Et une con-fait-rance environnementale, une !

La bouffonnerie est reine. Rions donc comme à Carnaval. Pleurons de même, puisque, de toute façon, notre impuissance est totale. Pour ce qui me concerne, je regarde avec stupéfaction la pantomime qui se prépare. Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Je résume pour les sourds et mal-entendants : M.Hollande réunit vendredi 14 et samedi 15 septembre, au palais d’Iéna de Paris, une Conférence environnementale. Sur le modèle, mais en parodie, du Grenelle de l’Environnement voulu par Sarkozy en septembre 2007. Je vous glisse sous forme de PDF deux documents que l’on a le droit de juger hilarants. Un sur le déroulement (organisation des débats.pdf), l’autre qui donne la liste des participants (invités.pdf).

Mon premier commentaire sera évident : le simple fait que se tienne pareil conclave marque une défaite du mouvement écologiste. En effet, le cadre imposé par les socialistes est digne de l’émission télévisée des années 70 qui s’appelait Chefs-d’œuvre en péril. On y considérait la France des villages et l’affreuse atteinte du temps sur les nobles monuments légués par l’Histoire. Il s’agissait de dépenser quelques picaillons pour sauvegarder un clocher ou l’aile d’un château. Ma foi, cela ne mangeait pas de pain. Refaire le coup près de cinquante ans plus tard n’est pas seulement ridicule : il s’agit d’une insulte jetée au visage des centaines de millions – qui seront bientôt des milliards – de victimes de la crise écologique planétaire.

Hollande and co, qui se moquent tant de l’écologie qu’ils ne savent pas ce que c’est, prétendent donc, avec l’aval des écologistes officiels qui participent, incarner une vision nationale des écosystèmes. C’est baroque, inutile de s’appesantir, mais comme il faut entrer dans les détails, allons-y. La question de l’énergie ? Les pauvres âmes qui nous gouvernent ne pensent qu’à une chose : gagner un point de croissance pour éviter d’être jetés au prochain scrutin. Le dérèglement climatique ? Plus tard, un jour, peut-être. Je sais que Hollande a vu à plusieurs reprises Christophe de Margerie, patron de Total, par l’entremise de Jean-Pierre Jouyet, cousin de ce dernier et patron de la Caisse des dépôts et consignations (ici).

C’est on ne peut plus normal compte tenu de leurs rôles respectifs, mais que se sont-ils dit ? Selon ce que j’ai glané – je ne suis pas certain -, ils ont abordé la question des gaz et pétrole de schiste. Côté cour, Hollande et ses amis refusent toute exploitation en France, où la technique de fracturation hydraulique est interdite par une loi votée par la gauche et la droite l’an passé. Côté jardin, les mêmes misent sur un retournement de l’opinion, qui sur fond d’augmentation continue du prix du gaz domestique, pourrait accepter des forages en France. À la condition, par exemple, que les pétroliers bidouillent une technique présentée comme différente de la fracturation hydraulique. En façade, donc, intransigeance gouvernementale face aux gaz de schiste. Et en privé, encouragements donnés à Total pour malaxer l’opinion publique. L’affaire Bezat montre que nous sommes face à un plan concerté. En deux mots, Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde, y publie le 26 juillet un reportage réalisé aux États-Unis – 700 000 puits en activité, des régions entières transformées en Lune aride – sur les gaz de schiste. Surprise relative – Bezat est un grand admirateur de l’industrie -, ce reportage est très favorable au point de vue des pétroliers. Et puis plus rien.

Et puis on apprend que le voyage de Bezat a été payé par Total (ici). On, mais pas les lecteurs du si déontologique quotidien du soir, qui n’ont évidemment pas le droit de pénétrer dans l’arrière-boutique. En résumé : Total prépare le terrain, en accord avec Hollande, pour qui l’exploitation des gaz de schiste en France serait une bénédiction électorale. Et une violation grossière de la loi Énergie de juillet 2005, qui prévoit une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en France à l’horizon 2050. Mais que représente la loi au regard d’une possible réélection ?

