Paul Watson fout la zone à l’Élysée

Cet article a paru le 9 janvier 2013 dans Charlie-Hebdo

Le pirate Paul Watson ne se contente plus d’éperonner en haute mer les navires baleiniers. Pourchassé par les flics du monde entier, il veut maintenant obtenir l’asile politique en France. Pour Hollande, c’est la merde.

Hollande cherche les emmerdes, c’est pas possible autrement. La scène se passe dans le bureau du président il y a quelques semaines, comme le raconte à Charlie un participant. On fait semblant de parler de la planète entre deux bâillements, en compagnie des écolos de service. Soudain, Hulot s’enflamme à propos de Paul Watson, magnifique défenseur des baleines. Hulot considère que le sort fait à Watson est dégueulasse – il a raison -, et essaie de secouer Hollande. Le président, les yeux écarquillés : « Mais qui est ce Watson ? ». Delphine Batho, présente à la réunion en tant que ministre de l’Écologie, se penche alors vers notre grand homme et lui glisse : « Je vous expliquerai, monsieur le président ». Elle a intérêt à se magner, car Watson a décidé d’obtenir l’asile en France.

Mais reprenons dans l’ordre. Watson est un Canadien de 62 ans, fondateur en 1977 de l’association Sea Shepherd, ou berger des mers si on préfère causer français. Ce type en a simplement eu marre des blablas, y compris ceux de Greenpeace, d’où il a été viré. Pour lui et sa bande, sauver les baleines, les requins, les phoques et tous les poissons de sous les mers passe par l’affrontement avec les salopards qui pêchent illégalement. Ce qui fait du monde. Comme on peut pas raconter tous les éperonnages, abordages et sabotages, contentons-nous de l’exemple du Sierra, qui est le premier de l’épopée.

Début 1979, Watson parcourt les océans à bord d’un bateau qu’il a acheté, traquant un navire baleinier qui fait des ravages, le Sierra. Après bien des aventures (2), il coince le Sierra devant Porto, et l’éperonne à deux reprises, toutes machines chauffées à blanc. Esquinté, le Sierra parvient à grand peine à atteindre le port. Les flics portugais saisissent le bateau de Watson, et un juge le refile en dédommagement aux types du Sierra. Et c’est ainsi que Watson est grand : avec un copain rappelé d’Écosse, il monte clandestinement à bord de son propre navire, et décide de le couler plutôt que de le savoir à la poursuite des baleines. End of story.

Ou plutôt, début de 35 ans de poursuites homériques, au cours desquelles Watson et ses potes courent des risques on ne peut plus réels, car il arrive qu’on leur tire dessus. Ou qu’on les blesse en plein Antarctique à coup de lances à eau et de tiges de bambou. Le 13 mai 2012, Watson est arrêté en Allemagne, à la suite d’une plainte du Costa Rica pour des affrontements datant de 2002. Libéré sous caution, il finit par se planquer, car il redoute qu’une extradition vers le Costa Rica ne le conduise en fait dans les prisons japonaises, où l’on veut sa peau.

Où est-il en ce début d’année 2013 ? À bord du Steve Irwin, un bateau de Sea Shepherd, au milieu de l’océan Antarctique. Watson attend l’arrivée d’une flottille partie dans le plus grand secret des ports japonais pour aller buter des centaines de baleines. Rappelons que ces artificieux Nippons prétendent respecter le moratoire de 1986, qui interdit la pêche commerciale à la baleine. S’ils tuent par centaines chaque année des rorquals, c’est « à des fins scientifiques », faut pas confondre.

En résumé, ça ne va pas tarder à chier sur les mers. Du côté de Watson, quatre navires, un hélicoptère, trois drones et  une centaine de personnes sont sur le pied de guerre. Malgré ces apparences, Sea Shepherd défend les principes de la non-violence, et n’a jamais blessé – a fortiori tué – quiconque, ce qui n’est pas le cas des baleiniers. On va tâcher de suivre. Quant à notre pauvre Hollande, voici ce qui l’attend. Dès la fin de son périple antarctique, Watson redevient un fugitif international. Le petit doigt de Charlie lui a dit qu’il compte venir chez nous, et y rester. Des amis très actifs veulent que la France fasse de lui le premier réfugié politique écologiste de la planète. Ce qui aurait de la gueule. Mais pour Hollande, c’est le cauchemar : ou il accepte la présence de Watson, et il se fâche tout rouge avec les Japonais. Où il le balance aux harponneurs. Bonne année quand même, monsieur le président.

