Arnaud Montebourg, profession lilliputien

On n’a pas le droit d’insulter publiquement une personne. Je trouve cela tout à fait normal, mais j’ai mes contradictions. Et j’aimerais puissamment insulter le ministre lilliputien Arnaud Montebourg, en charge du Redressement productif. Vous le savez sans doute, il s’est avancé, tel l’effroyable nigaud qu’il est, jusqu’à déclarer que le nucléaire est une industrie d’avenir. Et que ceci, et que cela. Manuel Valls, l’homme qui se décrit comme le « premier flic de France », lui a aussitôt emboîté le pas. Valls n’est que le clone de Jules Moch, ministre de l’Intérieur – comme lui – de la Quatrième République, socialiste – autant que Valls – et fusilleur en chef de la misère humaine, mais chut ! Chut, car le changement, c’est maintenant.

Bon, le nucléaire. Sachez que paraît dans quelques jours – j’y reviendrai – un hors série de Charlie-Hebdo entièrement consacré à cette industrie de la mort. Il y a plein de dessins de Catherine, Cabu, Charb, Riss, Tignous et autres, mais il y a aussi des textes. Avec beaucoup d’informations et de révélations même sur le nucléaire made in France. Je le sais, car c’est moi qui m’y suis collé. J’y reviendrai – bis repetita -, mais je commence ici ce qu’il faut bien appeler de la promotion pour un 64 pages qui le mérite.

Et là-dessus, Montebourg. Il ne connaît rien du sujet. Rien. Mais comme il ne peut rien faire – ne le souhaiterait vraiment – contre les patrons, qui obéissent à des lois supérieures aux siennes, il se rabat, le sot, sur l’atome. Pourquoi ? Mais pour la raison évidente que le nucléaire est français, largement d’État encore, et qu’il peut donc, du moins le croit-il, en influencer le cours. Puis, Areva et EDF sont de très puissantes machines de pouvoir, ce que ne dédaignera jamais un politicien aussi quelconque que lui.

Ceci posé, n’oublions pas une seconde que Montebourg et Valls ne parlent pas pour rien. Ils sont les ventriloques des autres, de tous les autres du gouvernement, dont la ministre de l’Écologie Delphine Batho, Jean-Marc Ayrault, François Hollande. Ceux qui n’ont toujours pas compris – ne vous semble-t-il pas que les écologistes officiels sont bien embêtés ? – ne comprendront jamais.

Le loup comme plaque sensible (une triste leçon de choses)

Je connais bien deux des responsables de l’Aspas, Pierre Athanaze et Marc Giraud. Je les aime tous les deux. Le communiqué que leur association a publié ces derniers jours n’appelle qu’un commentaire. Une digue est en train de céder. Les ennemis du loup se sentent autorisés à parler plus fort, à hurler plus fort, à frapper plus fort. Je ne juge pas l’éleveur mis en cause ci-dessous. On verra bien la suite. Mais une chose est certaine : le climat général a changé. Il va falloir en tenir compte.

ASPAS Nature

ASPAS : Association pour la Protection des Animaux Sauvages

2 agents de l’État violemment agressés par un éleveur de moutons

Les anti-loups se mettent à mordre

L’impunité accordée à certains éleveurs de moutons a encouragé l’un d’eux à des voies de faits particulièrement violentes sur des agents de l’État venus, à sa demande, réaliser une expertise suite à une attaque sur son troupeau. Après un soutien inconditionnel de quelques élus, des dizaines d’autorisations de tirs de loups octroyées par les préfets, l’appel au braconnage des loups lancé par un député européen, on assiste maintenant à une recrudescence de violences de plus en plus fortes provenant d’une partie des acteurs de la filière ovine. Curieusement, l’affaire est restée sous silence.