Revenons à la Conférence qui commence demain. Si j’ai abordé en commençant le dossier des gaz de schiste, c’est parce qu’il est emblématique. Comme l’est le nucléaire, défendu sans état d’âme par ce gouvernement, ainsi que par le précédent. Reportez-vous plus haut au déroulement des festivités. La table-ronde numéro 1 s’appelle : « Préparer le débat national sur la transition énergétique ». On devrait mettre au centre de toute discussion la crise climatique et les extrêmes dangers d’une industrie sans contrôle, le nucléaire. Or non. On va comme à l’habitude blablater, de façon à « définir les enjeux du débat national », puis « définir les grandes règles du débat national ». En 2012, après tant de centaines de rapports, tant d’alertes et de mises en garde, d’engagements passés – le référendum sur le nucléaire promis par Mitterrand en janvier 1981 -, nous en sommes encore au point mort.

Et nous le resterons, je vous en fiche mon billet. Deux ministres en exercice participent à cette table-ronde truquée : Delphine Batho, ministre de l’écologie, et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les deux sont en faveur du nucléaire. Le second clairement en faveur de l’exploitation des gaz de schiste. Et de même madame Batho, qui, en hypocrite accomplie, fait semblant de croire que le dossier ne bouge pas. La fracturation hydraulique n’est-elle pas interdite par la loi ? À côté des deux ministres, une « facilitatrice » du nom de Laurence Tubiana. J’ai écrit sur elle en 2008, si cela vous intéresse : c’est ici.

Ceux qui acceptent de siéger dans ces conditions sont des dupes ou des manipulateurs. Peut-être les deux. Il n’y a pas de débat sur l’énergie, car les décisions ont déjà été prises. Ce que le pouvoir veut, c’est une caution. Il l’aura. Les écologistes officiels qui ont servi la soupe à Sarkozy il y a cinq ans peuvent bien aujourd’hui feindre qu’on ne les y reprendra plus. Si, on les y reprendra, aussi longtemps que les structures dégénérées qu’ils conduisent existeront. Voulez-vous qu’on parle des autres tables-rondes ? Bon, soit. L’intitulé de la deuxième est saisissant. La biodiversité s’effondre partout, mais, cocorico, on va s’atteler à la mise en œuvre de « la stratégie nationale pour la biodiversité » de manière à « favoriser la prise de conscience citoyenne ». C’est tellement con que ce n’est même plus drôle. On trouve ceci sur le site de notre ministère de l’Agriculture : « Grâce à l’Outre-mer, avec 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime mondial, après celui des USA. Dans l’Océan Indien, les zones sous juridiction française s’étalent sur une surface huit fois plus grande que celle de la métropole. Cet immense espace maritime, réparti dans tous les océans, dote la France d’une grande richesse en matière de biodiversité marine, ce qui constitue à la fois un atout et une responsabilité. »

Formidable, hein ? Alors que l’Europe, pour une fois inspirée, souhaite interdire progressivement le chalutage profond, notre France vertueuse s’y oppose. S’y oppose, à nouveau pour de sordides intérêts politiciens. Or le chalutage profond est une catastrophe écologique planétaire (ici). Autre menu exemple : le nickel est en train de tuer à jamais des espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie, venues en droite ligne du  Gondwana, supercontinent créé il y a 600 millions d’années et dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des ultimes morceaux, à la dérive depuis bien avant l’arrivée des hommes sur terre. Non, bien sûr que non, on ne parlera pas de biodiversité. Et pas même chez nous, dans notre vieille France où l’agriculture industrielle est reine. Le Foll, ministre de l’Agriculture, a dealé depuis des semaines avec la FNSEA, puissance dominante, au point de ne pas même inviter à la Conférence de demain la Confédération paysanne, pourtant proche de la gauche. Au point d’aller visiter le 3 septembre les industriels français des biocarburants, fiers défenseurs d’une filière criminelle (ici). Je dois bien reconnaître que ces gens me dégoûtent.

