Comment parler à ceux qui se foutent du Pantanal ?

Une amie m’envoie un diaporama sous fichier pps. J’espère vivement que vous pourrez l’ouvrir et le savourer comme je l’ai fait. Il faut et il suffit de cliquer sur ce qui suit : [ Le 13 mars 2013 : il apparaît que ce montage photo a été volé à son créateur, et je le retire de Planète sans visa. Ma bonne foi est totale, mais preuve est faite, une fois de plus, qu’Internet est le lieu de toutes les arnaques] . Bon, il s’agit de photos du Pantanal, la plus vaste zone humide de la planète. Elle couvre, mais les chiffres sont incertains, environ 200 000 km2, peut-être même jusqu’à la moitié de notre petite France. Où ça ? Entre Brésil, Paraguay et Bolivie. Imaginez – mais qui peut imaginer pareille beauté ? – une plaine basse parcourue par quantité de cours d’eau et d’innombrables méandres, recouverte par les eaux pendant quatre mois par an sur 80 % de son territoire.

Non, je n’ai pas l’envie ce jour de vous parler des menaces qui pèsent sur cette Toison d’or, infiniment plus belle encore que celle recherchée jadis par Acaste, Jason, Argos, Autolycos et tous les Argonautes. Je ne pense, au moment où je vous écris, qu’au jabiru, au nandou, au toucan. Je ne rêve que de loups à crinière, de jaguars, de tamanoirs, de caïmans, de jiboias-constritoras, de capucins, de chiens des buissons. La région compte – à peu près – 650 espèces d’oiseaux, 80 de mammifères, 400 de poissons, 50 de reptiles, et la plus stupéfiante collection de plantes aquatiques au monde.

J’en arrive à ma question du jour : comment parler à quelqu’un qui serait insensible à cette beauté-là ? C’est pour moi une question essentielle. Et nul n’est besoin du Pantanal pour la formuler. Aussi bien, comment échanger avec quelqu’un qui ne s’émeut pas au spectacle d’un troglodyte s’arrachant à la haie du jardin ? Que partager réellement avec qui se fout des chardons et des pins sylvestres, et des démentiels cadeaux octroyés par les infatigables abeilles, et du chant de la rivière où je me baigne tant que je peux, et du vol des vautours fauves au-dessus de mon vallon chéri, et de l’ombre gagnant, au soir, Combalongue, que je vois depuis ma terrasse ?

Ce n’est pas rhétorique. La quasi-totalité des commentateurs de ce monde malade autant qu’abruti détestent ou méprisent la nature. Et leurs maîtres, qui tiennent les commandes du vaisseau – si mal -, de même. Ils ne voient pas. Ils n’entendent rien. Ils sont incapables de seulement admirer. Comment pourraient-ils protéger ? Non, les amis, ce n’est pas rhétorique. L’aversion de la société officielle, et du même coup dominante, pour ce qui est d’évidence le plus important, cette aversion me fout plus la trouille que tout le reste.

Un grand jeu-concours (à la rencontre de Claude Allègre)

Je dois dire que Claude Allègre me fascine. Plutôt, je précise que le système médiatique à la botte d’une telle médiocrité, d’un tel aplomb dans l’invention, d’une telle arrogance dans le non-sens me paraît atteindre en la circonstance une limite bien proche du néant. J’ai vu avant-hier soir –  le 18 septembre – une émission de télévision où notre noble génie éructait à propos de tout, surtout de rien. Il avait un plan pour la Grèce, il voyait clair dans le lourd dossier des gaz de schiste, il insultait au passage les écologistes avec des arguments de troisième catégorie. C’était, comme de juste, le café du Commerce, avec un Pascal Bruckner égal à lui-même, c’est-à-dire autour de zéro. Le club de mes supporters doit savoir, à force, que je n’ai pas de télé. Je rassure les inquiets : je n’en ai toujours pas ni ne souhaite en avoir. Ça salit, comme avait dit à peu près le fameux visiteur du Salon de l’Agriculture à Sarkozy. Vrai, ça dégueulasse le cerveau, et je n’en ai qu’un.

