James Hansen, héros improbable pour temps impossibles

Je me répète : je ne suis pas là. Je suis ailleurs, quelque part, ailleurs. Mais ce qui suit était prévu avant mon départ, et je ne peux laisser passer de temps. Le rédacteur-en-chef de la revue suisse La Revue durable – Jacques Mirenowicz – me fait, vous fait la faveur de publier ici l’entretien que Susana Jourdan et lui-même ont mené avec James Hansen, et qui a paru dans le dernier numéro.

Un mot de la revue. Elle est si excellente – je précise que je suis fort loin d’être d’accord avec tout, à commencer par le titre, si discutable – que je ne peux que vous inviter, en confiance, à vous abonner. Si vous avez assez de sous, cela va de soi. Je laisse pour tous l’adresse sur le net de la revue (ici), ainsi que le PDF d’une lettre adressée aux grands-parents de la Terre, sur laquelle Jacques Mirenowicz a insisté (ici). À mon tour de me montrer décidé : l’abonnement à La Revue durable est un cadeau que vous vous faites à vous-même.

Et je passe à cet entretien avec James Hansen. Hansen est un être que je respecte sans détour, et que j’admire. Je n’admire pas souvent, mais alors sincèrement. Ce grand climatologue est né en 1941 et il dirige l’institut Goddard d’études spatiales de la NASA américaine depuis 1981. Le 9 novembre 1987, voici donc un quart de siècle, il lance au beau milieu d’un Sénat des États-Unis incrédule une bombe absolue : selon lui, les émissions de gaz à effet de serre émises par les activités humaines menacent toutes nos civilisations.

Les sénateurs s’en tapent, comme aussi bien l’on se doute. Il remet cela le 23 juin 1988 et, cette fois, ses propos font le tour du monde. Depuis, beaucoup de gaz ont coulé sous les ponts, et Hansen n’en finit plus d’alerter, conscient qu’aucun politique américain – ou d’ailleurs – ne prend le sujet au sérieux. En 2005, il annonce l’imminence d’un point de basculement au-delà duquel commence un autre monde, irréversiblement. L’administration Bush, au service des intérêts pétroliers, tente de le faire taire. Il continue. En 2009, ce papy si sage est brièvement emprisonné pour avoir protesté contre un projet de mine de charbon. Mais il ne peut plus arrêter. Pour cause. Sa cause est sacrée.

Je sais bien que l’emploi de ce mot ne peut que choquer les braves esprits cartésiens de notre vieille France. Je l’utilise à dessein. Bien entendu, rien n’indique avec une certitude à 100 % que James Hansen a raison. Peut-être se trompe-t-il en partie, cela ne me gêne pas de l’écrire, même si je sais la valeur de son jugement, appuyé sur des faits. Considérons le fond : des milliers de scientifiques ont forgé un consensus solide autour d’un constat sidérant : la stabilité du climat est menacée alors qu’elle a toujours été la garante, depuis des milliers d’années, de l’essor des civilisations humaines.

Face à cette perspective apocalyptique, il est au moins deux attitudes possibles. Le déni sous toutes ses formes, dont Claude Allègre illustre un excès pratiquement indépassable. Ou bien la mobilisation consciente pour réduire massivement, dès aujourd’hui, dès hier même, nos émissions. Car l’enjeu, voyez-vous, est sans commune mesure avec ce que l’humanité a eu à endurer dans son passé si tourmenté, guerres mondiales comprises. Si même, et je ne le crois pas une seconde, les sceptiques avaient raison, il serait bon, nécessaire, prodigieusement utile de reprendre en main les activités industrielles humaines, qui ont d’évidence échappé au contrôle.

C’est pourquoi je vous invite à lire, toutes affaires cessantes, l’entretien avec Hansen. Je vous précise que je mets le début de ce texte dans le corps même de cet article, mais que l’intégralité est cachée dans le document suivant, sur lequel il vous faut cliquer :james-hansen-larevuedurable-46.pdf.

Voici donc le début. Et souvenez-vous de la revue suisse.

Directeur de l’Institut Goddard d’études spatiales de la Nasa, le grand spécialiste du climat James Hansen le déplore : un gouffre sépare ce que les spécialistes du climat savent de ce que les décideurs et les populations des pays industrialisés comprennent de la situation. Inébranlable conscience morale, ce chercheur de très haut vol alerte depuis vingt-cinq ans ses congénères sur le péril que l’absence de prise en charge adéquate de la dérive climatique fait courir à l’humanité entière.
En vain pour l’heure, alors que chaque jour qui passe diminue les chances de l’espèce humaine de s’en sortir à bon compte. Lorsqu’en juin 2008, James Hansen s’adresse, en tant que « simple » citoyen, à une commission du Congrès des Etats-Unis, il espère in?uencer le successeur du sinistre George W. Bush. Son message : une hausse de température moyenne sur Terre de 2°C par rapport au niveau préindustriel est « la recette pour un désastre global ».
Or, ce but de contenir la hausse de la température à 2°C, qui est au cœur de l’Accord de Copenhague de décembre 2009… est en passe de devenir inatteignable. Tout n’est pas tout à fait perdu, insiste James Hansen, mais il faut prendre la mesure du danger et se déterminer à agir. Une voie de sortie – étroite – existe encore. Grand-père déterminé à ne pas laisser ses petits-enfants sans défense, il n’hésite pas à sortir de son statut de scienti?que « pur » pour expliquer et soutenir à nouveau ici, en son nom propre de citoyen concerné par l’avenir alors qu’il atteint le soir de sa vie, cette voie de sortie.

JAMES HANSEN/Il est encore temps de stopper la course à l’abîme

LaRevueDurable : Au vu de la politique internationale, l’objectif de limiter la hausse de température moyenne à +2°C apparaît désormais presque illusoire. Or, vous jugez qu’une telle élévation conduirait l’humanité au désastre.

Pourquoi ?

