James Hansen, suivi d’une authentique grève de la viande

Je n’ai pas l’admiration facile, mais elle est tout acquise à James E.Hansen. Cet homme est de la race des prophètes, de ceux qui effraient sans parvenir à convaincre. Sa vie entière, pour qui la connaît – c’est mon cas – est un cinglant démenti aux malheureux délires des « climato-sceptiques ». Hansen est né le 29 mars 1941 dans une petite ville du nord de l’Iowa, Denison. Son père, fermier avant-guerre, était ensuite devenu barman. Dans l’ensemble, une vie pauvre, dans laquelle les six gosses de la famille se partageaient deux chambres. James – Jim – avait la tête dans les étoiles, et l’y aura gardée, par chance.

À la suite d’événements impossibles à résumer, Hansen est devenu l’un des meilleurs connaisseurs du climat dans le monde. Il est le directeur de l’Institut Goddard pour l’étude de l’espace (Goddard Institute for Space Studies), qui dépend de la Nasa. Auteur d’articles révolutionnaires sur la crise climatique, dont un datant de 1981, il a lancé une première alerte devant le Sénat des États-Unis dès 1987. Et n’a cessé depuis. Bête noire du lobby pétrolier, censuré sous George W Bush, il a continué son combat, qui se confond avec sa vie. Dernièrement, sa femme Anniek et lui ont adressé une lettre-supplique à Michèle et Barack Obama. Sans aucun succès.

Cet homme vient de donner un entretien que je juge exceptionnel au quotidien britannique The Guardian (ici) . Il y explique souhaiter un ÉCHEC de la conférence de Copenhague sur le climat et je suis absolument d’accord avec lui. Il ajoute : « Je préfèrerais que cela n’arrive pas [un accord à Copenhague] si les gens doivent le considérer comme la bonne voie parce que c’est la voie du désastre (…) C’est semblable au problème de l’esclavage affronté par Abraham Lincoln ou au problème du nazisme auquel Winston Churchill a fait face (…) Sur ce genre de problèmes, vous ne pouvez pas faire de compromis. Vous ne pouvez pas dire : “réduisons l’esclavage, trouvons un compromis et réduisons-le de 50% ou réduisons-le de 40%”(ici en français) ».

Par ailleurs, je dois vous informer que je suis le signataire d’un Appel des dix, en compagnie de Pierre Rabhi, Jean-Claude-Pierre, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Marie Pelt, Jean-Paul Besset, Franck Laval, Corinne Lepage, Sandrine Bélier, Jean-Paul Jaud. Il s’agit d’un acte purement symbolique, qui nous engage à faire la grève de la viande pendant le rendez-vous de Copenhague. Mais vous verrez, ce n’est qu’un tout petit début. Il y a un site sur le net, que je vous engage à visiter et à faire connaître au plus vite : www.viande.info.

Est-ce tout pour ce soir ? Presque. Mon livre Bidoche, que je suis de plus en plus heureux d’avoir écrit, est réimprimé pour la deuxième fois. Ce serait navrant d’être dans les derniers à l’acheter, ne croyez-vous pas ?

PS : Il est possible que je passe ce soir dans le journal télévisé de France 2. Je sais qu’il est tard pour l’annoncer, car il est exactement 19h32. Mais, qu’on le croie ou non, je l’avais oublié.

Eraste Petrovitch Fandorine, la viande et moi (en trois mouvements)

Je ne sais pas, évidemment, si vous connaissez Boris Akounine, un écrivain largement lu dans son pays, la Russie. Moi, qui le dévore en français depuis des années, je le tiens pour un très grand romancier populaire, dans la lignée d’Alexandre Dumas. Il a inventé un personnage magnifique, Eraste Petrovitch Fandorine. Fandorine ! Je ne peux en dire plus ici, sauf que j’aime follement ce personnage de détective aux tempes prématurément blanchies.

