Monsieur Francis Sorin n’est pas content (sur le nucléaire)

Un précédent papier (ici), que j’ai consacré à la privatisation du nucléaire en France, me vaut la réponse courtoise de M.Francis Sorin. Lequel est le directeur d’une société savante dédiée à l’industrie nucléaire,la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). Cette dernière est bien connue dans le monde finalement clos du nucléaire. Elle est ainsi présentée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche : « Créée en 1973, la Société Française d’Energie Nucléaire a joué un rôle important dans la réussite technique et économique du programme électronucléaire français et de grands programmes de recherches nucléaires, ainsi que dans le rayonnement international des techniques françaises grâce aux fructueux échanges entre spécialistes qu’elle a organisés ».

Je vais bien entendu répondre à monsieur Sorin, en tentant de rester dans le ton qui est le sien. Il a le droit de parler calmement, et nous avons, ce me semble, le devoir de l’écouter. Mais aussi celui de lui répondre. Je m’y attelle sans tarder.

Bonjour,

Je suis consterné par la représentation que certains de nos compatriotes se font encore du nucléaire. Comme s’il s’agissait d’une entreprise maléfique pilotée par des puissances infernales !

Doucement! Revenons à un peu de rationnalité. Considérons les faits et arrêtons d’agiter des fantasmes!
Les réflexions publiées dans ce forum révèlent une méconnaissance profonde des réalités du nucléaire. On en dresse un portrait caricatural en surévaluant systématiquement les risques qu’il représente. Il faut pourtant constater -si l’on fait le bilan mondial de ces 50 dernières années – que par rapport aux sources électrogènes traditionnelles (combustibles fossiles et hydraulique)le nucléaire se classe de loin comme l’énergie qui induit le moins de dommage pour la sécurité et la santé des individus et pour l’environnement. On me répondra Tchernobyl, radioactivité, déchets… Ces items ont certes une forte charge émotionnelle, mais tout cela ne remet nullement en cause le constat précédent.

Je viens d’écrire un livre sur toutes ces questions (voir présentation sur le site de la SFEN www.sfen.org): « Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre », Editions Grancher.Je ne veux pas me faire de la pub déplacée et je ne prétends pas détenir la vérité…mais j’invite toutes les personnes de bonne volonté…et les intervenants de ce forum, au premier rang desquels M.Nicolino, à mieux s’informer sur ces questions (à travers mon livre ou autres documents sérieux, peu importe…)

Je ne conteste pas le droit à tout un chacun de récuser le nucléaire… mais ce serait tellement mieux si on arrétait de dire n’importe quoi sur cette énergie !

Francis Sorin, directeur du Pôle Information de la Société Française d’Energie Nucléaire

Les baleines bleues auraient-elles tout compris ?

Je poursuis ma rêverie, commencée hier ici.  Ambulocetus natans – la « baleine qui marche » -, est la charmante bestiole ci-contre, qui mesurait environ trois mètres de long. On pense qu’elle a dû vivre il y a 50 millions d’années et qu’elle était sur le chemin pour devenir une baleine. Qui le croirait ? Elle serait une sorte d’intermédiaire entre Pakicetus, que je vous ai déjà présenté (Les baleines bleues lancent-elles un message ?), et Basilosaurus, que je vous montrerai plus bas. Ambulocetus gardait encore la possibilité de sortir de l’eau, de se planquer dans une mangrove, au bord d’une plage, avant de se jeter, telle un grand méchant loup, sur ses victimes. Vous avez vu ? Oui, ses dents ne laissent place à aucun doute. Basilosaurus, ci-dessous, ne devait pas se contenter non plus de bonbons à la menthe.

Ce gaillard-là, cétacé archaïque, a pu vivre jusqu’à la fin de l’Éocène, il y a environ 36 millions d’années, et lui ne pouvait déjà plus aller à terre. Ne vous fiez pas à la taille de vignette, car il pouvait atteindre 21 mètres de long et avaler un animal de la taille d’un dauphin actuel. Ce n’est donc que très lentement que les choses ont commencé à changer, et que les baleines sont devenues de placides et pacifiques mammifères. Que faut-il donc penser d’une telle évolution ? Oui, que faut-il penser du passage de la violence quotidienne à la fluidité musicale des grands fonds ? Je vais vous décevoir, car je ne le sais pas.