Allègre. Je rappelle, car je l’ai déjà écrit, que j’ai attaqué Allègre dès 1997 à propos du climat. Je tenais alors une chronique hebdomadaire dans l’hebdomadaire Politis, et sauf erreur que je suis prêt à rectifier, j’ai été le premier à le critiquer publiquement, visant ce que j’appelais alors, et appelle toujours le crétinisme scientifique. Et j’écrivais, mais j’ai fait bien pire depuis : « On pourrait et il serait fort agréable de se foutre purement et simplement de Caude Allègre. Mais l’homme est socialiste, scientifique, et les médias lui déroulent constamment sous les pieds un tapis rouge. On l’entendait l’autre matin, sur France Inter, ridiculiser ceux qui tentent d’alerter le monde sur la crise écologique. Et peu avant dans sa chronique hebdomadaire de l’Express, l’ancien ministre y allait plus fort encore, si c’est possible. En résumé, notait-il, “ la situation écologique du globe ne cesse de s’améliorer” ».

Il y a quinze ans, Allègre n’était pas le bouffon bouffi d’aujourd’hui. Et quand je dis bouffon, je pense à cette part de la société qui conserve le sens de la critique. Car pour tous les autres, Allègre, pourtant convaincu d’imposture et de bidouillage dans le décisif dossier du climat, est encore tenu pour un grand scientifique iconoclaste. Et courageux. Bon, ne jamais oublier qu’il fut, à partir de 1997, l’un des principaux ministres de Jospin, dont il était – était ? – l’un des amis les plus proches. C’est cette pathétique baudruche qui vient de se désister d’un procès qui eût pourtant été éclairant.

Rappelons les faits. Le 18 juin 2009, Politis – je n’y travaille plus depuis 2003 -, publie une tribune sur Allègre signée Geneviève Azam, (économiste, université Toulouse-II), Jean-Yves Barrère (économiste, fondateur du Cedetim), Denis Clerc (fondateur d’Alternatives économiques), Benjamin Dessus (économiste, président de Global Chance), Jean Labrousse (ancien directeur de la météo nationale), Gus Massiah (président du Crid), Michel Mousel (ancien délégué aux risques majeurs), Jacques Testart (biologiste). Elle est fort rude, et vous pouvez la lire en totalité ici. Allègre y est passé à tabac, et mis en cause dans l’affaire, centrale dans sa vie publique, du volcan guadeloupéen de La Soufrière.

Le 8 juillet 1976, une éruption y commence, et Allègre, qui est directeur de l’Institut de physique du globe (IPG) à Paris, va y jouer un rôle que je qualifierai pour rire de discuté (ici). La tribune de Politis affirme : « À l’appui des dires des uns et des autres, des relevés sismiques, des observations locales, des analyses chimiques de gaz, des analyses d’échantillons de retombées, des enregistrements. Pierre de touche de la polémique, la présence ou non de « verre frais » dans les cendres de l’éruption, marqueur d’un épisode magmatique extrêmement dangereux. Et là, on apprend, à l’audience d’un procès qui oppose Allègre à Tazieff en 1991, que “plusieurs témoins entendus ont affirmé que, dès le début septembre, Claude Allègre a su qu’il n’y avait pas de verre frais dans les prélèvements et que les éruptions constatées étaient de nature phréatique. Il aurait interdit aux témoins de le dire (témoignages de Rose-Marie Chevrier, François Le Guern et Danielle Dajlevic), parce que le maintien de l’état d’urgence était plus favorable à l’octroi de crédits pour l’université (témoignage Le Guern)” ».

Si c’est vrai, c’est déshonorant, surtout pour un scientifique. Allègre se serait assis sur la peur des populations évacuées, sur l’angoisse de milliers de personnes, pour ne pas perdre une ligne de crédit. Mais dans un premier temps au moins, Allègre se rebiffe, et dépose plainte contre les auteurs de la tribune et Denis Sieffert, le directeur de Politis. Les neuf voyous sont poursuivis et mis en examen pour « diffamation publique envers un fonctionnaire public ». Et puis la justice, aussi pressée que la tortue de la fable, instruit la grande querelle. Politis mobilise des milliers de signatures, les « diffamateurs » fourbissent leurs armes et leurs témoignages, et finalement, la 17 ème chambre correctionnelle du Palais de justice de Paris programme deux audiences. La première ce jeudi 20 septembre, la seconde demain vendredi.

À ce stade, je puis vous garantir que beaucoup exultent tout en rongeant leur frein. Essayez, et vous verrez comme l’exercice est inconfortable. Je dois confesser que, moi-même, j’espérais vivement la confrontation. Mais, badaboum, voilà que Claude Allègre déclare soudainement forfait et se désiste de son action judiciaire (ici). Il n’y aura pas procès, et j’y vois la confirmation de ce que je sais depuis de si longues années : Allègre est un matamore, qui ne peut remplir son office que parce que ses opposants sont faibles et aisément impressionnables. Dès qu’il rencontre une force qui n’entend pas se coucher, il fuit, il se cache. Et c’est bien pourquoi j’entends vous parler du colloque prévu le 22 novembre 2012 au collège des Bernardins, à Paris (5ème), de 15 heures à 19 heures.