M’appuyant sur sa manière si personnelle de présenter un problème – en trois temps -, je vous dirais ce  3 décembre 2009 que, et d’un, l’élevage est au centre de la crise climatique planétaire. L’élevage, c’est-à-dire essentiellement l’élevage industriel dont je parle dans mon livre Bidoche. La FAO, en 2006, estimait dans un rapport jamais traduit en français – mystère – que 18 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine proviennent de l’élevage (ici). Soit davantage que tous les transports humains, de la bagnole à l’avion, en passant par le bateau et le train. Mais attendez la suite. Une étude publiée dans une revue américaine sérieuse, WorldWatch (ici) affirme, de son côté, que 51 % des émissions anthropiques de gaz seraient le fait de l’élevage. Selon les auteurs du travail, Robert Goodland et Jeff Anhang, la FAO aurait oublié en route des données essentielles concernant le méthane, la respiration de milliards d’animaux et le changement d’usage des terres, incluant la déforestation.

Mais revenons à Fandorine. Où en étais-je ? Et de deux, quoi qu’il en soit, la meilleure façon de lutter contre le dérèglement climatique en cours serait de diviser par trois ou quatre l’hyperconsommation de viande qui est devenue notre règle. Notre santé serait meilleure, les écosystèmes de la planète et ses animaux survivants pourraient enfin souffler un peu. Et la conférence de Copenhague sur le climat commencerait enfin à devenir intéressante.

Mais, et de trois, cher Éraste, la question ne sera pas posée. Et Copenhague parlera d’autre chose. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait s’attaquer à une industrie surpuissante, celle de la bidoche. Et que cela ne se peut, car l’industrie est le principe organisateur de notre monde malade. Attaquer ne fût-ce qu’une industrie, c’est remettre en  cause tout. Tout. Ce sera donc rien.

Boris Akounine est édité aussi en poche, dans la collection 10/18.

Flagrant délit sur le staphylocoque doré (ce qu’on nous cache)

On se fout de nous. Ce n’est certes pas une nouvelle bien fracassante, mais elle fera l’affaire. Une sacrée affaire, qui m’éberlue moi-même. Premier temps : un  communiqué en français de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, selon son acronyme anglais). Le texte, daté du 26 novembre 2009 (ici), rend compte d’une enquête européenne portant sur le Sarm, autrement dit le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline. En anglais, le Sarm s’appelle MRSA (Methicillin-Resistant Staphylococcus aureus), qui n’est autre qu’une bactérie, mais ô combien redoutable : le staphylocoque doré. Pour comble, ce dernier est, dans le cas du Sarm, une bactérie mutante, qui résiste désormais à l’antibiotique qui la terrassait jadis, la méthicilline, et de plus en plus à d’autres. Aussi incroyable que cela paraisse, le Sarm aurait tué en 2005, aux États-Unis, près de 19 000 personnes, davantage que le sida (ici).

En avez-vous entendu parler ? J’en doute, pardonnez. Moi, j’ai consacré un morceau de mon livre Bidoche (éditions LLL, oui, c’est de la pub) à cette folle histoire. Pour les humains que nous sommes, l’existence du Sarm n’a rien de réjouissant, car la viande peut être contaminée par une de ces bactéries mutantes et multirésistantes qui rendent encore plus ingérable le dossier des antibiotiques. Aux États-Unis, une coalition d’ONG, Keep Antibiotics Working, s’est penchée avec le plus vif intérêt sur le Sarm. Elle a interrogé à l’été 2007 la Food and Drug Administration (FDA) sur les travaux entrepris au sujet de cette bactérie. Tout de même, 19 000 morts en une année pourraient susciter un peu d’intérêt public. Mais la FDA a bien dû reconnaître qu’elle ne s’était pas encore souciée de ce qui se passe dans les fermes concentrationnaires du pays. C’est d’autant plus dommage que tout converge vers les porcheries industrielles.

En octobre 2007, un article retentissant de la revue Veterinary Microbiology révèle des faits graves. Menée dans 20 porcheries industrielles de l’Ontario (Canada), elle montre que le Sarm est présent dans 45 % d’entre elles. Qu’un porc sur quatre environ est contaminé. Qu’un éleveur sur cinq l’est aussi. Les souches de Sarm retrouvées dans l’Ontario incluent une souche répandue dans les infections humaines par la bactérie au Canada. Et 9 millions de porcs du Canada sont importés chaque année aux États-Unis.

