Avisse à la population sur l’art de faire durer le développement

Cela ne me fait pas tant rire que cela, mais force est d’avouer que c’est drôle. Probablement suis-je au fond un bien mauvais coucheur. En tout cas, rappelez-vous : en septembre 2007, au cours de ce décidément impayable Grenelle de l’Environnement, la plupart des associations écologistes de la place ont échangé miroirs, rubans et colifichets contre une magnifique opération politicienne. D’un côté, elles recevaient l’onction des huissiers et de l’amuseur-en-chef de l’Élysée. Et de l’autre, ce dernier pouvait annoncer sous les vivats une « révolution écologique » française.

Encore bravo à tous les comédiens pour leur numéro. Et n’oublions pas ceux qui, dans les coulisses, s’occupaient du décor. Nous sommes en décembre 2009, et le Grand Emprunt national tant attendu sort enfin des bureaux scellés où il était enfermé. Premier constat décoiffant : certains parlent de 35 milliards, d’autres de 22. Le vrai chiffre est 22 – contre 100 envisagés par une partie de la droite -, auxquels il faut ajouter 13 milliards qui devraient être remboursés par les banques. De toute façon, quelle importance ? 5 milliards devraient – qui vérifiera jamais ? – aller au « développement durable ». Après tout, rions de bon cœur, ce sera toujours ça de pris. On va refiler de l’argent à tous les instituts publics et boîtes privées qui nous ont mené à la situation présente, parmi lesquels le CEA, Total, l’Ademe, l’Inra, l’IFP, etc (ici).

On parle pêle-mêle de séquestration de CO2 avec essais à Lacq, dans les Landes. De biocarburants bien entendu, de nucléaire évidemment. Oh la jolie farce ! Pour bien cadrer l’opération, il fallait un expert, et l’État impartial en avait un, par chance, sous la main. Ce sera le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le CEA, c’est historiquement l’armée dans ce qu’elle a de plus opaque et secret, pour la raison évidente qu’on lui doit notre bombe atomique. Le CEA a joué également un rôle clé dans le triomphe de Superphénix, dont nul ne sait combien de milliards d’euros il nous aura coûté après démantèlement, s’il a lieu un jour. 10 ? 100 ?

En pleine possession de sa prodigieuse intelligence, l’homme qui ignorait en 2007 combien de sous-marins d’attaque nucléaires nous avons, Nicolas Sarkozy soi-même, vient d’annoncer que le CEA changeait de nom. Autre temps, autre nom. On efface tout et on recommence. Le CEA devient le « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives ». Attention les yeux, car voici venir un court cours de philologie. Alternatif est, dans cet usage, discutable, car il signifie dans l’intitulé remplacement, alors que ce mot désigne en théorie un choix entre deux possibilités. Mais ce n’est pas le plus intéressant. Non. Ma question est celle-ci : qui diable a pu imposer une telle expression ? Elle n’a rien d’évident. Il aurait été évident d’écrire : « et aux énergies renouvelables », ce qui, au passage, aurait fait plaisir aux écolos-gogos. Oui, qui ? Moi, je fais l’hypothèse que la nomenklatura qui dirige le CEA n’aura pas supporté le mot renouvelable, qui est trop connoté, qui évoque clairement le langage de l’adversaire. Je peux me tromper, évidemment, mais permettez-moi de penser au poids de la culture militaire dans les hautes sphères de cette belle institution.

Au-delà, et finalement, c’est bien l’essentiel, le choix du mot « alternatives » fonctionne tel un lapsus scriptae de première force. Car il s’agit bel et bien de remplacer ce qui est. Et donc, de continuer à l’avenir de consommer comme des abrutis sans jamais mettre en cause notre modèle criminel et suicidaire de gaspillage énergétique. Il s’agit de suivre la même route, avec les mêmes objectifs, avec les mêmes acteurs. Vous le saviez déjà ? Crotte, moi qui voulais faire le malin. Si vous avez le temps, lisez quelques phrases piochées sur le site même du CEA (ici) : ne me dites pas que nous sommes tombés en de mauvaises mains. Et vive l’atome, au fait !

La MGEN, les nanoparticules et la maxiconnerie

Pour le cas où vous l’ignoreriez, la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) est la première mutuelle de santé française. Elle gère à elle seule la protection sociale – car elle remplit aussi les tâches de la Sécu – d’environ 3 millions de personnes. Les professeurs de France et de Navarre, les autres personnels de l’Éducation, tout un monde se trouve protégé par cette Mutuelle. Bien, j’imagine, car je n’en sais rien, après tout. Grâce aux amitiés landaises de Christian, je ne suis plus très loin de me poser de nouvelles questions.