De quoi s’agit-il ? Allègre a lancé il y a deux ans, avec quelques excellents scientistes – Jean-Marie Colombani, Jean-Paul Fitoussi, Thierry de Montbrial, Vincent Courtillot, Jean-Claude Carrière, Luc Ferry, Albert Fert, entre autres – une improbable Fondation Écologie d’Avenir (ici). Comme il faut bien financer, on a fait appel à une poignée de philanthropes : Limagrain – OGM -, EDF – nucléaire -, Cristal Union – les biocarburants -, Alstom – les turbines du barrage des Trois Gorges -, Schlumberger, les services pétroliers. Ces belles personnes, toutes unies dans la défense d’une « écologie d’avenir », entendent le 22 novembre tenir une réunion sur la défense et l’illustration du nucléaire. Avec des pontes du CEA, d’Areva – son patron Luc Oursel est annoncé -, et d’EDF.

Alors voilà. Moi, je crois que notre société manque de fantaisie et d’occasions de bien rire. Et j’ouvre donc ici un jeu-concours qui récompenserait les meilleures idées d’animation de ce moment d’apologie de la terreur nucléaire. Après tout, ces colloques sont, comme le dit aimablement la publicité, « ouverts à tous ». Et donc à nous ? Je ne suggère pas d’aller casser le nez d’Allègre, ce qui constituerait pour lui un triomphe. Je ne préconise donc nullement l’affrontement physique. Mais rigoler n’a jamais tué personne, si ? Je me souviens de la campagne électorale de la présidentielle de 1974, lorsque je n’avais pas 19 ans. Un candidat d’une droite rance, extraordinairement réactionnaire, Jean Royer, avait reçu la visite dans ses meetings de joyeux lurons soufflant dans des capotes et de jeunes femmes montrant avec simplicité leur poitrine dénudée. Attention ! Ce jeu-concours ne vaut que si nous sommes capables d’inventer, d’innover, de rire vraiment au dépens de notre brave camarade pro-gaz de schiste, pro-amiante, pro-nucléaire. Des idées ? Avez-vous des idées ? Je serais ravi de les publier ici.

Cracher dans la soupe des journalistes (les cas Alberganti et Nau)

Le texte qui suit est long, et la première partie est d’ordre un peu personnel. Qui voudrait commencer à lire le véritable sujet du jour – un papier paru sur le site en ligne Slate pourrait s’épargner les sept premiers paragraphes. Notez que je serais ravi que vous restiez avec moi du début à la fin.

Je crois pouvoir écrire, sans me vanter, que je n’ai pas l’esprit corporatiste. Parmi les innombrables journalistes que j’ai pu croiser dans ma vie, bien peu m’auront convenu, encore moins impressionné. La profession – c’est un signe des temps – est massivement corrompue sans seulement s’en douter. Je ne parle pas des enveloppes distribuées de la main à la main, emplies de bon argent frais. Non, cela, je ne l’ai pas vu. Mais j’ai été le témoin de bien d’autres choses, et vous me permettrez sans doute d’être plus concret.

J’ai travaillé pour l’hebdomadaire Femme Actuelle comme secrétaire de rédaction au moment de son lancement à l’automne 1984. Comme il y a prescription, je puis vous dire en deux mots que j’ai réussi alors un coup difficile. Car je n’étais nullement secrétaire de rédaction, poste hautement technique, et bien au-dessus de mon savoir de l’époque. J’avais 29 ans, et un bien grand besoin de croûter. Par la grâce d’une insider  – une femme de l’intérieur -, je me suis pointé un lundi matin en prétendant avoir travaillé pour d’excellents journaux de la place. Je vous jure que je n’en menais pas large. Ce fut l’un des labeurs les plus éprouvants de ma vie, le plus dur même, je crois bien.

À chaque minute, je craignais d’être démasqué comme l’imposteur authentique que j’étais. Et puis non. Après des jours et des jours épuisants de folle(s) et drolatique(s) ruses, j’ai été intronisé. Malgré quelques sérieuses alertes – je le répète, c’était technique -, j’ai réussi les deux semaines de remplacement qui étaient proposées au début. Le vendredi de mon départ programmé, et dans les cinq dernières minutes, la responsable du service, Nicole Ligney, m’a proposé de rester à plein temps, s’excusant de ne pas me proposer meilleur salaire. Elle ne savait pas que je n’avais jamais gagné autant d’argent de toute ma vie ! Je suis resté, et j’ai obtenu de la sorte ma première carte de presse, qui permet d’entrer gratuitement au musée.