Puisque la connaissance n’y est pas, reste au moins le songe et les déambulations intérieures. La baleine bleue, dont je parlais hier, est un animal si beau, si parfaitement accompli, ayant traversé tant d’épreuves qu’elle m’émeut aux larmes. J’espère ne pas vous faire peur. Mais je le répète : aux larmes. J’ai dit qu’elle avait failli disparaître. J’ai dit que son chant s’était soudainement fait plus grave, sans qu’on sache réellement pourquoi. Eh bien, je vais tenter de répondre, moi, en insistant sur le droit imprescriptible à l’imagination. Si la baleine bleue pleurait sur son monde disparu ?

Oui, et si la baleine constatait, d’année en année, l’inconcevable massacre qui se produit sous ses yeux de géant ? N’oublions jamais – je ne risque pas – que ce monument de l’histoire naturelle migre sur des milliers de kilomètres, bien que nous ne sachions pas grand chose de ses routes marines. Ce bel oiseau, ce grandiose oiseau migrateur file et traverse des immensités. Lesquelles n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient il y a seulement cinquante ans. Tout a changé. Tout est changé. Des écosystèmes stables depuis peut-être des centaines de milliers d’années ont été bouleversés par la pêche industrielle, l’un des plus grands crimes jamais conçus par l’homme. Personne, je dis bien personne n’est en mesure de saisir l’énormité des processus de destruction en cours sous la surface des mers et des océans.

Personne, c’est-à-dire aucun humain. En revanche, la baleine bleue, qui a évolué avec la mer, qui en est l’un des plus étonnants rejetons, qui voit tout, entend tout et peut-être comprend tout, la baleine bleue n’est-elle pas capable, elle, de saisir l’ampleur du drame absolu que nous avons provoqué ? Je le dis sans crainte du ridicule, cela me semble possible. Et en ce cas, le chant devenu si grave de notre si belle amie serait un pleur. Le pleur désespéré de qui se retrouve, peu à peu, seul au monde des profondeurs.

Les baleines bleues lancent-elles un message ?

 Reconstitution de Pakicetus

Mais qui est donc ce curieux animal ? Vous le saurez si vous avez le courage de lire ce qui suit. Et sinon, je n’ose tout simplement pas y penser. Attention, ça commence.

Ne croyez surtout pas les vedettes actuelles, aussi titrées soient-elles. Ne les croyez vraiment pas. Un garçon comme Aristotélês, autrement dit Aristote,  né pense-t-on 384 années avant Jésus, n’était-il pas un intellectuel de haut vol ? Cela ne l’empêchait pas, à l’occasion, de proférer de graves sornettes. Ainsi pensait-il, et disait-il, que les cétacés appartenaient à la vaste famille des poissons. J’espère vivement n’avoir vexé personne en rappelant cela, sachant que beaucoup de nous croient encore la même chose. Or, et mille excuses à Aristote, mais les cétacés ont des poumons. Il leur faut régulièrement remonter à la surface des eaux, faute de quoi, ils se noient.

Ben oui, c’est comme ça. Mais au fait, un cétacé, c’est quoi, tonton ? Un monstre marin, mon petit, K?tos comme l’appelaient les Grecs anciens. On met dans ce grand sac à merveilles les baleines, les dauphins, les marsouins, les narvals. Entre autres. On a donc pensé longtemps qu’ils étaient tous des poissons. Il faut dire que si les dauphins d’eau douce n’ont pas à plonger profondément, certaines baleines sont, elles, capables de tenir sous l’eau plus d’une heure, comme la baleine boréale. Pour un observateur d’il y a 2400 ans, au temps d’Aristote, cela ne pouvait signifier qu’une chose : ces animaux étaient des poissons. De gros poissons. De monstrueux poissons.

