Le grand Nil devient une guerre

Publié sur Charlie

La guerre ? Peut-être. Probablement. Tôt ou tard. Pour commencer, entre l’Égypte et l’Éthiopie. Après, on verra. Or, il s’agit de deux colosses, dont l’influence est à la mesure de leurs dimensions respectives. L’Éthiopie, oubliée du côté de la corne africaine, sans accès à la mer : 110 millions d’habitants. L’Égypte, pièce maîtresse de la question israélo-palestinienne : 100 millions. Entre eux, un poison liquide autant qu’une bénédiction : le Nil.

Le gouvernement d’Addis-Abeba vient de décider le remplissage d’un barrage géant sur le Nil bleu, ce bras essentiel du fleuve qui s’élance depuis le territoire éthiopien. Cela durera des années, car il s’agit d’un monstre capable d’emprisonner 75 milliards de mètres cubes d’eau. Inutile d’essayer, la représentation est impossible : 175 mètres de haut, 1,8 km de long, avec un lac de retenue de 1561 km2. Le barrage de la Renaissance devrait être le plus important barrage hydro-électrique de toute l’Afrique.

Et du coup, l’Égypte mobilise son armée, sans que l’on sache s’il s’agit d’un énième bluff. Son aviation pourrait, en théorie, bombarder le barrage. À qui appartient l’eau du Nil ? Bonne et désastreuse question. D’abord trois mots sur lui. Il a deux branches principales, dont l’une part du lac Victoria au sud, le Nil blanc. Et l’autre des hauts-plateaux d’Éthiopie, le Nil bleu. Au total, il traverse le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte. Mais il longe également, par les lacs Victoria et Albert, le Kenya et la République démocratique du Congo, c’est-à-dire l’ancien Zaïre. À quoi il n’est pas absurde d’ajouter l’Érythrée, dont la puissante rivière Tekezé se jette dans le Nil Bleu.

À qui appartient le Nil ? Du temps qu’ils étaient soumis à l’Angleterre, le Soudan et l’Égypte ont tout piqué à la suite d’un traité inique signé 1929. En 1959 encore, l’Égypte signe avec le Soudan nouvellement indépendant un autre traité, pire si c’est possible : l’Égypte se réserve 55,5 milliards de mètres cubes sur les 84 milliards du débit annuel moyen du Nil, et octroie à son compère le Soudan 18,5 milliards au Soudan. Il reste 10 milliards pour tous les autres, à un moment où l’Égypte ne compte que 20 millions d’habitants. Aussi baroque que cela paraisse, il existe un principe juridique qui s’appelle « de première appropriation ».

Depuis 1959, la demande n’a cessé d’exploser, on s’en doute. Et l’Éthiopie, aussi conne que l’Égypte, a décidé de se « développer » de la même façon : usines à gogo – ici, avec capitaux chinois – villes délirantes, irrigation massive, etc. Dans ces conditions, elle n’a pas le choix : il lui faut l’eau du Nil Bleu.

Le grand malheur est que les deux pays considèrent que la question du Nil est existentielle pour chacun d’entre eux. Ce qui est vrai. L’Égypte dépend à plus de 90% des eaux du Nil, ruban d’eau au milieu d’un désert, et ne peut s’en passer. Le seul progrès envisageable serait de limiter l’évaporation du lac de barrage d’Assouan, cette merde construite par les Soviétiques, qui envoie dans l’éther, chaque année, 10 milliards de mètres cubes.

Côté éthiopien, on assure être le « possesseur originel » des eaux du Nil, ce qui confèrerait des « droits naturels ». Ajoutons au pastis que ce gros imbécile de Trump essaie en ce moment de tordre le bras de l’Éthiopie, car l’Égypte lui est précieuse dans son pathétique jeu proche-oriental.

Le sûr, c’est que le barrage – il n’est pas achevé – est là, et qu’on voit mal l’Éthiopie le détruire. Le sûr, c’est que l’Égypte menace celle-ci depuis des années d’une guerre ouverte. Le sûr, c’est qu’il n’y a en fait qu’une voie encore ouverte : changer radicalement de modèle, et adapter les besoins à ce que les écosystèmes peuvent offrir. Pour l’heure, les militaires égyptiens et Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien – sans rire, il est prix Nobel de la paix – préfèrent miser sur la magie. Où l’on voit que l’écologie est la seule manière humaine de s’attaquer à des conflits qui n’ont plus aucune solution dans le cadre habituel. L’écologie ou la guerre.