C’est également à Femme Actuelle que j’ai compris qu’on pouvait parfaitement réaliser un journal populaire sans se vautrer dans la bassesse. Pour ceux qui n’ont pas connu les années 70, je rappelle le lamentable exemple du Parisien libéré de ce temps, qui faisait du lepénisme avant l’heure, perpétuellement à l’extrême bord du racisme le plus abject. Non, Femme Actuelle, qui devait finir par vendre 2 millions d’exemplaires par semaine, ne rabaissait pas le propos et même, en règle très générale, ouvrait des débats de bonne tenue. Je le jure, j’y étais. Ce qui ne m’empêche pas de me souvenir du reste. Une bonne part de la rédaction croulait sous les cadeaux publicitaires des firmes sur lesquelles elle prétendait ensuite donner son avis. Comme les envois étaient massifs, le standard de la rue Raffet était proprement débordé, au point que l’ordre avait été donné d’envoyer les présents commerciaux au domicile privé des rédactrices, car le journal ne comptait pratiquement que des rédactrices. Et le journal donnait ensuite, en toute indépendance, des conseils sur les fringues, les produits de beauté, les colifichets.

Je ne vais pas dresser la liste de tous les journaux pris dans ces rets. J’ai vu également comment les livres sont, en règle plus que générale, traités. Un peu partout, jusque dans la presse jugée sérieuse et référentielle. C’est horrible. Il n’y a pas un journaliste sur dix qui lise. Mais la plupart reçoivent gratuitement – en service de presse – des bouquins sur lesquels les invités marcheront en entrant dans le bureau du destinataire, ou qui seront vendus dans le quartier parisien de Saint-Michel sans qu’on ait seulement songé à ôter la page dédicacée. Variante : notre grand PPDA, qui recevait au temps de sa splendeur probablement vingt livres par jour, s’obstinait à adresser à l’envoyeur un mot manuscrit l’en remerciant. Le plus souvent à l’aide d’un parapheur, comme les ministres, car le Grand Homme n’avait évidemment pas le temps. Ni de lire, ni de remercier lui-même. Moi, je suis pour l’abolition de ce service de presse gratuit. Si un journaliste a envie de lire, qu’il le prouve, et ce n’est pas gagné.

J’ai également connu le règne abominable – pour moi – du renvoi d’ascenseur. Des voyages payés dans mon dos par l’institution dont j’étais censé parler au cours d’un reportage. Il m’est ainsi arrivé de consacrer un long article, publié dans l’un des plus grands magazines français, à un Parc naturel régional. Avant de réaliser sur place qu’il y avait anguille sous roche. Que tout était minutieusement préparé à mon insu. Que je devais parler de tel ou tel, ce que je n’ai d’ailleurs pas fait. Une autre fois, et pour ce même magazine, je me suis vu proposer, dans un magasin de luxe qui faisait partie de mon sujet, un blouson de qualité. Sans que le mot échange, vous vous doutez, ne soit jamais proposé. Non, en effet, je ne cite pas le nom de ce journal que tout le monde connaît. Pour une raison simple : l’un de ses chefs, pour qui je travaillai directement en ces deux occasions, pourrait bien avoir été l’un des purs et simples corrompus, au sens financier, de mon expérience personnelle. Et je n’ai aucune preuve.

Jamais on ne m’aura offert directement de l’argent. Une fois, pour me clouer le bec, on m’a proposé un travail on ne peut plus fictif, qui m’aurait rempli les poches pour une année.  C’était drôle, je vous raconterai cela une autre fois. De même que les quelques procès de presse que j’ai eu à affronter, et qui n’ont pas tous été des parties de plaisir. Bon, voilà que je réalise, un peu tard, que je prends mes aises au moment même où je souhaitais vous parler de deux valeureux journalistes, Michel Alberganti et Jean-Yves Nau. Ces deux-là viennent de publier sur le site de Slate (ici) un article titré : « Nucléaire, gaz de schiste, bisphénol: le gouvernement se prive de la science ». Notons ensemble, pour commencer, qu’ils eussent pu titrer : « se prive de science ». Mais non, la science est une, irrévocablement.