L’Europe n’est pas épargnée. Voyons d’abord les Pays-Bas, terre fertile, du moins en élevages industriels. En décembre 2007, une étude américaine des Centers for Disease Control établit qu’une souche de Sarm jusque-là repérée exclusivement chez les porcs est la même que celle que l’on trouve chez 20 % des humains malades. En Belgique – on se rapproche –, toujours en 2007, un autre travail, commandé par le ministre de la Santé publique Rudy Demotte, indique que, dans près de 68 % des porcheries étudiées, une souche de Sarm est présente chez les animaux. Et cette même bactérie résistante est retrouvée chez 37,6 % des éleveurs de porcs et des membres de leur famille. Or, dans une population sans rapport avec l’industrie porcine, elle n’est que de… 0,4 % !

Et en France, donc, où en sommes-nous ? Nulle part. Que fait-on du côté du ministère de l’Agriculture ? Du côté de ces innombrables agences sanitaires qu’on nous a présentées comme essentielles autant qu’exemplaires ? Du côté de l’Institut de veille sanitaire (InVS) ? De l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) ? Pourquoi aucune étude importante n’est-elle lancée sur les liens entre élevage industriel et développement foudroyant d’une maladie qui tue les hommes ?

Revenons-en au communiqué de l’EFSA, autorité européenne. Le texte français est très édulcoré par rapport au travail en anglais qu’il est censé résumer (ici). Je n’ai pas le temps d’en faire une analyse complète, et je le regrette bien. Le texte anglais commence par exemple comme suit : « Methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA) is a major concern for public health ». C’est-à-dire que le Sarm est un problème de santé publique majeur. Or il faut attendre le troisième paragraphe du communiqué français pour lire : « Le SARM représente un problème de santé publique important », ce qui n’est pas la même chose. Important n’est pas majeur.

Et tout est à l’avenant, tricoté, si l’on veut être charitable, pour ne pas affoler le monde. Si l’on veut être charitable, mais l’on n’est pas obligé de l’être. L’étude anglaise pointe ce qu’il faut bien appeler des anomalies. Sur les 24 États membres de l’Union, 7 ne signalent aucun cas de Sarm, ce qui ne se peut. On ne trouve que ce que l’on cherche, et visiblement, on n’a pas cherché. Mais les autres alignent des taux de prévalence étonnamment élevés. Souvent plus de 50 % de présence du Sarm chez les animaux étudiés.

Les autorités dites de contrôle ont-elles peur, en France, de découvrir que nos élevages industriels sont farcis de cette bactérie résistante, menaçant les éleveurs de porcs et de volaille en priorité, le reste de la population juste derrière ? Ont-elles peur une fois encore de déstabiliser un marché qui est structurellement en crise ? Ce serait d’autant plus insupportable que l’élevage industriel, si la société n’en vient pas à bout très vite, nous entraînera tôt ou tard dans une catastrophe sanitaire majeure.

Qu’attend-on ? Le désastre final ? Telle est la question que je me pose. Telle est la question que je vous pose. Pour vous aider à mettre des points sur les i, j’ajouterai que madame Catherine Geslain-Lanéelle est la directrice exécutive de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Qui est-elle ? Un haut-fonctionnaire proche de la gauche qui s’est toujours bien entendu avec la droite. J’ai eu l’occasion, dans un autre livre (Pesticides, révélation sur un scandale français, avec François Veillerette, de détailler son rôle très controversé dans l’affaire de l’insecticide Gaucho, qui tuait les abeilles par millions et milliards. Elle était alors la patronne de la surpuissante Direction générale de l’alimentation (DGAL), place-forte du ministère de l’Agriculture.

En juin passé, le journal Le Monde publiait un article vif sur l’EFSA, pour la raison que cette autorité européenne donne toujours des avis positifs sur la commercialisation des OGM. Titre de l’article en question : « Génétiquement pro-OGM ». Il me semble, il m’a semblé que je devais vous mettre au courant. Car tandis qu’on joue aux imbéciles avec le vaccin contre la grippe porcine, opportunément rebaptisée A, puis H1N1 – ni vu ni connu -, le Sarm se répand inexorablement. La raison m’en paraît limpide. Non ?

Les Tupamaros s’emparent du fleuve Uruguay (À l’abordage !)

