Réponse complète d’un qui chie dans les copeaux

Mon papier d’hier consacré à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et au maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, m’a valu ce matin un commentaire que je qualifierai de courroucé. Il émane d’un monsieur Michel Fontaine, dont j’ignore tout. Mon petit doigt me dit qu’il ne déteste pas monsieur Ayrault. Je laisse le commentaire à sa place, mais le mets également ici, en article, car j’ai finalement décidé d’y répondre après qu’un ami de passage eut estimé que cela pourrait valoir la peine. Je ne sais pas trop, vous jugerez. Or donc, la lettre 1 est celle de cet excellent monsieur Fontaine. La lettre 2, si brève, est une moquerie de votre serviteur. La lettre 3 est une moquerie, plus longue, et toujours du même. Bien à vous.

Lettre 1 : De Michel Fontaine à Fabrice Nicolino

Votre “papier” est bourré d’inepties, de contre vérités, de désinformation, de mauvaise foi et de méconnaissance flagrante… Sans parler de la ligne jaune de la diffamation qui est à deux doigts d’être franchie. C’est là votre habitude, prêcheurs de décroissance, défenseurs du repli sur soi et de l’autosuffisance (et de la suffisance, vous en avez à revendre!).

1.vous parlez d’un deuxième aéroport. C’est faux. C’est un déménagement, point.

2. vous parlez de 2000 hectares. C’est n’importe quoi. Ce sont 1000 hectares qui ont été acquis depuis 35 ans pour le projet d’aéroport, 1000 hectares qui sont à mettre en perspective avec les 900 hectares d’espaces naturels à protéger acquis par le département.

3. “bocage d’une qualité exceptionnelle” : laissez-moi rire! Le choix du site de Notre-Dame des Landes a été très largement fait à cause de son faible potentiel agricole. Le terrain est caractérisé par l’acidité des sols et leur pauvreté minérale, la basse végétation composée de bruyères et d’ajoncs…

4.”Ce territoire semi-naturel abrite de vrais paysans, de vrais oiseaux – dont la chevêche d’Athéna, l’engoulevent, le busard Saint-Martin -, de vrais mammifères, d’authentiques insectes, tels le pique-prune et le lucane cerf-volant” dites-vous. Et le lac de Grand-Lieu, dont vous ne connaissez probablement pas l’existence, en bout de piste de l’aéroport actuel, survolé par 23000 avions chaque année, vous y pensez? Est-ce à moi de vous informer que ce lac est présent depuis l’ère quaternaire, classé Natura 2000, réserve régionale ET réserve nationale, et que son survol quotidien relève proprement du scandale?

5.Les attaques personnelles: doit-on rappeler que ce projet a été initié et est porté par l’Etat, et pas Jean-Marc Ayrault, au demeurant excellent maire de Nantes (au passage, vous feriez bien de vous informer: groupe socialiste et groupe radical et citoyen, c’est… le même)? Que la gauche comme la droite, l’Etat, le conseil général, le conseil régional, le soutiennent? et que cela fait 35 ans, 35 ANS que les terrains sont réservés à cette fin?

6. Les fameux “pilotes anonymes”: et la déontologie journalistique là-dedans? sont -ils si ignorants qu’ils doivent se cacher dernière l’anonymat? car leur “témoignage” est, lui aussi, bourré d’erreurs tellement énormes qu’on peut aller jusqu’à douter de leur existence! exemple: Il n’y aura pas 2 pistes à Notre-Dame des Landes pour des raisons de trafic, mais pour ne pas survoler de bourgs. Car oui, figurez-vous que l’aéroport de Nantes actuel est dangereux. 13000 avions survolent chaque année le centre-ville à très basse altitude, une minute seulement avant de toucher la piste. Il y a un gratte-ciel, la Tour Bretagne, dans l’alignement exact de la piste. A une minute de la piste. Et cela empêche, contrairement à ce que disent les “pilotes”, l’installation d’un ILS. Il y a quelques années, un avion s’est perdu, et a rasé des immeubles. Il avait confondu la piste avec l’Erdre, rivière qui traverse la ville!

