Les ours sont toujours là (merci, Jean-Gabriel !)

Jean-Gabriel envoie un lien « pour se changer les idées ». Ma foi, c’est réussi ! Malgré l’immense connerie coalisée contre l’ours des Pyrénées, celui-ci vit. Et se gratte le dos, comme vous pourrez le voir en cliquant ici. Je précise que ces images sont prises par des caméras à déclenchement automatique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Malgré l’épouvantable intitulé de l’organisme, cet office est bourré de naturalistes de grand talent, qui défendent avec sincérité la vie et sa diversité. Mais regardez, car c’est beau comme le jour. Car c’est beau comme la nuit.

PS : J’en oublie de remercier le site La buvette des alpages, qui a mis en ligne ces images. De nouveau, une pub méritée pour ce lieu rare.

GDF-Suez, mes factures, les barrages, et la haine

Deux nouvelles, dont l’une fracasse. Un, je donne du fric à GDF-Suez en échange du gaz qui me chauffe. Avant, je donnais à une société nationale qui, certes, arrachait des contrats comme n’importe quelle boîte privée, avec les mêmes moyens, mais qui incarnait une histoire, liée à la Libération. Gaz de France (GDF) avait été créée, en effet, par une loi de nationalisation du gaz et de l’électricité, en 1946. Avant de se vendre, sur ordre de Villepin, à Suez, en 2006. Encore merci, monsieur le grand gaulliste.

Deux, GDF-Suez vient de fusionner avec un groupe énergétique britannique, International Power (lire ici), ce qui en fait un géant mondial. Youpi, nous avons un géant mondial de plus dans notre petite escarcelle, c’est le bonheur. Seulement – le croirez-vous ? – GDF-Suez détruit le monde à peu près partout où le groupe passe. Ainsi de la rivière Madeira, dans l’État brésilien du Rondônia, principal affluent de l’Amazone. C’est à ce point magnifique que GDF- Suez, qui contrôle le consortium Energia Sustentável do Brasil, y construit le barrage géant de Jirau, qui sera accompagné de quatre centrales hydroélectriques.

Jirau déplacera au total des milliers de familles riveraines et saccagera à jamais les terres de plusieurs tribus indiennes, y compris celles de groupes isolés, pratiquement sans contact avec notre si joli monde. Le Prix Nobel de littérature Jean-Marie G. Le Clézio et le directeur de Survival en France, Jean-Patrick Razon – salut, Jean-Patrick ! -, ont dénoncé ensemble et publiquement l’opération. Il ne fait aucun doute à leurs yeux retors que nous cautionnons ainsi « non seulement la destruction d’une région d’une exceptionnelle biodiversité, mais surtout la disparition, plus que probable, de quelques-unes des dernières sociétés qui constituent une part essentielle de la diversité humaine (ici) ».

Ce n’est pas tout, car ce ne sera jamais suffisant. Survival publie en anglais un rapport accablant, déprimant, désespérant sur la relance des grands barrages partout dans le monde (ici). Cette frénésie s’était un peu calmée après la parution il y a dix ans d’un autre rapport, celui de la Commission mondiale des barrages. Ce texte livrait sans fard le bilan des 45 000 grands barrages qui existaient alors sur terre. Écologique, bien sûr, mais aussi social, culturel, humain. Des centaines de millions de pauvres avaient été déplacés de force pour laisser place à la fée Électricité, celle qui aide si bien à la fabrication des bagnoles, des télés, des ordinateurs et des téléphones portables.