(1) www.seashepherd.fr/
(2) Racontées dans le délicieux livre Capitaine Paul Watson (Entretien avec un pirate), par Lamya Essemlali, Glénat. À déguster à la petite cuiller.

Le New York Times et la question écologique (une leçon universelle)

Il est des nouvelles qui disent beaucoup de l’état du monde. Ainsi de la disparition brutale du service Environnement de l’un des plus grands journaux de la planète, le New York Times. Lancé en 1851, le NYT (ici) a reçu près de 100 prix Pulitzer (ici) au long de son histoire, et malgré quelques retentissantes boulettes, il reste une référence mondiale. Publiant 1 600 000 exemplaires pendant la semaine – dont plus de la moitié en ligne -, il atteint les deux millions le dimanche, qui voit les rues des grandes villes de l’Est envahies de lecteurs ployant sous les poids de leur journal. Ce jour-là, le NYT pèse presque un kilo. Essayez donc de trimballer un journal d’un poids pareil.

Est-ce un bon journal ? Qu’est-ce qu’un bon journal ? J’y ai lu, sans être aucunement un habitué, de remarquables articles. Vraiment. Mais dans le même temps, comment ne pas voir ce qui n’y figure pas ? Ainsi que la totalité de la presse occidentale, le NYT est incapable de rendre compte de l’événement le plus important de tous les temps humains, qui est la crise écologique. Visiblement, cela ne va pas s’arranger, car les sept journalistes et les deux éditeurs du service Environnement viennent d’être dispersés dans d’autres rubriques (ici) du quotidien. Plus de service Environnement au NYT !

Dans l’article du Guardian que je signale dans la phrase précédente, l’un des chefs du NYT tente d’expliquer pourquoi. Avant de lui donner la parole, deux mots sur ce type, Dean Baquet. C’est un Black. Un type visiblement sympa qui a grandi à La Nouvelle Orléans, où il a commencé sa carrière de journaliste. Si je dis sympa, c’est parce que tout indique que cet homme appartient à la gauche morale américaine, celle qui se préoccupe des minorités, des violences policières, de la corruption (ici). La manière dont il justifie dans The Guardian le démantèlement du service Environnement est à lire dans ce contexte-là. Un chef du Monde ou de L’Obs sortirait les mêmes conneries. Qui commencent par une ruse habituelle : « To both me and Jill [Abramson, son big boss], coverage of the environment is what separates the New York Times from other papers ». Pour lui et pour Jim Abramson, son patron, la couverture des questions d’environnement est ce qui différencie le NYT de ses concurrents . C’est sans doute pour cela qu’on s’en sépare !

Mais non. Baquet est un gars malin, a smart guy. Il arrête la rubrique au motif que c’est tellement, tellement important – et complexe – qu’il faut réintégrer les compétences des sept journalistes et des deux éditeurs dans la rédaction générale. Quel splendide jésuitisme ! On noie ceux qu’on vient de naufrager en toute conscience, mais on prétend ainsi qu’ils parviendront à traverser l’Atlantique à la nage. Oui, splendide manœuvre. Je peux vous dire, par expérience, qu’il s’agit d’une défaite, d’une retraite et même d’une déroute en rase campagne. Quand un journaliste intéressé par l’écologie se retrouve dans un service où sont suivis les affaires sérieuses du monde – on les connaît depuis que nous sommes nés -, il n’a pas une chance sur 100 de faire passer ses sujets à des places autres que subalternes. Ce n’est pas même une question de pouvoir, mais de culture.

La quasi-totalité des cadres de la presse ignorent et veulent continuer à tout ignorer de la crise écologique. Ils vivent – bien – dans un monde qui disparaît, mais ils s’en foutent, car ils sont aussi efficaces dans le déni que ces femmes enceintes qui parviennent à (se) cacher leur grossesse jusqu’à son terme. Ce qui arrive aujourd’hui au NYT peut aisément se produire demain au Monde ou ailleurs. Dans tous les cas, la disparition du service Environnement du NYT est une annonce en clair : pour savoir ce qui se passe sur Terre, il va falloir réinventer la presse. Tout le reste aussi, j’en suis bien d’accord. Mais la presse avec.

