Cloper n’est pas bon pour la santé (morale)

J’en connais qui cherchent encore le moyen d’arrêter la machine à mourir plus vite. J’en connais qui ont débranché. Je viens juste glisser mon grain de poivre au milieu de tout cela, moi qui ai fumé comme un abruti pendant quinze ans. Ce qui suit n’est pas une leçon de morale. Ce qui suit est une leçon de morale. Ce qui suit est une leçon de moral. Ce qui suit est ce que vous voudrez. Le quotidien britannique The Guardian (lire ici) a publié ces derniers jours un résumé d’une fracassante enquête de l’association américaine Human Rights Watch (lire ici).

Bon, inutile d’en faire des tonnes, d’autant qu’il fait  réellement chaud. Vous ne trouvez pas qu’il fait chaud ? Chez vous aussi ? Ça ne m’étonne pas. Où en étais-je ? Une enquête, oui, menée au Kazakhstan, où entre 300 000 et 1 million de cueilleurs migrants se vendent à la puissante industrie du tabac locale. D’où viennent ces gueux ? Du pays lui-même, bien entendu, mais aussi des contrées voisines. On leur confisque alors, quand les maîtres le jugent nécessaire, leurs passeports, et pour être sûr qu’ils resteront jusqu’à la fin de la saison, on ne les paie qu’au dernier moment. Certains se retrouvent par quelque étrangeté les débiteurs de leurs employeurs. Ils ont travaillé, mais ils doivent encore payer. Est-ce malin ! Le travail, dans la fournaise de l’été, peut durer jusqu’à 18 heures par jour.

Inutile avec vous, je pense, d’insister sur les effets fortifiants des pesticides et autres produits de synthèse sur la santé des paysans. Un dernier point tout de même : Human Rights Watch a documenté 72 cas de gosses dont l’âge varie entre 10 et 17 ans, qui triment eux aussi dans les champs surchauffés. On se doute qu’il y en a des centaines, sans doute des milliers. Les 72 cas se situent tous dans le district d’Enbekshikazakh (désolé, je ne connais pas le nom français de cette région). Et là, le seul destinataire de la récolte du tabac est Philip Morris International, et donc Marlboro, sa marque phare. En France, une cigarette sur trois est une Marlboro (lire ici). Eh ! les fumeurs n’attendent pas.

Sans espoir d’éviter un malentendu (sur les OGM)

Je reprends la parole une seconde sur le sujet d’hier. Si je suis radicalement contre les OGM, c’est pour les mêmes raisons que je suis un antinucléaire définitif. Les hommes produisent comme à volonté des mirages, mais des mirages qui deviennent peu à peu des forces matérielles. Si grandes, si mystérieuses, si potentiellement dévastatrices qu’elles représentent un danger per se. En soi. Pour la raison évidente que ces artefacts créent leur propre puissance, bien supérieure aux moyens de contrôle humains.

J’ai voulu dire qu’il est vain de nier une évidence. Il peut se trouver, car il s’est trouvé, et il se trouvera des découvertes angoissantes dont une application apparaîtra, au moins un  temps, comme indiscutable. Le mieux est tout de même d’être préparés, pour ne pas perdre pied face à ceux qui triompheront alors. Je répète, et je suis bien d’accord avec Jeanne, que l’on nous a fait le coup cent fois d’une invention médicale permettant de « justifier » tout un édifice industriel et commercial. Et le travail évoqué sur les moustiques n’est jamais qu’une annonce dont rien, à cette date, n’indique qu’elle pourrait être efficace contre le paludisme réel, celui qui frappe dans ces innombrables trous du cul du monde où aucun touriste n’ira jamais.

Voilà. Ouvrir l’œil, et le bon. C’est tout.

Quand les OGM nous prennent à revers

« Activation of Akt Signaling Reduces the Prevalence and Intensity of Malaria Parasite Infection and Lifespan in Anopheles stephensi Mosquitoes ». Je dois avouer que, même pour qui pratique l’anglais, ce n’est pas une entrée en matière affriolante. En résumé, qui n’engage que moi, l’activation du signal Akt réduit la prévalence et l’intensité de l’infection par le parasite du paludisme et la durée de vie des moustiques anophèles qui en sont les porteurs. Akt est une protéine qui favorise le mouvement de cellules ennuyeuses pour la santé. Le tout est un article paru le 15 juillet dans une revue imparablement sérieuse, Journal of Public Library of Science Pathogens.