Avant d’entrer dans le cœur de mon commentaire, deux mots sur les auteurs. Alberganti et Nau ont longtemps été journalistes au Monde. Le premier de 1995 à 2009, le second de 1980 à 2009. Le premier comme responsable de la rubrique Sciences, le second comme titulaire de la rubrique Médecine. Ce n’est pas rien, n’est-ce pas ? À ce titre, ils ont pu notablement influencer une partie significative de la société française. Je me dois de préciser tout de suite que Nau a été au centre d’un petit scandale dans le vaste pandémonium de l’affaire du sang contaminé. Le principal acteur de cette abominable histoire, le docteur Garretta, a été condamné en 1992 à quatre ans de taule. Or Jean-Yves Nau avait été salarié pendant quelques mois de 1988 par une société dirigée par Garretta, pour préparer une exposition sur la transfusion sanguine. Le menu souci, c’est qu’au moment où l’affaire du sang empoisonné éclate en 1991, Nau est tout naturellement chargé de la suivre. Il ne prévient pas Le Monde qu’il connaît Garretta au point d’avoir été son employé au moment même – 1988 – où il était celui du Monde.

Je précise que Nau n’a été convaincu d’aucun trucage. Mais il n’est pas interdit de se poser des questions de morale élémentaire. Et je reprends le cours de mon commentaire en vous livrant un mot sur les itinéraires respectifs, au plan de la carrière, des deux signataires du billet de Slate. Alberganti n’a rien d’un scientifique, et son diplôme des Arts et Métiers l’aura conduit à certifier les navires transportant du gaz au bureau Veritas puis à travailler dans la presse technique – Industries et Technologie, L’Usine nouvelle – avant d’entrer au Monde. Croyez-le, cela ne m’inspire aucune réserve, mais cela me semble important de le noter. Quant à Nau, il a été docteur en médecine avant de devenir journaliste. Médecin, donc, comme l’aura été son ancien employeur Michel Garretta.

Le papier que ces deux journalistes signent dans Slate est un concentré, d’une rare densité, de pure et simple idéologie. Attendez, je vais m’expliquer. Alberganti et Nau épinglent le gouvernement à propos de trois décisions : la (soi-disant) interdiction de l’exploitation des gaz de schiste ; la fermeture en 2016 de la centrale nucléaire de Fessenheim ; l’interdiction du bisphénol A. Et nos deux amis – je suppose qu’ils le sont, amis – d’en appeler à la science, qui aurait été bafouée dans les trois cas cités. Restons-en, même si j’aimerais beaucoup sortir du cadre, à la science. L’article pointe, concernant les gaz de schiste, une évidence. Hollande a parlé dans un contexte difficile pour lui, et s’il n’était tenu par la présence de deux ministres EELV et l’existence d’une opinion critique, il aurait probablement déclaré autre chose.

Oui, mais c’est le cas de tout pouvoir. Et quand Slate prétend opposer la politique des gouvernements précédents – sur le sang, sur l’hormone de croissance, sur la vache folle -, qui auraient suivi la science, et le pouvoir actuel, il se moque du monde, car la politique a toujours été au commandement. Évidemment, doit-on ajouter. Mais la vraie malignité est ailleurs, dans cette opposition factice entre science et décision publique. En substance, disent les journalistes, l’interdiction – supposée – des gaz de schiste ne repose sur aucune considération scientifique. Et là, ils dérapent. Alors que les pétroliers peinent à fournir des études sérieuses en leur faveur, il ne manque plus de travaux scientifiques pointant des problèmes bien réels, touchant au paysage, à l’eau, au climat. Question centrale : pourquoi ne pas écrire cela ? Parce que Nau et Alberganti ne le savent pas ? Mais en ce cas, qui les informe sur le dossier ? Et n’est-il pas troublant de constater – comme je l’écrivais ici il y a quelques jours à propos de l’actuel journaliste du Monde Jean-Michel Bezat -, que l’industrie des gaz de schiste est lancée dans une lourde opération de communication ?

Le nucléaire ? Franchement, l’article devient détestable. La centrale de Fessenheim est en service depuis 1978. En 2016, si elle ferme à cette date, elle aura 38 ans d’activité dans les pattes. C’est énorme, car personne ne conteste que les centrales vieillissent. Et qu’elles doivent fermer. Refuser cette idée, c’est d’évidence affirmer que le nucléaire ne représente strictement aucun danger. Je constate que ni Nau ni Alberganti ne prennent la peine de seulement évoquer les innombrables avancées scientifiques sur la question du nucléaire, et par exemple sur l’effet des faibles doses de radiation. Ainsi, alors que la science officielle chère à Nau et Alberganti assure que les doses reçues autour de Tchernobyl aujourd’hui ne sauraient avoir des effets sérieux sur la santé humaine, des médecins de terrain et de grande valeur, comme le professeur Bandajevsky, ont prouvé tout le contraire. Nau et Alberganti ont bel et bien choisi leur camp : celui d’EDF et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il est piquant pour qui connaît l’histoire du nucléaire – c’est mon cas – de voir à quel point cette industrie de la terreur s’est développée sans la science, mais à 100 % par la politique, le lobbying, le secret le plus total. Alberganti et Nau sont de bien curieux aficionados.