Une sorte de pause – une sorte seulement – donc, ces derniers temps, mais voilà que ça repart, avec en première ligne la Chine, avide comme aucun autre pays dans l’histoire de tout enfourner, avant de tout recracher. Que dit Survival en 2010 ? C’est la curée. La Banque mondiale, des banques chinoises, brésiliennes, la Banque africaine de développement financent des centaines de nouveaux projets, dont la plupart s’attaquent de plein fouet aux peuples autochtones jusqu’ici épargnés. Dans les forêts d’Afrique, en Malaisie, dans le bassin amazonien, partout. Notre monde fou avance, et de plus en plus vite. Ce mot d’un chef tribal du Sarawak (Bornéo), qui tente de lutter contre le barrage de Bakun : « Même si nous étions payés des millions de dollars, cet argent ne pourrait garantir notre survie. L’argent peut être imprimé, mais la terre ne peut pas être créée ».

Je cherche, et j’espère ne pas être le seul,  le moyen de faire payer son infamie à GDF-Suez, à qui je suis contraint pour l’heure de payer mes factures de gaz. Mais il doit bien exister d’autres comptes, et d’autres factures. Il faudra bien régler cela.

Ce si pauvre uranium appauvri

C’est l’été nucléaire. Logique : après l’hiver du même nom, l’été. Brûlent les terres de toutes les Russies, et meurent les enfants de Falloujah. Cette ville irakienne d’environ 300 000 habitants, à 70 kilomètres à l’ouest de Bagdad, est bordée par l’Euphrate. Faut-il vraiment vous rappeler que ce fleuve est l’un des lieux d’origine de notre belle civilisation ? Faut-il rappeler que Turcs, Persans, Kurdes, Arabes, Arméniens lui donnent un nom différent ? L’Euphrátês des Grecs de l’Antiquité devrait être notre flambeau, il est notre honte.

En 2004, un an après la si glorieuse invasion américaine, la ville est aux mains d’insurgés fondamentalistes, qui défient l’ordre nouveau à coup de massacres et de bombes. Dans la nuit du 6 au 7 novembre, les troupes américaines y lancent l’opération Phantom Fury, qui durera un peu plus de trois semaines. Les fantoches de l’armée irakienne servent de supplétifs à la reconquête du bastion extrémiste. Chacun sait alors, et les Américains mieux que personne, qu’une part importante de la population civile est demeurée en ville. Mais Falloujah est un symbole, et les symboles doivent être traités comme tels. Rien de tel qu’une bonne préparation d’artillerie contre des écoles, des immeubles, des dispensaires et des mosquées. Il est établi depuis des années que la soldatesque étasunienne – entre 10 000 et 15 000 soldats suréquipés – a bombardé massivement une ville, utilisant notamment des obus au phosphore blanc, qui vitrifient sur place leurs victimes. Il est probable que du napalm, en théorie interdit, a également servi à nettoyer les rues. Charmant, le napalm, il suffit de demander aux Vietnamiens rescapés des folles années 60 et 70 du siècle passé.

Ce qu’on vient d’apprendre ajoute à la fraîcheur de ces événements. Un article (lire ici) publié dans International Journal of Environnemental Research and Public Health démontre par des chiffres précis que Falloujah a été le théâtre de crimes contre l’homme. Contre l’humanité, si vous préférez, et au diable les simagrées juridiques ! Entre 2005 et 2009, le risque relatif de développer un cancer était 4,22 fois plus élevé dans la ville irakienne qu’en Égypte par exemple. Et 12,6 fois chez les moins de 14 ans, ce qui explique en partie une mortalité infantile quatre fois plus forte que dans les pays voisins ! Ajoutons que les cancers constatés semblent bien proches de ceux observés dans la ville japonaise d’Hiroshima après la bombe de 1945. Enfin, et comme à Hiroshima, le nombre de garçons a brutalement chuté après 2005.