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The Guardian le 11 janvier 2013

New York Times dismantles environment desk

Nine-person team created in 2009 to be disbanded in move described as ‘worrying’, but journalists expected to retain jobs

New York Times

The New York Times will close its environment desk in the next few weeks and assign its seven reporters and two editors to other departments. The positions of environment editor and deputy environment editor are being eliminated. No decision has been made about the fate of the Green Blog, which is edited from the environment desk.

« It wasn’t a decision we made lightly, » said Dean Baquet, the paper’s managing editor for news operations. « To both me and Jill [Abramson, executive editor], coverage of the environment is what separates the New York Times from other papers. We devote a lot of resources to it, now more than ever. We have not lost any desire for environmental coverage. This is purely a structural matter. »

On Dec. 3 the Times announced that it was offering buyouts to 30 newsroom managers in an effort to reduce newsroom expenses. But Baquet said the decision to dismantle the environment desk wasn’t linked to budgetary concerns and that no one is expected to lose his or her job.

Instead, Baquet said the change was prompted by the shifting interdisciplinary landscape of news reporting. When the desk was created in early 2009, the environmental beat was largely seen as « singular and isolated, » he said. It was pre-fracking and pre-economic collapse. But today, environmental stories are « partly business, economic, national or local, among other subjects, » Baquet said. « They are more complex. We need to have people working on the different desks that can cover different parts of the story. »

The environmental reporters were told of the decision on Wednesday. Baquet said he will meet with each of them to discuss their next assignments and the future of their beats. No decision has been made about the fate of the Green Blog, the online site for the Times’ daily coverage of energy and environment news.

The paper did a similar restructuring of its education desk a few months ago. Baquet said editors are also considering whether religion reporting could benefit from this type of change.

News that the New York Times is closing its environmental desk comes just a week after The Daily Climate reported that worldwide coverage of climate change continued a three-year slide in 2012—and that among the five largest U.S. dailies, the Times published the most stories and had the biggest increase in coverage. Times managing editor Glenn Kramon told The Daily Climate that « climate change is one of the few subjects so important that we need to be oblivious to cycles and just cover it as hard as we can all the time. »

« I ask myself, ‘In 20 years, what will we be proudest that we addressed, and where will we scratch our head and say why didn’t we focus more on that?' » Kramon said.

On Thursday, Kramon responded to questions from InsideClimate News in an email. « Fortunately, we still have those reporters who cover climate change so well, and we expect to cover the subject just as aggressively going forward, » he said.

Beth Parke, executive director of the Society of Environmental Journalists, said that while solid environmental coverage doesn’t always require a dedicated team, the Times’ decision is « worrying. »

« Dedicated teams bring strength and consistency to the task of covering environment-related issues, » she said. « It’s always a huge loss to see them dismantled … It’s not necessarily a weakening to change organizational structure, but it does seem to be a bad sign. I will be watching closely what happens next. »

Dan Fagin, a longtime science journalist and director of the Science, Health and Environmental Reporting Program at New York University, said the Times’ decision was « disappointing. » He said the environmental desk « has done a terrific job and produced outstanding work » in large part because its editors and reporters could make covering the environment their sole responsibility.

« The New York Times has too much editorial integrity to abandon its environmental coverage completely, » said Fagin, who serves on the InsideClimate News advisory board. « But if you don’t have the editorial structure to support the kind of commitment needed to do both daily coverage and deeper investigative and explanatory work, it is hard to imagine that you could keep the same level of intensity. »

Baquet said it’s up to him to make sure the Times’ environmental coverage doesn’t falter. « My goal is to make sure we’re producing the same level of work, » he said. It « is too important of a topic to let it slip. »

Bill Keller, the Times’ former executive editor, created the environmental desk in 2009 and hired Sandy Keenan as its editor. Under Keenan, who still holds the job and is being reassigned, the desk has tackled complex and controversial subjects. In 2012, Justin Gillis won the John B. Oakes Award for Distinguished Environmental Journalism with a 10-part series, « Temperatures Rising, » showing the consequences of global warming. A few months before Hurricane Sandy devastated parts of New York City, a story by Mireya Navarro warned that the city was moving too slowly in its preparations for rising seas and increasingly severe storms. After the storm, Gillis and Felicity Barringer wrote a story questioning the wisdom of rebuilding coastal areas that are repeatedly destroyed by natural disasters.