7. Pour finir, Nantes n’est pas “chef-lieu de la Loire-Atlantique”. C’est la 6ème ville de France. Une des villes les plus attractives et dont la population explose. La préfecture de la région Pays de la Loire et, avec le duo qui est en train de se mettre en place avec Rennes, l’indéniable, irréfutable moteur du Grand Ouest .

Non monsieur, tout le monde ne souhaite pas revenir aux peintures rupestres, chier dans des copeaux et ne pas voir plus loin que le fond de son potager. Oui monsieur, le déménagement de cet aéroport dangereux et inadapté est une bonne chose, pourvu que des garanties environnementales soient données pour le nouveau. Et c’est justement le cas!

 

Lettre 2. De Fabrice Nicolino à Michel Fontaine

Cher monsieur Fontaine,

Vous êtes presque aussi drôle que monsieur Ayrault. Presque. Ne me dites pas que vous faites un concours, surtout ! Bonne journée,

Fabrice Nicolino

Lettre 3 : de Fabrice Nicolino à monsieur Fontaine

Cher monsieur Fontaine (bis),

Un ami de passage chez moi me recommande de vous répondre en détail, et je me laisse tenter. Allons-y donc !

1/ Vous faites très fort ! Construire un deuxième aéroport ex nihilo ne serait pas construire un deuxième aéroport, au motif que l’on abandonnerait – éventuellement – le premier. Je ne vous présente pas Ferdinand Lop, je pense que c’est inutile.

2/ L’emprise du projet est de 1650 hectares, compte non tenu de divers aménagements, notamment routiers. Dans ces conditions, ai-je eu à ce point tort de parler de 2 000 hectares quand vous-même, par extraordinaire, en restez à 1 000 ? Une expérience ancienne m’a conduit, allez savoir pourquoi, à constater que les aménageurs, une fois en place, ont une tendance irrépressible à s’étaler. Mais les vôtres doivent être différents.

3/ Votre ignorance en matière de biologie entrouvre des portes sur l’inconnu. La vie dans sa diversité restera, croyez-moi, indifférente à vos savoureuses considérations sur l’acidité supposée des sols. Et je vous invite charitablement à vous informer sur ce qu’est un bocage préservé. Il n’en reste que peu de cette taille dans la partie Ouest de la France. Est-ce bien de ma faute ?

4/ Quel magnifique argument ! Si je vous ai bien compris, parce que Grand-Lieu, lac auquel j’ai consacré de nombreux articles, est survolé par quantité d’avions, il faudrait en faire autant à Notre-Dame-des-Landes ? Vous pensez bien que je vais de ce pas noter cela dans mon carnet à citations.

5/ N’y touchez pas, il est à moi ! Eh, je vous laisse volontiers votre député-maire, savez-vous ? On n’aurait plus le droit d’attaquer des hommes politiques qui nous plongent dans le délire prévisible du chaos écologique ? Mais vous rêvez éveillé, savez-vous ? Toute l’histoire du mouvement démocratique réel est faite d’attaques contre les responsables politiques, et vous voudriez les arrêter ? Bon courage, monsieur Maginot ! Si monsieur Ayrault se juge diffamé, qu’il m’attaque en justice, cela ne me pose aucun problème. Soyez certain qu’en ce cas, le spectacle sera magnifique, et comptera de nombreux personnages, dont certains inattendus.

Par ailleurs, voyez que ma mauvaise foi n’est pas totale. Je vous donne raison. Comme si souvent, et c’est un tort, je suis allé trop vite. La vérité est que votre monsieur Ayrault a été président du groupe socialiste à l’Assemblée de 1997 à 2007, puis président d’un groupe plus vaste incluant notamment les radicaux. Quel homme !

6/Ah ! battez-vous avec eux, pas avec moi. Incapable que vous êtes de discuter les évidences proférées par ces pilotes, vous préférez croire à leur inexistence. Vous savez quoi ? Je pense qu’un complot se trame contre votre ami Ayrault, qui inclut Ouest-France, brûlot bien connu et agitateur de l’anti-France. Portez plainte ! Portez plainte !