C’est un constat, qui n’explique rien des causes de ce massacre silencieux. Mais tout concorde pour désigner un coupable possible et même infiniment probable : l’uranium appauvri ( lire ici). Cet uranium-là est utilisé dans les charges d’obus destinés à percer les blindages les plus épais et les bunkers de béton. L’Amérique vertueuse, évangéliste, puritaine et criminelle de mister W. Bush, maintes fois accusée depuis six ans d’utiliser ce matériau radioactif, ne s’en est que mollement défendue. Pardi ! Quelle armée se priverait d’un si merveilleux instrument de destruction ? Croyez-vous sérieusement que la France des droits de l’homme fait exception ? Les armées de l’Otan n’ont-elles pas massivement utilisé des obus de ce type dans l’ancienne Yougoslavie ? La règle d’or des militaires a toujours été de tester ses nouveautés in the field, sur le terrain même d’opération.

Voilà donc. Presque rien. Des gosses qui meurent. Des familles qui pleurent. De bon Chrétiens qui continuent d’aller à la messe le dimanche, la main bien placée sur le cœur. Rien d’autre que notre monde en action. Et cette nausée authentique qui me prend au moment où j’écris ces lignes. Que se passe-t-il en Afghanistan, bande de salauds ?

Prière stérile aux vents de la terre (sur le nucléaire)

Je lis, comme vous j’imagine, les nouvelles en provenance de Russie. Les incendies de forêt géants menacent d’atteindre des installations nucléaires, dont le très redoutable centre ultrasecret Arzamas 16, proche de la ville de Sarov, elle-même lieu saint de la religion orthodoxe. Arzamas 16 a été créé en 1946 pour y travailler, en toute tranquillité, sur les armes nucléaires. Qui a la moindre idée de l’esprit de cette époque en terre stalinienne sait que tout y aura été tenté. Que tout y a été possible. Que tout n’y aura été que mensonge et dissimulation.

Ce centre est fatalement un lieu de stockage des pires déchets nucléaires de la planète. Et le feu est aux portes, qui peut, comme l’on dit, « remobiliser » des radionucléides avant de les entraîner des centaines ou des milliers de kilomètres plus loin. Voilà la réalité du nucléaire, et il n’en est aucune autre. Mais le débat n’aura évidemment pas lieu chez nous, car la France s’est vendue sans état d’âme à la surpuissante industrie nucléaire. Comme aucun autre pays au monde. Au moins les trois quarts de notre électricité proviennent de l’atome, ce qui fait de la France une terre à part. Une terre encore plus imbécile que la plupart des autres.

Surveillez avec moi la situation, qui est grave. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), censé nous protéger, en est à déclarer : « Ces incendies de forêt posent deux questions : si ces incendies touchent des territoires contaminés lors de l’accident de Tchernobyl, les particules radioactives remises en suspension lors de la combustion du bois peuvent-elles atteindre la France ? Ces incendies menacent-ils la sûreté de certaines installations nucléaires russes ? ». Et il ajoute (lire ici) : « D’éventuelles traces de pollution radioactive (…) ne pourront être décelées que si la France est exposée au panache de fumées. Or, depuis ces derniers jours, le territoire est plutôt sous des vents orientés nord-ouest ».

Relisons ensemble cet involontaire chef-d’œuvre. L’IRSN ne conteste nullement le danger. Simplement, il s’en remet à la rose de vents, en priant Dieu qu’elle permette de seulement polluer la Scandinavie. Voilà. J’ajoute que notre impuissance à lutter contre l’incroyable puissance de feu du lobby nucléaire n’est pas de bon augure face à la crise écologique planétaire. J’ose espérer que cela n’annonce pas, d’ores et déjà, notre défaite en rase campagne. Il existe à Gentioux, dans la Creuse, un monument aux morts de 14-18 à peu près unique en France. On lit sur la stèle ces simples mots : « Maudite soit la guerre ! ». Moi, je le clame, sans espoir que cela change quoi que ce soit : « Maudit soit le nucléaire ! ».

PS : Hacène me rappelle, dans un courriel privé, que nous sommes le 6 août ! Le 65 ème anniversaire de la bombe A lancée sur Hiroshima. Honte, honte éternelle à ceux qui osèrent. Et une pensée pour les hibakusha, les 266 598 victimes reconnues par le gouvernement japonais.

