Et si on libérait les mers ?

Ci-dessous, des articles publiés sur Charlie.

Pourquoi suis-je monté à bord de cette nouvelle galère ? Parce que. Pendant des centaines de siècles, des centaines de millénaires même, le poisson et ses nombreux commensaux ont été les rois de la mer. De toutes les mers. Et puis sont arrivées les longues lignes, vers 1815, qui sur des kilomètres de fils alignaient des milliers de hameçons. Et puis est venu – 1892 – le chalut-poche. Et puis s’est répandu le moteur. L’industrie de la pêche commençait, et comme l’industrie de l’agriculture, elle aura tout ravagé. Les côtes et les hauts fonds pour commencer, avant de s’attaquer aux monts sous-marins et à ces poissons très singuliers qui vivent à 1000 mètres de profondeur, et plus.

Le plus grand chalutier au monde, un ancien pétrolier, mesure 228 mètres de long et peut stocker dans ses cales jusqu’à 14 000 tonnes. Devenu Chinois sous le nom de Damanzaihao, il a failli faire disparaître le chinchard au large du Chili. La France semble n’avoir, en comparaison, que de tout petits bras, mais elle se bat, la valeureuse. Le 25 septembre dernier, à Concarneau, on a inauguré sous haute protection policière un nouveau navire, le Scombrus, long de 81 mètres. En un passage de ses chaluts, il peut ramasser entre 50 et 120 tonnes de poissons, et de tout le reste. Des chalutiers de cette sorte, il n’en existe chez nous qu’une dizaine, qui pillent allègrement ce qui reste en vie sous la ligne de flottaison. Un tiers des prises mondiales servent à fabriquer de la farine, essentiellement destinée à nourrir les porcs, poulets et bovins de l’élevage concentrationnaire.

En face de ces monstres, la pêche artisanale, qui fait vivre des familles et fait tourner l’économie des ports. 85% des chalutiers battant pavillon français ont moins de 12 mètres et devraient en bonne logique avoir la priorité dans toutes les politiques publiques. Mais on connaît la chanson, qui fait pleurer strophe après strophe. Est-ce que cela peut changer ? Pardi, oui.

Le 25 septembre, je devais être à Concarneau, et seul un pépin de dernière minute m’en a empêché. Mes amis de l’association Pleine Mer – l’épatant Charles Braine – et ceux de Bloom – Claire Nouvian je t’embrasse, Sabine et Frédéric, bonjour – ont sur place mis les pieds dans le filet dérivant. Organisant tant bien que mal – malgré les flics – les « funérailles de la pêche artisanale ».

Qu’ont-ils dit ? L’évidence. Le groupe France Pélagique, qui arme le Scombrus, « est une filiale française du géant néerlandais Cornelis Vrolijk, dont l’empire tentaculaire étend son emprise bien au-delà de l’Europe, de la France, au Nigéria, en passant par le Royaume-Uni ». Des responsables de chair et d’os, il en est, comme « l’ancien directeur général de France Pélagique, Antoine Dhellemmes (…), vice-président du Comité national des pêches ». Enfin, « les tendances à l’œuvre au niveau mondial, que ce soit la crise climatique, plus intense et rapide que dans les pires scénarios, ou encore l’effondrement de la biodiversité, appellent à des prises de position fortes de la part de nos décideurs politiques. L’industrialisation de la pêche appartient au passé ».

Et c’est là que je réapparais. Depuis longtemps, je pense que seule une interdiction mondiale de la pêche industrielle – couplée dans mon esprit à celle du plastique, peut encore sauver une part de nos océans. À la suite de discussions, nous sommes tombés d’accord pour une campagne grandiose et planétaire, exigeant que cet infernal outil de destruction soit enfin détruit. Un collectif est sur les rails, et on peut bien entendu, sous une forme ou une autre, le rejoindre (1).

Ce que j’ai dans la tête, c’est une alliance entre le Nord et le Sud. Entre les petits pêcheurs d’ici et ceux du Sénégal, désespérés de voir le poisson d’antan happé par les machines de guerre russes, chinoises, coréennes, européennes. Et ceux de Sri Lanka. Et ceux de l’inde. Et ceux de l’Amérique latine. Bref. Je rêve comme jamais d’un sursaut historique, qui mettrait au premier plan de toutes les sociétés humaines l’extrême bonheur des mers. Qui est contre ?