James Hansen : Les données sans doute les plus fondamentales qui illustrent que 2°C de hausse de la température par rapport à l’époque préindustrielle est un scénario pour un désastre, c’est l’histoire de la Terre qui les fournit. La dernière fois qu’elle était plus chaude de 2°C, au début du pliocène [il y a environ 5 millions d’années, ndlr], la planète avait une tout autre allure : le niveau de la mer était plus haut d’au moins 15 mètres. Un tel changement surviendrait bien sûr sur la durée avec une ligne de côte changeant sans cesse. Mais cela signi?e que toutes les villes côtières seraient sinon inhabitables, du moins soumises à d’énormes dommages économiques.
De nombreuses autres implications accompagneraient un réchauffement global de 2°C. Pour preuve, le signal des effets de la hausse de température actuelle commence déjà à se détacher du bruit de fond. Ce qui était un été caniculaire exceptionnel il y a cinquante ans, n’arrivant que 0,2 ou 0,3 % du temps, ou ne couvrant que 2 ou 3 % d’une région, a maintenant lieu environ 10 % du temps sur de vastes territoires.
En 2003, l’Europe de l’Ouest, surtout la France, a souffert d’une canicule correspondant à une anomalie de trois écarts types, voire plus, par rapport à la courbe moyenne normale des températures. L’été 2010, Moscou et une énorme région d’Europe de l’Est, d’Asie de l’Ouest et du Moyen-Orient ont vécu une anomalie de trois écarts types. L’été 2011, l’Oklahoma, le Texas et le nord du Mexique ont connu une anomalie de trois écarts types.

LRD : Et bien sûr, cette tendance va se poursuivre.

JH : Oui, parce que la planète est en situation de déséquilibre radiatif. C’est-à-dire que la surface de la Terre retient plus d’énergie (issue du soleil) qu’elle n’en renvoie dans l’espace. Les gaz à effet de serre provoquent ce déséquilibre parce que, dans l’atmosphère, ils agissent comme une couverture qui piège une partie des radiations de chaleur. Résultat : la planète se réchauffe. Chaque année n’est pas toujours plus chaude que l’année précédente, mais la moyenne des températures sur chaque décennie montre un réchauffement à l’œuvre, qui entraîne une hausse des épisodes caniculaires. Depuis trente ans, la distribution des anomalies glisse vers des températures plus hautes d’une quantité qui augmente à chaque décennie.
Cette tendance va se poursuivre : les anomalies de trois écarts types vont, au cours du siècle, couvrir des régions de plus en plus vastes. Et la hausse moyenne des températures aura des effets globaux majeurs : fonte des calottes de glace, poursuite de la migration des zones subtropicales chaudes et arides vers les pôles, extinction de très nombreuses espèces…

LRD : Ce qui est terri?ant, ce sont les points de bascule. Une hausse de 2°C signifiet-elle qu’on atteindra des points de rupture au-delà desquels il sera impossible de revenir en arrière, avec des conséquences tragiques sur les conditions de vie humaines ?

JH : C’est notre propos fondamental : +2°C conduira à coup sûr à dépasser le point de bascule de la stabilité des calottes de glace. Voilà pourquoi le niveau de la mer va monter. Le Groenland et l’Antarctique perdent d’ores et déjà de la masse au rythme de quelques centaines de kilomètres cubes de glace par an. A l’échelle globale, cela reste modeste : le niveau moyen des mers monte aujourd’hui de plus de 3 centimètres par décennie. Mais cela est très rapide au regard de l’évolution récente.

Les Verts, le WWF et le greenwashing (sur le cas Loiselet)

Je me tais quelques jours, confiant dans la capacité des Terriens à se passer de moi. Je vous laisse avec une petite nouvelle qui rassure sur l’état des associations écologistes officielles. Jeudi 27 et vendredi 28 septembre a eu lieu à Paris un colloque du WWF, intitulé « Quelle relance écologique de l’économie européenne » (ici). On dira ce qu’on voudra, ces gens connaissent la langue française et pratiquent avec délice la figure rhétorique connue sous le nom d’oxymore. Qui est l’affirmation, sous la forme de deux termes, d’une chose pratiquement impossible. L’exemple le plus souvent cité est celui de Corneille, dans Le Cid : « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». Le WWF entend donc prôner une relance économique qui serait aussi écologique. Avec Total, Monsanto, et leurs magnifiques doublures ? Possible.

On me dit – je n’ai pas vérifié personnellement – qu’était présent le sieur Éric Loiselet, responsable du Comité d’orientation politique (COP) chez Europe-Écologie Les Verts (EELV). Ce machin est censé définir les orientations générales du parti dit écologiste. Il joue ainsi un rôle éminent dans le positionnement du mouvement sur des questions comme la Conférence environnementale ou le traité européen. Or Le Canard Enchaîné nous apprend que ce Loiselet est aussi le grand dirigeant adulé de la région Champagne-Ardenne. Ayant regardé de plus près, je puis vous dire que Loiselet est conseiller régional (ici) et qu’il a, bien entendu, été candidat aux élections législatives.

Un détail : Loiselet est un gracieux cumulard, mais lui est à la fois payé par l’impôt public, et par le privé. Il est également directeur conseil associé d’une grosse boîte américaine de lobbying, Burston-Marteller (ici), dont je retiens, parmi les très nombreux clients industriels, ces quelques noms : Philip Morris, Monsanto, Total, ainsi que la junte militaire argentine. Oui, Burston-Marteller a défendu les intérêts des fascistes qui s’étaient emparé du pouvoir après 1976, torturant et assassinant chemin faisant des milliers d’opposants. Pas grave. Il est vrai que le WWF-Argentine a longtemps été dirigé par un homme de la junte, le fasciste Martinez de Hoz. Il est vrai que le WWF a créé une crapuleuse table-ronde sur le soja soutenable (ici) – encore un bel oxymoron – qui profite à Monsanto, membre de la supercherie, et à tous les salopards du Paraguay, de l’Argentine et du Brésil qui ont planté du soja transgénique sur des dizaines de millions d’hectares, en lieu et place de la forêt ou du cerrado, une sublime savane de là-bas.

Dans ces conditions, je n’ai pas même le goût de vérifier la présence au colloque du WWF de ce Loiselet. Il y avait sa place, toute sa place.