Le 8 août, sur la commune de Villeneuve d’Entraunes (06), trois agents du Parc National du Mercantour qui réalisaient une expertise suite à une attaque de canidé sur un troupeau de moutons, ont été violements agressés par l’éleveur propriétaire du troupeau qui pourtant avait fait appel à eux. Un agent a reçu un coup de tête et des coups de manche de pioche, l’autre a reçu des soins nécessitant des points de suture à la mâchoire.

Si une enquête est bien en cours, l’ASPAS s’étonne du mutisme total qui entoure cette affaire pourtant très grave. Alors que chaque agression envers des policiers ou gendarmes fait l’objet d’une très forte médiatisation, il semblerait que le silence total soit de rigueur lorsqu’il s’agit d’agents de Parcs Nationaux, qui ont pourtant pour mission, entre autre, d’assurer la police de la nature. À moins qu’il ne s’agisse là de la démonstration d’une impunité totale donnée à certaines catégories socioprofessionnelles, au détriment de la protection des agents de l’État et de la préservation de la nature…

L’ASPAS en appelle au ministère de l’Écologie pour condamner très fermement de tels actes, réaffirmer son soutien aux personnels de ses établissement publics, remettre un peu d’ordre dans le dossier du loup qui depuis ces dernières années lui a complètement échappé : plus de 80 autorisations de tirs de loups ont été délivrées cette année par les préfets !

Il n’est plus admissible que le loup continue de servir de bouc émissaire à la crise que traverse la filière ovine. L’ASPAS demande non seulement une réelle prise en compte de la biodiversité dans les politiques publiques, mais également que l’on sorte enfin de cette « crise du loup et du pastoralisme » qui ne pourra se faire que par une généralisation des mesures de protection des troupeaux. Seule la cohabitation « intelligente » permettra la pérennité d’un élevage extensif de qualité. Le tir d’un ou de plusieurs loups n’a jamais, dans aucun pays, permis de protéger durablement les troupeaux. Entretenir cette croyance est totalement irresponsable. L’avenir de la faune sauvage et des activités économiques traditionnelles ne peut se faire avec de telles gesticulations.

Faute de quoi, les violences comme celles du 8 août se généraliseront sans que la filière ovine ne sorte de la crise, sans que les services de l’État ne puissent assurer leur mission, et sans que la protection de la nature ne puisse sortir des discours auxquels plus personne ne croit.

Ce qu’est l’esprit de guerre (contre la nature)

Ne l’oublions jamais : tandis que des petits groupes tentent de rameuter de vastes foules en faveur de la nature, des bêtes – dont nous sommes – et des plantes, d’autres ne rêvent que d’achever le grand massacre. Placés sur les deux plateaux d’une balance Roberval, on verrait aisément que les deux ensembles ne sont pas de même poids. Les destructeurs sont bien plus nombreux. Encore bien plus nombreux.

Dans la nuit du 18 au 19 août, quelques sombres crétins au front bas ont buté des centaines de milliers de vies, sans le moindre état d’âme. Dans le Gers, le conseil général dirigé par le socialiste Philippe Martin mène une politique qui considère la biodiversité. C’est si rare que je le note. Précisons que je connais – un tout petit peu – Philippe Martin, et que j’apprécie sa personne. Pour ce que j’en vois. Cela ne vaut pas quitus, Dieu sait ! Je ne suis pas et ne risque pas de devenir socialiste un jour. Des centaines d’articles de Planète sans visa le montrent sans détour.

Bref. Cette nuit du 18 au 19 août, de vrais connards ont vidé une grande part de l’étang du Moura, à Avéron-Bergelle, qui occupe tout de même 17 hectares. Comment ont-ils fait ? Les barbares trouvent toujours une manière d’agir : en l’occurrence, ils ont pété la vanne de vidange, et le lac a peu à peu disparu. Or ce lac est la propriété du conseil général du Gers, et il est classé en Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique (ZNIEFF). Philippe Martin et ses amis le voulaient un modèle de gestion écologique et pédagogique. Au-dedans, au moment du crime – car c’est un crime, oui ou non ? -, il y vivait des centaines de milliers d’alevins, des milliers de carpes et d’anguilles adultes. Ainsi que des tortues cistudes, animal fort menacé chez nous.