Les temps ont bien changé. Ils changent sans arrêt, d’ailleurs, c’est un peu énervant. Connaissez-vous le naturaliste Peter Artedi ? Si oui, j’ai affaire à forte partie. Ce Suédois, né en 1705, est mort noyé, comme une vulgaire baleine, en 1735. À seulement trente ans. Mais il était génial, soit dit en passant. Et comptait parmi ses amis un autre Suédois, Carl von Linné, qui hérita de ses manuscrits. Et publia deux livres d’Artedi après sa mort, Bibliotheca Ichthyologica et Philosophia Ichthyologica. Je précise que l’ichtyologie est cette branche des sciences naturelles qui s’intéresse aux poissons. Artedi était sans doute génial, mais il avait tout de même placé les cétacés parmi les poissons, les appelant plagiures. Dans les premières éditions de son grand œuvre, Systema Naturæ, Linné reprit sans hésiter la classification d’Artedi, avant de se ressaisir et d’enfin ranger les cétacés dans la classe des mammifères. Ouf !

Tout cela était bien joli, mais parfaitement insuffisant. Car que fichaient donc des mammifères au milieu des océans, dites-moi ? Et en effet. Comme je ne suis pas en train d’écrire un livre, je suis bien obligé d’écourter. Alors voilà. Grâce à la paléontologie, grâce à la découverte de plusieurs fossiles, on a fini par comprendre que les cétacés avaient suivi un bien étrange chemin. Chacun sait que la vie est – semble – née d’un bouillonnement au fond des océans. Et que nous viendrions donc de l’eau. En ce cas, les cétacés ont joué une autre carte. Ils étaient sur terre, ils se sont mis à nager, et fort bien.

Restait à trouver leurs ancêtres terrestres. On a cru longtemps qu’ils étaient des sortes de charognards, carnivores en tout cas, avant d’obtenir de nouvelles informations obtenues par des analyses génétiques. En résumé, on pense aujourd’hui que les cétacés font partie d’un ordre de mammifères ongulés appelés cétartiodactyles, car ils possèdent un nombre pair de doigts, deux ou quatre. On trouve dans ce fourbi les cétacés bien entendu, mais aussi les pécaris, les sangliers et donc les porcs, les ruminants, les hippopotames. Selon les spécialistes, dont je ne suis évidemment pas, cette nouvelle donne serait confirmée par la découverte d’un fossile au Pakistan, en 1983. Le fossile d’un Pakicetus, celui-là même qui est reconstitué en haut de cette page. Quand vivait-il ? Oh, disons 50 millions d’années.

Amis lecteurs, vous n’allez pas le croire, mais cette espèce de hyène abîmée a donné naissance, tout bien considéré, au plus gros animal ayant jamais existé – en attendant mieux, peut-être – sur notre planète, j’ai nommé : la baleine bleue. La baleine bleue est un animal en tout point mythologique. Elle peut dépasser 30 mètres de longueur et peser 170 tonnes, soit autant qu’un troupeau d’éléphants. Vous pensez bien que de braves chasseurs comme nous sommes n’allaient pas laisser passer une occasion pareille. Au début difficile, faute de moyens techniques, la chasse à la baleine bleue devint peu à peu une promenade de santé, à coup de bateaux à vapeur et de harpons propulsés par des canons. Entre 1930 et 1931, nous aurions tué 29 400 baleines bleues dans les seules eaux de l’Antarctique. On pense qu’au pire moment, il ne restait plus dans cette zone magique que 0,15 % de la population de baleines bleues d’origine.

Ailleurs était à peine mieux. In extremis, le massacre fut stoppé, juste avant l’extinction. Il semble, mais il faut être prudent, que depuis le début des mesures de protection, il y a quelques décennies, la population mondiale a légèrement augmenté. Mais quelle sinistre différence avec la stupéfiante diversité, avec la merveilleuse profusion d’antan. Autour de l’Antarctique, il ne resterait que 1 % des effectifs du passé d’avant la chasse criminelle des hommes. 1 %. Et voilà que j’apprends – tel est le motif véritable de mon article – que le chant de la baleine bleue a changé (ici). Le chant est à la baleine ce que la parole est à notre espèce. C’est du moins ce que je crois, sans nulle preuve, bien sûr. En tout cas, le mâle de la baleine bleue entonne, sous l’eau, de prodigieuses mélopées qui montent à 190 décibels, ce qu’atteignent à peine nos abominables avions de ligne à réaction.