Figurez-vous que le numéro 263 de la revue Valeurs mutualistes, de la MGEN bien sûr (livraison de novembre-décembre 2009),  se livre à un plaidoyer grotesque en faveur des nanotechnologies, au moment même où le pouvoir politique organise une pantomime de débat national sur la question (ici). Les nanos sont une aventure extrême de notre espèce, dont le coût global, et notamment écologique, est absolument imprévisible dans l’état actuel de nos malheureuses connaissances. Une chose est sûre : nous allons souffrir. Tandis que le gouvernement fait semblant de consulter, des centaines de millions d’euros d’argent public – en fait, plus certainement des milliards – ont déjà été affectés à cette voie garantie d’avenir par ceux qui nous ont déjà offert l’amiante, les pesticides et les OGM. À Grenoble, leur bunker appelé Minatec est surveillé comme une base militaire, ce qu’il est assurément (ici).

Il ne faut pourtant pas se lever de bonne heure pour savoir à quoi s’en tenir. Une toute dernière étude sur les nanoparticules – elles assemblent de quelques centaines à quelques milliers d’atomes – montre qu’elles peuvent endommager l’ADN des cellules de notre corps malgré la barrière censée les protéger. En voilà, une information de taille (ici) ! Mais il en faudrait plus pour intimider les armées de scientistes qui continuent de faire la pluie et le mauvais temps dans notre dos, derrière notre dos. Scientiste ? La MGEN fait une entrée fracassante au club en osant publier une ode ridicule aux nouveaux matériaux. Je vous mets les deux pages en question ci-dessous, qui sont d’une rare indignité. À en croire le magazine, nous allons vers un avenir radieux, où les soutiens-gorges surveilleront la tension de ces dames. Où les vestes de pompiers les préviendront gentiment d’un risque proche. Où les tissus deviendront intelligents, bien entendu grâce à l’usage des nanoparticules. Mon Dieu ! quelle épouvantable connerie !

Les Amis de la Terre ont pris la mouche, on se demande bien pourquoi (ici). Et adressé au directeur de la MGEN une lettre dont j’extrais ceci : « La transformation de la matière, la création de systèmes ou de particules à l’échelle nanométrique, leur confère des propriétés différentes que ce soient les caractéristiques physiques, la réactivité chimique et biologique – augmentation du stress oxydant – la toxicité, le comportement catalytique, électrique… Les nano-matériaux ont des propriétés  et des comportements si divers qu’il est impossible de fournir une évaluation générale des risques qu’ils posent pour l’environnement et la santé (Maynard 2006). La forme, la charge et la taille des différentes particules peuvent influencer leur cinétique (absorption, distribution, métabolisme et expulsion) et leurs propriétés toxiques (Hagens et al. 2007). C’est pour cette raison que même des nano-matériaux de même composition chimique, mais de tailles différentes peuvent avoir des différences énormes de toxicité (Sayes et al. 2006) ».

La suite ? Mais quelle suite ? Nous sommes encerclés.

http://www.amisdelaterre.org/IMG/jpg/Nano_revue_MGEN_1.jpg

http://www.amisdelaterre.org/IMG/jpg/CCE00006.jpg

Sur la Très Grande Bibliothèque de l’écologie (vite !)

René m’adresse un mot pour me demander de faire le point devant vous sur le déménagement chaotique de la si belle bibliothèque de Roland de Miller, dont un pays comme la France devrait s’enorgueillir (ici). Il a bien raison, j’aurai dû le faire avant. Qu’il me permette de le remercier, lui et d’autres lecteurs de Planète sans visa, qui sont allés donner un coup de main concret à Roland pour la mise en cartons de la merveille. Comme vous verrez plus bas, il faut aussi trouver de l’argent. Vous n’en avez pas forcément. Mais vous en avez peut-être. Dans tous les cas, une pensée pour lui, génial bibliothécaire de la nature, à qui nous devons tant. Voici l’appel lancé par Roland :

 DÉMÉNAGEMENT DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLOGIE

APPEL À DONS

 Gap, le 7 décembre 2009

La Bibliothèque de l’ Écologie doit engager immédiatement des dépenses qu’elle a du mal à honorer, ce qui motive cet appel à votre générosité. En effet la Bibliothèque de l’ Écologie est contrainte, par une décision de justice, de déménager des locaux municipaux de Gap qu’elle occupait depuis sept ans.

Elle est constituée de près de 60 000 ouvrages anciens et modernes (du début du 19ème siècle à aujourd’hui), de plus de 1000 collections de périodiques, de 600 affiches sur l’histoire de l’écologie et d’un volume considérable de documentation. Sa réinstallation dans de nouveaux locaux et dans le cadre d’un projet global n’aura pas lieu dans l’immédiat. En revanche, il faut impérativement déménager avant le 18 décembre la totalité  (environ 250 m3) par camions vers un lieu de stockage gratuit. Notre fonds documentaire, d’une richesse unique en France, est vraiment en péril. Grâce à l’aide des bénévoles, la mise en cartons devrait être terminée pour le 11 décembre. Et l’évacuation aura lieu la semaine suivante.

