des habitats et la sensibilisation du public local à la conservation de cet aigle des garrigues.

Mais aussi en Ardèche

La LPO est à l’origine des actions de conservation de l’Aigle de Bonelli en Ardèche. Elle est à l’initiative d’un programme d’actions menées depuis 1991 sur la gestion des espèces proies de l’aigle. Pour ce faire, elle a mobilisé l’ensemble des partenaires comme le Syndicat de Gestion des Gorges de l’Ardèche, les associations et sociétés de chasse communale, l’ONF [5] Ardèche, l’ONCFS Ardèche et le Conseil Général de l’Ardèche. Plusieurs opérations de développement des populations de lapins de garenne ont été conduites grâce à ce partenariat (création de garenne et de cultures faunistiques, capture et lâchers de lapins de garenne) et des mesures conservatoires ont été négociées avec les chasseurs locaux (préservation de la quiétude des sites de reproduction de l’aigle).

Un acte lâche qui coûte cher à tous

Un acte aussi lâche met à mal les efforts humains, techniques et financiers consentis par chacun des partenaires aussi bien les naturalistes, les gestionnaires, les élus et les chasseurs locaux. Quel désastre pour tous les amoureux des gorges de l’Ardèche, habitants, visiteurs et autres acteurs !

La LPO Rhône-Alpes et la FRAPNA [6] Ardèche ont décidé de porter plainte contre « X » pour destruction d’espèce protégée et de se porter partie civile.


Contacts presse :DREAL Languedoc-Roussillon
Florence Fabry
04.34.46.64.20
florence.fabry@developpement-durable.gouv.fr


Autres contacts :LPO Coordination Rhône-Alpes
Coordinateur technique du Plan National d’Actions Aigle de Bonelli en Rhône-Alpes
Michel Mure
04.75.35.55.90
michel.mure@lpo.frConservatoire des Espaces Naturels du Languedoc-Roussillon
Coordinateur technique du Plan National d’Actions Aigle de Bonelli
Olivier Scher
04.67.29.90.65
pna@cenlr.org

Conservatoire – Etude des Ecosystèmes de Provence
Opérateur technique du Plan National d’Actions Aigle de Bonelli en PACA
Irène Nzakou
04.42.26.74.31
irene.nzakou@ceep.asso.fr

DREAL Languedoc-Roussillon
Coordinatrice du Plan National d’Actions Aigle de Bonelli
Patrick Boudarel
04.34.46.66.54
patrick.boudarel@developpement-durable.gouv.fr


Pour en savoir plus :Site du Plan national d’actions Aigle de Bonelli : www.aigledebonelli.fr.Pour consulter l’article publié sur le site web du dauphiné : www.ledauphine.com – Un Aigle de Bonelli tué dans les gorges de l’Ardeche.

Mais que fout donc l’Anses (à propos du triclosan) ?

Il y a un préambule, et ce préambule-là concerne l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Madonna ! comme ces gens sont inventifs. L’Anses a vu le jour en 2010 sur les ruines de trois agences publiques déconsidérées.

1/ D’abord la plus petite,  l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV). Difficile de ne pas être rosse. Cette agence avait bien sûr pour vocation, parmi d’autres tâches, de veiller à l’incroyable gabegie dans l’usage des antibiotiques destinés aux animaux d’élevage. On le sait – on devrait le savoir -, 50 % des antibiotiques produits dans le monde sont destinés à l’élevage industriel. Les antibios servent beaucoup à augmenter « rendements » et « productivité » dans la « fabrication » de bidoches diverses. Les conséquences sont lourdes, au premier rang desquelles l’explosion de l’antibiorésistance. Des bactéries jadis aisément défaites s’adaptent au traitement, mutent, et deviennent parfois redoutablement dangereuses, comme le Staphylocoque doré résistant à la méticilline.

Bilan de l’ANMV dans ce domaine crucial ? Le dernier rapport de cette agence avant son absorption par l’Anses en 2010, est de faillite (ici). Malgré tant d’alertes, dont certaines angoissées, l’exposition des animaux aux antibiotiques a AUGMENTÉ de 12,6 % entre 1999 et 2009. Dans ces conditions, à quoi aura pu servir l’ANMV ? Je vous remercie d’avoir posé la question.