Ce chant peut parcourir sans peine 100 km, parfois bien plus s’il est porté par des courants marins favorables. Eh bien, deux Américains, Mark McDonald et John Hildebrand, viennent de comparer des centaines d’enregistrements de chants de baleines bleues, effectués depuis les années 1960. Et il n’y a aucun doute : ce chant est émis dans des tonalités de plus en plus graves. Ce ne peut être le fait du hasard, expliquent les chercheurs. Quoi que ce soit – stratégie sexuelle, pollution croissante des océans -, il se passe quelque chose chez les baleines bleues. Sans jeu de mots, quelque chose de grave, au moins d’important.

Moi, je suis totalement ignorant dans ces savantes matières, mais je m’interroge comme humain, un humain qui partage avec ces cathédrales de la vie sauvage la même planète. Que se passe-t-il, grands dieux ? Que se passe-t-il ? Au risque de paraître bêtasse, au risque d’être moqué, je me demande s’il ne s’agit pas d’une sorte de message. Les animaux ne sentent-ils pas le danger, bien mieux que nous ? Dans toutes les catastrophes naturelles, l’on voit les animaux sentir bien mieux que nous l’imminence du danger. Tel a été le cas, semble-t-il, avec le tsunami sur les côtes asiatiques, à la fin 2004 (ici).

Alors, et je vous le demande sans verser dans le New Age pour autant : les baleines bleues, qui sont dotées d’une intelligence dont nous ne savons rien, mais apparemment stupéfiante, les baleines bleues ne sont-elles pas en train de lancer un avertissement solennel et universel ? Que les rieurs rient, j’ai l’habitude.

PS : afin de limiter la liste innombrable d’éventuels malentendus, je précise que le soubassement du texte ci-dessus n’est pas une théorie, ni même une hypothèse. Il ne s’agit que d’une rêverie. La mienne.

Une belle année 2010, mais si

On dirait que je présenterais mes vœux, et que je ne serais pas ridicule. Mission impossible. Sachez en tout cas que je vous souhaite réellement, à tous, à chacune, à chacun d’entre vous, une belle année 2010. Si possible avec bagarres et réjouissance. Donc une ou deux victoires. Je pense très fort, en ce début d’année, à cette idée insupportable d’aéroport près de Nantes, qui sacrifierait des milliers d’hectares d’un superbe bocage. Je pense aussi fort, j’imagine, à tous ces gens du Sud, qui n’ont rien à attendre de personne, et qui sont pourtant nos frères. Je pense également aux animaux, aux plantes, à tous les êtres vivants qui ont suivi la route avec nous.

Je nous souhaite à tous de renforcer nos liens de solidarité, d’amitié et d’affection, de manière que les choses aillent, au moins, un tout petit peu moins mal. Je nous souhaite à tous un voyage au pays de la liberté vraie et de la vie authentique. On a le droit de rêver. Salut ! ¡ Salud y fraternidad !

Madame Kosciusko-Morizet, immortelle combattante de l’écologie

Rendons à César. L’information qui est à l’origine de ce billet a été publiée par Bakchich (ici), avant d’être reprise et développée par Rue89, où je l’ai trouvée.

Je ne connais aucunement madame Kosciusko-Morizet, que les journalistes appellent NKM, heureux qu’ils sont de sembler partager quelque chose que les autres n’auraient pas. Je dois avouer de suite que ce dernier article de 2009 frôle la catégorie people, ce qui n’est pas glorieux pour moi. Mais bon, j’essaie de dire ce que je pense, et comme je viens de découvrir une abracadabrantesque historiette sur le site Rue89 (ici), je me sens tenu d’ajouter mon petit grain de sel, qui se trouve être de poivre vert. Désolé pour les pressés, mais on ne retrouvera cette fable qu’à la suite d’une longue présentation, moqueuse comme à l’habitude. Irrévérencieuse, oui, je dois en convenir.