Nous attendons actuellement des réponses par rapport à quatre pistes éventuelles et incertaines pour le lieu de stockage. Il s’agit d’entreposer environ 80 palettes (entre 1000 et 1500 cartons) et du mobilier abondant sur une surface totale d’environ 200 m2 durant une période qui ne devrait pas excéder un an.

Nous étudions les modalités de transport par camions, ce qui aura probablement un coût élevé. Nos recherches de financement du déménagement auprès des institutions se sont avérées vaines à  l’exception d’une. Donc, nous cherchons des personnes qui peuvent nous aider financièrement pour le transport et l’assurance du fonds documentaire.

Votre aide peut nous parvenir de deux manières :

-soit par chèque à l’ordre de l’ Association pour le Soutien de la Bibliothèque de l’ Écologie (ASBE), 8 cours du Vieux Moulin, 05000 Gap;

-soit par un virement directement sur le compte Banque Postale de l’ASBE : Marseille 20041 – 01008 – 1781719 R – 029 – 33

Nous vous remercions vivement !

MERCI DE DIFFUSER LARGEMENT

Roland de MILLER et l’équipe de la Bibliothèque de l’Écologie. 8, cours du Vieux Moulin 05000 GAP, Tél : 04 92 52 40 39, roland.demiller@free.fr, www.bibliecologie.com

Un film à portée de clic

 Je signalais grâce à Thibault, avant-hier, un documentaire remarquable de la télé suisse romande sur les liens possibles, probables, quasi-certains entre un élevage industriel de porcs proche du village de La Gloria (Mexique) et l’émergence de la grippe porcine, que les autorités ont préféré appeler grippe A, puis grippe H1N1, ce qui permet au passage de faire disparaître du tableau la cause sans doute première de la recombinaison génétique du virus : le porc industriel.

Je craignais que le lien indiqué, qui pointait directement sur la télé suisse, ne soit rapidement invalide, privant les lecteurs de Planète sans visa d’une source exceptionnelle de réflexion. Tel ne sera pas le cas. Merci à Lohiel, qui signale l’entrée du documentaire suisse dans l’univers sans limite apparente de You Tube (ici). Je n’insiste que sur un point, qui commande immédiatement la réflexion critique. Pourquoi ? Oui, pourquoi un pays comme la France est-elle à ce point mobilisée pour fourguer, vaille que vaille, les vaccins fabriqués dans la précipitation, et dont le coût sera supporté par tous, au détriment de dépenses plus utiles socialement ? Pourquoi cette mobilisation de pacotille et cette absence de curiosité sur les causes hautement vraisemblables de cette énième pandémie ? Vous avez la réponse ? Je m’en doutais.

Trois mots et un peu plus sur ce misérable « Climategate »

Je vous résume à grands traits une affaire lamentable, mais qui fait exulter des dizaines de milliers de gens assoiffés de théories simples et de romans à l’eau de rose. Des harlequinades maquillées en grande découverte du si vaste complot qui nous gouvernerait. Le 19 novembre 2009, 1073 courriels sont mis en ligne par des mains inconnues (ici). Des hackers – des pirates informatiques – ont pénétré dans le serveur de l’unité de recherche sur le climat (CRU) de l’université East Anglia (Angleterre), et se sont emparés de dizaines de milliers de courriers divers dont une correspondance portant sur 13 ans entre scientifiques du CRU et des collègues d’Europe et des Amériques.

C’est sur cette base que monte un soufflé gigantesque d’où il ressort, aux yeux des imbéciles, que les climatologues tordent à l’envi les données et camouflent le fait qu’ils ne disposent pas de données fiables sur le réchauffement en cours. Évidemment, une aubaine, du moins pour certains, quinze jours avant l’ouverture de la conférence sur le climat de Copenhague. J’ai eu accès immédiatement, le 19 ou le 20 novembre, je ne sais plus, aux courriels volés. Et je ne les ai pas lus. Aucun. Je pense qu’il me faut m’expliquer un peu.