Je n’ai pas le temps, mais quand même (l’étude Séralini sur les OGM)

Ce long texte est la faute exclusive de Sancho, lecteur de Planète sans visa, qui m’a poussé dans mes retranchements. Il avait bien raison. Tu avais bien raison. C’est long, mais cet article contient des informations que vous ne trouverez pas ailleurs, notamment à propos de deux personnages, Gérard Pascal et Catherine Geslain-Lanéelle. C’est de l’aguichage ? Il n’y a pas d’autre mot.

Je pense que vous êtes au courant. Gilles-Éric Séralini est l’auteur principal d’une étude sur les OGM. Publiée dans la revue réputée Food and Chemical Toxicology, qui a accueilli des recherches de Monsanto sur le même sujet, elle annonce une sorte d’Apocalypse. Des rats ont été divisés en trois groupes. Le premier soumis à un régime à base de maïs OGM NK 603, le deuxième à ce même maïs OGM traité au Roundup, herbicide bien connu, et le troisième à un maïs non OGM, mais traité au Roundup (ici). Je n’entre pas dans le détail des résultats, qui sont, comme vous savez, accablants pour les OGM.

Je n’y entre pas, car je suis bien incapable, aujourd’hui comme demain, de juger l’étude Séralini. Je connais cet homme, je sais son honnêteté foncière, sa vaillance, sa valeur scientifique. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout. En 2005 – sept ans, comme le temps passe, hein ? -, j’ai mené avec lui un long entretien dans le magazine Terre Sauvage, auquel je collaborais alors. En voici un extrait : « (Séralini) Nous n’avons plus, pour ainsi dire, d’observatoire global, ni de l’homme ni de la nature, ce qui a de nombreuses et fâcheuses conséquences. N’oublions jamais que ce sont les physiciens à l’origine de la bombe A qui ont développé à la fois  la biologie moléculaire et l’informatique. Physiciens et mathématiciens ont en quelque sorte dit aux biologistes : vous devez saisir le code génétique des humains. Et en le comparant explicitement au code informatique ». « (Moi) À vous suivre donc, les OGM seraient le fruit d’une certaine vision, discutable, de la science. Mais au fait, à quand remontent vos premiers contacts avec les OGM ? ».

« (Séralini) Dès mes années d’étude, j’ai travaillé sur des OGM de laboratoire. J’ai pratiqué la manipulation, le clonage, le séquençage des gènes. Quant aux OGM qui allaient devenir commerciaux, ceux dont on parle tant, je les ai découverts en 1991, quand j’ai été nommé professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen. J’étais au courant des essais d’OGM en plein champ, et comme je devais faire un enseignement sur le sujet, j’ai lu les rapports de la Commission du génie biomoléculaire de l’époque – de 86 et 96 – et surtout le premier bilan qu’avaient écrit Axel Kahn et ses collègues. Les fabricants d’OGM assuraient qu’ils allaient permettre une réduction de l’usage des pesticides, dont je savais le rôle dans les dérèglements hormonaux et les cancers. J’étais donc non seulement favorable, mais enthousiaste devant ces nouvelles perspectives. J’ai pris les dossiers en mains et là, la stupéfaction m’a… ». « (Moi) …saisi ? ». « (Séralini) …Atterré ! Car je me suis rendu compte que la principale stratégie des industriels était de “fabriquer” des plantes capables d’absorber des pesticides sans en mourir. Alors qu’on prétendait réduire ces produits ! Et du reste, dix ans après le lancement des OGM commerciaux, les trois quarts des plantes transgéniques ne sont que cela. Seconde stratégie, tout aussi curieuse : la création de plantes OGM qui sécrètent leur propre insecticide. Lequel est, je le rappelle, aussi un pesticide ».

Revenons au présent. Je ne sais donc pas la valeur scientifique du travail de Séralini. On le saura fatalement, un jour ou l’autre. En attendant, le spectacle des réactions m’amène à m’interroger, car cette soudaine montée au créneau de tant de scientifiques pour disqualifier à ce stade le travail du professeur rappelle inévitablement des souvenirs. Qui s’inscrivent dans les stratégies désormais connues de l’industrie pour sauvegarder ses intérêts. L’exemple le plus abouti est celui des cigarettiers américains, car depuis la date de 1998, le Master Settlement Agreement – un accord à l’américaine clôturant un immense procès contre les industriels de la clope – a peu à peu rendu publics des millions de documents internes à Marlboro and co.  Le résultat est ahurissant, même si je ne suis pas tout à fait né de la dernière pluie. L’historien des sciences Robert Proctor en a tiré un livre de 750 pages, Golden Holocaust, que j’ai commandé aux Amériques, que j’ai reçu, que je n’ai pas encore lu. La quatrième de couverture fait peur.

Je vous ai signalé déjà, par ailleurs, un excellent article de l’excellent Stéphane Foucart, qui rapporte la parution du livre et ses a-côtés (ici). Sachez, si vous ne le savez, que des pontes de la science française ont servi les intérêts mortels de la clope. Des pontes. Et que le centre de la stratégie des cigarettiers consistait à gagner du temps en finançant des études parallèles, inutiles, confuses autant que contradictoires, avec pour seul but de créer du doute. Est-ce que le même scénario se reproduit autour de ce que la science officielle appelle déjà « l’affaire Séralini » ? Je rappelle qu’on l’accuse désormais de mensonge, de biais évidents, de choix plus que contestables de la souche de rats ayant servi à l’expérience, etc, etc. Ce qui est proprement incroyable, c’est que nul n’a pu, en un temps si bref, examiner l’étude pilonnée. Personne. Est-ce que cela a empêché des flopées de scientifiques bardés de diplômes de déblatérer à la télé ou à la radio ? Non. A-t-on vu, fût-ce de loin, pareille mobilisation lorsque des études payées par Monsanto ont prétendu que les OGM ne posaient aucun problème de santé publique ? Non.