Guy Paillotin pète un câble

2/ Deuxième agence digérée par la création de l’Anses, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset). Que faire d’autre que rire ? Le lundi 10 octobre 2005, au cours d’un colloque tenu au Sénat, Guy Paillotin se lâche. Cet ancien président de l’Inra est alors à la tête du conseil d’administration de l’Afsse, sur le point de devenir Afsset. Comme on se plaint des conflits d’intérêt, à l’intérieur de l’agence, au sujet du téléphone portable, Paillotin déclare : « L’AFSSE est effectivement un lieu de pouvoir, mais, comme tout lieu de pouvoir, il est creux. Vous indiquez que l’expertise sur la téléphonie mobile n’est pas bonne, ne vous plaît pas. L’expertise de l’AFSSE sur la téléphonie mobile n’a jamais suivi, ni de près, ni de loin, les règles que l’AFSSE s’est fixées à elle-même ; donc c’est une expertise que je considère, en tant que président du conseil d’administration, comme n’existant pas, n’étant pas le fait de l’AFSSE, puisqu’elle ne correspond pas aux textes que le conseil d’administration a lui-même adoptés. Vous allez me dire que c’est terrible. Eh bien, c’est tout le temps comme ça. Le CA fixe des règles, mais n’est pas habilité à les mettre en œuvre […]. Comme partout ailleurs, on s’assoit dessus. »

Hum, qu’en dites-vous ? Un rapport conjoint de l’Inspection générale des Affaires sociales et de l’Inspection générale de l’Environnement, en janvier 2006, confirmera les paroles de Paillotin, insistant sur les conflits d’intérêt flagrants entre agence publique et intérêts industriels. Ajoutons pour le plaisir de la moquerie que l’Afsset était en charge de la surveillance des pesticides en France, mission qu’elle a, cette fois encore, excellemment menée. Une étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), en mars 2013, a rappelé aux oublieux la réalité. Les Français – cocorico ! – sont plus contaminés par les principaux pesticides que les Allemands, les Canadiens, les Américains.

3/  Troisième agence constitutive de l’Anses, créée je le rappelle en 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Lancée en 1999 sur fond de maladie de la vache folle, l’Afssa a acquis très vite une réputation disons contrastée. Thierry Souccar, qui tient le très intéressant site internet Lanutrition.fr, a violemment secoué l’Afssa dans son livre Santé, Mensonges et propagande, paru au Seuil en 2004. Selon lui, à cette date, 65 % des experts de l’Afssa auraient eu des « liens avec l’industrie ». Et l’agence aurait été d’une noble discrétion sur des questions décisives dans l’orbe alimentaire, comme le sel et le sucre.

Martin Hirsch mange le morceau

Pour le même prix, cette citation d’un interview donné le 9 décembre 2010 à Libération par Martin Hirsch, ancien directeur général de l’Afssa entre 1999 et 2005 : « Quand j’ai quitté l’Afssa en 2005, après avoir été traité par l’industrie agroalimentaire d’« ayatollah de la santé publique » l’équipe d’après a dit aux industriels : « Maintenant, nous redevenons partenaires ». Quand je vois le rapport d’un groupe de travail sur les régimes amaigrissants, je me dis qu’il a moins de force quand il apparaît, dans la déclaration d’intérêt de son président, des rémunérations provenant de quatre grands laboratoires… Et qu’il renvoie à plus tard l’examen des compléments alimentaires, qui constituent un juteux marché ».

Bon, il n’est que temps de passer à l’Anses, chargée donc, comme indiqué au début, de la sécurité sanitaire publique dans le travail, dans l’alimentation, dans l’environnement. Vaste programme, qui entraîne de bien dérangeantes questions. Je précise avant cela que je ne tiens pas l’Anses pour un repaire de crapules décidées à nous faire souffrir les mille morts. J’ai croisé certains de ses membres, y compris des responsables, et en vérité, ils m’ont fait une bonne impression. Non, je n’entends pas juger l’Anses en bloc. Seulement, que penser de l’affaire du triclosan ?