Une vieillerie de six mois (à propos de Ferry, Julliard and co)

Je retrouve un papier non publié, vieux de six mois, que je me décide à mettre en ligne. Il déplaira, comme certains autres, à ceux qui pensent qu’il ne faut pas perdre son temps à guerroyer. Mais je reste d’un avis différent.

L’article qui suit est dans son genre bien à lui emmerdant. Il parle d’un journal qui n’intéresse plus grand monde, mais qui incarne néanmoins, dans le discours commun, la gauche intellectuelle française. Encore Le Nouvel Observateur ? Je confirme : encore une fois. Devenu académique et pontifiant, presque vide d’audace et de recherche, cet hebdomadaire me tombe des mains. Et je vais pourtant passer deux heures à en parler ici. Ce mystère n’en est pas un. Qui n’entend mener, parallèlement à la recherche d’issues de secours à la crise écologique, le combat des idées, oublie à mes yeux une dimension essentielle.

Il faut selon moi affronter les pensées dominantes, aussi moribondes qu’elles paraissent. On ne peut espérer avancer ensemble et pour de vrai en se privant d’une réflexion sans tabou sur ce qui existe, sans défi permanent, voulu, assumé, à la doxa de ceux qui croient tenir pour longtemps encore le pouvoir symbolique. J’oserai un rapprochement avec les dizaines d’années d’affrontements intellectuels qui ont précédé les révolutions démocratiques, dont notre 1789. Sans l’engagement de centaines de polémistes, parfois entendus, mais le plus souvent moqués, notre monde n’aurait pu changer de paradigme, c’est-à-dire de cadre dans lequel déployer une vision nouvelle. Or, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire plus d’une fois, l’heure est – l’heure serait – à une Déclaration universelle des devoirs de l’homme. Pour éventuellement parvenir à cette révolution mentale, et morale, il faut travailler à détruire la légitimité de ceux qui monopolisent la parole publique. Cela passe par la moquerie, par chance. Car les Ridicules sont de tous les temps. Je dois dire qu’au Nouvel Observateur, ils occupent presque tout l’espace éditorial.

Vous voilà prévenus en tout cas. Si vous n’avez pas envie de me lire, ma foi, je n’y peux rien. Et je commence donc.

Faut-il parler d’un sommet ? Oh oui, j’en mettrai ma main au feu. Le Nouvel Observateur 2352 (semaine 3/9 décembre 2009) restera dans mes archives, soyez-en certains. La couverture montre un Daniel Cohn-Bendit heureux, et promu en cette occasion rédacteur-en-chef du journal. Pourquoi ? À cause de la conférence de Copenhague sur le climat, officiellement du moins. Il est une autre cause que le journal n’indique pas. Ceux qui dirigent L’Obs n’entendent pas se faire hara-kiri, et se demandent sérieusement si l’écologisme défendu par Cohn-Bendit ne risque pas de prendre la place centrale à leurs yeux qu’occupe la social-démocratie. Ils ne sont sûrs de rien, mais dans le doute, préfèrent miser deux fois. D’abord sur le PS, leur vieux cheval favori. Ensuite sur Europe-Écologie, pour le cas où.

Et ce numéro ? Je ne peux en faire l’analyse complète, car nul n’irait jusqu’au bout, je le crains. Dommage, car chaque article réserve sa part de merveilleux. En résumé, je puis vous dire que L’Obs distingue scrupuleusement l’écologisme social-démocrate et libéral de Cohn-Bendit et l’écologie, au sens que je donne, moi, à ce mot. Et comme il a raison ! Je n’ai pas grand-chose à voir, pardieu, avec un homme comme Dany le ci-devant rouge. Totalement façonné par le système qui nous mène de désastre en désastre, il en fait évidemment partie, et n’entend le changer que sur quelques-unes de ses marges les plus fines. Il n’est pas écologiste. Il est Vert. Il est realo, comme on dit en Allemagne, où son parti s’allie souvent avec le SPD social-démocrate, et parfois avec la CDU – la droite démocrate-chrétienne – et le parti Libéral.