7/ Emporté par votre élan patriotique, voilà-t-y-pas que Nantes ne serait plus chef-lieu de la Loire Atlantique. On voit bien comme ce terme vous chagrine, vous qui rêvez développement, Europe, infrastructures, explosion et moteur(s). Eh bien, redescendez une seconde parmi nous. Chef-lieu de la Loire Atlantique, mais oui.

Enfin, ô étrangeté radicale, vous l’homme pondéré, vous vous mettez à vitupérer et à insulter tel un Nicolino. Ne pensez-vous pas à la peine que vous faites aux écologistes dans mon genre et à leur famille ? Les peintures rupestres, passe encore ! Je vous félicite même pour ne pas avoir utilisé cette image galvaudée de la bougie. L’important n’est-il pas que nous soyons relégués dans les cavernes, en compagnie des bêtes sauvages avec lesquelles nous copulons dans l’ivresse ? Chier ? Vous avez dit chier ? Autrement dit, vous avez le droit d’être grossier pour la raison éclatante que vous incarnez tout à la fois la gauche et le progrès humain. Et je devrais m’excuser, moi, de m’être moqué publiquement de votre héros ? Eh bien, cher monsieur Fontaine, je crois bien que vous allez devoir attendre un moment. Les chiottes sont au fond de la cour. Bien à vous,

Fabrice Nicolino

Jean-Marc Ayrault chef d’escadrille (l’aéroport de Nantes)

N’insultons pas, n’insultons pas, n’insultons pas. Vous m’excuserez sans doute, mais il me faut parfois reprendre ma respiration. Je n’insulterai donc pas monsieur Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes, et socialiste pardi. Et je ne ferai aucune allusion à cette blague de deuxième zone selon laquelle si tous les cons volaient, il ferait nuit. Et non plus à cette autre qui prétend que dans le cas où les…disons les imbéciles s’amuseraient à survoler les cieux, certains d’entre eux seraient fatalement chefs d’escadrille.

Ces plaisantes précautions étant prises, passons aux choses sérieuses. À Nantes et dans toute sa région, une coalition d’élus de gauche et de droite exige désormais un second aéroport pour le chef-lieu de la Loire Atlantique. Prévu autour de Notre-Dame-des-Landes, ce nouvel aéroport engloutirait 2 000 hectares d’un bocage d’une qualité exceptionnelle dans l’ouest de la France. Ce territoire semi-naturel abrite de vrais paysans, de vrais oiseaux – dont la chevêche d’Athéna, l’engoulevent, le busard Saint-Martin -, de vrais mammifères, d’authentiques insectes, tels le pique-prune et le lucane cerf-volant.

Donc – mon énervement revient à vive allure -, des soudards veulent à nouveau détruire. Leurs raisons avouées sont si grotesques qu’elles sont ridiculisées même par des pilotes professionnels. Dans le quotidien Ouest-France du 6 octobre (ici), deux d’entre eux se moquent ouvertement des politiques – Ayrault en tête – qui veulent ce foutu aéroport. Attention aux éclaboussures, car elles ne doivent pas sentir la rose. Question : « Que pensent les pilotes du projet d’aéroport à deux pistes parallèles envisagé à Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes ? ».

Réponse : « Ça ricane. On se moque des hommes politiques décidés à construire un projet pharaonique, un grand aéroport de l’Ouest à quatre millions de passagers, dans un contexte où, au mieux, hors crise, le trafic en Europe ne progresse que de 1 %. Contrairement à l’Asie, qui fait des scores à 5 % et plus ». Attendez la suite : « À Londres-Gatwick, le dixième aéroport du monde, qui accueille 34 millions de voyageurs, il n’y a qu’une piste, comme à Nantes, où on n’en a que 2,7 millions. Et ne parlons pas de Genève, où l’on n’a qu’une piste et du relief autour ». Une dernière, pour la route, avant que vous ne lisiez le tout, comme je vous y invite : « Deux pistes, c’est du délire ! Le trafic ne le justifie pas. Il y a plein d’endroits où les pistes moisissent. À Bordeaux, on n’utilise plus la deuxième piste. À Metz-Nancy, on a une piste magnifique créée il y a quinze ans, mais personne n’y va ».