Madame Kosciusko-Morizet est une politicienne aux cheveux flottant au vent. C’est un genre. Paris-Match lui avait offert le 23 mars 2005 une série de photos où elle posait, enceinte, couverte d’une robe diaphane dans son jardin, en compagnie – miracle – d’une harpe. Un coup de pub mémorable, mais qui ne fut pas compris comme cela. Que non ! L’inénarrable journaliste Anna Bitton – signataire d’un livre sur Cécilia ex-Sarkozy – écrivait pour l’occasion, et je vous demande de vous taire (1)  : « Il fallait un éclair d’audace. Oser, quand on est députée UMP, se prêter, pour Paris-Match, au jeu d’une photo artistique, symboliste, un tantinet New Age, et finalement très glamour. Nathalie Kosciusko-Morizet , benjamine des femmes de l’Assemblée nationale, est alanguie sur le papier glacé et sous un soleil mythique. Le chignon sage dont la belle polytechnicienne ne se départit jamais est, cette fois, défait. Les cheveux blond vénitien cascadent longuement sur une robe nacre de mousseline douce. Un bras lascif à bracelet d’or repose noblement sur un banc de pierre moussu, une main baguée caresse un ventre arrondi par la maternité. Un pied blanc et nu effleure les feuilles d’automne qui tapissent le jardin de sa maison de Longpont-sur-Orge. Une harpe, la sienne, luit en arrière-plan; deux bibles précieuses du XVIIe trônent à ses côtés »

Ce n’était qu’un début, un tout petit début. Je ne prétendrai pas que tous les événements médiatisés auxquels a été mêlée madame Kosciusko-Morizet ont été montés de la sorte, et donc pensés, mais enfin, cela se pourrait bien. Citons le pseudo-clash avec Borloo sur les OGM, qui lui avait permis, en avril 2008, d’évoquer un « concours de lâcheté et d’inélégance », avant que de devoir s’excuser. Citons la bise ostensiblement claquée sur la joue de José Bové en janvier 2008, et surtout le commentaire de l’altermondialiste, très éclairant : « Oui, on travaille ensemble depuis des années sur ces dossiers, et une relation d’amitié s’est construite entre nous. Et on se fait la bise à chaque fois qu’on se voit ! ».

Et arrêtons ce qui serait vite litanie. Madame Kosciusko-Morizet sait à la perfection se servir des médias et leur faire accroire qu’elle n’est pas comme les autres. Ceux de la droite ancienne, recroquevillée, poussiéreuse. Je pourrais aisément faire un florilège de plusieurs pages en ne citant que le titre de papiers hagiographiques parus ces dernières années. Et pas seulement dans la presse de droite, il s’en faut ! Des journaux comme Libération ou Le Monde se sont plus d’une fois surpassés dans ce qu’il faut bien nommer de la flagornerie. Je m’en tiendrai à un exemple hilarant, involontairement hilarant, paru dans Le Monde  du 9 janvier 2009. C’est un portrait, et il est long. Extrait premier : « Une femme n’est jamais plus belle que dans le regard de son amant. Le moins que l’on puisse dire est que Jean-Pierre Philippe, ex-militant et élu socialiste, aujourd’hui dirigeant d’une société de conseil, est amoureux de sa femme, Nathalie Kosciusko-Morizet. “Vous ne trouvez pas, demande-t-il, qu’elle est l’incarnation de la femme contemporaine ?” ».

Extrait second : « Il est indéniable que Nathalie Kosciusko-Morizet, dite « NKM » dans son entourage comme sur la scène publique, est d’une réelle beauté – une peau claire qui capte le moindre grain de lumière, le cheveu blond ramassé en chignon savamment indiscipliné, une panoplie de tenues déstructurées à l’élégance recherchée, jusqu’à ces mitaines qui allongent encore sa main de harpiste intermittente. Ce visage intemporel serait-il le secret de son inexorable ascension politique ? Ce serait faire injure à une femme convertie au féminisme par la lecture des deux Simone, Beauvoir et Weil, entrée très tôt en écologie, l’une des premières sur les bancs de la droite française ».