Le reste ? Quel reste ? Table-ronde 3 : « Prévenir les risques sanitaires environnementaux ». Ministre présente : Geneviève Fioraso, militante déchaînée du nucléaire, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse (ici). Les deux dernières tables-rondes, chiantes comme la mort dès leur énoncé, devraient causer fiscalité et gouvernance. Tout cela est à chialer. Mais comme je n’écoute que mon grand cœur, je n’entends pas vous quitter sans positiver un peu. Attention ! ce qui suit est à prendre au premier degré, malgré ce qui précède. Un certain nombre d’écologistes officiels, qui se rendront demain au palais d’Iéna, gardent ma sympathie. Notamment ceux du tout nouveau Rassemblement pour la planète (ici), comme André Cicolella, Nadine Lauverjat, Franck Laval ou François Veillerette. Ils vont tenter d’arracher quelques mesures dans le domaine de la santé, et même si je crois qu’ils se trompent sur le fond, ils ont mon estime et mon affection. Ceux-là du moins pensent à l’avenir.

Un coup de main serait le bienvenu (sur le nucléaire)

Vous êtes des milliers à venir sur Planète sans visa, et j’en suis bien entendu très heureux. Ce n’est pas cela qui changera ce qui doit l’être – tout -, mais il m’arrive de croire que ce rendez-vous a quelque utilité. Pas chaque matin, hélas, seulement les jours d’euphorie. Je vous tiens la jambe depuis une semaine avec ce hors-série sur le nucléaire publié par Charlie-Hebdo. Il sort aujourd’hui, pour ceux qui n’auraient pas suivi. Je dois vous avertir que le résultat me convient. Je dois ajouter que je suis l’auteur des textes.

Vous avez peut-être remarqué que je ne vous demande pas grand chose. Depuis cinq ans que je tiens table ouverte ici, j’ai publié environ 1200 articles, ce qui me fait passer auprès de certains pour un cinglé. C’est possible. Que je le sois. En tout cas, ce qui est certain, c’est que Planète sans visa est gratuit. Le seul qui paie, avec de l’argent parfois, avec du temps évidemment, c’est moi. Je ne me plains ni ne me plaindrai jamais. Ce que je fais, nul ne m’y contraint. Et j’en tire satisfaction. Vous ne me devez rien. Seulement, on a le droit de demander un service, et c’est ce que je vais faire sans détour.

Amis lecteurs, je vous demande de lire ce hors-série, et s’il vous plaît d’aventure, de le faire connaître par tous les moyens à votre disposition. Secouez vos réseaux, joignez vos amis, surprenez vos ennemis. Je crois sincèrement que les 40 articles de ce journal assez particulier peuvent aider, au moins un peu, à comprendre ce qui s’est joué, se joue et se jouera dans le sinistre domaine du nucléaire. Il ne s’agit que d’une lecture, je l’admets, mais celle-ci a un sens, ce qui n’est pas le cas de toutes. Surtout, n’hésitez pas à envoyer un mot pour raconter aux autres ce que vous avez fait ou comptez faire. Encore une fois, je ne vous demande pas de me faire confiance a priori. Quoique. En la circonstance, je ne serais pas choqué que vous le fassiez. Bon, assez finassé. Je vous demande un coup de main. Voyez.

Un édito en cadeau (sur le nucléaire)

Lecteurs de Planète sans visa, voici une exclusivité mondiale, que vous pourrez essayer de vendre sur le marché ce mardi 4 septembre. L’éditorial qui suit est celui du hors série de Charlie-Hebdo sur le nucléaire, qui sort demain mercredi. En somme, vous avez entre les mains, pour une fois, le journal du lendemain. Quelle chance vous avez ! Je n’ai pas encore fini mon entreprise publicitaire au profit de ce fabuleux – extraordinaire, unique, saisissant, prodigieux, jamais vu, jamais lu – hors série de 64 pages. Demain, je vous demande un vrai coup de main.

L’édito

L’avenir d’une escroquerie

C’est un peu con d’écrire comme Le Monde, mais le nucléaire est à un tournant. Même si les services de propagande d’EDF et d’Areva font tout pour le cacher, la folle aventure de l’atome se barre en sucette. En couille, pour être franc. La dernière blague — en cours — est belge. Le réacteur numéro 3 de la centrale de Doel, en Flandre, a été arrêté après des contrôles aux
ultrasons qui ont révélé l’existence de 10000 anomalies dans la cuve. Et, parmi elles, des milliers de fissures, dont les plus grandes atteignent 20 mm. On appelle cela une catastrophe industrielle.