Officiellement, cette question n’existe pas. Je viens de cliquer dans l’onglet Recherche du site de l’Anses (ici), et on ne trouve aucun article consacré au sujet. Il y a 25 documents sur le bisphénol A, aucun sur le triclosan. Or, j’ai lu hier ceci sur le site américain de la télévision CBS : « The Food and Drug Administration is finally going to decide whether antibacterial soap actually works, or if it’s causing more harm than good. Government researchers plan to deliver a review this year on the effectiveness and safety of triclosan, the germ-killing ingredient found in an estimated 75 percent of antibacterial liquid soaps and body washes sold in the United States. The chemical has been in U.S. households for more than 40 years, used for cleaning kitchens, people’s bodies and clothing ».

40 ans à regarder ailleurs

Voici venir la traduction résumée  : l’administration fédérale en charge des aliments et des médicaments – The Food and Drug Administration (FDA) va mener une enquête sur le triclosan, que l’on retrouve dans 75 % des savons liquides et gels de bain vendus aux États-Unis. Ces produits causeraient-ils plus de mal que de bien ? On les trouve depuis plus de quarante ans dans les produits de nettoyage des cuisines, des humains, des vêtements. Fin de ce semblant de traduction.

J’ai consulté des sites plus critiques, et la plupart insistent sur l’incroyable passivité de la FDA, sous un titre qui revient souvent : « FDA to Review Triclosan After Decades of Delay ». C’est-à-dire : la FDA étudie le triclosan avec 40 ans de retard. Franchement, il y a de quoi hurler. Le 15 janvier, la revue Environmental Science and Technology (ici) publiait une étude sur la pollution par le triclosan dans huit lacs américains. Je précise que je tire mes infos d’une source sérieuse française (ici), et que je n’ai fait que parcourir l’étude originale en anglais. En tout cas, ces lacs reçoivent des eaux usées qui contiennent évidemment du chlore utilisé pour leur traitement. Le triclosan, ce charmant composé chimique, réagit au soleil avec des dérivés du chlore et produit gaiement des polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD). Des dioxines, oui, dont l’une, la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine, ou TCDD, est au centre de la catastrophe de Seveso en 1976.

Dans le dentifrice Colgate

Ne croyez surtout pas que j’en ai fini. Le triclosan peut également former du chloroforme, toujours en lien avec le chlore, ce dernier étant classé cancérigène potentiel. Et surtout, il est à coup certain un perturbateur endocrinien (voir mon précédent article), à des doses que personne ne connaît exactement (ici). Encore ne sait-on encore rien, puisque ces braves bureaucrates de la FDA se mettent seulement au boulot. Et la France, amis de Planète sans visa ? Oh, il ne fait aucun doute que nous allons vers le énième scandale de santé publique. Bien que n’étant pas devin, je vous l’annonce en exclusivité. Car du triclosan, chez nous, il y en a partout. Dans des centaines de produits d’usage courant : des dentifrices, des jouets, des déodorants, des savons. Que Choisir en a trouvé dans le dentifrice Colgate Total, mais il suffit de chercher ailleurs pour fatalement trouver. Car ce poison est légal. LÉGAL.

Et l’on est donc bien obligé de se tourner vers l’Anses, qui n’en branle pas une. Je suis sûr, car je sais comment cela se passe, que l’agence va finir par réagir. Et même mon coup de gueule y aura contribué, fût-ce pour une très faible part. Mais n’est-ce pas épuisant, déprimant, désespérant ? Un poison chasse l’autre. Sauf qu’aucun ne disparaît. Sauf que tous se recombinent à l’infini, créant de nouvelles chimères, qui sont d’effroyables réalités. L’Anses, à quoi ça sert ?

PS : J’ai dû rectifier il y a quelques minutes un calamiteux semblant de traduction. Avis à ceux qui auraient lu la première version.