Et si on parlait d’élections présidentielles, les amis ? Je vois que vous êtes d’accord et j’en profite pour évoquer le sort d’un pays inconnu, l’Uruguay, où un nouveau président vient de naître. Mais avant cela, comme vous en avez peut-être l’habitude, un léger détour. La Asamblea Ciudadana Ambiental de Gualeguaychú – L’Assemblée environnementale et citoyenne de Gualeguaychú – ne veut pas de l’usine de cellulose Botnia, propriété d’une transnationale finlandaise. Gualeguaychú est une petite ville argentine juste au-dessus de Buenos Aires, qui borde le fleuve Uruguay. De l’autre côté, l’Uruguay, précisément. Et cette énorme usine destinée à la pâte à papier, qui représente le plus important investissement privé jamais réalisé dans ce petit pays. Plus d’un milliard de dollars au total.

Je suis obligé de résumer à grands traits. Les premiers à s’inquiéter des conséquences écologiques prévisibles pour le fleuve ont été des Uruguayens de la bourgade située en face de Gualeguaychú, de l’autre côté du fleuve, Fray Bentos. Des membres de l’association Movimiento por la Vida, el Trabajo y el Desarrollo Sustentable, ou Mouvement pour la vie, le travail et le développement durable. Comme ils ne sont pas crétins, ils se doutaient bien que l’usage massif de dioxyde de chlore et de peroxyde d’hydrogène pour blanchir le papier aurait des effets désastreux sur l’état écologique du fleuve. Et quelles que soient les méthodes de contrôle retenues. Isolés dans leur propre pays, l’Uruguay – apparemment ravi de l’installation de Botnia -, ceux de Fray Bentos traversèrent simplement le pont sur le fleuve, tentant d’entraîner des habitants de la ville argentine de Gualeguaychú dans cette bagarre éminemment écologiste.

Et alors, miracle. À Gualeguaychú se crée un mouvement populaire qui reçoit des soutiens de toute l’Argentine. Un mouvement enraciné, puissant, constant, qui occupe à maintes reprises le pont sur le fleuve, organisant même un blocus routier. L’Argentine porte l’affaire devant la justice internationale, l’Uruguay se fâche et dépose une plainte devant l’Organisation des États américains, le prix Nobel de Paix argentin Adolfo Pérez Esquivel propose pour sa part une médiation, etc. Depuis que dure l’affaire, commencée pour de bon il y a cinq ans, la tension est à peine descendue. À une autre époque, nul doute que cet affrontement géant se serait achevé par une guerre entre les deux voisins.

Mais les temps ont changé. La preuve immédiate par José Alberto Mujica Cordano, dit El Pepe. Pepe Mujica vient d’être élu hier président de la République d’Uruguay. Un tout petit pays – à l’échelle de ce continent – de 176 000 km2, qui ne compte que 3,5 millions d’habitants, dont une bonne part à Montevideo. Seuls les chenus de mon espèce savent encore ce que veut dire Tupamaro. Ou même, car ma mémoire va jusque là, MLN-T, soit El Movimiento de Liberación NacionalTupamaros (MLN – T). Moi, dans cette autre vie qui fut la mienne, les yeux enamourés, je les appelais les Tupas. Et j’avais alors tout dit. Tupamaro vient, par je ne sais quelle adaptation, du nom d’un rebelle indien, Túpac Amaru. Un sacré petit gars, à ce qu’il semble. Ce guerrier Inca, moins naïf que d’autres, décida dans la deuxième moitié du XVIème siècle de faire la peau aux Espagnols, quarante ans après leur arrivée dans l’Empire inca. Bon, on se doute bien que les Espagnols l’emportèrent finalement. Túpac Amaru, chopé puis emprisonné à Cuzco, ville du Pérou d’aujourd’hui, fut écartelé sur la place centrale en 1572.

Et puis après, bien longtemps après, les Tupamaros, un mouvement armé d’extrême-gauche. L’affaire se déroule en Uruguay, où il n’y a, à ma connaissance, aucun  Indien. Il y a bien des métis, mais des Indiens, point. Ce pays est peuplé de descendants d’Européens, et dans mon jeune temps, on l’appelait « la Suisse de l’Amérique du Sud ». Jusqu’au surgissement des Tupas dans le paysage national de la fin des années soixante. Quand précisément ? Je ne sais plus. L’époque était à la guerilla.  Guevara écrivait par exemple, citant le poète José Martí : « Es la hora de los hornos y no se ha de ver más que la luz ». Ce qui veut dire : « C’est l’heure des brasiers, et il ne faut voir que la lumière ». Très con. Mais j’étais un jeune con.