(1) Pleine mer : https://associationpleinemer.com. Bloom : bloomassociation.org

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Quand la science devient la leur

Ah ! je n’ai pas encore tout lu, j’avoue. Mais la durée de vie des livres est désormais un éclair dans le ciel, et je serais navré que celui-là ne trouve pas les lecteurs qu’il mérite. Dans Les gardiens de la raison (La Découverte) – titre un peu bizarre -, Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurent sortent un projecteur. Il s’agit pour eux de raconter ce qu’est devenue la science. Ce qu’est devenu certain usage d’une certaine science à l’heure où les transnationales ne respectent plus aucune frontière.

D’emblée, on est plongé dans le grand bain de la désinformation. Nous sommes dans un quartier chic de Paris, au sous-sol d’un petit palais de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. On y tient colloque, et la maîtresse de cérémonie n’est autre que Delphine Grey, directrice générale de l’Union des industries pour la protection des plantes (UIPP), le lobby des pesticides.

On retrouve dans la même salle tous les acteurs français d’une vaste entreprise « d’information » : outre Guey, des gens de Bayer et autres philanthropes, des journalistes comme les enragés Géraldine Woessner (Le Point), Emmanuelle Ducros (L’Opinion), Marc Menessier (Le Figaro), la FNSEA, le lobbyiste professionnel Serge Michels, le larouchiste Rivière-Wekstein, les « scientifiques » de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), l’ANIA – lobby de l’agro-alimentaire -, ses think-tanks, comme l’institut Sapiens ou Fondapol.

Tout défile, jusqu’au sociologue Gerald Bronner, aimé du Point et de nombreuses autres gazettes, qui est savamment remis en cause dans ce qu’il affectionne le plus : l’objectivité, la raison, la science. Ne loupez pas l’histoire édifiante de l’AFIS, créée, mais oui, par un militant communiste, Michel Rouzé.

Ce qu’on ne trouve pas dans le livre, et ce n’est pas un reproche, c’est l’explication. Qu’y a-t-il dans la tête de tous ces gens ? Certains, sans nul doute, profitent sans aucun doute d’une manne. On ne peut rien exclure. Rien. Mais bien d’autres, visiblement, croient ce qu’ils disent. Disons que ça fait réfléchir.

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Ce que nous devons tous au Pakistan

Saisissant papier dans le New York Times (1) du 27 septembre. Son auteure, l’écrivaine et journaliste Fatima Bhutto, y parle de Karachi, la plus grande cité du Pakistan. Sa ville, qui a résisté à tout : les affrontements sectaires, le terrorisme, les gangs armés de lance-roquettes, sa police, plus redoutée que ses voleurs les plus retors.

Mais d’évidence, ce n’était encore à peu près rien. Karachi et ses 20 millions d’habitants sont face à un monstre autrement redoutable : le dérèglement climatique. Le 27 août, la ville a reçu d’un coup 230 mm de pluie. Dévastatrice, on s’en doute. Des milliers de maisons pauvres ont été emportées, car il n’existe aucun système de drainage ou de récupération des eaux de pluie. Ça tombe, point.

Les pertes économiques, en fait inchiffrables compte tenu de l’économie informelle, se chiffrent en centaines de millions de dollars. La Banque mondiale, cette amie des peuples, estime que 15% du PIB pakistanais disparaissent déjà, chaque année, à cause du dérèglement climatique et des dégâts écologiques.

Fatima Bhutto : « La liste des désastres climatiques qui affectent mon pays n’a pas de fin. Les glaciers de l’Hindu Kush, de l’Himalaya et du Karakoram au nord du Pakistan fondent à une vitesse accélérée (…) Après la fonte, la sécheresse et la famine suivront. À l’avenir, la terreur viendra de la chaleur, du feu et de la glace ».

Et de rappeler que le Pakistan est en toute première ligne, lui qui émet si peu de gaz à effet de serre. Combien de terroristes naîtront-ils de cette si totale injustice ?

(1) nytimes.com/2020/09/27/opinion/pakistan-climate-change.html

Dupond-Moretti, le beauf de Cabu

On n’insulte pas, du moins en public. Et c’est justifié, mais parfois rageant, comme dans le cas du ministre de la Justice Dupond-Moretti. Car on le traiterait volontiers de gros con. Mais comme on sait se tenir, contentons-nous de dire qu’il est une parfaite illustration du personnage créé par Cabu. Le fameux beauf. Cherchez pas, c’est lui.

Au motif qu’il sait aligner une plaidoirie et terroriser par la gueulante huissiers de justice et présidents de tribunaux, il se croit le meilleur. L’un des meilleurs. Et une petite cour, y compris médiatique, l’entretient dans l’illusion. Dupond-Moretti, c’est l’encanaillement à deux balles. Mais bon, en ce cas, pourquoi parler de lui ? Parce qu’il a commis une préface à un livre du pathétique Willy Schraen, président de la fédération nationale de la chasse, et superbeauf lui-même.