Il a bien le droit, d’ailleurs. Et pour être sincère, je m’en bats l’œil et le flanc gauche. Alors quoi ? Alors l’Obs, qui donne encore le ton de débats désormais absurdes et le plus souvent picrocholins. Chaque semaine, des tribunes de tel ou telle, pour répéter une fois encore que l’école, la laïcité, Israël, l’Iran, le rapprochement entre la CGT et la CFDT, Obama, quelquefois une crise ordinaire en Ouganda ou la réélection d’Evo Morales en Bolivie. Ce journal est risible, sinistre et risible, car il ignore apparemment qu’une crise de la vie est en train de disloquer un nombre croissant de sociétés humaines. Je dis humaines pour me situer à la hauteur de fourmi du journal. Car n’est-il pas le prince incontestable de cette soi-disant pensée humaniste qui permet de traiter comme vermisseau toute idée critique ? Je dis humaines alors que les sociétés animales souffrent affreusement de nos choix, alors que les principaux écosystèmes menacent ruine à tout moment. Je dis humaines de façon à être un peu, un tout petit peu mieux entendu.

Lorsque j’avais vingt ans, j’ai lu une trilogie romanesque de Sartre, intitulée Les chemins de la liberté. Je n’aimais pas le romancier, mais je n’osais me l’avouer à moi-même. Car Sartre était une icône, et je me sentais bien peu pour oser m’attaquer à une telle autorité. Le tome deux de cet ensemble s’appelle Le Sursis, et parle, si je m’en souviens bien, de ce désastreux automne 1938 au cours duquel les opinions de chez nous crurent la paix sauvée. La pantomime des Accords de Munich désarma moralement une grande partie de ceux qui auraient dû fourbir des armes contre Hitler. Si j’évoque ce livre, que je n’ai pas rouvert, c’est que, d’une façon plaisante – et désolante -, la direction de L’Obs m’y fait penser. Ces gens se croient à la pointe de la pensée la plus ouverte, la plus essentielle, et demeurent aveugles à la question la plus évidente de toutes. La vie disparaît de cette terre à une vitesse accélérée, et ils comptent les mouches au plafond. Je pousse ? À peine.

Premier arrêt en compagnie de Jacques Julliard, qui signe dans ce numéro 2352 d’anthologie un éditorial grandiose que vous retrouverez in extenso ici. Ce brave monsieur – je le crois honnête, et je n’entends pas l’insulter -, ce brave monsieur de Julliard a peur. Cela ne se voit peut-être pas si facilement, mais pour moi, la chose est entendue. Il a peur. De quoi ? Mais d’un grand fantasme qu’il nomme deep ecology, l’écologie dite profonde. Ce mouvement existe, certes, mais pas de la manière qu’imagine Julliard. Pour lui, qui est un catholique de gauche, la deep ecology  n’est pas très loin d’être diabolique. Car elle met en question la place de l’homme. Car elle interroge le droit que se sont octroyé les hommes à détruire sans discernement aucun ce qui paraît contrarier leurs entreprises.

Julliard a peur. L’écologie est pour lui comme une boîte de Pandore, qu’il ne faut donc pas ouvrir. Et le meilleur moyen pour cela, indigne d’un intellectuel, mais pourtant convoqué par le professeur Julliard, est celui de la disqualification morale. Rien de plus simple ! Il existe un bréviaire commun à tous ces gens, qui se trouve être le livre exécrable de Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique (Grasset). Julliard dispose d’une émission sur LCI en compagnie de son ami Ferry, officiellement de droite, comme Julliard est officiellement de gauche. Julliard a-t-il réellement lu son compagnon ? Je n’en mettrai pas ma main au feu, même s’il évoque le « livre lucide de Luc Ferry ».  J’en doute un peu, au bénéfice de la personne de Julliard, car le pamphlet de Ferry est proprement lamentable. J’en ai fait une critique serrée en deux occasions au moins (ici, en 2002, mais j’ai perdu la critique parue au moment de la parution).