Attention, ce qui suit est une interrogation, et elle n’est pas formelle. Je n’accuse personne. Je ne sais rien. Et même le pire criminel reste innocent tant qu’on n’a pas démontré sa culpabilité. Or donc, je n’accuse pas Gérard Pascal et Catherine Geslain-Lanéelle. Mais comme je connais – un peu – les deux, je me sens tenu de vous confier quelques éléments en ma possession. Gérard Pascal a longtemps été un homme-clé de notre système de surveillance alimentaire. Il a ainsi été le président, entre 1998 et 2002, du conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), aujourd’hui dissoute dans l’Anses. Je vous mets à la fin de l’article un CV du monsieur, qui date de 2007. C’est instructif. En tout cas, Gérard Pascal, arborant ses titres comme autant de médailles, s’est autorisé une sortie terrible contre Séralini : « Le protocole d’étude de M. Séralini présente des lacunes rédhibitoires (Le Monde du 20 septembre 2012) ». Ce n’est pas une critique, c’est du tir au gros.

L’étude ayant été validée par des pairs, et publiée par une revue de haute réputation, à comité de lecture précisément, il me paraît difficile de croire, au plan de la simple logique, qu’elle soit à ce point ridicule. Par ailleurs, et je me répète, nul ne pouvait dire le 20 septembre, quelques heures après publication, ce que pouvait valoir une étude ayant mobilisé de bons scientifiques pendant deux ans. So what ? Quand j’ai écrit Pesticides, révélations sur un scandale français (paru chez Fayard en 2007) avec mon ami François Veillerette – la bise à tous les trois -,  j’ai eu l’occasion d’égratigner Pascal. Page 226 de l’édition générale, nous constations, François et moi, que Gérard Pascal avait été le conseiller d’une agence de com’ et de lobbying, Entropy Conseil, laquelle a par exemple mené des campagnes de promotion en faveur de l’industrie des pesticides. Hum. Lorsque j’ai écrit Bidoche (paru aux éditions LLL en 2009), j’ai retrouvé sur mon chemin Gérard Pascal. Extrait du livre :

« La société créée par Serge Michels à son départ de Que Choisir, Entropy, reste à bien des égards une entreprise fascinante. Outre son fondateur, dont on apprend au passage qu’il a participé aux travaux du Conseil supérieur d’hygiène de France, du Conseil national de l’alimentation, de l’Inra, de la Commission européenne et du Codex Alimentarius, les scientifiques d’Entropy sont vraiment fameux. Il s’agit, dans l’ordre d’apparition à l’écran d’ordinateur, de Gérard Pascal, Philippe Verger, Claude Fischler, Serge Hercberg, Jeanne Brugère-Picoux, Adam Drewnovski. Regardons un peu mieux le cas Gérard Pascal, personnage clé de la sécurité alimentaire en France. On ne peut détailler un curriculum aussi prestigieux que le sien, mais même en élaguant, on demeure surpris par l’étendue et la durée des responsabilités qu’il a occupées. Il fut – et parfois reste – président du conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), membre de la Commission du génie biomoléculaire, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), au CNRS puis à l’Inra, expert pour l’évaluation des projets de recherche à la direction générale « Recherche » de l’Union européenne, président du comité scientifique directeur de l’Union européenne. Il a reçu en 1993, comme Mme Bellisle en 2007, le prix de la recherche de l’IFN. Et il est donc en relation commerciale avec Protéines, agence au service de l’industrie ».

Si vous êtes encore là – sait-on jamais -, vous me direz peut-être : et l’IFN, c’est quoi ? Comme je veille à mes intérêts – et plutôt à mon temps -, je me permets respectueusement de renvoyer à mon livre. Encore un bout : « Que peut-on ajouter sur les experts d’Entropy ? Trois fois rien. Ils sont (presque) tous membres de l’IFN, eux aussi. Serge Michels fait partie du grand institut indépendant, ainsi que Serge Hercberg, Claude Fischler, Gérard Pascal – membre du conseil d’administration –, et même Adam Drewnovski. Comme le monde est petit ! Ce n’est certes pas un crime, juste une considération géographique. Tous les points de l’univers semblent parfois se rejoindre. Même l’agence Protéines, ès qualités, fait partie de l’IFN. C’est ainsi. Appelons cela une bizarrerie de la nature ».

Quant à madame Catherine Geslain-Lanéelle, sachez qu’elle est la patronne de l’EFSA, acronyme anglais pour Autorité européenne de la sécurité des aliments. Elle a annoncé ces derniers jours que son agence analyserait l’étude Séralini. Oui, mais avec les mêmes experts que ceux qui avaient donné le feu vert au maïs OGM si gravement mis en cause par ce même Séralini, qui a aussitôt déclaré : « Pas question que ceux qui ont autorisé le NK 603 réalisent la contre-expertise de nos données. Il y aurait un conflit d’intérêt avec leur autorité et leur carrière ».

Au passage, je signale que l’EFSA a été gravement mise en cause pour des conflits d’intérêt, jusques et y compris dans son panel de scientifiques qui suivent le dossier OGM. Cela donne le tournis, mais j’y ajoute volontiers ma touche personnelle. Dans Pesticides, cité plus haut, nous avions, François et moi, évoqué le cas Geslain-Lanéelle, réputée de gauche, mais oui, faudrait pas croire. Un premier extrait, qui concerne la gestion de l’épouvantable dossier Gaucho, du nom d’un pesticide dévastant ruchers et abeilles : « Le juge Ripoll, qui a ouvert une instruction à Paris à la suite d’une plainte d’un syndicat d’apiculteurs, perquisitionne avec éclat au siège de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), une administration majeure qui dépend du ministère de l’Agriculture et dirigée alors par Catherine Geslain-Lanéelle. Il réclame communication du dossier d’autorisation de mise sur le marché du Gaucho. Inouï : Geslain-Lanéelle, pourtant haut fonctionnaire, en théorie au service de la République, refuse avec hauteur. Ripoll est si furieux qu’il l’oblige à rester dans une pièce sous contrôle. On frôle la garde à vue ! Finalement, la directrice peut appeler le ministre de l’Agriculture, Jean Glavany, et seulement lui. Sans céder pour autant. La justice n’obtiendra pas gain de cause. Le ministère est une forteresse qui n’est pas près d’être investie ».