Enfin, le bisphénol. On touche le fond. Ce poison, comme jadis le DDT, sera interdit en janvier 2014. C’est une bonne nouvelle parce que des études scientifiques prouvent les terribles perturbations endocriniennes dont est responsable le bisphénol. Le fond de l’argumentation de Slate est ici : « C’est donc en l’absence de données consensuelles nées de l’expérience que les interdictions le concernant ont commencé à être prises ». Le mot clé est consensuelles. Il faudrait, pour complaire à Nau et Alberganti, que tout le monde soit d’accord. Qu’il n’y ait aucune position si peu que ce soit contraire. Eh bien, n’est-ce pas exactement ce qu’ont plaidé jadis les industries criminelles de l’amiante et du tabac ? Mais si, mais si ! Les structures qui conseillent ces nobles entreprises en coulisse savent faire, remarquablement. Dans un livre paru en silence aux éditions Le Pommier (Les Marchands de doute), Naomi Oreskes et Erik M. Conway décrivent avec une clarté glaçante comment ils ont fait. Comment les grands Manitous du tabac, de la chimie, du pétrole ont pu manipuler les opinions en suscitant des études confuses autant qu’opportunes, venant semer le trouble et l’incertitude au moment où la décision politique s’imposait.

Ce livre, je vous en reparlerai, car il est exceptionnel de force. Mais vous avez sans doute entendu parler des formidables papiers du journaliste – du Monde, lui aussi, voyez qu’il n’y a pas complot – Stéphane Foucart sur les « conspirateurs du tabac » (ici). Des preuves venues des États-Unis établissent que des grands noms de la science – y compris en France – ont participé, dans des conditions qui restent à éclairer, à cette désinformation majeure. Où veux-je en venir ? Certainement pas à une accusation de corruption contre Nau et Alberganti. Je suis raisonnablement certain de leur honnêteté. Seulement, ils baignent dans la si douce idéologie du scientisme et du progrès. Et quand l’on est dans cette disposition d’esprit banale, comme Nau et Alberganti, on devient ipso facto une cible de choix pour les services spécialisés. Car l’on sait dès l’avance, comme Nau et Alberganti, que le nucléaire, le pétrole, la chimie sont la condition de cette si magnifique marche en avant de l’humanité. Et j’ajoute par-devers moi : marche vers l’abîme. Il faut et il suffit – c’est fait dans Slate – de trouver et disposer de jolies fleurs sur la couronne mortuaire.

Oui, je sais. J’ai accusé les deux amis de faire dans l’idéologie concentrée. Comme monsieur Jourdain faisant de la prose sans le deviner, chacun fait de l’idéologie. Même moi ? J’en ai bien peur. Mais un autre jour, je vous dirai pourquoi, à mon  sens, l’écologie en produit bien moins que d’autres. Restons donc en contact.

La CGT aime tant le nucléaire (et le gaz de schiste)

Je rappelle, à toutes fins utiles, que Bernard Thibault est non seulement le secrétaire général de la CGT, mais aussi membre – longtemps très influent – du parti communiste depuis 1987. À ce titre, il fait également partie du Front de Gauche de M.Mélenchon. Lequel ne manquera pas de nous faire savoir ce que tout cela signifie. Mon point de vue est simple : l’imaginaire social de la gauche française est en fait le même que celui de la droite. De la croissance, des objets inutiles, des bagnoles pour aller perdre sa vie au boulot, des cancers made in France (ici).

Je crois qu’il faut retenir comme un emblème de cette gauche absurde, totalement dépassée par les événements la phrase de Thibault que vous trouverez ci-dessous : « [La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim] ne sera acceptable que si elle est socialement gérable ». Je rappelle, à toutes fins utiles, que la grande centrale ouvrière de M.Thibault – la CGT, donc – a siégé ès qualités au Comité permanent amiante (CPA), lobby créé par l’industrie pour tenter de fourguer encore quelques années de plus son produit massivement cancérigène. Grâce à quoi l’amiante n’a été interdit en France qu’en 1997. Au moins 3 000 personnes meurent chaque année d’avoir été exposées à cette fibre. Des dizaines de milliers vivent avec des plaques pleurales, des asbestoses, des cancers broncho-pulmonaires, etc. Jamais personne n’a seulement osé mettre en accusation la CGT pour avoir donné la main à un patronat criminel. Pourquoi se gênerait-elle, dites-moi, avec le nucléaire ou le gaz de schiste ?