Thierry Jaccaud est d’un autre avis (sur le mariage pour tous)

Un jour comme aujourd’hui, il vaudrait mieux ne pas aborder le sujet, mais justement. Un jour comme aujourd’hui, il le faut. Thierry Jaccaud, rédacteur-en-chef de l’excellente revue L’Écologiste (ici), m’envoie un texte publié sur son blog (ici). J’espère qu’il ne m’en voudra pas, mais je tiens cet homme pour un ami. Telle n’est évidemment pas la raison de la reprise que vous lirez ci-dessous. Pour dire la chose sans détour, j’approuve ce texte à propos du « mariage pour tous ».

Je ne l’aurais évidemment pas écrit de la sorte, mais je le juge de grande qualité. Inutile de m’appesantir. Deux petits mots quand même. Un, il est désolant que la question de la filiation, fondamentale, fasse l’objet des habituelles éructations idéologiques. Il est encore heureux qu’on puisse défendre l’égalité, et considérer l’homophobie comme un racisme d’une part, et d’autre part contester ce qui est d’évidence une opération politicienne d’un gouvernement en perdition. Cette manière d’opposer supposés progressistes et soi-disant réactionnaires est un truc. Une pure et simple arnaque.

Deux, l’écologie telle que je la comprends est une révolution de l’esprit. Elle contredit l’hyperindividualisme qui est au fondement de notre société industrielle. L’individu aurait tous les droits. Celui de changer de machine toutes les vingt secondes, celui de tuer un cerf s’il en a le goût, celui de prendre l’avion plus souvent qu’il n’embrasse son fils, celui d’enfanter à 98 ans, celui de se voir greffer un deuxième cerveau et une huitième main, etc. L’écologie telle que je la pense est la découverte des limites. Y compris celles du désir. Y compris celles de sa satisfaction. C’est d’autant plus chiant que j’entends pour ma part rester sur le terrain de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Mais lisez Jaccaud.

Thierry Jaccaud

Le blog du rédacteur en chef de L’Ecologiste

La vérité pour tous

Le candidat Hollande promettait une « France apaisée » et l’arrêt des propositions « clivantes ». Mais le projet de loi de « mariage pour tous » déposé par le gouvernement fin 2012 a provoqué un profond clivage avec une redéfinition complète du mariage et de la filiation. En effet, contrairement aux Pays-Bas par exemple, le projet du gouvernement prévoit rien de moins que d’affirmer avec la force de la loi un mensonge sur la filiation.

Que disait la proposition 31 du candidat Hollande ? Dans son programme de 40 pages, cette proposition occupait à peine plus d’une ligne en seulement treize mots : « J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels. » Il ne s’agissait donc pas de modifier la définition ni du  mariage ni de la filiation. Sans autre précision, on pouvait penser qu’il s’agissait comme aux Pays-Bas de créer un régime particulier du mariage comprenant notamment l’adoption simple par deux conjoints homosexuels, c’est-à-dire sans effacer la filiation biologique. Bref, cela aurait ajouté des droits à une petite minorité sans rien changer à ceux de l’immense majorité des couples. Cela aurait donné un cadre juridique à une situation de fait : des enfants élevés par deux conjoints homosexuels. Mais le projet de loi du gouvernement propose l’adoption plénière, c’est-à-dire la suppression légale de la filiation biologique réelle de l’enfant !