Oh oh ! Deuxième extrait : « On pourrait presque achever là ce chapitre, mais on serait trop loin du compte. Il faudrait pour cela oublier le plus grave, le plus sombre du secret entourant le Gaucho et le Régent. Sous Guillou et Geslain-Lanéelle, la gestion du dossier a amplement démontré que l’administration française soutenait les intérêts industriels contre ceux de la santé publique. Mais l’arrivée de Thierry Klinger aggrave encore les choses : elle coïncide avec des méthodes faites de franche intimidation ». Un troisième, pour la route :

« Catherine Geslain-Lanéelle a failli rater une très belle promotion. Nommée à la tête de la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (DRAF) en Île-de-France après son passage à la DGAL, elle guignait sans trop le cacher un poste à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Jacques Chirac en personne, sans doute inspiré par des ennemis plus proches, a tenté de l’en empêcher. Mais le vieux chef n’a plus la main depuis des lustres, et en février 2006 Geslain-Lanéelle a été nommée directrice exécutive de l’EFSA, à Bruxelles. Comment vous priver de ses premières paroles ? Les voici : « J’entre en fonction à l’EFSA à un moment opportun. En effet, sur la base de l’énorme travail d’ores et déjà fourni, je m’engage à faire de l’EFSA une référence européenne en matière d’évaluation des risques concernant la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux au niveau tant européen qu’international. Les gestionnaires des risques en Europe doivent pouvoir se fier à des avis scientifiques indépendants et transparents pour élaborer des politiques et des mesures de sécurité alimentaire. » Seul un impudent personnage oserait poser la question suivante : Mme Geslain Lanéelle aurait-elle été nommée si elle avait choisi de coopérer avec la justice de son pays au moment de la perquisition du juge Ripoll ? ».

Voici ma contribution. Dans tous les cas, elle peut aider, ce me semble, à réfléchir.

—————————————————————————————————————

Curriculum Vitae de Gérard Pascal, arrêté en 2007

I – ETUDES ET FORMATION GENERALE

1. Etudes
1964    –    Ingénieur de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Lyon, spécialité « Biochimie », avec les félicitations du Jury
1964    –    Certificat de Zoologie Appliquée (C4) (Université de Lyon)
1968    –    DEA de Nutrition (Université de Paris VI)
2. Stages de longue durée
Septembre 64 – Août 65    :    CEA-CEN-Saclay – Service des Molécules marquées
Novembre 65 – Février 66    :    (Ingénieur stagiaire, puis Scientifique du contingent
Juin 66 – Avril 67    :    puis  Agent  Contractuel  Scientifique  INRA  mis  à disposition)
Mars – Mai 66    :    Centre de Recherches du Service de Santé des Armées :
Hôpital Percy, Division de Radiobiologie (Scientifique du
contingent)
Avril 67 – Juillet 76    :    Centre de Recherches sur la Nutrition du CNRS : ACS,    Assistant, puis Chargé de Recherches INRA mis à disposition (à plein         temps, puis à mi-temps)
II – ACTIVITÉS DE RECHERCHE
1. Carrière à l’INRA
Juin 1965    :    Agent Contractuel Scientifique
Décembre 1967    :    Assistant de Recherche
Juillet 1970    :    Chargé de Recherches
Janvier 1980    :    Maître de Recherches
Mai 1986    :    Directeur de Recherches, 1ère classe
Mai 1999    :    Directeur de Recherches, classe exceptionnelle
Janvier 2004    :    Directeur de Recherches honoraire
2. Responsabilités à l’INRA
Avril 1983    Directeur Adjoint du Laboratoire des Sciences de la Consommation
Juillet 1984    Chargé des fonctions de Chef du Département des Sciences de la
Consommation
Juil. 1984 / Sept 1989    Directeur du Laboratoire des Sciences de la Consommation (24
agents dont 15 scientifiques et ingénieurs)
Juil. 1985 / Oct. 1989    Chef du Département des Sciences de la Consommation (105
agents dont 65 scientifiques et ingénieurs)
Oct. 1989 / Déc. 1992    Chef du Département de Nutrition, Alimentation, Sécurité
Nov. 1996 / Déc. 1997    Alimentaire (280 agents dont 145 scientifiques et ingénieurs)
Janv. 1993 / Déc. 99    Directeur du CNERNA – CNRS
Déc. 1997/ Déc.03     Directeur Scientifique pour la Nutrition Humaine et la Sécurité des
Aliments à l’INRA
III – ACTIVITÉS D’ENSEIGNEMENT
–    Professeur Consultant de Nutrition en 2ème année à l’ENSIA (Massy) de 1982 à 2005
–    Interventions régulières dans divers DEA et DESS
–    DEA National de Toxicologie : co-responsable de l’option toxicologie alimentaire de 1991 à 1999
–    Participations à des jurys de thèse : de 5 à 10 participations par an jusqu’en 2000.
IV – ACTIVITÉS DANS LES COMMISSIONS SCIENTIFIQUES
– Au niveau national :
–    Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France :
.    Membre consultant, puis membre de 1978 à 2000
.    Président du groupe de travail « Additifs alimentaires » et expert toxicologue du groupe « Matériaux au contact » de 1983 à 1988,
.    Président de la Section de l’Alimentation de Novembre 1988 à Novembre 1992
–    Commission d’Étude des produits Destinés à une Alimentation Particulière (CEDAP) : membre de 1980 à 1992
–    Conseil National de l’Alimentation : représentant du PDG de l’INRA de 1986 à Juin 1989, puis membre de droit jusqu’en 1999
–    Commission du Génie Biomoléculaire : membre depuis 1986
–    Commission de Technologie Alimentaire : membre de droit depuis sa création en Juillet 1989 jusqu’en 2000
–    Commission Interministérielle et Interprofessionnelle de l’Alimentation Animale : membre de droit depuis 1993 jusqu’en 2000
–    Président du Conseil Scientifique de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) de 1999 à 2002. Membre du Conseil d’administration de 2002 à 2005.
– Au niveau international :
–    Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine de la CEE : membre de 1986 à 1997. Président de septembre 1992 à septembre 1997.
–    Multi-Disciplinary Scientific Committee of the E.U. (centré essentiellement sur le problème de l’ESB) de juillet 1996 à octobre 1997.
–    Comité Scientifique Directeur de l’Union Européenne : membre depuis Juillet 1997 et Président de novembre 1997 à avril 2003.
–   Membre du groupe de travail « Expérimentation animale pour l’évaluation de la sécurité des OGM du Panel OGM » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) depuis septembre 2004.
–    Consultation FAO/OMS sur les Biotechnologies et la Sécurité Alimentaire (Rome 1996) ; Expert invité.
–    Co-Président du Workshop de l’OCDE sur l’Evaluation Toxicologique et Nutritionnelle des Nouveaux Aliments- OGM (Aussois 1997).
–    Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, participation comme expert aux discussions sur la Nutrition Humaine et la Sécurité Alimentaire (1993, 1994, 1997 et 1998).
–    Expert en Sécurité Alimentaire de l’OMS depuis 1993.
–    Membre du Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives (JECFA) depuis 1995.
V – DISTINCTIONS
–    Médaille de bronze du Service de l’Hygiène et des Maladies Contagieuses de l’Académie Nationale de Médecine (1978)
–    Chevalier du Mérite Agricole (1987)
–    Lauréat de l’Académie Nationale de Médecine : Prix du Centre de Recherches Cliniques et Biologiques sur la Nutrition de l’Homme (1990)
–    Lauréat de l’Académie des Sciences : Prix du Docteur et de Madame Henri LABBE (1990)
–    Lauréat de l’Institut Français pour la Nutrition : Prix de Recherche de Nutrition (1993)
–    Médaille d’Or du Comité de l’Agro-Industrie de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (1995)
–    Membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France (1996)
–    Officier du Mérite Agricole (1997)
–    Médaille CHEVREUL de l’Association Française pour l’Etude des Corps Gras (1999)
–    Chevalier dans l’ordre National du Mérite (2000)
–    Prix de Nutrition de l’Institut Benjamin Delessert (2002)
–    Élu membre de l’Académie des Technologies (2002)
–    Grand Prix des Industries Alimentaires de l’Académie des Sciences (2002)
–    Commandeur du Mérite Agricole (2004).
–    Prix de la Recherche en Nutrition de l’Association Ajinomoto (2006)
–    Médaille d’argent du Comité mixte FAO/OMS d’expert des additifs alimentaires (JECFA) (2006)