Donc, disqualification. Et quelle ! L’écologie serait parente, voisine, cousine du fascisme le plus hideux. Dans ces conditions, que répondre ? Mais tout simplement que Ferry a écrit un livre dépourvu d’informations sérieuses, idéologisé jusqu’à la racine, haineux, imbécile. Voyez plutôt, en ligne, la belle étude de madame Élisabeth Hardouin-Fugier (« La protection législative de l’animal sous le nazisme », ici). Elle montre à quel point Ferry se répand en faussetés et sottises. Pour ce qui me concerne, je ne prendrai que deux exemples, tirés de ma propre lecture du pauvre texte de Ferry. S’empêtrant dans ses procédés, il se voit obligé de camoufler en note de bas de page 195 un fait qui ruine toute sa construction. Que dit-elle ? Qu’une loi belge, très voisine de celle édictée par l’Allemagne nazie six ans plus tard, a été votée dès 1929. Autrement dit, la république bon enfant de Bruxelles, faisait la même chose que l’Allemagne nazie, mais avant elle.

Second exemple fâcheux pour Ferry : ne trouvant pas en 1991 – quand il s’apprête à publier son livre – d’exemple suffisamment parlant de deep ecologist, c’est-à-dire d’écologiste fondamentaliste ennemi des hommes, il se rabat sur un texte épouvantable d’un Américain, affirmant : « C’est le devoir de notre espèce, vis-à-vis de notre milieu, d’éliminer 90% de nos effectifs ». Un texte, aucun mouvement, pour cause. Près de vingt ans plus tard, presque rien n’a changé. Il existe probablement un peu plus de cinglés dans le mouvement écologiste, mais ce serait encore à établir. Et c’est en tout cas une foison de syllogismes dignes de l’école primaire qui autorise des Ferry et des Julliard à tracer un trait d’égalité entre l’écologie, celle à laquelle je crois en tout cas, et la peste brune la plus abjecte qui soit, le nazisme.

Comment diable expliquer une telle connerie ? Avant de répondre, ce point d’histoire : la quasi-totalité de la classe politique et intellectuelle française a soutenu spontanément le régime du maréchal Pétain après l’armistice de juin 1940. Les sociaux-démocrates de ce temps, les républicains bon teint de cette époque, qui ressemblent tant aux amis actuels de Julliard et Ferry, ont aidé à la création d’un État qui a organisé la rafle et la déportation de juifs en direction des camps. Comme il me serait facile, si je disposais d’une tribune permanente comparable aux deux compères, d’en inférer que l’actuel « cercle de la raison » auquel ces hommes se piquent d’appartenir a eu partie liée au pire de notre histoire nationale. Ce me serait facile, et ce serait pour comble vrai, mais quant à moi, non, je ne m’abaisserai jamais autant qu’eux.

Passons aux écrits et revenons au numéro 2352 du Nouvel Observateur. L’essentiel de cette livraison est signé par des ennemis déclarés de l’écologie. Je dis ennemis, car le mot adversaire serait bien trop faible. Prenez l’article d’Olivier Pérétié, page 86. C’est une caricature, mais de ce que L’Obs est devenu : un journal stupide. Bien sûr, il y aura toujours des lecteurs pour trouver Pérétié très fun. Il n’empêche que ce journaliste étale une ignorance plus profonde que les abysses les plus noirs du Pacifique. En déversant au passage ce qu’il faut nommer de la haine. Oh emballée, soi-disant rigolote. Mais de la haine tout de même. Pour lui, il existerait une « église de sciencécologie » (ici). Rions, rions ! L’écologie serait donc, à l’égale de la sinistre Scientologie, une secte de bas étage. Faut-il le prouver ? Faudrait-il prouver un rapprochement aussi infamant ? Non, il suffit de travailler au Nouvel Obs, et de vomir sur un coin de table sous les applaudissements.