À distance, c’est très simple (lire ici). Des chercheurs, parmi lesquels Michael Riehle, professeur d’entomologie à l’Université d’Arizona, sont parvenus à créer des chimères génétiquement modifiées de moustiques, de manière qu’ils ne puissent plus transmettre cette maladie qui tue entre un et trois millions de personnes par an. Bien entendu, on ne sait à peu près rien de l’efficacité on the field, sur le terrain, de cette trouvaille. Mais est-ce bien le problème ?

Ne s’agit-il pas, aussi, de tout autre chose ? Je m’autorise à poser cette question : les OGM – puisque ces insectes sont des OGM – n’apportent-ils pas nécessairement des « avantages » et des améliorations à ce que nous connaissions ? Et la réponse est fatalement oui. Oui,  les OGM peuvent apporter bien des choses positives aux sociétés humaines tout en représentant un danger insupportable pour notre avenir commun. Attention ! Oui, attention à ne pas verser dans le dogmatisme et le manichéisme. Nous en sommes tous menacés.

L’écologie est fondamentalement une disposition plastique de l’esprit humain. Pour moi, en tout cas. Une volonté de comprendre, un effort pour mettre en relation des phénomènes affreusement complexes. Et nous n’avancerons guère, et nous n’avancerons pas si nous nous montrons incapables de contester radicalement – les OGM par exemple – sans pour autant nous ridiculiser en niant certaines évidences. Nous n’avons pas fini d’être surpris par les trucs et astuces des innombrables professeurs Nimbus de la terre. Il vaut mieux donc être prêts à faire face. Au fait, le nucléaire dit civil n’a-t-il pas été, des décennies durant, un formidable espoir de la médecine humaine ? Il me semble.

Peut-on se fier à la créosote (NON) ?

À qui se fier ? Mais à personne, ce sera nettement plus simple. Commençons par un mot sur l’association Robin des Bois, créée jadis par Jacky Bonnemains et les sœurs Kanas. Il y a trois ans, je me suis fâché – grave – avec Jacky, que je connais depuis bien vingt ans (lire ici). Je trouve que la querelle avait un sens, un sens qu’elle conserve pleinement. Mais je dois dire que j’ai pour Jacky Bonnemains de l’estime, une estime ancrée en moi, en dépit de tout. Et une pointe d’affection, peut-être ? Bien qu’il n’entrouvre jamais son impressionnante cuirasse, oui, une pointe d’affection.

Je ne l’ai pas vu depuis trois ans, car en général, je ne fais pas semblant de m’engueuler. Mais ces derniers temps, nous avons tout de même échangé quelques mots au téléphone. On verra bien la suite. En tout cas, Jacky est non seulement un écologiste, mais aussi une sorte d’artiste, doublé d’un enquêteur hors-normes. Aurait-il été flic que je n’aurais pas aimé être voyou. Quoique. Au long de trente années de militantisme, il aura mis au jour des dizaines d’histoires passionnantes, inquiétantes, édifiantes. Des dizaines. Qui pourrait dire mieux ?

Il y a de cela peut-être quinze ans – ou dix ? -, il m’avait entretenu des traverses de chemin de fer. Des anciennes traverses réformées par la SNCF et qui étaient revendues à je ne sais quel mercanti, qui les changeait en charbon de bois pour les barbecues. Et Jacky m’avait alors dit : « Mais c’est bourré de créosote ! ». Sans doute avait-il ajouté d’autres noms ésotériques, que j’ai oubliés depuis. La créosote, en tout cas, est une merde hautement toxique et cancérigène. Si les traverses en sont recouvertes, c’est pour les protéger de la pluie et du soleil. Quelle bonne idée ! Et quelle bonne idée de faire cramer cela en même temps que les saucisses ou les côtes de porc ! Toujours penser au déficit de la Sécu. Toujours.