Bon, bon, bon. Je dois ajouter que les deux pilotes ont choisi l’anonymat. Ouest-France étant un journal très respectueux des lois et des hiérarchies, je ne doute pas une seconde des propos tenus et de la qualité de pilotes de ceux qui les ont prononcés. Mais alors, dites, nous en sommes donc là ? Des professionnels, sachant de quoi ils parlent, se cachent pour parler d’un projet lamentable qui pourrait engloutir des milliers d’hectares de nature et des milliards d’euros d’argent public ? Nous en serions là ? Possible. Probable.

Et nos élus ? Oui, il convient, en bon démocrate que je suis, de donner la parole à Jean-Marc Ayrault, apparatchik et cumulard incomparable. Jadis professeur d’allemand, Ayrault est à la fois maire de Nantes – près de 300 000 habitants -, député, président de Nantes Métropole – 24 communes et 580 000 habitants -, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche de cette même Assemblée. Ce monsieur est un génie méconnu, un magicien digne du grand Houdini, un être venu d’ailleurs, capable de distendre les frontières du temps.

(Ci-contre, Harry Houdini en 1899. Toute ressemblance avec Jean-Marc Ayrault serait l’effet de quelque facétie de très mauvais goût. Par chance pour vous, je n’en suis pas encore là.)

Alors, que nous dit ce cher monsieur Ayrault ? Interrogé par l’inévitable Ouest-France, not’ bon maire déclare : « J’attends de l’État qu’il fasse les bons arbitrages, et de François Fillon qu’il ne laisse pas tomber l’Ouest ». Je contextualise, comme il faut dire quand on veut paraître sérieux : il n’y a pas de blé pour faire cette si belle installation, et l’État a intérêt à banquer. Mais vite ! Car Fillon n’est pas immortel, du moins en tant que Premier ministre. Or il a longtemps été président du Conseil régional des Pays de la Loire, région où se trouve Nantes, et cela crée des liens, par-delà les dérisoires oppositions politiques.

Admirez le ton d’Ayrault ! Il ne faut pas laisser tomber l’Ouest. Si pas d’aéroport, plus d’Ouest. Que claquent les dents des grabataires, s’ils en ont encore ! Plus d’Ouest ! Parce que l’État, ce vilain, ne voudrait pas payer. Pour être bien sûr qu’on a tous compris, Ayrault ajoute, sublime : « Aujourd’hui, alors que l’effet TGV s’estompe, l’avenir se joue sur quelques dossiers stratégiques pour lesquels nous devons être intransigeants et combatifs ».  Oh, mais c’est merveille. L’effet TGV s’estomperait ! Il faudrait donc faire plus, dépenser plus, aller plus vite et plus loin jusqu’au fin fond de la crise écologique planétaire. Vous savez quoi ? J’admire les visionnaires. Je me figure Ayrault avec un beau képi à jugulaire, tapi dans une casemate de la ligne Maginot, tandis que les blindés allemands de Guderian passent tranquillement à travers les Ardennes. Ô mânes de Gamelin! Ô grand général français de la débâcle de mai-juin 40, tu n’es pas mort pour rien. La descendance est là.

Et bien là. Dans la foulée du chef, 18 élus de la région sont montés au front, sous la mitraille. Lisez, je vous prie, c’est grand-guignol (ici). Ayrault à nouveau, qui souhaite « remettre un peu de rationalité dans un débat qui déclenche beaucoup de passion et de désinformation… On veut faire peur, mais le transfert de cette plateforme, l’une des six plus importantes de France, est indispensable…». IN-DIS-PENSA-BLE, père Ubu, j’allais justement le dire. Charles Gautier, maire de Saint-Herblain : « L’événement le plus important depuis cinq ans dans la métropole nantaise a été la conférence Nantes-Rennes… Et dans ce rapprochement, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est une pièce maîtresse du dispositif ».

