Je me presse, car je n’ai pas le temps. Ce papier peut aisément se lire en complément du précédent, que j’ai consacré à notre héros national, Luc Guyau. Vous savez comme moi, je pense, que deux anciens Premiers ministres de la France, l’UMP Alain Juppé et le socialiste Michel Rocard, ont planché ensemble sur un grand emprunt national dont il s’agissait de définir les contours. Premier commentaire : tous ces gens sont d’accord. Sur les priorités, l’avenir qu’elles conditionnent, le destin commun qu’elles nous promettent. C’est bien, car c’est instructif. On trouve pêle-mêle, dans la liste des membres du groupe Juppé-Rocard, certaines de mes têtes de Turc favorites, dont Laurence Tubiana (ici) et Érik Orsenna (ici, en plusieurs chapitres). C’est bien, car c’est instructif.
À part cela, quelles sont les conclusions de ces preux chevaliers du futur ? Je ne peux me gondoler autant que j’en ai l’envie, mais tout de même. Tout de même. Ce n’est qu’habituelle logorrhée de gens qui n’ont rien compris au film. On y parle économie mondialisée, compétition féroce, investissements, et bien entendu Dédé, autrement dit DD, autrement dit développement durable, cette tarte à la crème sans laquelle aucun dessert n’existe plus. Si vous avez le cran de tout lire, courage et confiance (ici). Je rappelle à toutes fins utiles que cet excellent vieux monsieur appelé Rocard est l’auteur d’un rapport sur la taxe carbone, demandé, lui aussi, par notre président à tous, Sarkozy. Et remis cet été.
Or, Rocard est un benêt qui ignore tout des connaissances de base sur l’effet de serre, ce qui peut sembler étrange pour un homme qui entend entraîner toute la République sur ce sujet, juste derrière lui. Le 28 juillet passé, à 8h41, sur France Info, Rocard démontrait avec verve qu’il confond allègrement – l’adverbe juste – dérèglement climatique et trou de la couche d’ozone, deux phénomènes qui n’ont aucun rapport direct. Citation rigoureuse : « Le principe, c’est que la Terre est protégée de radiations excessives du soleil par l’effet de serre, c’est à dire une espèce de protection nuageuse, enfin protection gazeuse qui dans l’atmosphère est relativement opaque aux rayons du soleil. Et quand nous émettons du gaz carbonique ou du méthane ou du protoxyde d’azote, un truc qu’il y a dans les engrais agricoles, on attaque ces gaz, on diminue la protection de l’effet de serre et la planète se transforme lentement en poële à frire. Le résultat serait que les arrière-petits-enfants de nos arrière-petits-enfants ne pourront plus vivre. La vie s’éteindra à sept huit générations, c’est complètement terrifiant ».
Je suis d’accord avec Rocard, c’est terrifiant. Terrifiant d’ignorance. Et passons. Dans son nouveau show – cette fois, il s’agit d’un numéro de claquettes avec Juppé -, Rocard est parfait, je l’ai déjà noté. Je n’extrais, pour la bonne bouche, qu’un extrait : « La France dispose d’avantages comparatifs : – des atouts industriels historiques (BTP, service de gestion de l’eau et des déchets, agro-industrie) qui donnent à la France une avance dans les secteurs du recyclage, de l’efficacité énergétique des bâtiments et des biocarburants ». Eh oui, nous revoilà encore avec les biocarburants, obsession manifeste de nos maîtres. Logique, le plan des duettistes promet de « soutenir l’innovation dans les agro-biotechnologies » à hauteur de 1 milliard d’euros supplémentaires. Je traduis : ces biotechnologies, en très large part, seront des biocarburants. Voilà leur idée du 21 ème siècle, à l’heure où brûle le monde.
Tête des écologistes officiels, qui blablatent, depuis les débuts du Grenelle il y a deux ans, avec les plus belles Excellences de la République. Ceux de France Nature Environnement (FNE) – autres têtes de Turc, à vrai dire -, sont tout embarrassés d’avoir à reconnaître qu’ils se sont fait grossièrement entuber. Ce qui donne, sous le titre évocateur Grand Emprunt, 1 milliard pour les biotechnologies, 0 pour la biodiversité : « Les propositions formulées visent à favoriser la production de “variétés végétales innovantes répondant aux besoins d’une agriculture à hautes performances économique et environnementale pour l’alimentation humaine et animale” et le développement de “nouvelles filières du carbone renouvelable, en substitution aux produits pétroliers”. De là à comprendre que l’emprunt national doit soutenir les OGM et les agrocarburants, dont on connaît les risques potentiels, il n’y a qu’un pas ». Je dirais même plus, amis blousés : un entrechat.
Conclusion des mêmes : « Mais entre rentabilité économique potentielle des biotechnologies et investissements à long terme, la commission [Juppé-Rocard] a choisi ». Eh ben oui, ils ont choisi, et vous voilà tout marris. Que va-t-il se passer ? Rien, nada, niente, nothing, nichts. Que dalle. Business as usual, des deux côtés de cette barricade de paille et de pacotille. On ne va pas se fâcher pour si peu de choses.