Si vous voulez savoir qui est Schraen, lisez plutôt cela. On n’est plus très loin d’un discours de guerre civile. Il parle volontiers de ces « “Khmers verts” qui pensent que l’homme vaut moins qu’un phoque ». Ou encore : « Les combats de coqs auxquels il a assisté dès l’âge de 4 ans avec son pépé. « Je l’ai regardé pendant des heures installer des aiguilles de 10 à 12 centimètres qui remplaçaient les ergots coupés. C’était la sortie du dimanche, les gens pariaient. » Le sang ? Les cris des bêtes ? « Un coq qui meurt, c’est pas un drame. Ils sont bons à manger, leur chair est meilleure que celle du poulet. »

Cet homme obtient tout de Macron via le lobbyiste Thierry Coste, qui embrasse notre président devant les caméras sans seulement se gêner. Extrait d’un édito de Schraen en décembre 2018, dans la revue qu’il dirige : « Les engagements du Chef de l’État, confirmés encore il y a quelques jours, vont nous permettre de chasser les oies en février. Je sais que vous êtes nombreux à douter de cela après 20 ans de promesses et de déception, mais nous sommes enfin prêts ».

Bon, je me suis éloigné de Dupond-Moretti pour mieux y revenir. Dans sa préface, celui qui est censé incarner l’esprit de justice en France, écrit : « Ce livre, les ayatollahs de l’écologie s’en serviront pour allumer le barbecue où ils cuiront leurs steaks de soja ». Eux, c’est-à-dire nous, nous sommes les intolérants, les ayatollahs, comme il dit. Et lui, la déesse Thémis, insensible aux cajoleries et aux pressions. Tartufe, va !

Et il ajoute pour montrer à quel point il est équanime : « Ils veulent que nous ayons honte d’être chasseur, (…) nous culpabiliser d’être ce que nous sommes, car nous sommes aussi notre passion. Et depuis trop longtemps nous refusons de nous défendre, convaincus sans doute que l’intolérance et l’absurde ne méritent pas de réponse ». Cela paraît un poil cinglé, non ?

Dupond-Moretti, ignare sans l’ombre d’un doute, mais surtout de mauvaise foi, entend oublier comment le monde de la chasse est parvenu à se faire entendre des politiques. Par le biais jadis du parti Chasse, pêche, nature et traditions. Par un lobbying furieux ensuite, qui permet à 1,1 million de chasseurs de faire la loi dans un pays qui ne supporte plus les coups de fusil sur des animaux artificialisés pour leur plaisir. Retenez ce chiffre : 1,1 million ! Dans la France de 1945, qui ne comptait que 39 millions d’habitants, ils étaient 1,8 million. Et encore 2,2 millions en 1975. Âge moyen en 2020 : autour de 55 ans, et seulement…2,2 % de femmes…

Surtout, n’écoutez pas les fariboles de Schraen et Dupond-Moretti, et leurs odes à une ruralité de pacotille. Il n’y a pas 8% de paysans chez les chasseurs, quand les cadres et professions libérales approchent des 40%. Mais qu’importe la vérité à un ministre de la Justice, aux temps d’Emmanuel Macron ? On croit ne pas pouvoir tomber plus bas, mais on se trompe.

La betterave, le ministre et le « syndicat »

Ce texte a été publié hier le 6 août sur le site https://nousvoulonsdescoquelicots.org

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Nous sommes le 6 août, et il se passe dans la torpeur de cette énième canicule un événement hors du commun : le gouvernement est prêt à remettre en circulation un pesticide interdit, l’un de ces néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles et de tant d’autres insectes. Au motif qu’une maladie des plantes, la jaunisse virale, menace le niveau de production de la betterave industrielle. Notons que cet argument, qu’il soit sérieux ou fallacieux, peut être ressorti dans d’innombrables autres occasions. Et constatons qu’il s’agit de modifier la loi de la République pour complaire à des intérêts on ne peut plus particuliers. À ce stade, c’est une déclaration de guerre à ces millions de Français qui ont déjà exprimé, au travers du mouvement des Coquelicots ou par leurs achats quotidiens qu’ils voulaient la fin de ce système criminel.