De plus, le projet de loi ne concerne pas seulement le mariage homo. Il prévoit un changement radical de la définition du mariage et de la filiation pour tous. En effet, au lieu de définir le cas particulier de l’union homosexuelle, le gouvernement a choisi de redéfinir le mariage en général, en supprimant dans le Code civil des centaines de références sexuées : au père et à la mère, à l’époux et à l’épouse… pour les remplacer par des termes neutres comme « parent ». Il resterait bien de façon isolée les mots « père » et « mère », dans le titre VII du Code civil concernant la filiation, où la filiation biologique deviendrait… un cas particulier ! Le cas général de la filiation serait alors une filiation choisie et non plus une filiation biologique. Si la loi devait ainsi supprimer les notions de père et de mère, ce serait selon les psychanalystes Monette Vacquin et Jean-Pierre Winter une violence destructrice des liens entre les hommes et entre les générations.

Dans le cas particulier des unions homosexuelles, un enfant pourrait alors avoir officiellement deux mères (et pas de père) ou deux pères (et pas de mère) : le discours légal contredirait alors la réalité de l’existence de deux parents biologiques de sexe différent. Le conjoint du parent biologique se verrait qualifié de « parent », ce qui serait également contraire à la réalité biologique. Ce serait un mensonge anthropologique officiel incroyable dont on imagine aisément les ravages sur les enfants. Encore une fois, cela ne figurait pas au programme de François Hollande. Le projet de loi du gouvernement affecterait en premier lieu les enfants de familles homoparentales, mais aussi tous les autres enfants puisque le gouvernement prévoit d’enseigner cette nouvelle définition du mariage dès la maternelle au nom de la lutte contre l’homophobie. Bref, toute la société serait touchée.

D’ores et déjà, le premier enfant né en France en 2013, à Moulins dans l’Allier, a été présenté sans aucun recul par la presse locale comme ayant « deux mamans ». Deux mensonges en deux mots : mensonge direct car seule l’une des femmes est sa mère, et mensonge indirect par omission du père qui a été délibérément effacé – il s’agit d’un donneur anonyme, ce qui est aujourd’hui illégal en France. Nul besoin d’avoir fait de longues études de psychologie pour comprendre que l’enfant demandera très tôt où est son père et qui est sa « vraie » mère.  Faut-il donc rappeler avec Lacordaire qu’entre le faible et le fort, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ? La loi qui organise la filiation biologique protège les enfants, elle doit être préservée !

Si le projet de loi devait être adopté, ce serait une négation sidérante de la nature, l’aboutissement consternant de notre société industrielle qui détruit la nature non seulement dans la réalité mais aussi dans les esprits. L’homme se prend pour un démiurge : nucléaire, OGM, nanotechnologies… sans jamais mettre la moindre limite à son action. « No limits », tel est le slogan des ultralibéraux qui définissent le nouveau politiquement correct. Dans la vaste entreprise de marchandisation du monde, toutes les règles sont ainsi progressivement éliminées. Que cette logique ultralibérale et ultraindividualiste se retrouve dans le projet de loi d’un gouvernement de gauche est affligeant.

Pourtant, il existe des solutions juridiques pour les couples homoparentaux, comme l’union civile avec un statut de beau-parent proposée par Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny. Ce nouveau statut aiderait non seulement les quelques milliers d’enfants vivant dans des familles homoparentales mais aussi le million d’enfants vivant dans des familles recomposées. La lutte contre l’homophobie est une évidence. Le respect de la vérité sur la filiation des enfants n’est-il pas également une évidence ?

Thierry Jaccaud

Montebourg dégueule sur la forêt tropicale de Guyane

Désolant, révoltant, criminel, assassin ? Bah, las palabras entonces no sirven, son palabras. À ce stade, en effet, les paroles ne servent à rien, car ce ne sont que des paroles, quand il faudrait des actes. Faisant ce que je peux, si peu, je vous signale que ce pauvre monsieur nommé Arnaud Montebourg fait à nouveau des siennes. Le ridicule ministre du redressement productif vient d’accorder un permis d’exploitation minière à la société française Rexma, spécialisée dans la recherche de l’or. Oui, mes pauvres lecteurs, il s’agit d’exploiter une mine d’or au pays de l’ancien Eldorado, en Guyane française, chez nous. Enfin, d’après ce qu’on dit, car pour ma part, j’ai toujours considéré que nous n’avions rien à faire là-bas. Nos militaires, qui ont transformé la Guyane en base secrète, de manière à permettre les exportations de satellites Ariane, sont d’un avis différent.