Le cycle du nucléaire pour les nuls (un hors-série d’anthologie)

Pour des raisons qui n’ont échappé à personne, le hors-série sur le nucléaire publié par Charlie-Hebdo, et dont les 40 articles sont de ma pomme, a été comme qui dirait écrasé. C’est la vie. Mais enfin, il existe, et pour vous mettre minable de ne pas encore l’avoir acheté, sachez que l’on y parle d’à peu près tout. Comment cela a commencé avec la mère Curie, les suppositoires au radium, les capotes au radium, les pulls pour bébé au radium, tout étant bien entendu vrai. Comment cela a continué avec Pierre Guillaumat, Mendès, De Gaulle, la bombe. Et ce qu’est la commission Peon. Et où se trouvent les décharges nucléaires oubliées. Les soi-disant mesures de sûreté dans nos ports nucléaires, comme Toulon ou Brest. Le mort de Malville. Le rôle d’EDF et d’Areva. La situation au Niger, d’où vient une partie de notre uranium. La place étonnante longtemps dévolue à un certain…Jacques Cheminade.

Ajoutons des portraits de Pierre Pellerin, Annie Thébaud-Mony, Stéphane Lhomme, Nicolas Lambert, Bruno Comby, Mycle Schneider. Un aperçu du déclin certain du nucléaire. Une déploration de l’état des énergies renouvelables, qui sont pourtant le seul avenir. Un foutage de gueule du PS et du PC, le premier promettant un référendum depuis trente ans, le second ayant exigé une centrale nucléaire à Plogoff, en Bretagne. Et bien d’autres choses encore.Voici l’article d’introduction. Le nucléaire en trois feuillets. Essayez de trouver plus court.

Vous prenez de l’uranium — au Niger par exemple —, vous convertissez, enrichissez et enfournez le tout dans le vaste four nucléaire. Gardez-le au chaud trois ans, sortez-le : c’est de la merde.

C’est pas si compliqué. Premier mouvement : extraire de l’uranium, si possible dans un pays lointain. Ce sera le combustible, que l’on commence par convertir, de manière à le rendre plus digestible. En France, l’opération se passe en deux temps. Un, dans l’usine Comurhex de Malvési, près de Narbonne (Aude). Deux, dans l’usine Comurhex de Pierrelatte (Drôme). Les deux appartiennent bien sûr à Areva.

Nous voici, fiérots, en possession d’hexafluorure d’uranium. Comme il ne contient pas assez, le pauvret, d’uranium 235, il faut lui en ajouter, car la réaction de fission nucléaire a besoin d’un uranium titrant autour de 5 % de cet isotope. On y est ? L’enrichissement se déroule dans un site ultraprotégé, l’usine Georges-Besse II de Tricastin, dans la Drôme. Areva encore. Reste à obtenir un véritable combustible. Et pour cela, il y a deux voies, deux produits. Pour le tout-venant des centrales nucléaires, voyez du côté de FBFC, filiale d’Areva. Dans l’usine de Romans (Drôme), des petites mains gantées fabriquent de la poudre de dioxyde d’uranium, ou UO2. Notamment. Ce qui crame dans nos 58 réacteurs, pour l’essentiel, vient de là.

Il existe un deuxième combustible, bien moins courant, qu’on appelle MOX, pour « Mélange d’OXydes ». On l’obtient en allant récupérer le plutonium à la sortie des réacteurs nucléaires en service, avant passage à La Hague pour le séparer des combustibles irradiés. Tout seul, ce plutonium ne servirait pas à grand-chose. Mais en le mélangeant – comptez 8 % de plutonium – à de l’uranium appauvri, on obtient un nouveau combustible. Oublions le MOX, et concentrons-nous sur le combustible principal, UO2. Le grand jour est arrivé, et l’on déballe devant des ouvriers et techniciens ébahis les conteneurs de dioxyde d’uranium. Zou ! on enfourne le tout dans les réacteurs nucléaires, qui vont transformer l’affaire en chauffage électrique et en veilles pour les appareils ménagers. Dans les grands chaudrons magiques, U02 va donner tout ce qu’il sait.