Inutile ici de trop insister : oui, ce système irresponsable est aussi criminel, car il s’attaque au vivant, à cette chaîne si fragile du vivant, jusques et y compris à la santé des humains. La science, la science vivante – en l’occurrence le CNRS et le Muséum national – documente l’effarante disparition des oiseaux et des insectes. Pas au Penjab ou à Djibouti, en France. Ce désastre repose sur une alliance de longue date entre le ministère de l’Agriculture et ses pseudopodes, les firmes de l’agrochimie et ce si curieux « syndicat » qu’est la FNSEA, dont l’action continue semble être d’accompagner la mort des paysans et le triomphe des grosses machines et de la chimie de synthèse.

Mais revenons aux faits. Ce 6 août, le ministère de l’Agriculture a publié un communiqué par lequel il promet à l’industrie agricole de la betterave un changement de la loi. Celle-ci interdit depuis le 1er septembre 2018 sept pesticides néonicotinoïdes pour la raison certaine qu’ils s’attaquent à l’un des biens communs les plus précieux : les pollinisateurs. Qui a notamment porté cette loi aussi impérieuse que tardive ? Madame Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité, aujourd’hui ministre d’État, en charge de la transition écologique. Sur son blog, madame Pompili écrivait en 2018 : « Je suis très fière d’avoir, avec d’autres, obtenu cette grande avancée dans la loi biodiversité‬ en 2016. Une pensée pour celles et ceux qui se sont battus avec moi dans un contexte difficile : Geneviève Gaillard, Jean-Paul Chanteguet, Viviane Le Dissez, Delphine Batho, Ségolène Royal et d’autres que je remercie pour leur courage et leur détermination ».

Il va de soi, dans ces conditions, qu’il n’y a pas de place dans le même gouvernement pour madame Pompili et monsieur Denormandie, le nouveau ministre de l’Agriculture. Ou l’une ou l’autre. Il n’est pas impossible que, sans s’en rendre compte lui-même, Emmanuel Macron se soit mis dans une situation infernale. Nous verrons bien. Mais dès maintenant, il faut essayer de comprendre ce qui se passe. Et la première évidence, c’est que la betterave intensive est, pour le vaste lobby de l’agriculture industrielle, au cœur de cette noble activité.

D’abord parce que c’est la première production agricole française, qui fait de notre pays le deuxième producteur au monde, mais le premier dans le domaine des biocarburants venus de la betterave. Les défenseurs de ce système ne semblent pas gênés, après avoir juré mille fois qu’ils existaient pour nourrir le monde, de distraire des quantités toujours croissantes de plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. On ne sait pas si la France utilise une autre technique répandue aux États-Unis, mais on n’en serait pas surpris : là-bas, on utilise la betterave comme revêtement routier. Très pratique, paraît-il.

Donc, une industrie centrale. Bien entendu, et comme à chaque fois que le poste de ministre de l’Agriculture change de pensionnaire – M.Guillaume est sans doute en vacances au Pays basque, remplacé par M.Denormandie -, le lobby teste le petit nouveau. Sera-t-il aussi flexible que tant d’autres prédécesseurs ? Jusqu’où pourra-t-on pousser ces multiples avantages accordés à l’industrie de l’agriculture depuis désormais 75 années ?

Mais ce test habituel, ô combien réel, ne doit pas masquer une autre réalité : M.Denormandie et son cabinet étaient au point de départ (très) favorables au lobby agro-industriel, et c’est d’ailleurs pour cela et rien d’autre qu’ils sont en place. Voyons d’un peu plus près, ce sera éclairant. Qui est M.Denormandie ? Un ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, grand corps technique d’ingénieurs d’État qui a fusionné avec celui des Ponts et Chaussées. Et que trouve-t-on dans son cabinet ? Des ingénieurs du génie rural et des eaux et forêt, comme Carole Ly ou Pierre Marie, et même un ancien employé du plus vaste lobby agro-industriel de la planète appelé ILSI – Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta, DuPont, Dow -, Pierre Dussort. En charge au cabinet de la…souveraineté alimentaire.

Ces gens-là ne possèdent qu’une vision, quelles que soient leurs éventuelles qualités personnelles. Le corps du génie rural et des eaux et forêts truste depuis des décennies tous les postes de responsabilité publique dans le domaine de l’agriculture, et il est le grand responsable technique de l’industrialisation des campagnes et de la mort des paysans. Tout a été entrepris sous son contrôle, et souvent à son initiative : le drainage des zones humides, le remembrement et donc la disparition des bocages et des talus boisés, le « recalibrage » des rus et ruisseaux, l’usage massif des gros engins et de la chimie de synthèse. Il serait vain de demander à de telles personnes de miser sur le chant de l’alouette et le bonheur de l’agro-écologie.