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Denormandie, ministre attendu au tournant

Un beau petit jeune homme nous est né : Julien Denormandie. Le nouveau ministre de l’Agriculture est de formation ingénieur du génie rural (corps d’État devenu Ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts). C’est à noter, car bien qu’il soit trop jeune pour avoir agi, ses aînés sont les grands responsables techniques de la destruction des campagnes et du bocage, des haies et des talus boisés, au travers d’un procédé productiviste appelé remembrement.

Mais chacun a le droit de changer, surtout quand on n’a pas quarante ans. Attendons donc, sans trop d’illusions. La carrière du ministre précédent, Didier Guillaume, s’achève dans un pur et simple déshonneur. L’élu de la Drôme qu’il était a bataillé en faveur de la bio, mais arrivé rue de Varenne, siège du ministère, Guillaume s’est aussitôt couché dans un grand lit où l’attendait tout l’état-major de la FNSEA. Et il n’aura jamais été qu’un porte-voix de ce si étrange « syndicat ».

L’une de ses dernières interventions donne le ton : le 26 juin, alors que la promesse officielle était l’interdiction du glyphosate, Guillaume lâchait à la radio cette énormité : « On n’y arrivera pas, au “zéro glyphosate”, il faut dire la vérité. (…) Parce que si on dit “zéro glyphosate”, on arrêtera de produire de l’alimentation. »

Denormandie fera-t-il mieux ? Ce ne sera pas difficile, mais la question du glyphosate reste centrale. Les braves gens qui nous gouvernent se souviennent-ils que l’agriculture a 10 000 ans d’âge et le glyphosate – en tant qu’herbicide – 46 ans ?

Aux États-Unis, Bayer-Monsanto avait promis d’allonger 9 milliards d’euros pour indemniser 100 000 plaignants qui attribuent leur cancer à l’épandage de glyphosate, avant de retirer son offre. Mais en France, on a le temps, sauf peut-être Denormandie. Dès le premier jour, le grand lobby industriel appelé l‘Association nationale des industriels de l’agroalimentaire (ANIA), lui a envoyé un petit mot. En résumé, « l’ANIA se tient prête à participer activement au dialogue que le ministre instaurera avec tous les acteurs de la chaîne alimentaire ». Derrière les mots, les crocs.

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Au Mexique, un train fou déferle en pays maya

Des nouvelles du Mexique, sans les sombreros, sans les mariacheros – les adeptes du mariachi -, mais avec de vrais Indiens mayas. Rappel des faits : El tren maya (trenmaya.gob.mx, site de propagande) est un projet de voie ferrée de 1525 kilomètres, qui traverserait les États de Tabasco, de Campeche, de Quintana Roo et du Chiapas. En somme, le prodigieux Yucatan serait coupé en deux.

Officiellement « para mejorar la calidad de vida de las personas, cuidar el ambiente » Améliorer la qualité de vie et soigner l’environnement. Telle est l’obsession d’AMLO, le président « de gauche » élu en décembre 2018. Pas question d’avouer qu’on veut ainsi favoriser l’accès des touristes aux sites archéologiques de Cancún, Tulum, Calakmul, Palenque et Chichen Itzá.

Les opposants gueulent, et de plus en plus fort, tant les dégâts écologiques et culturels seraient monstrueux. Un nouveau document vient montrer que ce train fou accélèrerait l’exode rural dans toute la région traversée (1). Sans grande surprise, explique le texte, le projet entraînerait « la incorporación de las tierras y bienes naturales al desarrollo de actividades extractivistas y al mercado inmobiliario ». Autrement dit, la terre et les biens naturels seraient mis au service des activités minières et du marché immobilier.

En somme, on sait très bien que le train provoquera des expulsions massives dans des communautés installées depuis des siècles et la prolétarisation de nombreux paysans. On sait tout. Et la gauche européenne, y compris radicale, se tait.

(1) ccmss.org.mx/ccmss-tren-maya-nuevo-impulso-a-la-desruralizacion-de-la-peninsula-de-yucatan/

As-tu vu la barbe à Doudou ?

Édouard Philippe, plus populaire que jamais. Il écrase Macron dans les sondages, et doit commencer à se poser des questions le matin, quand il se rase. Sauf qu’il ne rase pas, et que sa barbe blanchit de jour en jour. Portrait d’un anarchiste méconnu de la vie politique.

