Je rajoute une couche amère au débat sur la chasse. Tandis que certains – je ne cite personne, mais suivez tout de même mon regard – ne veulent plus entendre parler de la moindre confrontation, d’autres astiquent leurs gibecières. Tel est le cas d’un pauvre gars bien de chez nous appelé Frédéric Nihous. Ne lui faites pas mal ! N’y touchez pas ! Il est la campagne française, celle qui ne ment pas lorsqu’on tire sur le perdreau. Il est l’âme rurale du pays, malmenée par ces forbans des villes. Il est le président de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT), le parti des chasseurs.
Le pari n’était pas gagné, car ce commandant en chef a d’abord été un simple soldat de la Grande Armée. Né en 1967, il « touche » son premier fusil à l’âge de quatorze ans, des mains de son papa. Ensuite il fait de la politique – au RPR, ancêtre de l’UMP -, ensuite il fait de la politique, à CPNT. Nihous, attention les yeux, a fait des études, et possède deux DEA, mais si. Et il a réussi à éliminer l’ancienne tête de CPNT, l’inénarrable Jean Saint-Josse. Le voilà donc roitelet au pays des palombes et des grosses bedaines. Ma foi, encore bravo.
Mais Nihous n’a jamais oublié un précepte de base de la politique telle qu’il l’a pratiquée, telle qu’il la pense encore. Pour peser sur quelqu’un, il n’y a rien de tel que de le tenir par les couilles. Cela paraît paradoxal, et c’est sans nul doute grossier, mais pensez-vous qu’on parle autrement dans les huttes de chasse ? Je crois que c’est un poil pire. Donc, Nihous, et une paire de couilles. Laquelle ? Mais celle de Jean-Louis Borloo, bien sûr ! Tandis que notre ministre fait le beau à Copenhague – comme il est crédible, dans son rôle de sauveur, n’est-ce pas ? -, Nihous aligne ses comptes d’apothicaire sur un coin de table mal éclairée. On imagine la toile cirée, la lampe à huile, le père et la mère qui se réchauffent au coin de la cheminée. Ambiance ruralité.
Vous lirez dans la partie Commentaires ci-dessous le texte complet d’une lettre adressée par Nihous à Borloo. Elle est insultante, non pour ce dernier, qui ne compte guère, mais pour la République. Nihous y écrit, tel un maître-chanteur, que si Borloo ne tient pas les engagements précis qu’il aurait pris devant les gens de CPNT, il y aura des représailles électorales en mars, au moment des régionales. C’est d’une bassesse déconcertante, d’une vulgarité à peu près sans égale. Borloo, à en croire Nihous, aurait promis au moins trois choses, qui seraient autant de trophées à placer au-dessus du buffet du salon.
1/, « Le premier de ces symboles attendu impatiemment par les chasseurs français est la chasse des oies et de quelques canards de surface (notamment le siffleur) en février ». N’est-ce point magnifique, de vouloir s’attaquer à des oiseaux qui préparent dans le froid leur saison nuptiale ?
2/,« Le deuxième symbole important est la chasse ardéchoise du pigeon ramier début mars ». Cela vise en effet un symbole, qui s’appelle col de l’Escrinet. Une directive européenne – une loi, donc – de 1979 protège le passage des oiseaux revenant d’Afrique, mais depuis des lustres, les chasseurs locaux braconnent le ramier à l’Escrinet avec la complicité de l’administration. On comprend que Nihous veuille une autorisation en bonne et due forme. Et j’ajoute que la Ligue ROC – ça y est, je récidive – compte parmi ses membres Gilles Pipien, qui fut directeur de cabinet de Roselyne Bachelot quand elle fut ministre de l’Environnement après 2002. Un Gilles Pipien qui vint à l’Escrinet, en mars 2003, pour…y soutenir les chasseurs bracos.
3/,« Enfin, concernant un autre dossier symbolique, le bon sens impose lui aussi que la chasse ne puisse être freinée en montagne au motif de la présence soit d’espèces chassables (quel paradoxe !) comme le grand tétras, soit par vitrification de la montagne pour éviter le dérangement de quelques spécimens lâchés (comme l’ours) mais qui a pour effet du coup de créer de nouveaux problèmes sur des activités ludiques et traditionnelles (notamment la chasse) qu’économiques et sur la vie des “gens de montagne” ». Ben oui, pourquoi y a-t-il encore des entraves en montagne ? Que foutent donc les bouffeurs de tétras tout cru ? On se le demande.
C’est donc ce Nihous-là qui, serrant très fort los cojones du ministre, achève – oui, le mot juste – sa lettre de menace par ces mots : « Comment croire enfin que les chasseurs-électeurs pratiquant cette chasse populaire, notamment dans les régions intéressées, puissent aller voter le 14 mars pour les listes de la Majorité, UMP en tête, quelques semaines seulement après que cette même Majorité leur aurait refusé ces symboles permettant une chasse raisonnée et durable en … février et début mars ? Ceci serait proprement impensable et illusoire !
« Les chasseurs, plus encore dans les régions concernées, ne pourraient assurément avoir un comportement électoral raisonnable face à une (non)décision irraisonnable prise en dépit du bon sens et qui ne pourrait être considérée que comme un « coup de couteau dans le dos » et un argument électoral de premier choix pour la gauche dans les régions.
« Vous m’aviez fait part le 7 octobre, comme lors de votre discours devant la FNC en mars dernier, de votre volonté ferme et résolue de régler les problèmes, de corriger les erreurs passées, et de rétablir la chasse, en tant qu’acteur à part entière de l’écologie et de la ruralité, dans nombre de ses droits légitimes ».
Et voilà où nous en sommes. Chantage. Menaces. Tentative d’extorsion de décision publique (j’ignore si ce dernier point existe en droit). Mais il faudrait donc se montrer raisonnable et conciliant. Moi, je préfère penser aux oiseaux. Le programme scientifique STOC montre que, de 1989 à 2007, les oiseaux communs ont vu leur nombre baisser de 18 %. Une moyenne incroyable de 1 % par an. Cela ne leur suffit pas. Cela ne leur suffira jamais.