Les animaux malades de la peste nucléaire

Tchernobyl, destructeur de biodiversité

par Valéry Laramée de Tannenberg

Cet article est extrait du Journal de l’Environnement (ici), et m’a paru si clair, si net, à ce point informé que j’ai décidé de le mettre en ligne ici, espérant que l’auteur ne m’en voudra pas. En tout cas, bravo.

Au printemps, lorsque l’on visite la zone d’exclusion de Tchernobyl, c’est toujours le même rituel. Immanquablement, les guides s’extasient sur la richesse de la flore et de la faune. La preuve, selon eux, que les effets de la radiation s’estompent. Et chacun y va de son anecdote : les troupeaux de chevaux sauvages venus d’on ne sait où ; les bisons biélorusses qui préfèrent les parages de la centrale accidentée à leur forêt natale. Sans oublier les poissons-chats dont la taille dépasse sûrement celle de bien des requins. On ne compte plus non plus les cervidés qui se plaisent à hanter la ville fantôme de Tchernobyl. Bref, la zone la plus contaminée de la planète serait devenue le paradis perdu des animaux.

Incroyable, mais faux ! Depuis 20 ans, Anders Pape Moller, de l’Université Pierre et Marie Curie de Paris, évalue les effets de la contamination radioactive sur la faune des alentours de la centrale ukrainienne. Et d’après le biologiste danois, pas plus que pour les humains, les rayons bêta et gamma ne sont bons pour les animaux.

Ces dernières années, cet ornithologue patenté a publié de nombreux articles sur le déclin des populations d’oiseaux dans la région de Tchernobyl. « Nous avons réalisé de nombreuses campagnes de comptage dans et hors des zones contaminées. Et, à l’intérieur de la zone d’exclusion, les populations d’oiseaux sont, en général, inférieures de moitié à celles que l’on trouve à l’extérieur », déclare-t-il.

Jusqu’à présent, ses travaux n’ont porté que sur nos amis à plumes. Avec son habituel compère Timothy Mousseau, de l’université de Caroline du Sud, Anders Pape Moller a voulu en savoir plus. « En adaptant nos méthodes, nous avons estimé les populations de mammifères, insectes, arachnides, amphibiens et reptiles », explique-t-il. Trois années durant, les chercheurs vont observer et baguer des oiseaux, compter bourdons, sauterelles et libellules, traquer les traces des renards.

Publiés cette semaine dans la dernière mouture d’ Ecological Indicators, les résultats de leurs travaux sont édifiants. « Tous ces animaux sont touchés par les doses de radiations et cela se voit nettement. Dans la zone d’exclusion leurs populations, tant en nombre qu’en diversité, sont moindres qu’à l’extérieur des zones contaminées. Pour certaines espèces d’insectes, la population est 89 % moins importante autour de Tchernobyl que dans le reste de l’Ukraine », précise le Danois.

Tout aussi grave, de nombreux spécimens sont malades. « Voilà des décennies que je bague des oiseaux. Or, à Tchernobyl, plus de 10 % des hirondelles capturées étaient atteintes de tumeurs. Je n’avais jamais vu ça auparavant », reprend-il.

Plusieurs mécanismes expliquent cet affaiblissement biologique. L’exposition aux radiations détruit ou endommage l’ADN des animaux, ce qui entraîne des conséquences fâcheuses pour leur descendance. La radioactivité fragilise aussi la chaîne trophique. Parce qu’il y a moins d’insectes, les insectivores sont moins nombreux, de même que leurs prédateurs.

Le bilan définitif de la catastrophe du 26 avril 1986 n’est pas près d’être achevé.

On se lève tous (contre Notre-Dame-des-Landes)

C’est un test, un test que je crois décisif. La question est celle-ci : saurons-nous, collectivement, nous opposer à cette lamentable sottise connue sous le nom d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (lire notamment ici) ? Il est des dossiers qui symbolisent l’état d’une société. Celui du deuxième aéroport de Nantes fait partie du lot. Ou la machine continuera sa course folle, en avions s’il vous plaît, et en ce cas, nous replierons nos gaules, une à une. Ou nous saurons détruire ce projet à la racine, proclamant que l’avenir n’appartient ni au pétrole ni à la vitesse. Et alors, il restera de l’espoir.

Quoi de neuf à propos de Notre-Dame-des-Landes ? D’abord une bassesse coutumière. Un appel d’offres avait très normalement été lancé au sujet des travaux d’infrastructure. Qui allait gagner ? Grand suspense. Tout soudain, le microcosme apprit comme par miracle que le géant Vinci allait emporter les enchères. Ce qui provoqua, quelques heures avant la décision  publique, ce cri de Louis-Roland Gosselin, patron du groupe d’ingénierie SNC Lavalin, qui pétitionnait lui aussi : « C’est un peu inquiétant. Cela fait peser quelques doutes sur la régularité du processus. Nous ne voulons pas y croire et considérons qu’il s’agit plutôt de désinformation. Je suis serein sur la qualité de notre offre et de nos partenaires et je suis sûr que le choix se fera sans autre considération que celle-là (lire ici) ».