Donc, une mine d’or. On sait désormais ce que produit inévitablement l’activité minière, a fortiori aurifère. La destruction directe de la zone concernée, des montagnes de déchets toxiques, éventuellement d’épouvantables pollutions liées à l’usage du cyanure et de métaux lourds dans les bassins de décantation. Qui se souvient de la mort du fleuve Tisza, en Hongrie (ici) ? On ne parle pas là d’un quelconque royaume d’opérette, mais d’une mine située en Roumanie, laquelle appartient, croit-on savoir, à l’Union européenne. Mais évidemment, l’entreprise française Rexma ne pollue pas, elle.

Allez donc jeter un regard sur son site internet (ici), où le storytelling, façon modernisée de traduire le mot orwellien de novlangue, est proprement sublime. Je cite : « Nous avons intégré depuis les débuts de notre activité minière en 1998, les principes du développement durable dans notre démarche industrielle ». La virgule fautive n’est pas de moi, et je la garde donc. Une autre citation : « Nous sommes convaincus que la recherche de l’efficacité économique est compatible avec le respect des hommes et de l’environnement ». Une dernière, qui jette une autre lumière sur le tout : « REXMA intervient également comme prestataire de services pour l’exploitation des alluvions et des saprolites pour le compte de compagnies exploitant des gites primaires ». Mais que voilà de braves gens ! Ne me dites pas que l’exploitation des alluvions n’est pas un noble but.

Précision qui ajoute un peu, un petit peu à l’horreur. Le projet de mine aurifère se situe près du village de Saül, au centre de la forêt amazonienne dont l’histoire récente nous a confié la garde. Un mot sur la Guyane dite française : lagwiyan, ainsi que l’appellent les Guyanais en créole, est le plus grand de « nos » départements : 83 846 km2 au total. Ce n’est rien au regard de la taille du Brésil voisin, mais tout de même, 96 % de cette surface est couverte d’une forêt tropicale, l’une des mieux préservées au monde. Je n’insiste pas sur la biodiversité, qui est miraculeuse : 5 500 espèces végétales parmi lesquelles plus d’un millier d’arbres, 700 espèces d’oiseaux, 177 espèces de mammifères, plus de 500 espèces de poissons dont 45 % sont endémiques, c’est-à-dire présents là et nulle part ailleurs. Ajoutons qu’un parc national, dont le cœur borde d’ailleurs l’éventuelle mine, et si je ne m’abuse six réserves naturelles ont été créés à des fins de protection. Relisez donc calmement : si le cœur du parc national borde le projet d’exploitation, c’est que la mine se situerait sur son territoire, périphérique certes, mais son territoire néanmoins. On se fout donc ouvertement des principes perpétuellement vantés du haut des tribunes. Ce n’est pas étonnant ? Non, cela donne juste envie de tirer dans le tas.

Le parc national, des scientifiques de l’Inra, du Cnrs, des spécialistes de l’orpaillage – la recherche artisanale d’or dans les rivières -, l’association Guyane Nature Environnement, des associations métropolitaines, comme WWF, FNE, la Fondation Hulot, protestent à leur manière, poliment en vérité. J’ajoute au débat une pièce qui, à ma connaissance, n’est pas publique : vous la lirez en bas de mon article. Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), un machin rattaché au ministère de l’Écologie, rassemble notamment de bons scientifiques (ici). Consultatif, très rarement éruptif, le CNPN est censé donner son avis. Eh bien cette fois, bien loin du ton gentillet qui est son habitude, le CNPN gueule. À sa manière, mais d’une façon qui ne laisse planer aucun doute sur l’extraordinaire coup porté à la nature.

Encore deux petits points. Primo, Montebourg, ce crétin, est censé incarner l’aile gauche du parti socialiste au pouvoir, la plus proche du parti mélenchonien. On ne rit pas, on prend des notes. Deuxio, ce gouvernement se croit tout permis. Et s’il se croit tout permis, c’est parce qu’il sait où il met les pieds. Les écologistes officiels et de salon ont commencé par lécher les pieds – restons poli – de Sarkozy en 2007, au moment de la comédie du Grenelle de l’Environnement. Ils continuent, mezza voce, mais tout de même, avec Hollande, comme l’a montré la Conférence environnementale dérisoire de l’automne passé. Je vais vous dire : avec des gens comme Montebourg, il n’est qu’une chose : le prendre au col, et ne plus le lâcher. Mais c’est pour l’heure au dessus des forces débiles du mouvement écologiste. Je ne parle pas de l’ectoplasme des associations serviles. Je parle de nous.