Qu’ont-ils laissé, outre la mort et la désolation ? Une baraque de pêche incendiée, qui avait été bâtie au 18ème siècle par des moines cisterciens. On finira par croire que ces crapules ne respectent rien. Philippe Martin, président donc du conseil général, m’adresse quelques mots : « Certains des “tags” retrouvés sur les murs fumants de cette jolie petite “maison du pêcheur” datant du 18ème siècle laissent peu de doutes sur l’origine et les motivations des auteurs de cet acte (« Martin, pas d’eau pour les tortues » ou « Martin tu peux en acheter un autre », sans compter le traditionnel et si romantique « Martin = PD »…) ».

L’affaire se terminera – peut-être – devant le tribunal. Mais elle a d’ores et déjà une morale provisoire. Dans la lutte éperdue pour sauver les écosystèmes, il faut certes continuer à convaincre et à entraîner. Certes oui. Mais il serait sot, et fort vain, de croire que nous ne rencontrerons, sur notre route, que bravos et brassées de fleurs. L’ennemi de la nature existe.

Un seul crime et tant de criminels (sur les biocarburants)

Vous n’êtes pas obligé de lire mes états d’âme en longueur. Comme si souvent, les faits nouveaux sont à la fin.

D’abord, le mot. Je ne suivrai pas ceux qui croient montrer leur élévation morale en nommant agrocarburants ce que j’ai toujours appelé biocarburants. Ils pensent montrer de la sorte qu’on ne la leur fait pas. Qu’ils sont critiques. Que les biocarburants n’ont rien de bio, etc. Moi, je continue. Parler d’agrocarburants est le plus sûr moyen de perdre en route la moitié de ceux à qui on s’adresse. Faites l’expérience, vous verrez que ce néologisme-là ne marche qu’auprès d’une frange. Il est déjà difficile de savoir ce qui se cache sous le mot infâme de biocarburant. Il me semble qu’il ne faut pas en rajouter. La vérité des mots est à montrer, à démontrer. Chercher à la cacher s’appelle de la novlangue. Il faut affronter cette supercherie langagière et parler, parler, parler.

De quoi ? Bonne question. Si je parle une fois encore des biocarburants, c’est parce que ma tête bout d’une colère sans limites discernables. Il y a cinq ans – beaucoup le savent, ici du moins -, j’ai publié un livre qui s’appelle La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants), paru chez Fayard. On a le droit de se moquer, mais sachez que je suis fier de l’avoir écrit. Il disait de façon claire, argumentée, en fait indiscutable, le drame planétaire que représentait cette nouvelle poussée de l’industrie. Je rappelle qu’il y a plus d’un milliard d’affamés chroniques sur cette terre, que les terres agricoles disponibles sont très largement exploitées ou surexploitées, et que malgré cela, d’infâmes salauds ont imaginé changer des plantes alimentaires en carburant automobile. Essentiellement pour nous, au Nord, qui sommes prêts à tuer quiconque augmente encore le prix de l’essence d’un centime d’euro par litre.

Si vous en avez le temps, je vous renvoie à deux de mes derniers articles, parmi des dizaines d’autres publiés sur Planète sans visa ou sur un blog que j’avais créé au moment de la sortie de mon livre (ici et ). Nous étions à ce moment-là à l’automne 2007, quand tous les petits marquis de l’écologie officielle frétillaient devant Sarkozy et Borloo, qui avaient monté l’opération de propagande appelée le Grenelle de l’Environnement. Moi, j’ai fait réellement tout ce que je pouvais pour secouer ces structures dégénérées. J’ai alerté avec force Serge Orru, alors directeur du WWF en France. Je dois dire, et je l’en remercie encore, qu’il a organisé au siège du WWF une sorte de conférence pendant laquelle j’ai pu parler devant les salariés de l’association. Mais rien n’est venu ensuite, pour les raisons que j’ai ensuite développées dans un autre bouquin, Qui a tué l’écologie ?.