Je ne crois pas utile d’enfoncer le clou. Les mots se suffisent, n’est-ce pas ? Là-dessus, quelques dizaines d’opposants au projet – Marie et tous les autres, tenez bon ! – ont occupé quelque temps le siège du conseil général de Loire-Atlantique (lire ici). Cette collectivité est gérée par les socialistes, grands défenseurs, avec Ayrault, le maire de Nantes, du projet d’aéroport. Où l’on voit pour la millième fois que la gauche et la droite partagent la même vision du monde. Où l’on pressent, pour la millième fois, que l’argent public sera tôt ou tard mobilisé pour combler les pertes du privé, comme c’est le cas avec l’aéroport de Ciudad Real, en Espagne.

Vinci triomphe pourtant, au moins provisoirement. À lui le chantier, et les centaines de millions d’euros que coûteront, pour commencer, les travaux d’aménagement. Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, amuseur public, rigolo de service, écolo à la sauce Grenelle, esbroufeur de première, copain comme cochon avec le désosseur d’entreprises Nanar Tapie, Borloo a ajouté son grain de sel au dossier. On est là dans le registre des farces et attrapes, croyez-moi. Car Borloo, non content d’avoir fait annoncer par ses services la victoire de Vinci, vient de décider la création d’une liaison tram-train entre Nantes et le nouvel aéroport (lire ici). Une formidable « victoire environnementale », ainsi que notre excellent ami le proclame à tout va.

Ce foutage de gueule a quelque chose de sublime. Un, on aura – on aurait – un aéroport de plus, au détriment d’un bocage miraculeusement préservé. Et deux, au nom de l’écologie, une nouvelle ligne ferroviaire qui zébrerait un peu plus ce pays. Au fait, Jean-Louis, tu n’as pas dit à qui seraient attribués les travaux de la ligne. Tu permets que je te tutoie, j’imagine ? Alors, et ces travaux en plus ? À Vinci, j’espère.

Je me répète et radote jusqu’à plus soif. Il n’est, à ma connaissance, aucun dossier plus important, ces temps-ci – en France, cela va sans dire – que celui de Notre-Dame-des-Landes. Mais pour l’heure, la vraie grande mobilisation que j’espère tant n’a pas commencé. Il faut pourtant s’y mettre, et malgré le poids émollient d’août, je compte sur nous, je compte sur vous pour que tous les réseaux chauffent jusqu’à ébullition. Il faut sortir du bois et de la paille, descendre des collines. Il va falloir se battre. Et jusqu’au bout ¡ Adelante !

Pétain, Pétain, Pétain, Pétain et Pétain

Je vous conseille, une fois n’est pas coutume, un texte tiré du journal à la botte de Dassault et de Mougeotte, c’est-à-dire Le Figaro. Il s’agit d’un entretien éclairant sur l’histoire en France des tentatives de « dénaturalisation » d’étrangers ayant commis des délits (lire ici). C’est immonde, Sarkozy et Hortefeux, pitoyables pantins de notre pitoyable histoire, sont immondes. Comme je l’écrivais il y a quelques jours, seul Vichy a osé à grande échelle cette politique. Il n’est aucun autre exemple. Aucun !

Je m’autorise cet aparté. Le père de Serge Dassault  – proprio du Figaro –, se serait appelé Marcel Bloch si la guerre fasciste n’avait ensanglanté le monde. Marcel, Juif de France, a été déporté en 1944 à Buchenwald, et sans la solidarité des détenus politiques de ce camp nazi, il aurait probablement disparu. À la sortie du grand massacre, il a préféré changer de nom. L’histoire est en réalité passionnante à bien des égards, mais elle est trop compliquée à seulement résumer. Il faut donc me faire confiance : Marcel Bloch, le futur Dassault, a été sauvé de la mort par les valeurs mêmes que le journal tenu par son fils piétine chaque jour. Asi son las cosas.

Au-delà, la droite qu’on dit civilisée se couche et se prosterne devant un président de la République qui nous déshonore tous. Car il nous déshonore. Je pourrais vous dire qu’ils me dégoûtent, car en effet ils me dégoûtent. Mais c’est bien pire, et beaucoup plus grave : ils me désespèrent.

Chantal Jouanno en service sur le front de la bidoche

J’ai évoqué il y a quelques jours les belles déclarations de notre sous-ministre à l’Écologie à propos de l’ours. Chantal Jouanno est réellement au service de son maître bien-aimé, et mène une véritable offensive politique, à l’échelle lilliputienne qui est la sienne. Après avoir condamné l’ours des Pyrénées à ne jamais repeupler le si vaste massif qui est le sien, la voilà qui caresse les tenants de l’élevage industriel. Vous le savez, un débat existe désormais sur la consommation même de viande. Je ne suis pas peu satisfait d’avoir joué mon rôle dans l’histoire en publiant en octobre passé mon livre Bidoche.

