Le faussaire Bjorn Lomborg a de nouveau droit aux honneurs de la presse. Le Monde, en l’occurrence. Et pourtant…
Je ne sais pas qui est vraiment le Danois Bjorn Lomborg (ici). Je sais ce que j’ai écrit le 11 juillet 2002 dans le numéro 709 du journal Politis. Il y a huit ans, nul en France ne connaissait Lomborg. Moi, j’avais suivi l’extraordinaire engouement, au Danemark et au Royaume-Uni, de son « grand » livre, paru quelques mois plus tôt, en 2001, The Skeptical Environmentalist. Il serait traduit plus tard en France, mais alors, il n’était qu’une rumeur.
Dans mon article de juillet 2002, j’ai appelé Lomborg « notre Meyssan scandinave », du nom de celui qui nie encore l’explosion d’un avion sur le Pentagone le 11 septembre 2001. Lomborg dénonçait en bloc les écologistes, niait le dérèglement climatique, clamait que dans de nombreux domaines essentiels de la vie – les océans, les forêts, etc -, les choses allaient de mieux en mieux. Phénoménal, non ? Je précisais : « Or Lomborg ruse, truque, manipule les chiffres à l’envi ». Je n’entre pas dans les détails, ce qui serait bien trop long. Déjà, j’étais fâché contre la presse française, qui donnerait dans les années suivantes tant de place, tant d’entretiens, tant de doubles pages à ce tricheur. Je me posais la question et je me la pose encore. Pouvait-il s’agir d’un hasard ? La proximité avec le Sommet de la terre de Johannesburg, ce même été 2002, n’était-elle pas une clé ? Quels intérêts réels servait cet homme ?
Lomborg a en tout cas fait des dégâts colossaux dans l’esprit public, flattant cette part de si profonde stupidité qui existe hélas chez nous tous, et qui ne demande qu’à être sollicitée. En 2004, l’éditeur français Le Cherche-Midi – honte, honte, honte ! – a publié L’Écologiste sceptique, la traduction du bouquin de Lomborg, avec une préface remplie de contrevérités essentielles et de stupidités crasses, sous la plume de Claude Allègre. Mon Dieu ! j’ai ce livre chez moi, quelle torture. Le faux me brûle, je n’y peux rien.
En janvier 2003, une très prudente Commission scientifique danoise (Udvalgene vedrørende Videnskabelig Uredelighed) a rendu un rapport terrible sur la malhonnêteté scientifique de Lomborg. Car il a été pris la main dans le sac ! Dans le sac ! Extrait de la conclusion : « Objectively speaking, the publication of the work under consideration is deemed to fall within the concept of scientific dishonesty ». Ce qui veut dire à peu près : « Objectivement considéré, la publication de l’ouvrage en question tombe bien dans le cadre de la notion de malhonnêteté scientifique ».
Dans un monde régi par des règles de droiture élémentaire, un Lomborg aurait été carbonisé à jamais. Mais non, il revient sans cesse, aidé, formidablement aidé par des journalistes qui semblent ne jamais voir le mal là où il est pourtant. Je suis donc consterné, et le mot est bien trop faible, par l’entretien que le journal Le Monde consent à Lomborg dans son édition datée du 14 septembre 2010, page 4 (ici). Le titre : « Le changement climatique est une réalité ». C’est déjà prodigieux, car où est donc l’info, amis ? Ce charlatan a troublé l’opinion en niant ce phénomène, et maintenant, il reconnaît sa réalité. Mais où est l’info ? J’ajoute que Lomborg, dans son livre cité plus haut, s’est affublé de l’apparat scientifique, truffant son texte de milliers de notes de bas de page. Or il n’est pas plus scientifique que moi. Peut-être encore moins, si c’est possible.
Poursuivons. Ce texte est, dans sa totalité, une horreur. Le journal n’ayant pas rappelé qu’il a été convaincu de malhonnêteté scientifique, Lomborg se pavane et parle comme s’il savait mieux que des milliers de gens sérieux, étudiant la dévastation du monde sur le terrain. Le changement climatique ? « Oui, il est réel, il découle de l’activité humaine, et c’est un phénomène important ». Le GIEC honni par les climatosceptiques ? Il est « la meilleure source d’information que nous ayons sur le changement climatique » et « le point fondamental est que le GIEC est correct à 90 % ». À chaque ligne, sa morgue est proprement insupportable, mais tel n’est pas le pire.
Le pire est que, d’évidence, D’ÉVIDENCE, Lomborg poursuit sur la même voie qu’en 2001. Il ne souhaite plus, le cher ange, défendre la thèse négatrice d’Allègre et compagnie. Mais pour quelle raison ? Telle est bien la question, qui ouvre sur des abîmes. Car dans l’entretien au quotidien Le Monde, il se fait le chantre de l’abandon des politiques – dérisoires, certes – menées depuis Kyoto pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il suggère en fait de poursuivre l’entreprise de démolition du monde, en utilisant les pétroles stockés dans les sables bitumineux et les schistes. Au pire, il resterait, dit-il sans état d’âme, le charbon.
Tout ça pour quoi ? Mais pour promouvoir des solutions techniques, donc économiques, donc financières. Le stockage en profondeur du CO2, la géo-ingénierie, qui prévoit par exemple la construction de miroirs géants pour détourner une partie des rayons solaires, etc. En somme, Lomborg se fait le héraut d’une fuite en avant technologique complète. Il est en phase, on ne peut mieux, avec ce capitalisme vert qui entend faire de la crise écologique un moyen de continuer comme avant, de faire durer ce fameux développement qui nous a menés au désastre actuel. De nouveau, je me pose la question : peut-il s’agir d’un hasard ? Cette concomitance entre le discours d’un faussaire et les intérêts de très nombreuses transnationales n’interroge-t-elle pas ? Je gage que Lomborg servira encore tant et plus au cours de la préparation du Sommet de la terre de Rio, en 2012. Je vous ai déjà dit il y a peu que l’ultralibéral Brice Lalonde en serait le grand organisateur. La convergence des deux me semble certaine.
Au-delà, ma profonde tristesse. Cette façon de faire de Lomborg l’une des vigies de notre époque, sans rien rappeler de ce qu’il est à coup certain, c’est un mauvais coup. Un très mauvais coup.