Il y a une distance définitive entre le mouvement écologiste tel que je le défends et des organisations syndicales simplement incapables de défendre la vie de leurs mandants. Et la nôtre. Ne parlons pas des non-humains.

Thibault : « Ne pas fermer la porte » au gaz de schiste

Créé le 16-09-2012 à 11h03 – Mis à jour à 11h03

Le secrétaire général de la CGT met en garde le gouvernement contre des choix liés à des « coalitions » entre les partis de la majorité.

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. (CHARLES PLATIAU / POOL / AFP)

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. (CHARLES PLATIAU / POOL / AFP)

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, estime qu’il ne faut « pas fermer la porte » aux recherches sur le gaz de schiste et met en garde le gouvernement contre des choix liés à des « coalitions » entre les partis de la majorité, en allusion aux écologistes, dans une interview au « Journal de Dimanche ».

« Nous ne devons pas fermer la porte aux recherches dans le domaine de l’énergie, y compris pour les gaz de schiste. Investissons au moins pour explorer. S’il s’avère, à partir de recherches incontestables, pour des raisons environnementales ou de sécurité, qu’il n’est pas souhaitable d’extraire ces gaz, cela ne me pose pas de problème », affirme le numéro un de la CGT.

« Une problématique politique »

Mais, selon lui, « renoncer à l’exploration est un peu inquiétant. Nous allons finir, alors que notre pays a de véritables atouts énergétiques, par être de plus en plus dépendants dans ce domaine ».

« Chacun a conscience qu’on est là dans une problématique politique qui met en jeu les relations entre partis formant la majorité présidentielle », estime Bernard Thibault, en allusion à EELV.

« Il ne faudrait donc pas que la solution apportée à certains problèmes soit seulement le résultat de coalitions plus politiques qu’efficaces pour l’avenir du pays », dit-il.

« Une annonce précipité »

« Tous les éléments d’appréciation doivent être mis sur la table et présentés aux Français avant de faire des choix uniquement idéologiques », prévient-il.

Bernard Thibault redit aussi son « regret » d’une « annonce précipitée » de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim fin 2016.

« Cette fermeture ne sera acceptable que si elle est socialement gérable ». Selon lui, « on parle un peu trop aisément de reconversion professionnelle » mais « des personnes exerçant des métiers depuis des décennies ne peuvent pas forcément se reconvertir dans une activité alternative ».

Le président François Hollande a annoncé vendredi la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) fin 2016 et le rejet de permis d’exploration de gaz de schiste.

Lendemain désabusé de conférence d’État

 Je suis tellement saoulé par ce lendemain de Conférence environnementale que je n’ai pas le goût de commenter. Les journaux, à commencer par celui qu’on présente comme le meilleur, Le Monde, les écologistes officiels, et bien entendu les socialos de service, tout le monde s’esbaudit. C’est merveilleux, c’est extraordinaire, c’est historique. Les rares mesures annoncées ne pourront être jugées que vers la fin du quinquennat Hollande, comme la rénovation thermique des logements. Le reste n’est que grossière manipulation. Les gaz de schiste ? J’ai déjà expliqué ce qui se cache derrière l’abandon des permis délivrés. Piégés par leur précipitation – la loi de juillet 2011 -, les socialistes ne pouvaient sans crise politique permettre l’exploitation par la fracturation hydraulique. Mais ils présentent cela comme une grande nouvelle. Sans aucun doute, Hollande a de bons « communicants ».

Le reste est encore plus scandaleux. Rien sur le nucléaire, sinon la fermeture déjà promise d’une centrale en 2016 ! Dire qu’un Yannick Jadot s’en contente ! Rien sur la santé publique, pourtant dévastée par la chimie de synthèse. Rien sur les pesticides, pour cause, étant donné le deal passé avec Beulin et la FNSEA. Rien sur les biocarburants, évidemment, qui affament un peu plus les vrais pauvres du monde. En somme, la même farce cruelle qu’avec le Grenelle de l’Environnement, en 2007. Tous ceux qui applaudissent gardent et garderont leur strapontin, ici ou là. Et comme je ne crois pas dans une justice immanente, je sais qu’ils passeront à travers les gouttes et continueront de se pavaner. Bon, je crois sincèrement que je m’en fous, compte tenu des enjeux dramatiques de la crise.