Chez Sarkozy, l’heure est aux élections. Tandis qu’il nous déshonore en menaçant de retirer la nationalité française à des délinquants – cela, c’est directement Pétain -, ses sous-fifres sont visiblement sommés de lancer des messages ciblés à toutes les catégories qu’il s’agit de réunir pour le grand rendez-vous de 2012. Jouanno s’exécute, comme les autres. Après l’ours, la bidoche. Je vous livre, brut de décoffrage, ce morceau de bravoure qui nous vient du site Agra Presse Hebdo :

Chantal Jouanno récuse les critiques sur la viande

À l’occasion d’une visite auprès des éleveurs de bovins le 23 juillet, à l’invitation de la Fédération nationale bovine, la secrétaire d’État à l’écologie Chantal Jouanno a récusé l’idée que pour mieux protéger l’écologie il faille cesser de manger de la viande. « La nature nous a faits omnivore, nous ne pouvons pas nous passer de protéines animales. Il est nécessaire de consommer de la viande rouge française » a-t-elle expliqué, selon des propos cités par la FNB. Accompagnée par Alain Marleix, secrétaire d’État aux collectivités territoriales, Chantal Jouanno a également passé un moment en estive dans le Cantal. Selon Pierre Chevalier, le président de la FNB, il a également été question des négociations de la Pac d’après 2013. « Il faut cesser d’opposer les politiques environnementales et les politiques agricoles », explique-t-il. Après avoir montré un exemple d’élevage extensif à Chantal Jouanno, Pierre Chevalier n’exclut pas de lui faire visiter un élevage plus intensif. « Nous avons convenu de nous revoir », affirme en tout cas Pierre Chevalier.

Je ne résiste pas, malgré tout, à reprendre ceci : « Il est nécessaire de consommer de la viande rouge française ». Française.

Et pendant que nous pérorons

Pendant que nous parlons et pérorons, tandis que je parle et pérore ici ou là, le monde poursuit son irrésistible descente aux enfers. Nous sommes le 30 juillet 2010, et je devrais avoir en tête d’autres histoires, moins macabres. Mais il faut croire que j’ai l’âme d’un croque-mot, d’un croque-mort, car voici. La revue bien connue Nature (lire ici) vient de publier une étude sur le phytoplancton des océans, signée par Daniel G. Boyce, Marlon R. Lewis et Boris Worm. Mais qu’est donc ce phytoplancton ? Il s’agit du plancton végétal massivement présent dans les couches superficielles de l’océan.

Il est notamment composé de cyanobactéries, de diatomées, de dinoflagellées, qui sont autant de micro-algues à la base des chaînes alimentaires océaniques. Quand il y en a beaucoup, cela va bien. Quand elles deviennent plus rares, cela ne va plus. D’autant que le phytoplancton utilise pour sa croissance des quantités phénoménales de gaz carbonique présent dans l’air. Ce CO2, largement responsable du dérèglement climatique, est donc neutralisé alors que dans le même temps, ce plancton miraculeux produit de l’oxygène sous l’effet de la lumière. Environ la moitié de l’oxygène synthétisé sur terre.

Faut-il bien insister ? Non, nul besoin. Toutes nos sociétés technologiques, sûres d’elles-mêmes et affreusement dominatrices, toutes reposent in fine sur le volume global de phytoplancton présent dans les océans. Allez raconter cela à Alain Minc ou à Jacques Attali, deux des plus beaux imbéciles de Paris. Tentez donc l’expérience si par (mal)chance vous les connaissez. So what ? Cela va mal, évidemment. Nature établit, sur la base de 450 000 prélèvements de planctons réalisés depuis 1899, complétant des photos satellite récentes, que la concentration de phytoplancton diminue, en moyenne, de 1% par an depuis un siècle. Depuis 60 ans, la biomasse colossale de plancton végétal aurait diminué de 40 %, ce qui est une invraisemblable folie.

L’explication reçue par l’équipe menée par Boyce est tristement simple : le dérèglement climatique, en modifiant tous les paramètres de la vie élémentaire, serait le grand responsable. La température superficielle des océans, augmentant, diminuerait les chances qu’a le phytoplancton de se développer. Il va de soi, et ne me dites pas que vous en doutez, qu’il ne peut y avoir, en cette fin de juillet, de nouvelle plus fracassante. Mais tout le monde s’en foutant avec un aveuglement qu’on peut qualifier de total, je crois pouvoir dire qu’on est mal. Oui, désolé à en pleurer, mais nous sommes mal. J’avais coutume, au temps jadis, de répéter cette formule qui me plaisait : « Ce monde inquiet sent la poudre ». Et je me trompais : « Ce monde inquiet sent la mort ». Si vous saviez comme j’aimerais écrire autre chose !