Batho, Touraine et Fioraso se foutent de nous (et du Mali)

Paru dans Charlie Hebdo le 29 mai 2013

Les perturbateurs endocriniens sont en train de balayer la santé publique, partout dans le monde. Mais en loucedé, les ministres français sabotent les chances d’un plan d’action efficace.

Le monde va changer de base. Grâce aux perturbateurs endocriniens. C’est splendide, c’est nouveau. Commençons le voyage par le Mali, pays amicalement dévasté par les islamistes, puis gentiment envahi par nos valeureux bataillons. Le journal en ligne maliba.com du 7 mai raconte que les gamines du pays sont pubères de plus en plus tôt. Interrogé, l’obstétricien Djedi Kaba Diakité raconte : « On connaît mal l’origine du phénomène, mais les résultats d’études convergent de plus en plus  vers (…) la pollution, l’usage de produits chimiques spécifiques comme le phtalate ou les phénols qu’on retrouve dans certains articles plastiques et dans l’alimentation. On les appelle les perturbateurs endocriniens ».

Les enseignants locaux constatent cette révolution, et estiment que 3 ou quatre fillettes de 12 ans sur dix sont concernées. Le journal malien note que ces mouflettes « sont désormais très sollicitées dans les discothèques, les rues et, hélas, dans les maisons closes de la capitale ». D’où la tronche de l’imam Mahamoud Dicko, président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) : « C’est le moyen le plus sûr d’encourager la perversion et le phénomène des filles-mères. Nous ne saurions le cautionner ». D’autant que l’âge légal du mariage, aux termes du code de la famille malien, est au minimum de 16 ans. Et le monde entier est frappé par cette peste dont se foutent nos gazettes, gavées de pubs à la gloire de l’industrie chimique.

Résumons à très gros traits : le terme de « perturbateur endocrinien » a été forgé en 1991, au cours d’une conférence scientifique réunie à Wingspread (États-Unis) par la scientifique Theo Colborn. Cette dernière est affreusement chiante, car non seulement sa réputation professionnelle est inattaquable, mais elle ne cesse en plus de remuer la merde (1). Que sait-on en 2013 ? Largement de quoi  prendre au colback l’industrie chimique, qui a dispersé dans des milliers de produits, souvent d’usage courant – cosmétiques, jouets, meubles, peintures, biberons -, des molécules qui imitent les hormones naturelles et s’attaquent au passage aux équilibres les plus essentiels des organismes vivants.

Beaucoup de fonctions sont touchées, mais les plus spectaculaires atteintes visent la différenciation sexuelle et la reproduction. Un rapport conjoint de l’OMS et du Programme des nations unies pour l’environnement, publié en février 2013 (2), dresse une liste non exhaustive des effets possibles sur l’homme des perturbateurs endocriniens : cancer du sein, cancer de la prostate, cancer de la thyroïde, hyperactivité de l’enfant, Alzheimer, Parkinson, obésité, maladies auto-immunes, et bien sûr la puberté précoce.

On en restera là faute de place. Et c’est ainsi que le gouvernement est grand. Le nôtre. Car faudrait pas croire : en face d’un tel danger, Batho – Écologie -, Touraine – Santé -, Fioraso – Recherche – ont décidé de lancer une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). Après plusieurs réunions tenues depuis février, un plan d’action devrait même être présenté en juin devant le Conseil des ministres. Seulement, ça déconne, et grave.

Parmi la quarantaine d’invités à ces rendez-vous officiels, deux ne jouent pas le jeu. D’abord Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie. Ensuite André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (RES). Ils ont même failli quitter la salle où se tenait le dernier raout préparatoire, le 17 mai (3), jugeant qu’on se foutait ouvertement de leur gueule. Car si une poignée d’écolos sont représentés aux réunions, la vraie puissance appartient aux services d’État et aux industriels, le plus souvent d’accord sur l’essentiel. Commentaire de Rivasi : « Quand j’ai découvert le document de travail, qu’on nous a communiqué seulement trois jours avant, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune référence à l’épidémie en cours, sur l’effet de seuil et les faibles doses, sur les fenêtres d’exposition, les effets transgénérationnels, etc ».

Du foutage de gueule, aucun doute.