Pièce maîtresse, dispositif : vous voyez bien que ces gens sont des militaires en mission commando. Sachez qu’en conséquence, il n’y aura pas de prisonniers. Et la victoire sera donc complète, ou la déroute totale. Je constate, non sans un sourire en coin, que cette grande offensive industrialiste et dévastatrice est pour l’heure menée par des élus de gauche. La gauche, les amis ! La gauche ! Le progrès, il n’y a que cela de vrai.

PS : Quel est le moteur, à explosion bien sûr, d’un Ayrault ? Oui, quel peut bien être ce moteur-là ? À part le bien public, évidemment. Alors ? Hum, pour être sincère, je ne suis sûr de rien. Et si c’était seulement le plaisir si répandu de déposer sa crotte là où tout le monde pourra la voir ? Et si c’était seulement le bonheur de se dire : moi, moi, moi ? Mais j’oubliais le fabuleux destin de l’Ouest, où ai-je la tête ?

Barbara Burlingame et les mystères de la courge cireuse

Si vous connaissez Barbara Burlingame, c’est que vous travaillez auprès d’elle, ou que vous êtes son voisin de palier. Et pourtant, elle mérite bien ce (très) modeste coup de projecteur. Cette femme est ce que l’on appelle une experte, salariée à Rome de la FAO, l’agence mondiale des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation. Cette FAO, créée en 1945 à Québec, fourmille d’employés et de cheffaillons dont l’objectif est d’aider « à créer un monde libéré de la faim ». Sa devise latine, au reste, est « Fiat panis ». Qu’il y ait du pain, en français.

Comme le sujet est grave, on tentera de ne pas rire. La FAO a si misérablement échoué – plus d’un milliard des nôtres ont faim d’une manière chronique -, après avoir tant promis, que dans un monde mieux fait, elle se serait dissoute depuis des lustres. Mais elle est là, copinant comme toujours avec les intérêts les mieux compris de l’agriculture industrielle. Celle des tracteurs, des engrais, des pesticides, des OGM, des nécrocarburants. La FAO, c’est la FAO. J’attends avec impatience le livre qui racontera comment cette institution a pu s’abaisser à ce point. Mais au milieu et malgré tout, Barbara Burlingame. Spécialiste de la nutrition, elle signe la préface d’un livre en anglais de la FAO – Joelle, merci – qui s’appelle : « Indigenous Peoples’ food systems ». On peut le lire en ligne (ici).

En douze chapitres, les différents auteurs passent en revue les systèmes alimentaires de peuples autochtones de la planète. Dans sa préface, tout empreinte de prudence bureaucratique, Barbara Burlingame parvient à dire des choses essentielles, ce qui est à son honneur. Je la cite, et la traduis du même coup : « Les systèmes traditionnels alimentaires des peuples indigènes utilisent l’ensemble du spectre de la vie, ce que ne parviennent pas à faire les systèmes modernes. Les développements technologiques de l’agriculture, au cours des six décennies d’existence de la FAO, ont entraîné de grandes coupures entre les peuples et leur alimentation. La mondialisation et l’homogénéisation ont remplacé les cultures alimentaires locales. Les récoltes à haut rendement et la monoculture ont pris la place de la biodiversité. Les méthodes agricoles industrielles à forts intrants ont dégradé les écosystèmes ainsi que les zones d’agro-écologie. Enfin, l’industrie alimentaire moderne a conduit à des maladies chroniques liées à la diète et d’autres formes de malnutrition ».

C’est un peu long, même pour les excellents lecteurs que vous êtes, mais cela valait la peine, il me semble. Le monde ancien craque de toutes parts, et la critique vraie, et donc dévastatrice, nous vient désormais du dedans des lieux les plus mal fréquentés. Mais je n’ai pas encore fini. Bien que n’ayant pas lu le livre entier, pas encore, je dois vous parler de son chapitre 8, consacré à un village karen du nord de la Thaïlande, pays qui n’est pas peuplé seulement de jeunes gars vendant leur cul au bourgeois parisien en goguette. Sanephong est un village de 661 âmes et 126 foyers, situé très près de la frontière avec le Myanmar, l’ancienne Birmanie.