Pérétié, nul ne vous le dira, s’occupe notamment d’essais automobiles. Et il écrit de somptueuses merveilles sur les non moins admirables bagnoles à 100 000 euros et plus. Extrait, concernant la “nouvelle Jaguar diesel XJ 2.7D” : « En haut de la gamme, l’indémodable XJ s’est jetée dans l’époque au seuil de ses 40 ans, en allant chercher dans les greniers de la marque une carrosserie en aluminium qui lui donne un poids de demoiselle. Vous avez tout cela en tête tandis que vous vous approchez de l’aristocrate gris sombre qui cuit au soleil de l’Estrémadure. Vous avez ça en tête et aussi une pincée de nostalgie. Car cette XJ, l’«ultimate Jaguar» des puristes, est la première de l’histoire à se propulser au gazole. Au gazole! Coupez les griffes d’un félin, qu’est-ce qui reste? Une peluche… Pour être honnête, le diesel s’est déjà installé dans les Types X et S. Mais la XJ, la quintessence du raffinement anglais, gagnée à son tour par la mode qui touche aujourd’hui près d’une voiture haut de gamme sur deux… Jaguar et diesel sont des mots qui ne vont pas très bien ensemble. Comme du champagne sans alcool ».

Voici Pérétié en majesté. Son article du numéro 2552 est de même qualité. N’ayant rien lu que Tintin et Milou sur le dérèglement climatique, il se permet réellement tout : « Sans entrer dans l’âpre bataille que se livrent les savants, notons simplement que cette doctrine, même majoritairement approuvée, n’est encore qu’une hypothèse. Or ce qui devrait n’être qu’une controverse scientifique est devenu un objet de foi ». Tout est faux, chaque mot ouvre une porte sur le néant de la pensée. J’exagère ? Non. Même pas. Il n’y a pas de bataille entre savants, ni controverse. Il existe un instrument très imparfait, le Giec, qui reste à tout instant contestable. Et qui est d’ailleurs critiqué comme on sait, de la manière qu’on sait, par une poignée de négateurs de la crise climatique. Pérétié se contrebalance de tout et du reste, car son seul horizon est le sien, celui de sa vie et des tours de moteur de sa grosse ouature. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Pérétié, oui.

Notre temps, et ce n’est pas une très bonne nouvelle, a besoin de nombreux Daniel Cordier (lire ici). Cordier, né en 1920, a écrit un livre enthousiasmant, émouvant aux larmes, Alias Caracalla (Gallimard). Catholique, monarchiste, antisémite, ce jeune Bordelais milite en 1940 chez les petites frappes de l’Action française. Il n’a qu’un but politique : abattre la Gueuse, cette République honnie, cette République de tous les péchés. Mais Cordier, à la suite d’aventures que je ne peux rappeler, se retrouve à Londres en juillet 40, avec De Gaulle, toujours antisémite bien sûr. Le reste est une sorte de rédemption, de métamorphose qui le changera en secrétaire particulier de Jean Moulin, et le transformera en un homme admirable.

Oui, mais Cordier n’était pas un plaisantin. C’était un combattant, un fighter, un refusant dans l’âme, un résistant essentiel. Telle est la fibre morale dont ce monde agonisant a besoin. Du courage, de la folie même, et un refus sans rivages. Il est certain que nous ne trouverons pas cela dans un journal comme Le Nouvel Observateur. Il est acquis que nous devrons explorer d’autres voies, ouvrir de nouvelles portes, tenter de nouvelles échappées. Mais pour commencer, et parce qu’il faut commencer, il est crucial de brûler d’abord ses vaisseaux derrière soi. Car il faut désormais avancer, et ce sera sans eux.