Une anecdote pour finir. Nous sommes en 1970 et Jean-Claude Lefeuvre – il deviendra l’un de nos plus grands écologues – emmène ses étudiants dans le haut-bassin de la Vilaine. Ils constatent la présence dans l’eau de 10 mg de nitrates par litre d’eau. C’est tout nouveau, et cela intervient – tiens – après une opération de remembrement. Génial précurseur, Lefeuvre comprend que l’élevage industriel qui déferle et l’agriculture intensive qui s’étend vont fatalement farcir les eaux de Bretagne de ce poison. Il alerte. En 1970. Et le directeur régional de l’Agriculture, ingénieur du génie rural comme M.Denormandie, lui rétorque : « Monsieur, vous ne devriez pas affoler les populations avec des problèmes qui n’en sont pas. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour les nitrates ».

En 1976, la situation est déjà dégradée, et Lefeuvre récidive devant les quatre directeurs départementaux de l’Agriculture de Bretagne, tous ingénieurs du génie rural comme M.Denormandie. Le directeur régional de l’Agriculture qui les commande – un autre que celui de 1970, mais tout autant ingénieur du génie rural – lui lance cette fois : « Monsieur Lefeuvre, s’il y a un problème, nos ingénieurs sont là pour s’en occuper ».

Ce projet de modification de la loi française en faveur des betteraviers est une pure et simple infamie

À ceux qui croient au père Noël vert

Publié par Charlie

On me demande de tous côtés – hélas, rien de moins vrai -, ce que je pense de cette fameuse « poussée verte » qui a conduit à l’élection de maires « écologistes » à la tête de quelques grandes villes. Eh bien, commençons par dire du bien de quelques-uns et unes d’entre eux. Les mairesses de Strasbourg et de Marseille – que je ne connais nullement – me paraissent être d’excellentes personnes, et ma foi, tant mieux pour les locaux. Je dois, par ailleurs, avouer ma (bonne) surprise à propos du nouveau maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, que je n’ai jamais vu. Le voilà qui parle de décréter « l’état d’urgence climatique » et de s’attaquer pour de vrai à la bagnole, cette monstruosité sociale, économique, psychologique, écologique enfin. On verra.

Pour le reste, quoi ? Rien. Je rouvre devant toi, ma lectrice de choc, mon lecteur d’acier, un numéro de mars 1989 de l’hebdo Politis. On y lit sur la couverture, en deuxième titre : « Municipales, la percée verte ». Où veux-je en venir ? Pas loin. Tout passe, tout lasse, tout revient et disparaît. Waechter fait 3,78% à la présidentielle de 1988, Voynet 3,32 % en 1995, 1,57% en 2007, Eva Joly 2,31% en 2012. Aux régionales de 1992, les Verts et Génération Écologie obtiennent 14% des voix. Aux Européennes, Waechter arrache en 1989 la bagatelle de 10,59% quand Cohn-Bendit n’atteint que 9,72% en 1999, déclenchant pourtant des cris d’extase, surtout parmi ses nombreux amoureux transis des médias. En 2009, le même gagne 16,28%, et quand Jadot fait 13,49% en 2019, à nouveau, la presse s’enflamme et le proclame roi de France, ou peu s’en faut.

Ce n’est pas agréable à lire, mais tout cela est une bouffonnerie. D’un côté, les écolos – un mot honni sous ma plume – vont répétant que la planète est en danger, qu’il ne reste que dix ans, trois, six mois, trois jours ou quatre heures pour éviter la fin du monde, et de l’autre, ils misent tout sur l’élection suivante, qui ne change ni ne changera jamais rien.

La raison en est (presque) simple : le vote s’inscrit dans une réalité qui n’existe plus. Celle des nations, celle d’une histoire finalement immobile ou invariante, celle d’avant la crise écologique planétaire. Par chance, on peut encore se moquer. Ainsi, dans les mois qui viennent, va-t-on assister à une bagarre au couteau entre les deux prétendants pour la présidentielle de 2022 : Yannick Jadot contre Eric Piolle.

Le premier est exécré par le micro-appareil vert et son secrétaire national, Julien Bayou. Incapable d’avoir beaucoup d’amis et de soutiens, il part avec un handicap sévère. Le maire de Grenoble Piolle, en revanche, soutenu par Bayou, se voit déjà investi. Les deux n’ont aucun différend politique, mais veulent la même place. Un choc d’ambitions, un conflit entre Lilliputiens.