En moins de cinq ans, les Tupas transformèrent de fond en comble l’atmosphère de ce petit pays. Après 1970, ils multiplièrent les coups d’audace, dont la prise d’une ville de province, ridiculisant les flics et les militaires. Mais la drôlerie fut bientôt remplacée par la guerre. Les Tupas enlevèrent un homme des services secrets américains, Dan Mitrione, qui fut tué. Ils capturèrent ensuite l’ambassadeur britannique, qui fut, lui, libéré. Pendant des années sanglantes, les Tupas semblèrent invincibles, avant d’être réduits à presque rien par la répression. Il y eut beaucoup de morts et de disparus, mais aussi des survivants, dont Pepe Mujica.

El Pepe est une légende à lui seul. L’ancien guerillero a été blessé à plusieurs reprises au temps qu’il était Tupamaro – six balles au total dans le corps -, emprisonné de nombreuses fois – 15 ans de prison en tout -, et s’est évadé à deux reprises. De mon point de vue, il a mal vieilli. Si vous voulez mon avis sincère, bien plus mal que moi. Pourquoi ? Parce que, comme ses ultimes déclarations de candidat l’ont annoncé, sa première visite de chef d’État sera pour Buenos Aires, afin de « normalizar y fraternizar las relaciones con la Argentina (ici) ». Où l’on revient à l’usine Botnia du départ, car c’est bien entendu la pomme de discorde majeure entre les deux États.

Mujica aura passé sa vie dans l’erreur politique, incapable qu’il est de modifier, ne fût-ce qu’un peu, son point de vue « industrialiste » et « développementiste ». Comme les tenants de la gauche social-démocratisée – Lula -, comme ceux de la gauche soi-disant radicale – Chávez -, il ne voit l’avenir que dans la poursuite de la destruction des écosystèmes. Ces écosystèmes dont il n’a jamais entendu parler, et dont, par définition, il ne sait rien. Mujica est si borné, si dramatiquement borné, qu’il souhaite demander à Botnia, l’entreprise papetière finlandaise, qu’elle investisse dans le tourisme à Gualeguaychú, la ville argentine (ici). Les opposants parlent écologie, avenir du fleuve et du monde, et Mujica leur répond aumône et aliénation touristique. Pis encore, il a fini sa campagne en déclarant: « Espero venir a Fray Bentos como presidente para poder darnos un abrazo con el pueblo argentino en ese puente y hacer una fiesta en este pueblo, para enterrar el odio y mirar hacia adelante como dos pueblos hermanos ». En deux mots, il compte aller donner l’accolade au peuple argentin, faire une fête, et regarder devant, en conservant bien entendu l’usine. On se doute.

Y a-t-il plus belle preuve que les gauches, qui situent leur pensée dans un cadre mort – comme il est des astres morts – ne sont pas ni ne seront jamais écologistes ? Ce n’est pas affaire de bonne ou mauvaise volonté. C’est affaire de culture et de paradigme. Il n’y a rien d’autre à faire que tenter de dépasser au plus vite ces formes moribondes du projet humain. Il n’y a rien de plus urgent que de créer un cadre neuf, mais réellement, permettant enfin de mobiliser les forces disponibles, qui sont plus nombreuses qu’on ne croit. Mujica est un dinosaure, et les dinosaures sont désormais des fossiles.

PS : Nous sommes concernés par l’usine Botnia à plus d’un titre. Le Crédit Agricole, par l’intermédiaire de sa filiale Calyon, a contribué au financement du monstre. Le Crédit Agricole, ou le bon sens loin de chez vous.

Lancer de nains sans les mains à Manaus (pour Stan)

Je m’absente deux jours pour un travail en province, et voilà que je découvre notre président chéri à tous en pleine besogne planétaire. La conférence de Copenhague sur le climat, à mesure que la date d’ouverture se rapproche, promet chaque jour un peu plus d’être un show à l’américaine, avec paillettes, majorettes, applaudissements préenregistrés et plumes dans le cul (pardon). Ceux qui ne comprennent pas que la quasi-totalité des chefs d’État sont incapables de saisir les enjeux de la crise climatique passeront fatalement à côté des coulisses, et s’en tiendront au discours. Lequel promet de sérieux trémolos, quantité de jeux de scènes, des faux départs, des faux retours, et un magnifique paquet cadeau à l’arrivée.