Appelons-le Doudou, comme tout le monde. Faut pas croire tout ce qu’on entend depuis le confinement. À l’hôtel Matignon, où le Premier ministre se ronge les ongles dessous sa barbe blanchissante, on se marre. Doudou, c’est bien entendu Édouard-le-preux Philippe. Mais il ne faut pas oublier les copains. Darmanin, ministre des Comptes publics, c’est Darminan, parce que Juppé, le chéri de Doudou, s’était un jour trompé en l’appelant. Et Sébastien Lecornu, ministre des Collectivités locales, c’est « le cornichon », surnom trouvé par Sarkozy (http://www.leparisien.fr/politique/indiscrets-cornichon-et-doudou-les-petits-surnoms-des-constructifs-04-11-2017-7372005.php). Super poilade.

C’est pas tout ça. Bien que très grand – 1,94 m -, Doudou a été un mioche. Papa et maman profs de français, sœurette prof de français, de quoi désespérer de l’Éducation nationale. Grand-papa cégétiste, arrière-grand-papa premier communiste encarté du Havre, de quoi désespérer du mouvement ouvrier.

Il fait Jeanson-de-Sailly – lycée chic du 16ème parisien – via hypokhâgne et fera dans la foulée Science-Po et l’ENA. Sans faute professionnel. Mais bon sang ne saurait mentir, et voilà que se lève le vent de la révolte, enfin. À vingt ans, Doudou est pris d’un coup de folie : il devient rocardien et se met à jouer au baby-foot et à chanter des karaokés dans des soirées où tout le monde se tutoie. Nous sommes en 1990 et Rocard est – tiens donc – Premier ministre.

Il prend sa carte au PS, mais se ressaisit, comprenant in extremis combien Rocard est extrémiste. Il fait son service militaire, et y devient officier d’artillerie. Quand Chirac est enfin élu président, en 1995, il a cette belle révélation : « les valeurs cardinales les plus importantes pour moi, la liberté et l’autorité, me classent à droite » (https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/15/edouard-philippe-un-juppeiste-a-matignon_5127932_4854003.html). Il a 25 ans, et se fait prodigieusement chier, car hélas, l’ENA est très emmerdante, ainsi que le Conseil d’État où il atterrit ensuite. Va-t-il devenir neurasthénique ? Non, car il rencontre Antoine Rufenacht, baderne chiraquienne passée par l’ENA vingt ans avant Doudou, ancien secrétaire d’État de Raymond Barre. Rufenacht n’est pas seulement triste comme un bonnet de nuit : il tient les clés de la ville du Havre qu’il a piquées au parti communiste en 1989. Il fait entrer Doudou au conseil municipal, avant de lui laisser la place. Tête (de mort) de papy et pépé Philippe, qui se retournent dans leur tombe.

 Rufenacht lui fait rencontrer un certain Alain Juppé, autre bonnet de nuit bien connu, et ce dernier prend Doudou sous sa pauvre petite aile. Ils créent ensemble l’UMP, dont Doudou devient le directeur général des services. Nous sommes en 2002 et il faudra beaucoup lui pardonner, car le 17 novembre, il est à un demi-doigt de mettre un pain à Sarkozy, qui veut voler la vedette à Juppé au cours d’un congrès de l’UMP. Il faut comprendre Doudou : il est amoureux. De Juppé.

La suite est passionnante. Jusqu’à la condamnation de son grand homme dans l’affaire des emplois fictifs du RPR – 2004 -, il fait marcher le parti et se barre avec son maître. Il devient avocat pour un cabinet international qui arrange si bien les affaires des héros du CAC 40 et du Dow Jones, tout en grimpant les marches à la mairie du Havre, où il devient adjoint à Rufenacht. Le suspense est total.

C’est alors que tout s’emballe. En 2007, l’ennemi Sarko s’installe à l’Élysée, mais nomme au poste de ministre de l’Écologie – tout, dans ce papier, est authentique – Alain Juppé. Doudou bande ses muscles de Spartacus, brûle ses vaisseaux d’avocat et le rejoint comme conseiller. Merdouille : en juin, le bel Alain rate l’élection législative à Bordeaux et se voit contraint à quitter le gouvernement. La grande aventure a duré un mois.

Que faire ? Doudou-l’écolo, qui entretient son carnet d’adresses, entre chez Areva, le monstre national du nucléaire. Comme directeur des Affaires publiques. C’est un nouveau travail, quoique : lobbyiste. Un témoin privilégié : « Il avait le profil pour ce poste, qui est souvent occupé par des énarques ou d’anciens membres de la préfectorale. Il nous fallait un directeur des affaires publiques qui ait un bon réseau, qui connaisse bien le système UMP » (https://www.mediapart.fr/journal/france/250617/edouard-philippe-discret-directeur-d-areva).