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MOTION DU COMITE PERMANENT DU CONSEIL NATIONAL DE LA PROTECTION DE LA NATURE

Le Comité Permanent du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), réuni le 20 décembre 2012, a pris connaissance de l’arrêté ministériel du 26 octobre 2012, publié au Journal Officiel du 11 décembre 2012, accordant à la société REXMA un permis d’exploitation de mines d’or et substances connexes, dit «Permis Limonade », sur le territoire de la commune de Sau?l en Guyane.

Le Comité permanent du CNPN,

Constate que ce permis est donné en contradiction avec le Schéma Départemental d’Orientation Minière (SDOM), qui en particulier interdit toutes activités minières dans cette zone au regard de sa riche biodiversité ;

S’alarme du fait que l’exploitation minière est située en bordure de la zone coeur du Parc Amazonien de Guyane dans son Aire Optimale d’Adhésion, en amont de la naissance de la « Crique (rivière) Limonade » qui poursuit la majeure partie de son cours en zone coeur du Parc Amazonien de Guyane, entrainant potentiellement et accidentellement des pollutions liées à l’exploitation et des dégradations malheureusement bien connues de la biodiversité, tant aquatique que terrestre ;

Déplore que l’autorisation donnée n’intègre pas, surtout dans le cas présent, le principe de « Solidarité écologique », partie intégrante des « Principes fondamentaux applicables à l’ensemble des Parcs Nationaux » (cf. arrêté ministériel du 23 février 2007) de la loi sur les Parcs Nationaux de 2006 ;

S’étonne que l’autorisation donnée néglige, surtout aussi dans le cas présent, les principes de prévention et/ou de précaution inscrits dans la charte de l’environnement adossée à la constitution française ;

Relève que ce permis d’exploitation est en contradiction avec l’objectif premier fondamental de protection de la zone coeur du Parc Amazonien de Guyane ;

Attire l’attention du gouvernement sur le fait que le principe de cet arrêté est en contradiction avec la responsabilité particulière de la France vis-à-vis de la Guyane et de sa biodiversité mondialement reconnue, et de ses déclarations successives de s’investir, tant au plan national qu’international, pour la conservation et la restauration de la biodiversité ;

S’étonne du caractère non transparent d’une telle décision, alors que le projet de charte du Parc Amazonien de Guyane est en procédure cruciale d’adoption, avec ses conséquences sur la future Zone d’Adhésion, et que la concertation devrait présider à la réforme du Code Minier en cours ;

Compte tenu de ce qui précède, le Comité Permanent du CNPN :

Désapprouve donc très fortement la décision du Ministère du Redressement Productif,
…/…
…/…
Attend de l’Etat la mise en cohérence des politiques publiques et l’exemplarité en matière de conservation
de la biodiversité,

Demande instamment au Gouvernement de revenir sur la décision du Ministère du Redressement Productif,

Le Président du Comité Permanent

Jean-Claude LEFEUVRE

Cette motion a été adoptée à l’unanimité des membres présents du Comité permanent du CNPN, avec le soutien des autres membres suivants du Conseil National de la Protection de la Nature concernés par la Guyane : Philippe BALLON, Bernard DELAY, Francis DURANTON, Pierre-Michel FORGET, Jean-Francis GOSSELIN, Jean-Marie GOURREAU, Gérard LARGIER, Jean-Claude MALAUSA, Jean POIROT, Christian SCHWOEHRER, Christine SOURD, Claude SUZANON,

permis-rexma-2.pdf

Un parafoudre qui attire le feu (nucléaire)

Les amis, ce n’est pas de la flemme, quoique. En octobre 2008, ici même, j’ai écrit un article que vous lirez peut-être ci-dessous. Si je le remets en ligne, c’est que je viens d’entendre France-Info rendre enfin compte de cette grave question des surtenseurs radioactifs. Quatre ans et demi après Planète sans visa, on applaudit bien fort. Faut-il s’interroger une fois encore sur la marche du monde et le désastre de l’information officielle ? Pardi ! Bien sûr ! Évidemment ! Notez avec moi que c’est une raison supplémentaire de lire les articles de Planète sans visa. C’est de la pub ? Aucun doute.