Une mention pour Cécile Duflot, qui a abandonné le navire en perdition en 2017. Bananée à la primaire écologiste d’octobre 2016, qui consacre son ennemi « mortel » Jadot, elle se tire chez Oxfam-France, dont elle devient directrice générale. Sans un mot d’explication sur le désastre du mouvement qu’elle a dirigé, dont le fleuron est un certain Jean-Vincent Placé, fier amoureux – authentique – de l’armée française et de Napoléon. À Oxfam, elle s’emmerde d’autant plus qu’elle a le sentiment d’avoir loupé une occase, et continue à tirer les ficelles en faveur de Piolle. Tout plutôt que Jadot.

C’est donc à pleurer, car cette pantomime condamne à l’impuissance totale ceux qui continuent à croire à ces jeux de maternelle. Et selon moi, il n’y a rien à faire. Rien à faire d’autre que de clamer cette évidence : la crise de la vie sur terre, sans aucun précédent dans l’histoire des hommes, exige une rupture mentale complète. Il faut inventer des formes neuves, envoyer au compost les anciennes, assembler toutes les énergies encore disponibles dans un vaste programme contre la destruction du monde. Peu importe que nous soyons dix, ou cinquante, ou cent au point de départ. Il n’y a pas d’autre solution que de penser. Et d’agir. Pour de vrai. Pour de bon. Y a-t-il des volontaires ?

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De la taule pour les forbans du lac de Caussade

Lac de Caussade, 77ème épisode. Le Lot-et-Garonne, où se passe l’intrigue, est un champion parmi d’autres de l’agriculture irriguée. La Coordination rurale, syndicat qui ferait passer la FNSEA pour une antenne du NPA, tient la chambre d’agriculture. Et ses charmants chefaillons décident en octobre 2018 de commencer la construction d’un lac de retenue de 20 hectares, qui sera rempli par le ruisseau de Caussade. 920 000 m3 seront ainsi mis à la disposition d’une poignée d’irrigants, 20 ou 30.

Les travaux sont entrepris sous le contrôle de la chambre d’Agriculture, illégalement. Pas très grave, car tous les officiels se sont couchés les uns après les autres. La préfète, les ministères – De Rugy, encore bravo -, les gendarmes.

Le 7 juillet encore, les charmants bambins de la Coordination rurale faisaient bénir à l’encensoir la retenue par un diacre en aube blanche, René Stuyk (1). Sans l’endurance d’Anne Roques, de France Nature Environnement (FNE), on aurait concocté dans les coulisses un arrangement, mais voilà : il existe encore des braves. Et le 10 juillet, le tribunal correctionnel d’Agen a condamné les deux matamores – président et vice-président de la chambre d’agriculture – à la taule.

Serge Bousquet-Cassagne a pris neuf mois fermes, avec révocation d’un sursis de quatre mois, et Patrick Franken huit, avec levée d’un sursis de quatorze mois. Iront-ils rejoindre les 70 000 prisonniers français ? Malgré ce qu’on pense d’eux, on ne leur souhaite pas. Et de toute façon, il y a appel. On ne sait pas encore si le barrage sera vidangé, comme le réclame FNE, mais plusieurs rapports montrent qu’il n’a pas été construit dans les règles de l’art. Et qu’il menace de se rompre.

Reste la grande leçon de cette misérable affaire : même en France, le partage de l’eau devient une question politique et morale. À qui appartient-elle ? Au plus gueulard de la bande ? Aux écosystèmes, qui rendront au centuple ce qu’on leur aura laissé ? Le lac de Caussade a des allures de guerre. Pour l’heure, picrocholine.

(1) ladepeche.fr/2020/07/07/les-batisseurs-ont-fait-benir-le-lac-de-caussade-8968314.php

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Un Darmanin sympa au Cambodge

Dans l’histoire récente, à part le Rwanda, on ne voit pas d’équivalent. Le Kampuchéa – Cambodge – était jadis une simple contrée paysanne – nullement idyllique, seulement paisible -, avant d’être entraîné en 1970 dans la guerre au Vietnam sur décision américaine. La Chine s’en mêle, en partie responsable de l’apparition des Khmers rouges, puis le Vietnam, qui y place ses marionnettes après son invasion de 1979.

Quoi de neuf ? Eh bien Sar Kheng. Ce ministre de l’Intérieur d’un gouvernement pourtant corrompu à l’os, fait des siennes (1). Le ministre vient en effet de lancer une campagne détonante contre l’accaparement des terres. Notamment au cours d’un discours prononcé devant des cadres du régime (2).