La chose est entendue. Les journalistes se pâment. Bové embrasse, et les associations écologistes pleurent quand Sarkozy décide, en janvier 2009, de la remplacer par Chantal Jouanno au secrétariat d’État à l’Écologie. Elles pleurent, littéralement, car tout le monde a visiblement eu droit aux bécots de madame. Arnaud Gossement, de France Nature Environnement : « Elle a été celle qui a fait monter le dossier environnement au sein de la droite ». Le WWF, de son côté, salue un « beau travail. Elle a fait bouger les moins de 40 ans à l’UMP. Elle démontre que les jeunes générations à droite se préoccupent d’écologie d’une manière intéressante (ici) ». Dès avant cela, en 2007, Nicolas Hulot avait déclaré avec un apparent sérieux : « Au sommet de Johannesburg, j’ai découvert sa constance, son immense compétence et son indéniable conviction. Il est rare que les trois soient réunis en politique ».

Nous y sommes enfin. Elle est belle comme le jour. Elle est incroyablement sincère. Elle est terriblement compétente. Elle est follement écologiste. Ma foi, s’il n’en reste qu’un à ne pas croire cette fantaisie, je crois bien que je serai celui-là. Bien sûr, je n’ai jamais visité l’intérieur de sa tête, et ne suis d’ailleurs pas candidat. Il est possible, il est probable qu’elle a mieux compris qu’un Sarkozy la gravité de la situation écologique. Il n’y a d’ailleurs pas de difficulté. Il est possible, il est probable qu’elle considère les questions afférentes à la crise de la vie comme méritant quelques mesures. Mais pour le reste, je suis bien convaincu qu’elle est une politicienne on ne peut plus ordinaire.

Ceux qui la vantent tant, y compris dans des groupes écologistes, ont fini par croire qu’elle était compétente. Mais en quoi, pour quoi ? Sa carrière est vite résumée. Née en 1973 dans une famille bourgeoise, elle entre à Polytechnique, puis devient Ingénieur du génie rural et des eaux et des forêts (Igref). Quelle pépinière d’écologistes ! Ce corps d’ingénieurs d’État est responsable au premier rang des politiques menées depuis la guerre en France contre les ruisseaux et rivières, les talus boisés, les forêts, et pour le remembrement, les nitrates, les pesticides. Elle n’en est pas coupable ? Non, mais quand on choisit un corps comme celui-là sans ruer dans les brancards très vite, eh bien, justement, l’on choisit.

Et nul doute que madame Kosciusko-Morizet a choisi. Entre 1997 et 1999, elle travaille à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie, autre antre de la deep ecology. Elle poursuit sa route comme conseillère commerciale à la direction des relations économiques extérieures du même ministère. Au passage, je serais ravi qu’elle publie la liste des dossiers sur lesquels elle a alors travaillé. Par exemple sur son blog (ici), qui sait ? À côté des envolées d’Anna Bitton, ce serait du meilleur effet. Mais poursuivons. Après 2001 – nous nous rapprochons -, elle devient conseillère auprès du directeur de la stratégie d’Alstom. Alstom ! Le bâtisseur d’une grande partie des turbines du barrage chinois des Trois-Gorges ! Elle, conseillère, en stratégie, auprès d’Alstom ! Derechef, je ne serais pas mécontent que madame nous parle des conseils stratégiques qu’elle a pu donner à un tel ami de la nature.