Mais tout a une fin, même le nucléaire. Au bout de trois ans de bons et loyaux efforts, le combustible bat de l’aile. Les produits internes de fission, dont certains ralentissent la bonne marche du réacteur, ont tendance à augmenter, et dans le même temps, les éléments fissiles, qui jouent sans jeu de mots un rôle moteur, déclinent. Il faut vider la poubelle. Comme les nucléocrates n’entendent pas arrêter la production, l’opération se passe en trois fois : un quart à un tiers par année.

Que fait-on des ordures que l’on a extraites ? On leur fait passer plusieurs années sur place, dans une piscine gentiment nommée de désactivation, avant que de gros camions n’emportent tout, de préférence la nuit, vers l’usine de retraitement de La Hague (Manche). Là-bas, et pour commencer, nouvelle baignade en piscine, de trois à cinq ans. Ensuite, de gentils robots trient ce qui peut éventuellement resservir et ce qui devra être considéré comme déchet, avant que d’être stocké. Tel est le cadeau final de nos amis : selon des chiffres officiels, à la fin de 2007, la France comptait 1 152 533 m3 de déchets radioactifs. Elle devrait en compter le double d’ici à 2030. Y en aura donc pour tout le monde.

charlie-nucleaire.pdf

Une si belle forêt dans le 9-3 (que faire de la Corniche des Forts ?)

Je ne sais pas encore ce qu’il faut imaginer, mais je peux déjà vous faire partager mon sentiment à propos de la Corniche des Forts, dont le joyau est une forêt de 40 hectares, d’un tenant. Nous sommes en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Le 9-3. L’un des lieux les plus pourris de notre si vertueuse République. Le 9-3, il y a ceux qui en parlent et ceux qui connaissent. Je connais, par force. J’ai grandi ici, dans une cité HLM, et j’ai ensuite habité Gagny, Montfermeil – 5 rue Picasso, dans la si fameuse cité des Bosquets -, Clichy-sous-Bois, Bondy, Noisy-le-Sec, Drancy, Tremblay-en-France, Livry-Gargan, les Pavillons-sous-Bois. Entre autres, car j’en oublie, soyez sûrs que je dis vrai.

Je connais le 9-3 et j’éprouve à chaque fois que je songe à ce département sacrifié la même rage contre les forces de la gauche historique. Je veux dire le parti communiste, qui y comptait, au temps de ma jeunesse, 9 députés sur 9 et 27 maires sur 40; et le parti socialiste, qui a pris la suite. La question qui suit n’est jamais posée : qui a la responsabilité du désastre urbain qu’est ce département ? Qui paiera jamais le prix politique d’une telle défaite de l’esprit humain ? La gauche vertueuse se planque, voilà tout, car c’est elle bien sûr qui a accepté, accompagné, souhaité parfois ces innommables cités dont elle croyait stupidement qu’elles seraient à jamais des réservoirs de voix. Misère, quelle sombre connerie !

La droite, n’en parlons pas. Si, un mot : je me suis battu physiquement contre ses sbires, notamment ceux de la bande de Robert Calmejane, député-maire de Villemomble dans les années 70, situé à l’extrême-droite de l’UMP de l’époque, qui s’appelait UDR. Cet homme aussi médiocre qu’insupportable avait créé dans les années 50, pour le compte du patronat de l’automobile, un syndicat maison appelé Confédération française du travail (CFT). Lancé en fanfare en 1959 à Poissy, dans les usines Simca, aujourd’hui disparues, cette merde avait gagné ma banlieue, et par exemple l’usine Citroën d’Aulnay-sous-bois. Celle dont on parle tant. Celle dont on dit à la radio : PSA-Aulnay.

Je connais fort bien cette usine, car j’y ai distribué des tracts sous la menace distincte – parfois conjointe – des fascistes de la CFT et des staliniens de la CGT. Cela laisse des traces ? Pardi ! j’ai pris des coups, sans le regretter aucunement. La liberté est un combat, je le rappelle au moment où tant de gens ont des vapeurs, et se montrent prêts à céder aux assauts d’un nouveau totalitarisme. Et voilà, une fois de plus, que je m’égare. Désolé, mais je n’y puis rien. Je voulais dire que je sais par toutes les fibres de mon être la détestation de la société officielle, blanche, riche, bien élevée, pour la racaille de la banlieue. Je n’ai pas besoin d’explication. Je saisis instantanément. Par exemple, quand je vois que la socialiste Élisabeth Guigou est députée de Pantin, je sens comme le mépris pour les marges de notre monde perdure, bien au-delà des proclamations.

Donc, et pardonnez que j’y insiste, je sais ce qu’est en 2012 un département abandonné. C’est ici qu’apparaît un miracle. Entre Romainville, Les Lilas, Pantin, Noisy-le-Sec existe un lieu nommé La Corniche des Forts. Je ne connais pas bien – je vais y remédier – l’histoire de ce territoire, mais l’essentiel consiste en d’anciennes carrières de gypse abandonnées. Le gypse permet d’obtenir du plâtre, et le plâtre, c’est la ville, n’est-ce pas ? En 1886, Vincent Van Gogh rejoint à Paris son frère Theo, qui habite Montmartre, et il peint sur place la butte, bien sûr, et du même coup les carrières de gypse de sa face nord. Regardez plutôt le tableau qu’il nous a laissé.

van gogh gypse montmartreAu passage, notez avec moi que ce Montmartre de 1886 – mes deux grands-pères étaient déjà de ce monde – ne ressemblent guère à la farce touristique d’aujourd’hui. Et poursuivons. 40 hectares, donc, entourés de cités et d’extrême promiscuité. Je m’y suis rendu. Ô, illégalement, comme vous pouvez l’imaginer. Un tel pays se doit d’être encabané, et il l’est. De solides remparts empêchent le peuple des alentours d’y pénétrer. Avec, au reste, d’excellentes raisons, car les anciennes carrières dissimulent un peu partout des chausse-trapes, des ravins, des entonnoirs par lesquels on peut en effet chuter, et se fracasser. N’exagérons rien. Quoi qu’il en soit, grâce à David – et qu’il en soit remercié -, j’ai pu entrer en soulevant l’une des herses barrant l’entrée, et je me suis baladé le nez à l’air, tandis qu’un des derniers soleils d’été jouait son émolliente musique.