J’ai prévenu Greenpeace, et je me suis pour l’occasion, au cours d’une assemblée générale tenue à Paris, gravement engueulé avec Yannick Jadot, qui était à ce moment directeur des campagnes de Greenpeace. Sentant qu’il ne ferait rien, comprenant que Greenpeace regardait ailleurs, j’ai rompu tout lien avec ce mouvement, où je comptais des amis aussi proches que Katia Kanas. Jadot, qui mène et a d’ailleurs mené une carrière politique, est aujourd’hui député européen d’Europe-Écologie.

J’ai de même parlé à Nicolas Hulot. Et à José Bové. Et à bien d’autres encore. J’ai fait des conférences en province, espérant toujours déclencher ne serait-ce qu’un embryon de mouvement contre le crime. Rien n’est venu. Tous préfèrent se branloter de réunion en tribune. (J’embrasse au passage mon si cher ami Pierre Rabhi, ainsi que le génial jardinier Gilles Clément, qui m’ont aidé de manière certaine, et sans barguigner, eux). J’ajoute que si tant de responsables ont pu se défiler de cette manière, c’est bien entendu qu’ils ne sont soumis à aucune pression sociale. Nul ne s’est levé, nul. Et cela vaut, j’en suis affreusement désolé, pour les lecteurs de Planète sans visa. Nous avons accepté que le lobby industriel de l’agriculture reçoive des cadeaux fiscaux par centaines de millions d’euros. Et nous ne mettons pas le feu, que je sache, aux pompes à essence qui délivrent un carburant additionné de blé, de colza, de betterave ou de tournesol. Le résultat de cette honteuse inertie, c’est que la FNSEA a pu, en toute tranquillité, placer à sa tête un céréalier intensif, Xavier Beulin. Qui est aussi à la tête de Sofiprotéol, la société qui tient les biocarburants en France, avec un chiffre d’affaires de 6,5 milliards d’euros en 2011.

Je reviens à ma colère sans horizon. Le crime est accompli. La faim a considérablement augmenté, à mesure que les prix des denrées alimentaires en faisaient autant. Quand j’entends un homme comme Bernard-Henri Lévy occuper tous les fenestrons disponibles pour parler de ce qu’il ne connaît pas – la Syrie, par exemple – et que (presque) tous applaudissent, j’en ai la nausée immédiate. Tant de mots pour ne rien dire. Et tant d’insupportable silence face au désastre garanti pour ces sociétés du Sud dévastées par les biocarburants. Il y a de quoi pleurer d’abondance.

Merde ! je me rends compte que je n’ai pas encore parlé de ce qui m’amène précisément aujourd’hui. Voici un papier publié dans La France Agricole :

La FAO réclame une suspension de la production de bioéthanol de maïs

Publié le vendredi 10 août 2012 – 12h45

Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, a demandé vendredi aux Etats-Unis de suspendre leur production de bioéthanol à partir de maïs pour éviter une crise alimentaire, dans une tribune publiée par le quotidien britannique Financial Times. « Une suspension immédiate et temporaire de la législation américaine » imposant des quotas de bioéthanol, produit à partir du maïs, « apporterait un répit au marché et permettrait que plus de récoltes soient utilisées pour l’alimentation animale et humaine », écrit M. Graziano da Silva.

La sécheresse qui sévit actuellement aux Etats-Unis a fortement endommagé les cultures, provoquant des tensions sur les marchés des matières premières agricoles. Dans son dernier relevé sur l’état des cultures aux Etats-Unis arrêté au 5 août et publié lundi soir, le département américain de l’Agriculture (USDA) estime désormais que seuls 23 % des plants de maïs sont dans un état bon à excellent.