Si je devais décerner la médaille du ridicule, elle irait sans aucun doute à Cécile Duflot, dont vous lirez ci-dessous la réaction enamourée. Le pire, ce me semble, c’est qu’elle paraît sincère.

Cécile Duflot salue le discours «historique» de François à la conférence environnementale

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Réactions d’ONG, de syndicalistes et d’élus après le discours de François Hollande en ouverture de la conférence environnementale, vendredi à Paris.

Cécile Duflot salue le discours «historique» de François à la conférence environnementale

Cécile Duflot, la ministre du Logement, ancienne secrétaire nationale de EELV (Europe-Ecologie-les-Verts), a estimé sur son compte Twitter que le discours de François Hollande, lors de la conférence environnementale, « est historique et infiniment émouvant à entendre pour une écologiste »

 

Jean-François Julliard, directeur exécutif de Greenpeace-France : « Il y a une ambition, de bonnes directions, mais encore beaucoup de points d’interrogation. On a le sentiment d’avoir été écoutés. La date de 2016 pour fermer Fessenheim, pour nous c’est trop tard, mais au moins il y a une date. Sur le rejet des permis d’exploration des gaz de schiste, ce qu’on aimerait comprendre maintenant, c’est: est-ce que cela veut dire qu’il n’y aura aucun permis donné pour explorer des hydrocarbures non conventionnels (principalement gaz et huiles de schiste) pendant le quinquennat? ».

 

Bruno Genty, président de France Nature Environnement : « Le discours trace un cap et fait preuve d’une volonté politique pour réussir la transition écologique. Au-delà, se pose la question des moyens dont on va pouvoir bénéficier pour réussir cette transition. Un satisfecit donc sur la vision et sur un certain nombre d’engagements comme sur les gaz de schiste, mais des questions sur comment on va faire, avec quels moyens et quel agenda ».

Nicolas Hulot, Fondation Nicolas Hulot : « Il y eu des déclarations à la hauteur des enjeux notamment le fait que, comme le président Obama l’a fait, le président français a dit que la crise écologique ce n’est pas un mythe ou une opinion mais un fait scientifique; c’est bien de l’entendre, parce que je ne crois pas que chacun soit convaincu que cette crise est majeure. Sur les gaz de schiste, en l’état des conséquences environnementales et sanitaires de l’utilisation des gaz et pétroles de schiste, il aurait été impensable d’ouvrir la boîte de Pandore. »

Christophe Aubel (Humanité et biodiversité) : « J’ai un sentiment positif car en matière de biodiversité, un cap est donné. Notamment avec l’annonce de la création de l’Agence de la biodiversité, qui est une manière d’entrer dans l’action. Il reste des décisions très concrètes à prendre et j’espère que le discours du Premier ministre en sera l’occasion ».

Laurence Parisot (Medef)  : « Ce qui nous préoccupe, c’est que le président a mis de côté, ou en tous les cas s’est très peu exprimé, sur le modèle économique qui peut aller avec les objectifs qu’il a fixés’. Le président a semblé fermer complètement la porte, pas simplement à l’exploitation des gaz de schiste mais au débat sur le sujet. Cela me semble contraire à l’esprit de débat (…) et contraire à l’idée de progrès ».

Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT : « Lorsque le président prend l’engagement d’un million de logements aux nouvelles normes énergétiques, nous disons banco, mais nous n’avons pas les moyens humains, financiers, pour former et recruter des professionnels dans ce domaine; cela nécessite de prendre de fortes mesures immédiatement pour que cela puisse être le cas; sinon on risque d’avoir un constat d’échec le moment venu par rapport à un objectif politique annoncé. »

François Chérèque, secrétaire général de la CFDT : « On doit ouvrir le débat public (sur la transition énergétique). Dans ce contexte, la décision de fermer Fessenheim en 2016, c’est peut être une décision prématurée. C’est après le débat qu’on doit décider quelle centrale on doit fermer, si on doit en fermer une ».

Yannick Jadot, député européen EELV : « C’était un beau discours qui fixe clairement un cap de transition écologique. On attendait de mettre de côté sérieusement les gaz de schiste, de mettre la priorité sur les économies d’énergie et de relancer les énergies renouvelables. On ne ferme pas Fessenheim comme on ferme une boulangerie. Si Fessenheim est totalement fermée en 2016, ça ira… »