(1) Un livre extraordinaire qui a fait flop au moment de sa sortie en 1998 : L’homme en voie de disparition ?, aux éditions Terre Vivante.

(2) State of the Science of  Endocrine Disrupting Chemicals

(3) Entretien accordé au Journal de l’Environnement du 21 mai (www.journaldelenvironnement.net)

18 ans de taule qu’il ne fera jamais (la canaille Schmidheiny)

Si vous souhaitez en savoir plus sur Schmidheiny, c’est ici, mais surtout ici, et là.

ALERTE – Amiante: peine durcie en appel pour un industriel suisse

TURIN (Italie) – L’industriel suisse Stephan Schmidheiny a été condamné lundi en appel à une peine durcie à 18 ans de prison pour avoir provoqué la mort de près de 3.000 personnes, ouvriers ou riverains d’usines d’Eternit Italie utilisant la fibre d’amiante.

M. Schmidheiny, ex-propriétaire de Eternit Suisse, avait déjà été condamné en première instance en février 2012 à 16 ans de réclusion en tant qu’ancien actionnaire important d’Eternit Italie de 1976 à 1986, en même temps que le baron belge Louis de Cartier de Marchienne. La Cour d’appel de Turin a également décidé d’abandonner les poursuites contre ce dernier, décédé le 21 mai.

(©AFP / 03 juin 2013 15h49)

Carlos Ghosn, Jacques Attali, Delphine Batho, Arendt, l’anarchie

Bienvenue au café du Commerce. Je vous balance tout en vrac ou presque, comme cela m’est venu en tête. Je vous en préviens, il y a forcément du déchet. D’abord Carlos Ghosn, patron de Renault et de Nissan. Invité de France-Inter le mardi 28 mai à 8h20 (ici), il annonce en direct que l’usine Renault de Flins devrait produire à terme 82 000 Nissan Micra par an. Patrick Cohen, le journaliste d’Inter, semble prendre la chose comme une excellente nouvelle.

Et tout le reste de même. L’industrie automobile est cyclique, dit Ghosn, elle va mal, il faut compter avec trois ou quatre années médiocres, mais raisonnablement, tout finira par s’arranger, et la croissance repartira. Il doit y avoir près d’1 milliard et 100 millions de bagnoles individuelles dans le monde, et elles ont d’ores et déjà détruit les villes, où vit plus de la moitié de la population de la planète. D’innombrables mégapoles – Lagos, Mexico, Mumbai, Shanghai – ont été rendues inhabitables par cette arme de désarticulation massive, mais Ghosn ne rêve que d’une chose : aller vers les 2 milliards de véhicules individuels. Ne parlons pas de la crise climatique, dont le très éventuel contrôle passe nécessairement par la mort de l’automobile pour chacun. Le patron Ghosn – qui l’ignore ? – est comme l’oracle, la Pythie de ce monde aux abois. Sombre prophétie.

Jacques Attali et les 44 ans de boulot

Le 30 mai, exactement au même endroit, Jacques Attali (ici). Si je voulais être désagréable, je dirais que, sans la rencontre avec Mitterrand au début des années 70 du siècle passé, Attali serait demeuré professeur. Connu, éventuellement apprécié de ses seuls élèves. L’irruption, un rien frauduleuse, sur le terrain politique, lui aura permis de faire une superbe carrière médiatique, dispersant dans les yeux de spectateurs ébahis quantité d’idées absurdement tenues pour originales. Si je voulais : je le veux. Je déteste Attali et son univers, et ses strass, je ne saurais le nier. Dans l’entretien du 30 mai, il démontre une énième fois qu’il est incapable de comprendre ce monde, et pour la raison première qu’il veut y figurer sur le devant de la scène « intellectuelle ». Or s’il est une certitude, c’est bien celle-ci : qui espère décrire les impasses de notre formation sociale-historique, et qu’il y réussisse ou non, ne peut espérer que des coups de bâton de la société officielle. Comme Attali entend passer à la télévision chaque matin, il lui faut fournir des versions supportables de la situation en cours. Et comme cela tombe bien, il n’écrit jamais rien qui fâche vraiment. À sa manière « nouvelle », il aura permis à des générations de cuistres de disposer ses livres dans le salon, de sorte qu’ils peuvent montrer au visiteur combien ils sont intelligents.