« Dans ce contexte, les prix des céréales se sont envolés, avec une hausse de près de 40 % depuis le 1er juin pour le maïs », notent les stratégistes de CM-CIC. Les observateurs craignent en outre une nouvelle révision à la baisse des estimations de production agricole, particulièrement de maïs, lors de la publication, ce vendredi, du rapport mensuel de l’USDA sur l’offre et la demande mondiales de grains.

Selon un document publié mercredi par l’Agence américaine océanique et atmosphérique, les Etats-Unis ont connu le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré dans le pays depuis le début des relevés météorologiques en 1895, avec une sécheresse s’étendant sur 63 % du territoire continental.

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Une dernière question, dont la réponse est évidente. Imaginons que des Blancs soient soumis à des décisions commerciales et industrielles qui les affament. Imaginons qu’un groupe de pays – disons le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Mali, l’Inde, la Chine – aient trouvé un merveilleux moyen « économique » de faire rouler leurs engins en cramant des aliments vitaux pour la survie des habitants de Millau, Ploubazlanec et Montreuil. Quelle serait notre réaction ? Le crime des biocarburants repose sur un racisme qui jamais ne s’avoue. Mais qui tue massivement.

Annie n’aime pas les sucettes (ni la Légion d’Honneur)

J’ai une très grande affection pour Annie Thébaud-Mony. Directrice de recherche – honoraire – à l’Inserm, elle mène inlassablement des combats à mes yeux cruciaux. Pour le désamiantage en France du Clemenceau. Contre la destruction d’un village d’Intouchables en Inde par Michelin. Pour la reconnaissance des dizaines de cancers du rein de l’entreprise martyre Adisseo (Allier). Contre le traitement inhumain infligé chez nous aux sous-traitants du nucléaire. Tant d’autres. J’ai l’honneur de participer avec elle à l’association Henri Pézerat (ici), du nom de celui – que je chéris tant – qui fut son compagnon jusqu’à sa mort en 2009. Et voilà qu’on vient de lui balancer la Légion d’Honneur.

L’affaire est tragi-comique. Une ministre se réclamant de l’écologie – Cécile Duflot – ne trouve rien de mieux à faire, quelques semaines après son entrée au gouvernement, que de distribuer des breloques par poignées (ici). Comment diable oser pareille chose ? Moi, j’en suis resté à la détestation définitive des décorations d’État, qui abaissent et avilissent même ceux qui les reçoivent. J’en suis resté à Benjamin Péret, surréaliste quand ce mot avait un sens. Dans son merveilleux Mort au vaches et au champ d’honneur, il écrit ceci : « La bouche revint alors près de moi et me dit : “Quelle poésie ! Et ça t’amuse, imbécile ? Je peux faire des vers de cette espèce toute la journée. Je me contente d’en écrire chaque année au 14 juillet et je les envoie au Président de la République. C’est pourquoi l’on m’a décorée de la Légion d’honneur comme une saucisse empaillée”».

Du même Péret, ce poème de 1929, paru dans le tome 12 de La Révolution Surréaliste, et qui s’appelle La loi Paul Boncour.

Partez chiens crevés pour amuser les troupes
et vous araignées pour empoisonner les ennemis
Le communiqué du jour rédigé par des singes tabétiques annonce
le 22e corps d’armée de punaises
a pénétré dans les lignes ennemis sans coup férir
À la prochaine guerre
les nonnes garderont les tranchées pour le plus grand plaisir des rengagés
et pour se faire trouer l’hostie à coup de balai
Et les enfants au biberon
pisseront du pétrole enflammé sur les bivouacs ennemis

Pour avoir hoqueté dans ses langes
un héros de trois mois aura les mains coupées
et la légion d’honneur tatouée sur les fesses

Tout le monde fera la guerre
hommes femmes enfants vieillards chiens chats cochons
puces hannetons tomates ablettes perdrix et rats crevés
tout le monde