Un qui s’en fout, c’est le fabricant de la cuve, le groupe néerlandais Rotterdamsche Droogdok Maatschappij, disparu sous ce nom en 1996 après avoir vendu vingt cuves du même type dans toute l’Europe et sur le continent américain. Mais la France n’est pas la Belgique, non ? Ben, on se demande : au moment où Charlie boucle ce hors-série, on apprend que les réacteurs nucléaires français ont, eux aussi, leurs fissures. Mais, comme le serine la chanson officielle, rien à voir avec celles des si minables cuves belges.

Le merdier est partout. L’Allemagne a renoncé au nucléaire et prend trente ans d’avance sur nous en misant sur le soleil et le vent. Fukushima a démontré qu’aucune technologie, aussi « avancée » qu’elle semble, ne met à l’abri de la catastrophe majeure. Chez nous, Areva a perdu plus de deux milliards d’euros en 2011 et doit à n’importe quel prix fourguer son nouveau réacteur expérimental, l’EPR, à des pays solvables, aussi stables que la Chine, au bord du gouffre. Mais les deux prototypes
d’EPR en construction, en Finlande et en Normandie, sont la risée générale, multipliant les (énormes) retards, explosant les coûts, accumulant les embrouilles et… les fissures.

En résumé, tout va bien. Mais les enjeux sont tels qu’il faut continuer à sourire sur les photos de groupe. C’est ce moment que choisit Charlie pour raconter à sa façon une histoire profondément française. Notre journal est né en même temps que le programme électronucléaire. Son premier numéro, après l’interdiction de Hara-Kiri Hebdo, date du 23 novembre 1970. Six mois plus tard, sous l’impulsion de Fournier, soutenu par Cabu, Cavanna, Reiser et tous les autres, Charlie lançait la première grande manif antinucléaire, à Bugey, dans l’Ain. Ceux qui ont connu cet été 1971 n’en sont pas revenus. Charlie non plus.

La contestation du nucléaire et de ses inimitables méthodes est dans nos gènes. Non, on n’aime pas les salopards qui ont créé, sans le moindre débat, cette industrie de la terreur. Oui, on veut la fin du cauchemar. Vous allez découvrir dans ce numéro de Charlie quantité de choses que les gazettes arrosées de pub atomique ne vous ont jamais dites. Des personnages sortis de la naphtaline, comme Guillaumat, Mendès, de Gaulle, Messmer, s’apprêtent à prendre la parole pour dire enfin ce qui s’est vraiment passé. La commission Peon, qui aura à peu près tout décidé en notre nom, fait un coming out on ne peut plus involontaire. EDF et le CEA, qui donna naissance à Areva, apparaissent enfin pour ce qu’ils sont : des machines de guerre.

Car voilà la vérité cachée de ce dossier infernal : une poignée de soi-disant responsables jouent notre avenir commun à la roulette russe. Contrairement à ce qui a été affirmé pendant quarante ans par les joyeux atomistes associés, le risque d’accident grave est réel. Et, du même coup, cinglé. Qui a envie de fuir un nuage radioactif ? Qui a envie de vivre dans une France privée à jamais du Cotentin ou de la vallée du Rhône ? Qui se souvient que la centrale de Nogent-sur-Seine n’est qu’à 80 kilomètres de Paris ?

Contrairement à ce que les bons esprits racontent dans les salons, il n’y a pas de compromis possible avec le nucléaire. Demander moins de nucléaire, c’est réclamer de moins mourir. Les socialistes au pouvoir ont massivement choisi : le gouvernement en place, bien loin des fausses frayeurs du candidat Sarkozy, est empli de militants du nucléaire, à commencer par la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, et celui des Affaires européennes, Bernard Cazeneuve. Au fait, qui a déclaré : « Je crois au contraire que le nucléaire […] justifie pleinement l’organisation d’un vaste débat dans notre pays ; enfin informés, les Français pourront se prononcer par référendum ? »  Qui ? François Mitterrand en 1981. Il n’est jamais trop tard pour tenir une promesse. Charlie, après bien d’autres, réclame un véritable référendum sur l’avenir du nucléaire. Il permettra d’enfin tourner la page. Chiche ?