On ne parvient à Sanephong qu’après un périple automobile en 4X4, et seulement pendant la saison sèche. Autrement, il faut venir à pied, par la montagne et dans la boue. Mais que diable peut-on manger à Sanephong ? De tout, rigoureusement de tout, au point que cela devient fascinant. Le village dispose de quatre zones agricoles, mais une seule, la principale, a été étudiée : une plaine alluviale dont 240 hectares sont utilisés pour l’alimentation. La rivière Kheraw-Khia permet non seulement de boire et de se laver, mais aussi de s’emparer de crabes, de coquillages, de grenouilles. Outre les plantes sauvages cueillies au gré des balades et furetages, les Karen cultivent beaucoup, à commencer par le riz. La chose inouïe, presque inconcevable pour nous, gens du Nord, est que ce peuple utilise pour se nourrir 387 espèces ou variétés différentes, dont 17 % animales et 83 % végétales.

Nous nous accommodons d’une incroyable monotonie alimentaire dominée par la viande industrielle, le soja, le maïs, le blé, le riz, quand une richesse sans limites apparentes existe encore, dans les recoins du monde. Vous savez comme moi que cette uniformisation imbécile autant que criminelle sert les intérêts de compagnies transnationales qui sont le vrai pouvoir sur terre. Vous le savez, je le sais, et je ronge mon frein en attendant mieux. Mais ! Mais admirez les habitants de Sanephong, qui mangent des racines, cultivent 89 végétaux différents et 37 fruits, sans se douter le moins du monde qu’ils sont des héros planétaires. Plus d’une centaine d’espèces ou de variétés consommées n’ont même pas de nom dans la langue du pays, le thai.

Ainsi cueille-t-on du baing-mei-muing, d’août à décembre. Mais que signifie ce mot karen ? Aucune idée. De même pour le cher-nge-phlo, qu’on cultive de septembre à mai. Dans la liste interminable, je n’aurai reconnu que le riz, le taro, le sésame, la patate douce, le manioc, le crabe, le buffle, la chèvre domestique, le poisson, le sanglier, le macaque. Sans oublier la courge cireuse, une cucurbitacée oblongue qu’on appelle aussi pastèque de Chine. Et si les Karen étaient notre seul avenir possible ?

Cachez cette bidoche que je ne saurais voir (ni manger)

Ce n’est plus guère un secret pour la plupart d’entre vous. Je viens de publier un livre qui s’appelle Bidoche, et qui a pour sous-titre : L’industrie de la viande menace le monde. Ce livre a été édité par un ancien de Fayard, Henri Trubert, que j’ai décidé de suivre dans l’aventure d’une nouvelle maison, Les liens qui libèrent (LLL).

Je ne vais pas être long sur le sujet. J’ai ouvert (ici) un lieu virtuel où l’on peut voir quelques vidéos et lire les critiques – ou entendre les émissions – consacrées au livre. À cette nouvelle adresse, je reçois des courriers, qui ne sont pas, à proprement parler, des commentaires. Ces derniers sont rendus impossibles, techniquement impossibles, pour la raison que je n’ai pas le temps matériel de les suivre. Mais je les lis, et ils sont le plus souvent instructifs.

Passons sur les louanges, même s’ils font bien entendu plaisir. Ce qui me frappe, c’est le nombre de gens qui me disent qu’ils n’ont pas acheté le livre et qu’ils ne le liront peut-être pas, car ils ont peur d’y trouver ce qu’ils craignent. Ma foi, je comprends, mais je récuse aussi ! Ne pas chercher à savoir, ne pas chercher à comprendre, n’est-ce pas la pire des attitudes concevables ? Je dois dire que je suis étonné, et le mot est faible !

Bidoche se vend bien, au point qu’il a déjà été réimprimé. Mais je rappelle que la seule chance véritable de ce livre est le bouche-à-oreille, d’autant que LLL est une maison d’édition qui reste inconnue des libraires. Lesquels ont déjà le plus grand mal à se retrouver dans le labyrinthe des nouvelles parutions. Un dernier mot : j’ai tenté de raconter une vaste histoire, avec des personnages, des rencontres, des visions, des anecdotes, des folies, de folles recherches, de fols résultats. Le reste ne m’appartient déjà plus. Et je vais peu à peu passer à autre chose.