Des escadrons de chevaux sauvages
d’une ruade chasseront les canons de l’adversaire
et quelque part la ligne de feu sera gardée par des putois
dont l’odeur conduite par un vent propice
asphyxiera des régiments entiers
mieux qu’un pet épiscopal
Alors les hommes qui écrasent les sénateurs comme une crotte de chien
se regardant dans les yeux
riront comme les montagnes
obligeront les curés à tuer les derniers généraux avec leurs croix
et à coups de drapeaux
massacreront les curés comme un amen

Donc, Duflot. Qui ose décorer Annie Thébaud-Mony. Mais Annie ne veut pas. Elle explique ci-dessous pourquoi. Merci à Jean-Paul Brodier, de Metz, pour son aide technique.

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Fontenay-sous-Bois, le 31 juillet 2012

Madame Cécile Duflot
Ministre de l’égalité, des territoires et du logement
Hotel de Castries
72 rue de Varenne – 75 007 Paris

Madame la ministre,

Par votre courrier du 20 juillet 2012, vous m’informez personnellement de ma nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur et m’indiquez que vous êtes à l’origine de celle-ci. J’y suis très sensible et je tiens à vous remercier d’avoir jugé mon activité professionnelle et mes engagements citoyens dignes d’une reconnaissance nationale. Cependant – tout en étant consciente du sens que revêt ce choix de votre part – je ne peux accepter de recevoir cette distinction et je vais dans ce courrier m’en expliquer au près de vous.

Concernant mon activité professionnelle, j’ai mené pendant trente ans des recherches en santé publique, sur la santé des travailleurs et sur les inégalités sociales en matière de santé, notamment dans le domaine du cancer. La reconnaissance institutionnelle que je pouvais attendre concernait non seulement mon évolution de carrière mais aussi le recrutement de jeunes chercheurs dans le domaine dans lequel j’ai travaillé, tant il est urgent de développer ces recherches. En ce qui me concerne, ma carrière a été bloquée pendant les dix dernières années de ma vie professionnelle.

 Je n’ai jamais été admise au grade de directeur de recherche de 1e classe. Plus grave encore, plusieurs jeunes et brillant.e.s chercheur.e.s, qui travaillaient avec moi, se sont vu.e.s fermer les portes des institutions, par manque de soutien de mes directeurs d’unité, et vivent encore à ce jour – malgré la qualité de leurs travaux – dans des situations de précarité scientifique. Quant au programme de recherche que nous avons construit depuis plus de dix ans en Seine Saint Denis sur les cancers professionnels, bien que reconnu au niveau national et international pour la qualité scientifique des travaux menés, il demeure lui-même fragile, même s’il a bénéficié de certains soutiens institutionnels.

 J’en ai été, toutes ces années, la seule chercheuse statutaire. Pour assurer la continuité du programme et tenter, autant que faire se peut, de stabiliser l’emploi des jeunes chercheurs collaborant à celui-ci, il m’a fallu en permanence rechercher des financements – ce que j’appelle la « mendicité scientifique » – tout en résistant à toute forme de conflits d’intérêts pour mener une recherche publique sur fonds publics. Enfin, la recherche en santé publique étant une recherche pour l’action, j’ai mené mon activité dans l’espoir de voir les résultats de nos programmes de recherche pris en compte pour une transformation des conditions de travail et l’adoption de stratégies de prévention.

 Au terme de trente ans d’activité, il me faut constater que les conditions de travail ne cessent de se dégrader, que la prise de conscience du désastre sanitaire de l’amiante n’a pas conduit à une stratégie de lutte contre l’épidémie des cancers professionnels et environnementaux, que la sous-traitance des risques fait supporter par les plus démunis des travailleurs, salariés ou non, dans l’industrie, l’agriculture, les services et la fonction publique, un cumul de risques physiques, organisationnels et psychologiques, dans une terrible indifférence. Il est de la responsabilité des chercheurs en santé publique d’alerter, ce que j’ai tenté de faire par mon travail scientifique mais aussi dans des réseaux d’action citoyenne pour la défense des droits fondamentaux à la vie, à la santé, à la dignité.