Pour jeter le nucléaire, c’est maintenant

Je squatte deux ou trois jours Planète sans visa pour une tournée personnelle de propagande promotionnelle. Il s’agit de vendre un hors série de Charlie-Hebdo à paraître ce mercredi. Si je m’autorise cette basse opération, c’est que j’ai abominablement contribué à ses 64 pages, et même au-delà. Aujourd’hui, je vous laisse en compagnie d’un communiqué qui annonce le lancement. Mais demain, je vous en donne plus, car je suis un roublard.

Regardez donc la couverture, pour commencer : charlie-nucleaire.pdf

Notre classe politique (un désastre total)

Le gouvernement socialiste encense le nucléaire et prépare le grand retour de l’exploitation des gaz de schiste. La ministre de l’Écologie défend l’idée d’un aéroport près de Nantes, à Notre-Dame-des-Landes, pour complaire à son promoteur, Jean-Marc Ayrault. Je les vomis.

Oh, je sais bien qu’il faut faire attention. Vilipender la classe politique peut se révéler inquiétant aux yeux de certains. Il est de bon ton de réserver cela à Le Pen et à ses sbires. Mais moi, je considère la totalité, fascistes compris. Et je ne mets pas tout le monde dans le même sac avant d’aller le jeter à la rivière. Non, je vois les différences. Mais, mille fois hélas, quelle que soit la couleur des oriflammes, elles sont dérisoires. Elles le sont, car aucun membre de la corporation, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, ne met en avant la moindre mesure susceptible d’au moins nous faire gagner du temps. Faut-il le rappeler ? Nous sommes lancés dans une course contre la montre, contre l’effondrement des écosystèmes ayant permis l’émergence des sociétés humaines.

Il n’y a plus aucun doute que la dislocation a commencé. Il n’y a plus aucun doute que la stabilité du climat, réelle depuis environ 10 000 ans, sera bientôt un souvenir. Or 10 000 ans en arrière, c’est grossièrement la naissance de l’agriculture, suivie des premières cités, puis de ce que l’on appelle, probablement par antiphrase, la civilisation. Cette coïncidence ne doit rien au hasard : c’est parce que le climat était de moins en moins imprévisible que les hommes ont pu s’installer, et planter. Que se passera-t-il demain sur une planète surpeuplée ? Je veux bien admettre qu’il existe plusieurs réponses, même si je crois la mienne plus réaliste. Dans tous les cas, nous n’allons pas vers les beaux jours.

Une telle situation, sans aucun précédent dans l’Histoire humaine que nous connaissons, exigerait de la part de nos représentants de formidables qualités, qui certes ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. Or aucun n’en a été doté. Nos politiques sont globalement des crétins, qui ne pensent qu’à leur prochain mandat, qui ne lisent pas ou peu, dont l’esprit érodé s’est peu à peu habitué aux règles sordides de la télévision et d’internet, réseaux sociaux compris. Les plus jeunes de ces si vieux passent un temps fou, chaque jour, à tweeter. Je précise pour ceux qui ne savent pas que le réseau Twitter oblige à des messages ne dépassant pas 140 signes. On ne s’approche pas du néant, on y est.

Aucun, je dis bien aucun, politique français de 2012 n’a conscience de l’imminence d’un basculement. Les plus ridicules, dans ce concours involontaire, sont encore les écologistes officiels d’Europe-Écologie. D’un côté, ils évoquent le pic pétrolier, le danger nucléaire, l’extrême gravité de la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité. De l’autre, ils acceptent, le sourire aux lèvres, deux strapontins dans un gouvernement aussi productiviste, aussi insensible aux vraies questions que le précédent. Au rythme de leurs ondulations et reptations, peut-être auront-ils un troisième ministre le jour où les poules auront des dents. Peut-être. Point trop n’en faut.