Et cet entretien du 30 mai, alors ? Je me souviens d’une chose, et c’est qu’il réclame doctement, au nom du « principe de réalité », l’allongement à 44 ans des cotisations ouvrant le droit à la retraite. Quel « principe de réalité » ? D’après lui, l’espérance de vie augmente, en particulier l’espérance de vie en bonne santé. Ce type est tellement plongé dans son idéologie du « progrès » – en sortir reviendrait à un pur et simple suicide public – qu’il dit réellement n’importe quoi. En vérité, et depuis environ 2006, « l’espérance de vie sans incapacité » a commencé de diminuer en France. De 2008 à 2010, elle serait passée de 62,7 ans à 61,9 ans pour les hommes et de 64,6 ans à 63,5 ans pour les femmes. Autrement exprimé, Attali suggère que l’on bosse, éclopés, jusqu’à ce qu’Alzheimer dissolve tout dans l’azur. C’est bien. Faut-il dire qu’Attali est l’un des grands prêtres, vaguement futuriste, de la société en place ? Je ne le crois pas.

Il me vient d’ajouter un mot sur le Jacques. Tout concentré sur la meilleure manière d’occuper l’espace, Attali finit, au milieu des bruits qu’il émet, par dire des choses vraies. Sur son blog de L’Express, le 5 mai dernier (ici), il évoque de manière apocalyptique les conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima, écrivant entre autres : « D’une part, les  structures de confinement sont en train de casser; d’autre part, selon plusieurs experts, les signes se multiplient d’un prochain tremblement de terre en mer, au large de Nagoya-Osaka ou dans la région de Fukushima (…) Dans ce cas, le système de refroidissement se briserait; les  murs de confinement casseraient ;  les  280.000 tonnes d’eau contaminées   se déverseraient dans  le sol et dans la mer ;   l’unité 4 serait détruite et ses barres irradiées ne seraient plus protégées.  Les conséquences seraient immenses; pour le Japon tout entier; et au-delà. Il faudrait en particulier  évacuer les 30 millions d’habitants de la région de Tokyo ». Et Attali de logiquement conclure : « Comme les Japonais semblent minimiser tous ces problèmes, qui ne sont pas à la portée des technologies japonaises, une mobilisation générale de la planète est nécessaire; si on ne veut pas que les conséquences soient terrifiantes pour l’humanité ».

Delphine Batho et les 700 millions d’euros

Si l’on décide courageusement de prendre Attali au sérieux, ça craint plutôt, non ? Notons que Jacques Attali était conseiller proche de Mitterrand quand celui-ci, promettait, avant 1981, un référendum sur le nucléaire, avant de l’enfouir dans la poussière sitôt élu. Notons qu’Attali a écrit en 1994 Économie de l’Apocalypse (Fayard), que j’ai lu en son temps, bien que n’ayant déjà plus aucune illusion sur le monsieur. Essayant à l’instant de le retrouver dans ma bibliothèque, j’y renonce faute de temps. Mais je me souviens fort bien de sa description d’un monde devenu fou de nucléaire militaire, et de fait incontrôlable. Citation, que je viens de trouver sur le net : « Non seulement le désordre est immense, non seulement tous les bazars de trafiquants ont ouvert grand leurs portes, mais le monde, mû par une foi aveugle en la science, se laisse entraîner vers une accumulation incontrôlable de matières et de technologies meurtrières. D’où la nécessité de repenser tous les concepts jusqu’ici confortablement manipulés par des experts rassurants ».

Aura-t-il repensé les concepts, comme il en affirmait dans cet extrait la nécessité ? Aura-t-il parlé à son maître Mitterrand de l’aide apportée par la France « socialiste » à la construction de la bombe nucléaire pakistanaise, dans les années 80 ? Je ne le crois pas. Je suis même sûr du contraire, car Attali n’est qu’un flamboyant jean-foutre, qui plaît aux politiques, du PS jusqu’à l’UMP de Sarkozy : son apparente liberté leur permet d’oublier leur médiocrité. Oui, il plaît aux politiciens. Et aux ménagères de plus de 50 ans.