Premier point, personne n’a réellement lu les 1073 courriers, et même si cela s’était produit, qui, raisonnablement, aurait été capable d’en saisir le sens et la portée ? Je rappelle qu’il s’agit d’échanges privés entre scientifiques, étendus sur treize années. Avec quantité de blagues de potaches et de sous-entendus hors de portée de qui n’est pas dans le contexte. Non, je n’ai rien lu. J’avoue, sans torture, que j’ai attendu le commentaire de gens avisés, en qui j’ai normalement confiance. Parmi eux, le journaliste du quotidien Le Monde Stéphane Foucart (ici). Personne n’agit autrement, mais bien peu l’admettent. La lecture des lettres volées est exclue pour 99,99% de ceux qui crient au loup.

À suivre en tout cas Foucart, à le croire – et je le crois -, cette affaire est une vulgaire baudruche. Certes, la sélection de courriers démontre quelques dérapages individuels, parmi lesquels l’usage malheureux d’un mot, trick, qui peut vouloir dire tromperie, mais aussi astuce. Un mot, quelques révélations sur le comportement parfois déplorable de tel ou tel. Mais rien, RIEN qui viendrait mettre en cause le travail obstiné de milliers de chercheurs du monde entier sur la crise climatique. Alors, que penser de tout cela ? Avant de dire le fond simple de ma pensée, je dois énoncer une évidence. Les tenants d’une immense conspiration ont peut-être envie de croire à la fable de hackers-marginaux à queue de cheval, chevaliers blancs de la vérité universelle. Si ce n’était aussi sinistre, j’en rigolerais volontiers.

Car qui a eu les moyens d’entrer dans ce serveur, de sélectionner parmi des dizaines de milliers de documents ceux qui entraient peu ou prou dans leur démonstration préfabriquée, puis de mettre en ligne une très courte sélection ? Qui ? Un chômeur de Hanovre ? Un étudiant désargenté de Glasgow ? Lisbeth Salander, l’héroïne de Millenium, le roman de Stieg Larsson ? Posez-vous donc cette question : qui a eu les moyens matériels d’une telle mise en scène ? Et quoi de plus aisé que de faire parler des textes dûment triés dans un ensemble que personne, PERSONNE n’a vu ? Que penseriez-vous d’un historien royaliste qui bâtirait le récit de 1789 en piochant dans un gigantesque fonds documentaire tout ce qui peut glorifier Louis XVI et accabler les premiers Constituants ? Ou l’inverse, d’ailleurs ?

Ceux qui ont fait le coup voulaient exactement provoquer un emballement de la blogosphère, et ils y sont parvenus, car ils en connaissent le fonctionnement. Il s’agit d’un cas prodigieux de manipulation mentale. Qui a d’autant mieux fonctionné que des millions de gens ne demandent qu’à être manipulés, comme l’histoire des hommes nous l’apprend, hélas. Mais je veux aller plus loin encore, en m’adressant à vous directement. À vous, à chaque personne qui lit ou lira cette page. Les gens qui croient en la baliverne du « Climategate » savent-ils seulement que nous sommes tous des hommes ? Savent-ils, sont-ils capables de se souvenir que nous ne sommes que des hommes ?

Je pose cette question parce qu’il m’est insupportable de fouiller de la sorte l’espace privé d’êtres humains exactement semblables à nous. Si par extraordinaire on publiait le compte-rendu de mes conversations téléphoniques sur plus de dix ans, on y trouverait de tout. D’insondables conneries. Des insultes graves. Des erreurs manifestes. Des exagérations constantes. Des engueulades majeures. Et le reste, tout le reste, encore bien plus privé que cela. Mettez-vous donc à la place d’un chercheur qui passe cinquante heures par semaine dans son labo, et qui a noué des relations de sympathie ou de détestation avec des collègues d’un autre pays, d’un autre continent. Il partage avec eux un terrain, un questionnement fondamental.

Au fil des ans, l’échange devient complicité Il se lâche. Il rote. Il pète. Il se moque. Il déconne. Cela n’a strictement aucune importance, car il sait que le courrier, parsemé nécessairement d’implicite et de private jokes, sera tenu par l’autre pour ce qu’il est. Si Machin écrit une horreur, ce n’est pas nécessairement qu’il la pense. Ce peut être un jeu ordinaire entre partenaires qui se fréquentent depuis des lustres. Ne me dites pas que vous ne regrettez pas des dizaines, des centaines, des milliers de mots hasardeux prononcés ou même écrits dans le cadre protégé, en théorie du moins, de la maison ou du travail.

Autrement dit, les manipulateurs du « Climategate » surfent sur l’imbécillité, en quoi ils se montrent lucides. Mais les imbéciles qui propagent des commentaires niaiseux sur la sélection d’une sélection de courriels qu’ils n’ont pas lu et ne liront jamais, ces imbéciles me foutent une peur bleue. Car leur ressort psychologique, fait de croyance, d’ignorance crasse, d’arrogance et de vraie soumission à d’authentiques montreurs de marionnettes, est la base même du pire. Oui, ils me font peur.