Est-ce bien étonnant ? Non. L’Histoire du siècle passé, pour en rester au proche, montre combien il faut miser sur le neuf, le marginal, la rébellion de l’esprit. Voyez avec moi les cas admirables de Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Je doute que beaucoup d’entre vous connaissent ces grands héros français. Moi, je ne les ai pas oubliés. Commençons par Monatte. Pierre, né en 1881, était un correcteur d’imprimerie. Responsable de la CGT au temps où ce syndicat n’avait pas encore été empoisonné par le stalinisme, il était anarchiste, au moins jusqu’en 1907. En 1909, c’est lui qui crée l’alors magnifique Vie ouvrière, un journal comme nul n’en fait plus. Il n’aimait pas le drapeau, la musique militaire, l’autorité, la guerre. Quand éclate la tuerie de 1914, tous ses espoirs s’effondrent. Les proclamations pacifistes, les serments d’amitié éternelle entre prolétariats de France et d’Allemagne, les si beaux discours des congrès disparaissent en quelques jours. Restent les tranchées. Il est minuit dans le siècle. Les socialistes de cette époque – la SFIO – pactisent avec leurs adversaires d’hier et entrent dans des gouvernements d’union sacrée. Les peuples vont saigner pendant quatre années.

Alfred Rosmer, né en 1877, est d’abord employé, puis journaliste à La Vie Ouvrière de Monatte, dont il deviendra l’ami définitif. Il y signe des papiers sur le théâtre, qui sera l’une des passions de sa vie passionnée, et passionnante. Anarchiste comme Monatte, il se rapproche comme lui, juste avant la guerre de 1914, de ce que l’on nommait le syndicalisme révolutionnaire, courant splendide qui pensait pouvoir renverser le monde par la grève générale. En 1914, à l’orée de la grande boucherie continentale, Monatte a 33 ans, et Rosmer 37. Ce ne sont pas des perdreaux de l’année. Vont-ils, comme tant de Gustave Hervé ou Miguel Almereyda, abandonner leur honneur, et devenir des patriotards ? Non.

À rebours d’une société qui désormais les exècre, Monatte et Rosmer maintiennent intact leur refus de la guerre. Ils sont seuls, ils sont une misérable poignée. On leur crache à la gueule. On fait mine de ne pas les reconnaître quand on les croise. Ils s’en foutent. Internationalistes ils étaient, internationalistes ils demeurent. La guerre est une merde sanglante, disent-ils avec d’autres mots. Un gigantesque abattoir où la justice n’a aucun droit de cité. En décembre 1914, avant de rejoindre en janvier 1915 le 252 ème régiment et de faire la guerre, contraint, Pierre Monatte démissionne du comité confédéral de la CGT pour protester contre son soutien à la guerre. Dans une lettre ouverte, il l’accuse de s’être déshonorée.

De son côté, Rosmer écrit le 1er novembre 1915, dans une admirable lettre aux abonnés de La Vie ouvrière : « Si nous avions accepté de faire notre partie dans le chœur de ceux qui, subitement, trouvèrent à la guerre des vertus, ces obstacles eussent été facilement surmontés. Mais c’eût été “pour vivre perdre toute raison de vivre” – chose très ancienne comme la formule qui sert à l’exprimer, – et pas un instant nous n’avons voulu être dupes des interprétations que les gouvernants ont si généreusement fournies aux peuples pour apaiser leur conscience et les faire aller joyeusement à la mort ».

Les deux amis jouèrent un rôle essentiel, du moins côté français, dans deux conférences internationales microscopiques, tenues en 1915  en en 1916 en Suisse, dans l’Oberland. À Zimmervald d’abord, à Kienthal ensuite, une quarantaine de délégués venus de toute l’Europe sauvent à eux seuls l’idée européenne, et la fraternité humaine. Dérisoire ? Dans l’Europe en feu de l’époque, sans nul doute. Mais plus encore fondamental. Le manifeste de Kienthal est l’un des moments les plus authentiques de l’homme, l’une des preuves que la noblesse existe en lui. Lisez donc avec moi cet extrait, publié au moment où tombent les jeunes êtres par millions : « Ni vainqueurs ni vaincus, ou plutôt tous vaincus, c’est-à-dire tous saignés, tous épuisés : tel sera le bilan de cette folie guerrière. Les classes dirigeantes peuvent ainsi constater la vanité de leurs rêves de domination impérialiste. Ainsi est-il de nouveau démontré que seuls ont bien servi leur pays ceux des socialistes qui, malgré les persécutions et les calomnies, se sont opposés, dans ces circonstances, au délire nationaliste en réclamant la paix immédiate et sans annexions. Que vos voix nombreuses crient avec les nôtres : A bas la guerre ! Vive la paix ! ».