La suite ? C’est la rencontre avec Chirac, et la mise sur orbite de la Charte de l’Environnement. Elle prépare pour lui le Sommet de la terre de Johannesbourg, l’été suivant. Mais avant toute chose, et je le répète, avant toute chose, elle s’arrange pour devenir la suppléante du député Pierre-André Wiltzer dans l’Essonne, aux législatives de 2002. À 29 ans. Sans la moindre preuve, je pense que le coup était préparé par ce vieux renard de Chirac. Car dès le gouvernement Raffarin II désigné, un certain Pierre-André Wiltzer se retrouve comme par hasard ministre. Et madame Kosciusko-Morizet devient aussitôt député, poste qu’elle occupera jusqu’à sa nomination ministérielle de 2007, et qu’elle retrouvera sans aucun doute.

And so what ? Je l’ai dit et le répète pour les sourds et les malentendants : madame Kosciusko-Morizet est une politicienne ordinaire, qui a découvert par hasard une formidable niche écologique et qui l’occupe du mieux qu’elle peut, tout en fourbissant les armes de son avenir. Et son avenir, elle le voit à l’Élysée, ni plus ni moins. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle. Dans son livre : « Tu viens ? », paru chez Gallimard, elle lâche le morceau : « Je veux être Présidente de la République ! ». Dès lors, tout devient d’une grande limpidité. Comme elle n’a que 36 ans, près de 20 ans de moins que Sarkozy, elle peut évidemment attendre au moins autant d’années. Et se forger en attendant une image de rebelle – je ne peux m’empêcher de rire aux éclats en associant l’image de la dame et celle du rebelle -, de femme compétente, de mère admirable, de harpiste incomparable, d’écologiste passionnée (et passionnante).

Voyez-vous, l’une des raisons du drame où nous sommes tous plongés est cet état de confusion régnant dans la presque totalité des cerveaux. Il suffit à des gens en apparence raisonnables – dont certains sont même écologistes- d’un battement d’yeux, d’un baiser sur la joue et de bimbeloterie diverse sans être variée pour qu’ils croient aussitôt la chose arrivée. Je me moque, c’est exact, mais ce sont eux qui l’ont cherché, pas moi. Si madame Kosciusko-Morizet était écologiste, au sens que je donne à ce noble mot, elle aurait évidemment refusé avec hauteur le secrétariat d’État à l’économie numérique que lui a refilé Sarkozy, qui ne la souffre pas. Voyons ! Si elle pensait ne serait-ce qu’un peu que la planète est à feu et à sang, accepterait-elle d’aller inaugurer les chrysanthèmes électroniques ? Voyons.

Si elle était écologiste, elle aurait démissionné avec fracas, déclarant avec pour une fois une flamme sincère, que la droite au pouvoir n’a évidemment rien compris – comme la gauche, d’ailleurs – à la crise écologique. Mais elle s’est couchée devant le maître, comme le font tous les autres depuis toujours. Et l’écologie attendra un moment plus favorable. S’il fallait une preuve supplémentaire, mes pauvres lecteurs de Planète sans visa, elle serait dans la place qu’occupe madame Kosciusko-Morizet au sein du dispositif de la droite. Le saviez-vous ? Elle est, depuis mars 2008, secrétaire général adjoint de l’UMP. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Du temps passé dans les innombrables embrouilles et magouilles d’un parti de cette nature ? Vous rendez-vous compte ? J’ajoute un dernier mot sur son « amitié indéfectible » avec Rachida Dati, hautement et publiquement revendiquée. Deux femmes, comme on peut voir. Et deux ego aussi démentiels que ceux de leurs pairs hommes. Nous voilà bien.

Et bientôt arrivés. Que raconte donc le site Rue89, que j’évoquais tout là-haut, pour commencer ce vilain papier ? Presque rien. Nous sommes un peu avant l’été 2008, et madame Kosciusko-Morizet est toujours secrétaire d’État à l’Écologie, poste très enviable qui permet de passer dans les journaux presque chaque jour. Il y a eu le Grenelle de l’Environnement, on parle de taxe carbone, la réunion de Copenhague se profile à l’horizon. En bref, la place est bonne. Oui, mais la sous-ministre n’est pas tranquille, car Sarkozy, qui sait tout des bonnes relations qu’elle a entretenues avec Chirac, ne lui passe rien.