La fête ne serait pas complète sans quelques larmes au fond des yeux. Nous les aurons donc. Mais en attendant, la bataille d’egos fait rage, d’autant plus que c’est la seule qui compte. Vous avez sûrement vu la grande scène du deux entre Obama et Hu Jintao le dirigeant chinois. Trop drôle. Obama engagera – sauf surprise de dernière heure – les États-Unis sur une réduction des gaz à effet de serre de 17 % à l’horizon 2020. Oui, mais pas par rapport à 1990, comme il avait été décidé par le reste du monde à Kyoto. Non, sur la base de 2005. Si même l’objectif était atteint, la baisse des émissions serait alors de 3 à 4 % par rapport à 1990. À Kyoto, on s’était mis d’accord sur une réduction globale de 5,2 %, mais dès 2012 !

Quant à Hu Jintao, il affirme sans s’étrangler de rire que la Chine réduira son « intensité carbone » de 40 à 45 % en 2020. Ah le rusé ! Que veut dire « intensité carbone » ? Ouvrons un concours, car pour l’heure, nul ne sait. Nos commentateurs patentés oublient en outre de préciser que la Chine reste un empire totalitaire où tout chiffre est politique. Ou toute statistique est soumise à contrôle. La vérité, c’est que cet engagement n’a aucune signification. D’autant plus que, pour maintenir sa démentielle croissance, la Chine aspire telle l’ogre qu’elle est devenue la chair et les os de l’Asie du sud-est et, de plus en plus, de l’Afrique. Qui comptera les émissions des pays vassalisés ?

Revenons une seconde à Sarkozy, qui prépare son coup depuis des mois. Copenhague sera son triomphe, de gré ou de force. Il est tellement obsédé par lui-même qu’il a donc monté, comme vous le savez, une opération qui ridiculise un peu plus la France dans le monde. C’est qu’il y croit. C’est qu’il s’y croit. Imbécile comme savent l’être des maîtres entourés d’esclaves, il a cru qu’il suffisait d’embarquer le président brésilien Lula dans l’extravagante idée d’un Sommet amazonien pour faire la nique à Obama. Car ne cherchez pas plus loin : tout est là. La nique à Obama. Seulement, le Sommet de Manaus s’est transformé en une farce complète, où l’on aura vu autour de la table trois pauvres pékins : Sarkozy, Lula et…le président du Guyana, qui soit dit en passant est en train de traficoter un plan pour gagner de l’argent frais grâce à sa portion de forêt tropicale.

Passons. Trois. Les autres chefs d’État invités se sont défilés. Le Colombien Uribe avait mal à la jambe (vrai) et le Vénézuélien Chávez était engagé par un autre rendez-vous (vrai). Peut-être chez le dentiste ? Notre pauvre Élyséen, faute de pouvoir s’en prendre à lui-même, seul responsable du désastre diplomatique et politique, a crânement décidé d’attaquer…Obama. Bien sûr, évidemment ! Le président américain ayant annoncé sa venue à Copenhague dès le 9 décembre, soit une semaine avant la clôture du Sommet, Sarko a osé jouer les professeurs de bonne manière, déclarant : « Je ne voudrais pas qu’on soit discourtois avec le premier ministre danois qui a organisé la conférence (ici) ». Cela mérite une petite explication. Sarko ira à Copenhague le 17 ou le 18. Obama s’y rendant au début des discussions, Sarko ne peut espérer, comme il le souhaitait, montrer l’excellence de la position française face à l’exécrable entêtement américain. En somme, ses plans sont modifiés. Et comme il demeure un gosse à qui toutes et tous passent le moindre caprice, il ne peut s’empêcher de tirer la langue à Obama.

On en est là. Là. Nulle part ailleurs. Manaus aura démontré par l’absurde que rien ne bouge réellement. Ce qui domine, ce qui écrase le tableau, c’est cette furie politicienne d’êtres sourds autant qu’aveugles. Lula, Sakozy, Obama, Hu Jintao, tous égaux devant le temps, l’espace, la vie, la biosphère. Tous des nains occupés au lancer de nains sans les mains. Une occupation difficile, et qui n’est pas à la portée de tous.