Ce mots d’il y a près d’un siècle me font trembler encore. Je précise que le vocable socialiste est évidemment utilisé dans un contexte qui n’a rien à voir avec le nôtre. Pour le reste, disons que j’éprouve une vive et fraternelle admiration pour vous, ô Rosmer, ô Monatte. Ajoutons qu’ils moururent dans les années 60 du siècle écoulé, et n’abdiquèrent jamais. Gloire.

Vingt ans après celle de 14-18, et malgré les promesses, la guerre était de retour. Cette fois, sous la forme hideuse d’un fascisme apocalyptique. La classe politique française s’est couchée tout entière devant Hitler. Non, dites-vous ? Le parti communiste ne l’a pas fait ? Exact. Le parti communiste s’est livré à Staline, et aurait couché avec les nazis si le maître de Moscou l’avait exigé. Savez-vous seulement comment Thorez et Duclos ont défendu le pacte criminel conclu entre Hitler et Staline en août 1939 ? Savez-vous que Duclos, cette vieille crapule, a négocié avec l’armée d’occupation allemande, à l’été de 1940, pour obtenir la reparution légale, sous contrôle nazi, de L’Humanité ? Plus tard, bien plus tard, sera forgé le mythe du Parti des 75 000 fusillés. Je m’égare un peu ? Oui.

La vérité approximative de cette époque de sang, c’est qu’un homme seul a pu représenter l’espoir de tout un peuple, le nôtre (ici). Et cet homme, c’est De Gaulle. Qu’il ait été dans sa jeunesse un soldat de métier maurrassien, probablement antisémite, ajoute au miracle, que j’ai déjà rapporté ici à plusieurs reprises. Quoi qu’il en soit, pendant le sinistre été 1940, tandis que l’Angleterre elle-même était menacée d’une invasion, il a su rassembler 200 ou 300 partisans, et partir au combat contre l’une des plus formidables armées de l’Histoire. Un héros, lui aussi ? Pardi ! Quel autre mot lui accoler ?

J’en reviens au présent. D’abord, et pour éviter un funeste malentendu, soyez sûrs que je n’entends pas ici parler de moi. Si je frôle de la sorte le ridicule, c’est qu’un authentique connard, sur une radio, a prétendu que je me comparais à De Gaulle. Il est vrai que ce connard est aussi un imbécile. Je ne suis rien d’autre qu’une personne, « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». Je n’ai aucune vocation à devenir ce que je ne suis pas.

Et je reprends mon propos. Rien ne sortira de la classe politique d’aujourd’hui. Des individus singuliers s’en échapperont, et rejoindront le camp des défenseurs de la vie. Je n’en doute pas. Mais dans son ensemble, cette classe est perdue, à tout jamais. Et l’avenir, s’il demeure ouvert, ne saurait être incarné que par des êtres en rupture totale de ban. Des individus louches au regard torve. Des allumeurs de réverbères. Des chercheurs d’eau dans le désert. Des rhéteurs sans public. Des bretteurs sans rapière. Des chemineaux. Des hoboes. Tous ces gens-là, qui sont mes frères, préparent dans le mépris ou dans les marges du monde ce qui devra nous sauver tous. Ne croyez plus aucun politique. Ayez foi dans ceux qui marchent en direction des étoiles.

 PS du  3 septembre : Certains articles de Planète sans visa sont excellemment reproduits et enrichis sur le site http://www.altermonde-sans-frontiere.com/. Je lui pique avec plaisir et reconnaissance cet extrait musical ajouté au texte ci-dessus, et qui me transporte. John Lee Hooker ! Voici :  http://www.youtube.com/watch?v=zYrVwGxlcFA&feature=player_embedded