Qu’on excuse mes sautillements de coq en âne : j’ai prévenu que j’ouvrirai aujourd’hui le café du Commerce, et je m’y tiens.Une qui m’a fait éructer tout seul dans ma cuisine, c’est la Delphine Batho, ministre de l’Écologie. Dépêche de l’AFP en date du 31 mai 2013, extrait 1 « En cas d’accident nucléaire, le gouvernement veut que les exploitants de centrales mettent davantage la main à la poche, en relevant le plafond de la responsabilité civile à 700 millions d’euros, a annoncé jeudi soir la ministre de l’Energie Delphine Batho ». Extrait 2 : « Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le coût médian global d’un accident nucléaire majeur « pourrait être de l’ordre de 120 à 430 milliards d’euros », a rappelé Mme Batho lors d’un débat organisé à l’Assemblée nationale sur la sûreté nucléaire ».

Rions de la ministre, ce ne sera pas bien difficile. Le plafond actuel de la responsabilité civile des exploitants du nucléaire – EDF et Areva – est de 91,5 millions d’euros. Il serait donc multiplié par sept environ, mais ne représenterait alors qu’une infime fraction de ce que coûterait, selon leurs propres experts, une catastrophe nucléaire made in France. Sauf grave erreur de jugement, cette pantalonnade me semble bien dire le vrai sur cette industrie de la mort : les bénéfices vont dans la caisse des industriels de l’atome – rappelons que la ci-devant patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, est pour l’heure à la fois administratrice du groupe Total et présidente du conseil de surveillance du quotidien ci-devant maoïste, Libération – , et les pertes, éventuellement illimitées, sont adressées à la société.

Hannah Arendt et les crimes industriels

Tout au long de cette semaine qui se termine, j’ai relu Eichmann à Jérusalem, par Hannah Arendt. Bien que mon admiration pour cette dernière soit immense, je n’y ai pas trouvé la trace d’un grand livre. Il s’agit certes d’un bon texte, fait d’une série de reportages pour le magazine The New Yorker, mais je crois que j’attendais mieux, tant l’écho du livre revenait en moi, sans cesse, depuis une première lecture, il y a plus de trente ans. Peut-être espérais-je, avec naïveté, qu’Arendt y avait percé l’insondable mystère de la « banalité du mal », sous-titre de l’ouvrage ? Ce qui me semble acquis en tout cas, c’est qu’Eichmann, grand organisateur de la Shoah dans l’Europe nazie, n’était pas antisémite [modification du 12 février 2021, après lecture d’une partie des travaux de Bettina Stangneth. S’appuyant sur des textes et propos d’Eichmann quand il est en exil en Argentine après 1950, elle démontre que Hannah Arendt, et très secondairement moi, s’est lourdement trompée. Eichmann était non seulement un nazi convaincu, mais un antisémite total. Il a joué la comédie à Jérusalem].

Ou s’il l’était, ce n’était pas sous la forme démente d’un Julius Streicher et de tant d’autres chefs nazis. Non, Eichmann était, d’une manière plus angoissante, un parfait fonctionnaire du mal, avide de conformité et de promotion, ultrasensible au jugement de ses chefs. Il obéissait. Il était soumis. Il était à ce point insignifiant que, réfugié en Argentine, et ne disposant plus du cadre étatique qui l’avait fait vice-roi de la mort, il ne savait rien faire. Il ruina tour à tour une blanchisserie et un élevage de lapins, qu’il avait créés, et dut se résoudre à devenir prolo dans une usine de bagnoles, avant de se faire enlever par les services secrets d’Israël.