PS : mon prochain papier, demain, concernera un village karen du nord de la Thaïlande, Sanephong. Les 661 habitants de ce pays perdu utilisent, pour se nourrir, 387 espèces ou variétés différentes, dont 17 % animales et 83 % végétales. Ce n’est pas chez nous qu’on verrait de telles horreurs.

Obama sera-t-il celui qu’on croit (ou non) ?

Il faut toujours essayer – essayer au moins – de se mettre à la place des autres. Certains en sont rigoureusement incapables, mais est-ce une bonne raison pour renoncer ? L’agence de presse mondiale Reuters vient de réaliser un simple calcul basé sur les émissions de gaz à effet de serre de différents pays développés en 1990. On le sait – ou on ne le sait pas -, il est question de diminuer les émissions de 80 % d’ici 2050 dans les pays du Nord, par rapport à ce qu’elles étaient en 1990, considéré comme un point zéro.

Certains jugent que cet objectif n’est pas suffisant, et qu’il faudrait parvenir à 90 % de baisse si l’on veut obtenir un accord avec les pays du Sud, la Chine en tête, au cours de la grande conférence sur le climat qui doit se tenir en décembre à Copenhague. Alors, et cette comparaison Reuters ? Eh bien, je vous avoue sans fard qu’elle m’a fait toucher du doigt l’extrême difficulté de tout nouveau protocole climatique. Reuters s’appuie sur un paramètre qui n’est guère retenu dans les discussions sur le climat : la démographie (ici).

En 2050, si les courbes se maintiennent, les États-Unis compteront 60 % d’habitants en plus par rapport à 1990.  Soit environ 400 millions de citoyens. Dans le même temps, pour des raisons que je n’ai pas le temps de détailler, mais qui sont très éclairantes sur la marche du monde, la population russe chuterait d’environ 20 % Et c’est bien là que tout se complique épouvantablement. Brian O’Neill, chercheur au National Center for Atmospheric Research : « Certains pays pourraient bien dire : mais comment se fait-il que vos droits d’émission sont deux fois plus élevés que les nôtres dans un un monde où nous sommes censés partager équitablement le fardeau ? ».

O’Neill pense en priorité aux États-Unis, dont chaque habitant, en 2050, ne pourrait plus émettre, en cas de diminution de 80 %, que trois tonnes de gaz carbonique par an, contre…27 en 1990. Dans le même temps, les Russes auraient, eux, un « droit » d’émission individuelle de près de 6 tonnes. Le double ! Bien entendu, ces calculs et cris d’orfraie masquent mal l’essentiel. Et cet essentiel, au moment où j’écris ces mots, c’est que rien n’a réellement changé depuis le Sommet de la terre de Rio, en 1992. George Bush père avait déclaré pour l’occasion que le niveau de vie américain, basé sur l’extrême gaspillage des ressources naturelles, n’était en aucun cas négociable.

En ira-t-il autrement avec Obama ? Je n’ai pas la réponse, et je mise, malgré tout, et peut-être contre l’évidence, sur un sursaut. Obama tient la chance inouïe, qui ne se représentera certainement plus pendant son mandat, de défier l’ordre industriel surpuissant sur lequel reposent les états unis de l’Amérique. Il mériterait ainsi, et au-delà, son prix Nobel de la Paix. Mais quelque chose me dit que la tourmente autour de la réforme du système de santé, provoquée par une droite monstrueusement égoïste, n’est rien à côté de ce qui se prépare.

À Copenhague, dans quelques semaines, nous saurons bel et bien ce qu’il faut penser d’Obama. J’ai pris un peu d’avance sur le sujet, et sérieusement étrillé le président américain et ses naïfs adorateurs (ici). Seulement, je suis tout prêt à écrire que je me suis trompé sur son compte. Je suis tout prêt à me traiter d’idiot, et à reconnaître en lui le grand réformateur que le monde espère tant. On verra. Je verrai.