Donc, Jacky en précurseur. Mais le voilà rattrapé par le ministère de l’Écologie qui n’aura jamais mis que des décennies à réagir. Hourra ! Borloo et Jouanno viennent de signer une charte avec plusieurs utilisateurs de bois à la créosote – dont Réseaux ferrés de France (RFF) et France Telecom – de manière à  « tracer » les traverses et les poteaux téléphoniques en fin de vie. Oui, il y a aussi les poteaux téléphoniques en bois, évidemment. On retrouve de ces charmants souvenirs jusque dans certaines maisons, où ils peuvent, selon, servir de poutres, de séparations dans les potagers, de bois de chauffage, etc. Croyez-moi, cela fait du volume. Si l’on en croit madame Jouanno, «  80 000 tonnes de bois traités usagés sont retirées chaque année des réseaux d’infrastructures de RFF, France Telecom et ERDF ». 80 000 tonnes, et combien de cancers à l’arrivée, gente dame ?

Je n’insiste pas, car à quoi bon ? Allez regarder le site de Robin des Bois, qui a beaucoup publié sur le sujet (lire ici). La sombre morale de cette ténébreuse affaire, c’est la même que si souvent. Le monde est victime d’un empoisonnement universel. Ou l’on abattra, je ne sais comment, l’industrie – notamment chimique – qui s’est insinuée dans le moindre interstice de nos vies, ou l’on pleurera misère jusqu’à la fin des temps. Qui risquent de ne pas être si éloignés que cela. Ou, ou. On appelle cela une alternative. Laquelle contient deux choix, et pas trois.

Un certain 14 juillet 2010

J’imagine qu’on garde le droit d’être balancé. J’espère que l’on conserve la liberté de penser ceci en même temps que cela. L’un des nombreux drames de l’époque – mais y en eut-il de plus favorables ? -, c’est qu’il faut nécessairement dire une chose sans accepter son envers. Avers ou envers, c’est pourtant toujours la même pièce, oui ou non ? Je veux parler de la révolution démocratique de 1789, dont on fête ce jour le 221ème anniversaire. Cela ne nous rajeunit pas, aucun doute hélas.

Moi, j’aime 89. Dans ma maison au-dessus du vallon magique – au fait, Hacène, j’y suis, j’ai tracé, je ne suis plus à Paris -, j’ai une pierre sur laquelle est inscrite la date fatidique : 1789. Je suis allé la chercher il y a un couple d’années avec mon ami Patrick, chez un homme de la vallée qui disposait de belles pierres venues d’une maison défunte. J’en avais besoin, je le lui en ai achetées quelques-unes. Dont une splendide entre toutes, sur laquelle est gravée cette date : 1789.

Disons-le, même si c’est passablement évident : j’aime la révolution. J’ai toujours aimé la révolution. À la folie, mais vraiment à la folie quand j’étais jeune et que je la voyais comme évidente, naturelle, arrivant à point nommé pour régler les questions du monde. Alors, je croyais sincèrement que l’on pouvait tirer sur les malheurs au fusil d’assaut. Un M16 ou un AK47 me semblaient la meilleure façon d’appréhender les problèmes du temps. Je reconnais que c’était une funeste sottise, mais elle fut mienne.

Maintenant que le temps a passé, je vois bien que la révolution est aussi inévitable qu’impossible. Je ne crois plus dans « l’homme nouveau », cet hombre nuevo qui paraissait si vrai, qui me paraissait à portée de main, ou de flingue. Mais dans le même temps, seul un bouleversement total des valeurs et des hiérarchies permettrait de limiter au moins la casse désormais inévitable de la crise dans laquelle nous sommes tous immergés. Et qui est, avant tout autre considération, écologique.