Elle veille donc au grain, au moment même où son mari, ancien socialiste devenu – devinez – sarkozyste, écrit un livre intitulé : « Où c kon va com ça ? Le besoin de discours politique ». Un ouvrage dont la France pouvait se passer, ce qu’elle a fait d’ailleurs, mais sur intervention révulsée de cette chère madame Kosciusko-Morizet. Le livre de monsieur, déjà mis en page, devait atterrir dans les librairies en septembre 2008. Que cachait-il de si terrible ? Selon les informations de Bakchich et de Rue89, le livre était barbant comme tout, mais faisait quelques allusions au maître de l’Élysée, Sarko 1er. Et cela, pour madame et ses ambitions, n’était simplement pas concevable.

Selon Bakchich, elle aurait menacé de divorcer en cas de publication ! Selon Rue89, elle se serait ridiculisée au cours d’un repas d’anthologie avec l’éditeur de son mari, Marc Grinsztajn. Ce dernier raconte : « On a convenu d’un dîner à mon retour de vacances. Au départ ça devait être un dîner pour discuter (…) mais ça s’est transformé en dîner officiel avec sa femme au ministère ». Diable ! Au ministère de madame Kosciusko-Morizet ? Pour un livre écrit par son mari ? Certes. Et voici la suite, telle que racontée par le même : « Elle feuilletait le livre tout au long du dîner en disant : “Ça c’est subversif, ça c’est subversif…” ». Guilleret, hein ? Et pour la bonne bouche, ces propos attribués à la si subversive madame par Marc Grinsztajn : « Normalement, je ne lis pas les livres de mon mari, pour qu’on ne m’accuse pas de les censurer. Mais quand Libé a appelé pour faire un portrait de mon mari sur le thème “Jean-Pierre Philippe, premier opposant de Nicolas Sarkozy”, ça m’a mis la puce à l’oreille. J’ai demandé à un conseiller de le lire, qui m’a dit : “Madame, le livre ne peut pas sortir en l’état. Si le livre sort, vous sautez.” ».

Voilà. Voilà celle que tant d’écologistes, voire d’altermondialistes, considèrent comme l’une des leurs. La prochaine fois que vous la verrez aux actualités, ce qui ne saurait tarder, rappelez-vous cette phrase-étendard : « Ça c’est subversif, ça c’est subversif…». Et riez de bon cœur.

(1) Le soir du premier tour des présidentielles de 1995, dans un numéro inoubliable, le candidat battu Édouard Balladur avait crié à ses partisans, qui apparemment voulaient en découdre verbalement avec Chirac, passé in extremis devant leur champion : « Je vous demande de vous taire ! ». Des images comme on aimerait en voir plus souvent.

PS : Cette histoire, à la réflexion, me fait penser à Panaït Istrati, écrivain roumain. Je l’ai beaucoup lu, je le tiens pour un grand de la littérature du siècle écoulé. En outre, il était incapable de mentir. Compagnon de route du parti stalinien à la fin des années 20, il se rend en Union soviétique à l’heure où tant d’autres écrivent des odes à Staline. Je ne parviens pas à remettre la main sur un livre écrit, je crois, en 1930, et qui s’appelle Vers l’autre flamme. Si je me trompe, ce sera sur des détails. Donc, Istrati ramène d’un long séjour en Union soviétique ce livre, dans lequel, à la différence de (presque) tous les autres, il dit la vérité. Il a vu le malheur, la dictature, la mendicité, il a vu les innombrables vaincus du pouvoir stalinien. Et comme, sur place, il se plaint auprès de ses hôtes, l’un d’eux, probablement un écrivaillon aux ordres, lui dit : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Alors, Istrati lui répond : « Camarade, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? ».

Il ne s’agit que d’un rapprochement, pour sûr, car je place Istrati bien au-dessus des lamentables mièvreries évoquées ci-dessus. Simplement, je trouve que Panaït permet de reprendre ses esprits, quand on les a perdus. Or un nombre considérable de gens de bonne foi n’ont plus les yeux en face des trous dès qu’il est question de madame qui vous savez désormais. D’où ce rappel en apparence incongru du grand homme oublié que fut Istrati.