 Parce que mes engagements s’inscrivent dans une dynamique collective, je ne peux accepter une reconnaissance qui me concerne personnellement, même si j’ai conscience que votre choix, à travers ma personne, témoigne de l’importance que vous accordez aux mobilisations collectives dans lesquelles je m’inscris. J’ai participé depuis trente ans à différents réseaux en lutte contre les atteintes à la santé dues aux risques industriels.

  Ces réseaux sont constitués de militants, qu’ils soient chercheurs, ouvriers, agriculteurs, journalistes, avocats, médecins ou autres… Chacun d’entre nous mérite reconnaissance pour le travail accompli dans la défense de l’intérêt général. Ainsi du collectif des associations qui se bat depuis 15 ans à Aulnay-sous-bois pour une déconstruction – conforme aux règles de prévention – d’une usine de broyage d’amiante qui a contaminé le voisinage, tué d’anciens écoliers de l’école mitoyenne du site, des travailleurs et des riverains. Ainsi des syndicalistes qui – à France Télécom, Peugeot ou Renault – se battent pour la reconnaissance des cancers professionnels ou des suicides liés au travail. Ainsi des ex-ouvrières d’Amisol – les premières à avoir dénoncé l’amiante dans les usines françaises dans les années 70 – qui continuent à lutter pour le droit au suivi post-professionnel des travailleurs victimes d’exposition aux cancérogènes. Ainsi des travailleurs victimes de la chimie, des sous-traitants intervenant dans les centrales nucléaires, des saisonniers agricoles ou des familles victimes du saturnisme.

 Tous et chacun, nous donnons de notre temps, de notre intelligence et de notre expérience pour faire émerger le continent invisible de ce qui fut désigné jadis comme les « dégâts du progrès », en France et au delà des frontières du monde occidental. La reconnaissance que nous attendons, nous aimerions, Madame la ministre, nous en entretenir avec vous. Nous voulons être pris au sérieux lorsque nous donnons à voir cette dégradation des conditions de travail dont je parlais plus haut, le drame des accidents du travail et maladies professionnelles, mais aussi l’accumulation des impasses environnementales, en matière d’amiante, de pesticides, de déchets nucléaires et chimiques…

 Cessons les vraies fausses controverses sur les faibles doses. Des politiques publiques doivent devenir le rempart à la mise en danger délibérée d’autrui, y compris en matière pénale. Vous avez récemment exprimé, à la tribune de l’Assemblée nationale, votre souhait d’écrire des lois « plus justes, plus efficaces, plus pérennes. En qualité de Ministre chargée de l’Egalité des territoires et du logement, vous avez un pouvoir effectif non seulement pour augmenter le nombre des logements mais légiférer pour des logement sains, en participant à la remise en cause de l’impunité qui jusqu’à ce jour protège les responsables de crimes industriels. En mémoire d’Henri Pézerat qui fut pionnier dans les actions citoyennes dans lesquelles je suis engagée aujourd’hui et au nom de l’association qui porte son nom, la reconnaissance que j’appelle de mes vœux serait de voir la justice française condamner les crimes industriels à la mesure de leurs conséquences, pour qu’enfin la prévention devienne réalité.

Pour toutes ces raisons, Madame la ministre, je tiens à vous renouveler mes remerciements, mais je vous demande d’accepter mon refus d’être décorée de la légion d’honneur. Avec l’association que je préside, je me tiens à votre disposition pour vous informer de nos activités et des problèmes sur lesquels nous souhaiterions vous solliciter.

Je vous prie d’agréer, Madame la ministre, l’expression de ma reconnaissance et de
mes respectueuses salutations

Annie Thébaud-Mony