Je retrouve cette ambivalence à propos de 89. D’un côté, il s’agit d’un mouvement prodigieux de l’âme humaine. Les hommes d’il y a deux siècles ne pouvaient plus supporter le carcan. Celui du roi de droit divin. Celui des argousins au service des maîtres. Celui de la taille et de la gabelle. Celui des évêques emperlousés. Celui des guerres absurdes et meurtrières. Celui des enfants mort-nés. Celui des lettres de cachet. Celui des famines et des maladies. Celui des interminables labeurs. Celui de la soumission aux éternelles autorités. Dieu ! comme je me sens proche, aujourd’hui encore, des insurgés de la Bastille. Au fait, saviez-vous ce qui s’est passé rue Dénoyez quelques jours avant la prise de la célèbre prison ? On y attaqua un percepteur des impôts du roi, et je crois bien me souvenir qu’on lui fit la peau. Moi, je me promène parfois dans cette ruelle de Belleville (Paris), où résiste je ne sais quoi de ce passé. En 1789, la rue Dénoyez, qui était hors les murs de Paris, abritait quantité d’auberges et de bistroquets où la canaille – celle que j’aimerai toujours – se saoulait avant de se jeter à l’assaut du ciel.

Où en étais-je ? Le vin généreux que je bois ici m’aura monté à la tête, je crois. L’ambivalence. Je me sens donc du côté des émeutiers de 89, pardi. Ils sont des miens, je suis des leurs. Et en même temps, la révolution démocratique aura ouvert une tragique boîte de Pandore, celle des droits de l’homme, réduits à ceux de l’individu. J’entends déjà les cris de protestation. Non, pas ça ! La liberté ne se divise pas. Les droits de l’homme sont la plus belle conquête de l’histoire moderne, etc. Eh bien, je n’en suis pas si sûr. 89 aura finalement sacralisé le droit absurde de l’individu à réclamer toujours plus un dû qui ne peut lui être consenti. Rien n’arrête l’infernale revendication de procréation – jusqu’à 110 ans ? -, d’union, de possession, d’argent, de bonheur, de santé, d’espérance de vie même. Tout est désormais dû. En Italie, il existe une expression que j’utilise quand l’occasion m’en est donnée. La voici : « Piove, governo ladro ! ». Autrement dit : il pleut, gouvernement de voleurs !

Une telle attitude n’est pas née avec 89, mais indiscutablement, la révolution a enfoncé dans la tête de tous et de chacun que nous avions des droits, et que ces droits pratiquement sans limite devaient être garantis par l’État. Or, la multiplication de droits individuels qui ne sont jamais contrebalancés conduit au chaos. J’appelle chaos un monde où des possesseurs de portables, parce qu’ils le méritent bien, parce qu’ils ont payé pour cela, privatisent un espace public au profit de leur intérêt privé. Ce n’est qu’un exemple, que l’on peut multiplier par 100 et 1 000.

Je crois discerner ce qui a tragiquement manqué à 1789. Je ne fais pas de procès rétrospectif aux héros de ce temps passé. Ce qu’ils avaient à faire, ils l’ont fait, et merveilleusement. En revanche, je suis stupéfait par l’incapacité des sociétés d’Occident à imposer le complément vital des événements d’il y a deux siècles. Car bien entendu, nous avions, nous avons encore besoin d’une seconde Déclaration universelle. Enfin, réfléchissez avec moi : cela crève les yeux ! Je veux parler d’une Déclaration universelle des devoirs de l’homme et du citoyen, sans laquelle nous sommes perdus. Le monde malade qui est le nôtre exige cette déclaration. Il exige que soit proclamé avec solennité le devoir des hommes à protéger toutes les formes de vie qu’il menace de mort avec tant d’allégresse.

Notre terrifiante puissance de feu matérielle a fait de notre espèce une force géologique. Comme les volcans ou les tremblements de terre. Nous sommes passés sans oser le dire de l’ère holocène à l’ère anthropocène, celle que les humains ont forgée. La moindre des sagesses serait de tenter de limiter cette incroyable capacité à changer toutes les faces du monde. Moi, je vous propose pour finir l’article 1 de cette nouvelle Déclaration universelle. Voici : « L’homme détruit le vie, mais a les moyens de la protéger. Il a en conséquence le devoir premier, préalable, essentiel d’empêcher la disparition de formes de vie qui portent témoignage des insondables mystères de la création. Se soustraire à cette tâche reviendrait à nier l’homme en son essence ».