Depuis quinze ans, le phénomène s’est accentué : le Premier ministre Hun Sen – son clan aurait planqué entre 500 millions et un milliard de dollars – vend par dizaines de milliers d’hectares à chaque fois des terres à des boîtes chinoises ou coréennes. Surtout pour les transformer en plantations industrielles.

Les conflits pour la terre, dont on parle peu dans la presse officielle, se multiplient et l’intervention de Sar Kheng vient donner raison aux milliers de petits paysans spoliés. Le ministre s’en prend sans le nommer à l’un des vice-premiers ministres, et attribue l’aggravation de la situation à des cadres de très haut rang, qui se battent entre eux pour s’emparer des terres, comme dans la province de Mondol Kiri. La solution de Sar Kheng : donner enfin des titres de propriété aux paysans. Pas mal.

(1) phnompenhpost.com/national/sar-kheng-addresses-land-rows-kingdom

(2) rfa.org/english/news/cambodia/land-07072020145521.html

Mange ta soupe chimique

Publié par Charlie

D’abord un coup de chapeau au mouvement des coquelicots, dont je suis le président. Autopromotion. Le 18 avril dernier huit de mes petits camarades et moi-même signions une tribune sur Le Monde pour signaler des liens probables entre épandage de pesticides et coronavirus (1). Ce n’était pas un délire, et d’ailleurs, le texte s’appuyait sur des études sérieuses, chinoise, italienne, américaine. Cela n’a pas empêché les amoureux de la vérité – notamment les défenseurs de l’agro-industrie – de nous accuser de désinformation massive.

Un article paru sur le site américain The Intercept (2) revient en force sur la question, en apportant de nouvelles informations. Début en fanfare : « Près de six mois après le début de la pandémie de coronavirus, il est déjà clair que la pollution est responsable d’une partie des centaines de milliers de décès de Covid-19 dans le monde. Les scientifiques tentent maintenant de déterminer exactement comment les produits chimiques industriels rendent les gens plus sensibles au coronavirus ».

Voyons de plus près avec deux études non encore parues au moment de ces lignes. La première, attendue le 20 juillet (3), se penche sur des données chinoises, et conclut entre autres qu’il y a « une relation significative entre la pollution de l’air et l’infection au COVID-19 », et qu’il existe des « associations positives » entre la présence de particules fines et divers autres polluants dans l’air des villes et des cas confirmés de COVID-19. Je note qu’une partie des particules de pesticides sont récupérées par le vent et s’agrègent aux nuages de particules fines.

La seconde étude paraîtra, elle, en août dans Environmental Research (2) et repose sur des données officielles de Californie. À nouveau, elle démontre une « corrélation significative » entre pollution par les particules fines, d’autres polluants de l’air et coronavirus. Un autre travail montre même une augmentation de 8% de la mortalité du coronavirus à chaque augmentation de polluants de 1 microgramme par mètre cube d’air.

L’article interroge également de grandes pointures scientifiques. Linda Birnbaum, par exemple, est l’ancienne patronne du très imposant National Institute for Environmental Health Sciences. Selon elle, d’autres polluants que ceux de l’air rendent plus vulnérables face au covid-19, comme les phtalates, le bisphénol A, et ces damnés produits perfluorés (PFAS), famille chimique présente dans les textiles, les ustensiles de cuisine, les tapis, moquettes, vernis, peintures, etc. Les PFAS sont connus pour causer des maladies du rein ou encore élever le niveau de cholestérol dans le sang, ce qui augmente le risque d’un « mauvais » coronavirus.

Bien entendu, tout est entortillé. La soupe chimique dans laquelle nous baignons, jusque dans l’air, jusque dans l’eau, même de pluie, affaiblit les réponses immunitaires du corps face à la maladie. Et certains des composés chimiques peuvent provoquer ou activer des maladies comme l’asthme, le diabète, l’hypertension, l’obésité qui à leur tour rendront le coronavirus plus menaçant.

De son côté enfin, Philipe Grandjean. Ce scientifique danois de 70 ans est l’un des meilleurs spécialistes au monde des liens entre santé publique et pollution chimique. En particulier ceux existant entre les métaux lourds, certains pesticides, le toluène, les PCB, les PFAS et la détérioration évidente de l’équilibre neurologique des enfants. Il travaille notamment à l’école de santé publique rattachée à l’université américaine de Harvard.

Eh bien, Grandjean est lancé dans une enquête scientifique qu’on essaiera de suivre. Il récolte des échantillons de sang de personnes hospitalisées pour cause de coronavirus, et entend les comparer avec ceux de malades du même virus, qui n’ont pas été hospitalisés. Le tout à la recherche de concentration de PFAS dans le sang des contaminés, de manière à voir si cette famille chimique joue un rôle dans l’aggravation de la maladie.