Publié le 11 octobre 2008

On peut toujours rêver, je ne sais rien de plus agréable. Oui, on peut toujours rêver que l’information que je vous fais passer ce samedi 11 octobre fera l’ouverture d’un quelconque journal, fût-il du Maine-et-Loire, mais je dois confesser mes doutes. Il est bien possible que jamais personne – ou presque – ne soit au courant. Notez que je peux me tromper, greffier, et notez aussi que je serais ravi de me tromper. On peut maintenant y aller.

Soit un syndicat CGT d’Auvergne, conseillé par un homme d’exception, que je m’honore de connaître : Henri Pézerat. Je ne m’attarde pas sur son cas ce matin, car je souhaite parler de lui une autre fois, en longueur, en épaisseur. Henri est d’une race peu commune, croyez-moi sur parole en attendant mieux. Donc, ce syndicat, qui lance une alerte sanitaire démente. Démentielle. J’écris ces mots alors que passent en boucle à la radio des avis sur des bonbons et des gâteaux made in China, chargés de mélamine, un poison.

Je ne prétends pas qu’il ne faut pas avertir, cela va de soi. Mais alors, que faudrait-il dire d’un million de sources radioactives dispersées partout en France, qui ne seront jamais récupérées ? L’affaire est simple. Depuis la fin des années quarante du siècle passé, ce qu’on appelait alors l’administration des PTT (Postes, télégraphes, téléphones) a utilisé des surtenseurs et des parafoudres destinés aux lignes du téléphone. Avec un petit problème : ces boîtiers contenaient des éléments radioactifs, dont du radium 226, du tritium et du thorium 232.

En 1978, l’usage des radioéléments est prohibé – preuve, d’ailleurs, qu’on pouvait s’en passer -, mais rien n’est seulement tenté pour récupérer ne serait-ce qu’une partie du million de boîtes utilisées, qui mesurent de 1 à 5 cm en longueur. Et on ne prévient aucun salarié des risques qu’ils auraient pu prendre avec ces saloperies. Dans les conditions concrètes de travail, il est certain que ces sources potentiellement dangereuses sont restées des semaines dans des poches, ont pu être tenues entre les dents le temps d’une manoeuvre occupant les deux bras, et il va de soi qu’elles ont séjourné des mois et des années même dans des locaux plus ou moins publics.

En 1997 – vingt ans ont passé -, France Télécom, qui vient d’ouvrir son capital au privé, créé un groupe de travail. L’année suivante, un médecin, préoccupé par le nombre de cancers qu’il constate, alerte comme c’est son devoir sur les mesures prises à propos des surtenseurs et parafoudres. En 1999, patience, France Télécom demande le recensement, le démontage et le stockage. En 2001, rappel par une note interne.

L’année suivante – 2002 – France Télécom demande un inventaire à un bureau extérieur, Hémisphères. Le bilan est vite fait : presque rien n’a été sérieusement entrepris. Il y aurait entre 700 000 et un million d’appareils encore en place ou en balade. Rien de notable à signaler jusqu’à aujourd’hui, en dehors de cette toute récente prise de position de la CGT.

Belle histoire, dans son genre sinistre. Et qui montre je crois, une nouvelle fois, l’extrême folie du nucléaire. Dans cinquante ans, dans cent ans, combien de sources – probablement bien plus dangereuses encore – auront été dispersées à la surface de la terre ? Et combien grâce à nous, qui supportons encore qu’un Sarkozy se fasse le VRP planétaire des technologies nucléaires d’EDF et d’Areva ? Le radium 226 perd la moitié de sa radioactivité au bout de 1 600 ans. Ce qu’on appelle sa demi-vie. Qui est légèrement plus longue que la nôtre entière.

 PS : Je laisse une adresse électronique pour un éventuel contact, mais ne les dérangez que si vous avez quelque chose à leur apporter. Car vous vous doutez qu’un syndicat local n’a guère de temps à perdre (cgtptt.cantal@wanadoo.fr).