Je ne laisserai jamais ma place dans ces circonstances-là. Car je me trouvais dans un écart nouveau, peuplé d’arbres quelquefois grandioses, et de lianes, et de fleurs, et de papillons, et de quantité d’insectes tourbillonnants. Le plus confondant, c’est que lorsque l’on a quitté les abords assaillis d’immeubles, dès que l’on a plongé dans l’immensité des plantes, on n’entend plus le cri pourtant perpétuel de la ville. Les érables sycomores défient les robiniers; les frênes et les ormes jouent les adolescents fougueux, et l’on s’émerveille de voir en vol, criaillant comme à son habitude, une buse variable. Ici ! Le plus frappant, pour qui demeure dans une ville où le relief a été comme gommé – franchement, Ménilmontant vous évoque-t-il une colline ? -, c’est que les creux et bosses, de même que les plateaux, sont réhabilités. On sait au bout de 500 mètres que l’on a renoué avec le monde magique de l’épaisseur. De la hauteur. Des dimensions. L’artifice s’efface à chaque pas.

J’ai pris un très vif plaisir à visiter cet endroit si singulier. Et j’éprouve une très grande peine à vous raconter la suite. La suite s’appelle : Base de loisirs. Il serait simple d’écrire que des élus imbéciles ont décidé de sacrifier un bout de nature de plus, mais les choses sont, comme souvent, plus compliquées. Il y a environ 20 ans, le Conseil régional d’Île-de-France décidait de transformer la Corniche en une base de loisirs. Eau, pelouses rases, consommation d’un ersatz de nature, et bagnoles partout. Des élus Verts de cette époque, en qui j’ai toute confiance en 2012, ont joué leur rôle dans cette proposition. Je pourrais verser dans l’anachronisme, mais je passe mon tour. Pierre Mathon et Hélène Zanier, que je tiens pour des amis (ici), étaient alors conseillers régionaux d’Île-de-France, et ont joué leur rôle dans cette histoire. Avec le recul, on peut s’interroger, mais c’est dans le même temps trop facile, car en 1992, dites-moi donc, qui se souciait de la biodiversité ? Le mot lui-même, inventé quelques années auparavant, restait on ne peut plus confidentiel.

Le monde a depuis changé de base. Et Hélène comme Pierre partagent le désir de faire de la Corniche des Forts une situation unique. Le théâtre d’une offrande sincère faite aux prolétaires et à leurs descendants. Rien n’indique que les dominés de notre monde aient moins besoin que ceux qui tiennent le manche de respirer un air authentique, de voir des arbres poussés dans l’anarchie soignée d’une nature réelle, d’entendre le chant du coucou. Oui, mais nous voilà coincés par des plans, désormais ridicules, esquissés en un autre temps. Et depuis, il faut bien dire que la médiocrité des esprits n’aura fait que s’étendre. Chaque commune riveraine de la merveille que j’ai décrite veut son espace, pour s’étendre, pour étendre un peu le bilan municipal dans la perspective de l’élection municipale de 2014. Et comme à peu près aucun édile ne sait ce qu’est la nature, ce que représente son incommensurable valeur, le projet de base de loisirs reste seul en piste.

C’est d’autant plus navrant qu’un tel objectif vaut ce que valaient les piscines municipales dans les années 60 et 70. Rien d’autre qu’un signe de distinction. Pas davantage qu’un argument publicitaire au bas d’un bilan. La banlieue anciennement ouvrière de Paris ne vaut-elle pas mieux ? Ne peut-on en 2012 imaginer meilleur sort pour cette forêt sublime qu’un arasement généralisé, suivi d’une atroce banalisation de l’espace ? Si la réponse est non, je vous le dis, cessons de parler. Et pour ce qui me concerne, cessons d’écrire. Comme j’ai la faiblesse de croire autrement, je poursuis encore. La tragédie n’est pas bien loin. En décembre, doivent commencer des travaux de terrassement géants portant sur les 40 hectares. Des engins arracheraient le sol au nord, et conduiraient le long d’une chaussée spécialement construite pour l’occasion, sur le site même, le remblai ainsi constitué juqu’au sud.

Pourquoi ? Pour combler les galeries de carrières de gypse, où habitent pour l’heure les chauve-souris. De façon, dans l’esprit des promoteurs du désastre, à préparer le terrain à la future base de loisir. Futur(e) est à prendre au conditionnel, car le 9-3 est l’un des départements les plus endettés de France, pour cause notamment d’emprunts toxiques, et il n’est pas question de trouver les – environ – 80 millions d’euros que coûterait cet équipement d’un autre âge. Autrement dit, on s’apprête dans quelques semaines à claquer autour de 10 millions d’euros dans la perspective d’une réalisation qui ne verra peut-être jamais le jour. En ayant au passage écrasé une terre fabuleuse d’arbres et de plantes, d’animaux, de beauté extrême à un jet de pierre des cités HLM. On appelle cela, dans ma langue à moi, un crime.

Bon, j’ai décidé, sagement je crois, de ne pas prendre les élus du conseil régional – PS, PC, divers gauche, EELV – de front. Après tout, chacun a bien le droit de changer de point de vue. Je souhaite ardemment qu’un compromis soit trouvé, qui pourrait prendre la forme d’un moratoire sur les travaux prévus en décembre. Deux ans de réflexion, par exemple, ne pourraient que nous aider tous à réfléchir à l’avenir souhaitable de la Corniche des Forts. Commencer les travaux signifierait au contraire clore un dossier passionnant. Les différer – au moins – serait reconnaître qu’il y a matière à discussion. Nous en sommes là, et je vous tiendrai au courant. La guerre n’est pas déclarée, et la paix est non seulement possible, mais hautement préférable. En attendant, si vous en avez le temps, lisez les quelques liens que je vous mets ci-dessous. En vous saluant tous.

http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art541_1.htm

http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art541_2.htm

Les travaux de terrassement prévus à partir de décembre 2012 :

corniche_travaux_1212.gif