Rien n’est totalement sûr, certes, sauf une chose : nous sommes les cobayes (plus ou moins) volontaires d’une expérimentation planétaire.

(1) lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/coronavirus-un-moratoire-sur-les-epandages-de-pesticides-pres-des-habitations-est-une-necessite-sanitaire-et-morale_6036986_3232.html

(2) https://theintercept.com/2020/06/26/coronavirus-toxic-chemicals-pfas-bpa/

(3) sciencedirect.com/science/article/pii/S004896972032221X

(4) sciencedirect.com/science/article/pii/S0013935120305454

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L’horrible tentation éco-fasciste

Et donc, un bon article de réflexion, ce qui n’est pas si fréquent (1). Son auteur, Pierre Madelin aborde des questions que l’on n’aborde à peu près nulle part, et qui ouvrent toutes sur un avenir commun très menaçant. Dites-moi, que va-t-il se passer avec les réfugiés et migrants, dont le nombre – 272 millions en 2019 – explose sans cesse ? Comment cette multiplication se conjugue-t-elle avec la crise écologique planétaire ?

Je précise que Madelin écrit en tant que marxiste – distingué -, ce que je ne suis pas. Selon lui, et je partage, il existe désormais au Nord une tentation éco-fasciste très redoutable. Brenton Tarrant, qui a tué 51 personnes dans des mosquées en Nouvelle-Zélande : « Je me considère comme un éco-fasciste (…) [L’immigration et le réchauffement climatique] sont deux faces du même problème (…) Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. »

Impossible d’ouvrir toutes les portes entrebâillées. J’en reste donc à l’irruption possible et probable d’un éco-fascisme en France. L’automatisation – je dirais plutôt la numérisation – détruit toujours plus d’emplois, créant ainsi des armées de plus en plus nombreuses d’inutiles. Dans ces conditions, l’éco-fascisme serait une réponse cohérente à la double menace – ressentie – de l’immigration sur place d’une part et des perspectives de migrations massives d’autre part.

Le discours d’extrême-droite pourrait bien porter « une politique désireuse de préserver les conditions de la vie sur Terre, mais au profit exclusif d’une minorité ». Cette « épuration socio-écologique » pourrait aisément se présenter sous la forme de l’ethno-différentialisme cher à Alain de Benoist, qui célèbre l’altérité des autres cultures pour mieux célébrer notre supposée Identité. Le but, glaçant, serait de « limiter la population par des méthodes autoritaires pour que [des groupes privilégiés], définis suivant des critères ethno-raciaux toujours plus exclusifs, puissent continuer à s’approprier la nature comme bon leur semble ».

(1) terrestres.org/2020/06/26/la-tentation-eco-fasciste-migrations-et-ecologie/

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EDF en pleine épectase nucléaire

Le nucléaire. L’incroyable gabegie d’une industrie qui promettait la Lune. Ne parlons pas aujourd’hui d’Areva, devenu Orano, qui après avoir arraché 4,5 milliards d’euros à l’État, traîne une dette de 3 milliards, et se voit menacé d’une amende de 24 milliards d’euros aux États-Unis.

Cette fois, évoquons la faillite EDF, groupe national, officiellement endetté à hauteur de 40 milliards d’euros. La folie du groupe s’expose ces temps-ci en Angleterre, où avance le chantier EDF de deux EPR à Hinkley Point. Nos grands ingénieurs se congratulent en ce moment de la pose d’une dalle en béton de 49 000 tonnes. L’ouverture, déjà retardée, devrait avoir lieu en 2025, avec un devis de 11 milliards d’euros au départ, qui a plus que doublé à 23,5 milliards.

Certes, EDF a réussi à obtenir un prix garanti élevé de l’électricité pendant 35 ans, mais du côté anglais, il n’est pas question d’un autre cadeau. Et c’est là que les choses se compliquent. Contrainte à la fuite en avant par sa technologie EPR, EDF a déjà proposé un nouveau chantier EPR aux Anglais, celui de Sizewell, dans l’Est. À nouveau, il s’agit de deux réacteurs EPR, et à nouveau, la note est délirante : 22 milliards d’euros, alors qu’aucun coup de pelle n’a encore été donné. La cerise s’appelle CGN, partenaire chinois d’EDF. Le coronavirus et des menaces américaines – CGN se livrerait à l’espionnage industriel – poussent Londres à écarter les Chinois, ce qui risque de placer EDF dans une position impossible et de faire capoter tout le projet. Le nucléaire, cette bénédiction.