Le crime. Qu’est-ce donc que le crime quand la société qui l’abrite l’accepte ou le commande même ? Le 27 mai dernier se tenait à Paris une journée d’études autour du thème « Punir les crimes industriels ». Je n’ai pu y aller, mais des gens que j’aime et que j’estime, au premier rang desquels Annie Thébaud-Mony, y intervenaient. Notamment à propos du crime de masse qu’est l’affaire de l’amiante. Je rassure ceux qui pourraient se montrer inquiets : je n’entends évidemment pas mettre sur le même plan un Eichmann et un Schmidheiny, condamné en Italie à 16 ans de prison – en première instance – pour sa responsabilité dans la mort de 3000 ouvriers empoisonnés par l’amiante de ses usines Éternit.

Il va de soi qu’on ne peut comparer, mais on peut rapprocher peut-être sur un point, psychologique : pourquoi tant d’êtres correctement éduqués, normalement informés, convenablement nourris et vêtus, éventuellement bons pères ou bonnes mères, donnent-ils leur énergie à la destruction du monde, des cultures, des paysages, des animaux, des plantes, des hommes ? Pourquoi des ingénieurs français sont-ils fiers de concevoir des turbines qui, installées sur le barrage chinois des Trois Gorges, entraînent l’expulsion d’au moins un million de paysans et l’implosion d’un écosystème stable depuis avant toute civilisation ? Pourquoi des prolos de France manifestent-ils pour sauver une usine qui fabrique des chars, des mines antipersonnel, des hélicoptères de combat ? Pourquoi le personnel de Fessenheim refuse-t-il la fermeture de cette si vieille centrale nucléaire, alors que tant d’experts, il est vrai étrangers, ont pointé ses indiscutables dangers ? Pourquoi un Attali a-t-il osé en 1989 proposer l’endiguement des fleuves du Bangladesh, au risque de sacrifier le vaste peuple de ses campagnes (ici) ? Pourquoi des syndicats soutiennent-ils la production de ce terrible cancérigène qu’est le chlorure de vinyle ? Etc, etc.

Faut-il être anarchiste ?

Qu’on ne vienne pas me souffler que c’est fatal ! Non, et non ! Arendt, dans son Eichmann, rappelle le fabuleux exemple danois. Là-bas, dans ce pays occupé par les nazis comme le fut le nôtre, les Juifs ne furent ni déportés, ni exterminés. Car la population, ses fonctionnaires, et jusqu’au roi, refusèrent de participer au crime. Il n’y eut pas au Danemark de René Bousquet, ce bon ami de Mitterrand, pour organiser une rafle du Vel’ d’Hiv. Arendt rappelle cette infernale évidence que le massacre des Juifs et des Tsiganes avait besoin de la collaboration de gens obéissants, obéissant aux ordres qu’on leur donnait, sans rage ni haine. Bousquet, cet enculé, n’était sans doute pas non plus un antisémite.

Où veux-je en venir ? Je n’entends pas transformer ce si long papier en livre, et je serai donc bref, au moins dans cette conclusion. J’ai plusieurs fois rendu hommage ici à des anarchistes, chers à mon cœur. Suis-je moi-même anarchiste ? Le certain, c’est que je ne crois pas à une société des humains organisée selon les admirables principes de l’acratie, mot grec signifiant absence de pouvoir. Mais je ressens et ressentirai jusqu’à ma mort le profond attrait d’une philosophie défiant les autorités, toutes les autorités, toute autorité, et magnifiant l’autonomie de la pensée, la liberté du choix, le refus de l’allégeance. Parmi les drames auxquels notre époque est confrontée, il faut mettre très près du premier rang la Soumission à l’autorité, mise en évidence dans les expériences de Stanley Milgram.

L’anarchie n’est peut-être pas un programme, mais elle reste un drapeau, mais elle demeure le plus beau joyau de toute pensée critique. Je vous avoue que je n’envisage pas le combat écologiste sans une perpétuelle interrogation sur la nature du commandement. Sur la manière dont sont prises les décisions et l’empressement avec lequel tant d’entre nous les appliquent et les font appliquer. Maintenir l’esprit de l’anarchie aide à mieux comprendre comment et pourquoi un pays comme la France se vautre dans le culte de héros dérisoires comme Carlos Ghosn et Jacques Attali. Enfin, je crois.