De 2007 à fin 2010, Doudou invite à bouffer tous ceux qui sont à jour de cotisation, et monte des expos et des événements à la gloire du nucléaire made in France. Plus précisément ? On ne sait pas, car Doudou ne veut rien dire, ce grand pudique. Au cours de ces années décisives pour Areva, le fric aura en tout cas disparu dans le scandale Uramin, et le nouveau réacteur EPR de Finlande, dont le chantier engloutit des milliards sans pour autant avancer. Et ne parlons pas d’Areva au Niger, qui tient le pouvoir politique par les couilles pour cause de mine d’uranium (là, si on peut mettre en ligne une archive Charlie du 29 avril 2009 sur le lobbying Areva au Niger). Tout ça pour mourir bêtement – Areva, par un coup de baguette magique, est devenu Orano, après avoir obtenu de l’État une recapitalisation de 5 milliards d’euros.

Mais Doudou est déjà loin. Fin 2010, il est maire du Havre, et ô surprise qui doit bien vouloir dire quelque chose, il obtient d’Areva en 2012 la construction de deux usines de fabrication d’éoliennes, avec 700 emplois à la clé. L’écologie, c’est sa passion. Député, il vote contre la loi sur « la transition énergétique pour la croissance verte » et celle sur « la reconquête de la biodiversité ».

Notre-Dame-des-Landes, que toutes les droites et gauches rêvent alors d’évacuer par la force ? Sur France-Info, il a ce cri du cœur : « Il faut y aller ». Avec des souliers ferrés ? Il ne précise pas. Il se bat aussi comme un forcené pour éviter la fermeture d’une central au charbon au Havre, et y parvient (https://www.lejdd.fr/Politique/edouard-philippe-trois-accrocs-sur-son-cv-3331013). Après tout, la pollution par le charbon ne tue jamais que 1400 personnes par an en France.

La suite tient du roman de cape et d’épée. En 2014, il est épinglé par la Haute autorité sur la transparence de la vie publique (HATVP), car il refuse de livrer des renseignements réclamés par la loi. Il devient le porte-parole d’Alain Juppé pour la primaire de la droite. Va-t-il rester maire du Havre jusqu’à la Saint-Glinglin ? Eh non ! Macron le prend comme Premier ministre à la surprise générale. Et Barbe-Blanche se retrouve à Matignon, comme son héros de bande dessinée Michel Rocard.

Au plan havrais, ça va pas si fort. Doudou n’a obtenu que 43% au premier tour de mars 2020, et la gauche menace bel et bien de lui reprendre son bureau quand on revotera. La question que tout le monde se pose : est-ce que la barbe à Doudou va blanchir complètement ? Et si oui, va-t-il se raser ? Quelle vie ! Quel destin ! Quel formidable mystère !

Bruno Le Maire, branleur de la République

le texte qui suit a été publié sur le site web de Charlie, mais bon, je crois qu’il me tient à cœur. On verra vers la fin, si on a le courage de tout lire, qu’il y a un puissant rapport avec l’objet essentiel de Planète sans visa.

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Attention, drame national en cours. Le Maire, ministre de l’Économie, est en embuscade, car il veut la place d’Édouard Philippe, et il ne s’arrêtera pas là. Il multiplie les rendez-vous radio et télé, ce qui met Philippe dans une rogne qu’on dit épouvantable. Mais au fait, c’est qui, ce zozo-là ?

Ainsi que le montre amplement sa vie, Bruno Le Maire est grand. Le sauveur de la France, d’Air France et de Renault a pourtant été petit, lui aussi. Né en 1969, il a pour papa Maurice – qui bosse pour le philanthrope Total – et pour maman Viviane. Viviane Fradin de Belâbre, directrice à Paris des établissements scolaires privés catholiques Notre-Dame de France. Le Seigneur est avec lui. À 12 ans, il est à Saint-Pierre de Rome, où sa belle voix de soliste des Petits Chanteurs de Chaillot lui permet de chanter devant Jean-Paul II. Un premier émoi.

On fait l’école au lycée Saint-Louis-de-Gonzague, partie du réseau de maman, dans une ambiance vachement sympatoche. Sur une photo merveilleuse (https://www.nouvelobs.com/politique/20150910.OBS5607/bruno-le-maire-le-rebelle-des-beaux-quartiers.html), on voit le petit Bruno installé pendant les vacances à une table de torture, sous le regard énamouré et néanmoins catholique de madame.

Bruno grandit et contre toute attente, s’envole vers l’École nationale supérieure (ENS). La famille renâcle un peu, car le lieu sent encore la gauche, mais bon, il rend un mémoire sur le thème « La statuaire dans À la recherche du temps perdu ». Soudain conscient que l’avenir est ailleurs, il enchaîne un parcours sans faute qui le mènera à l’ENA par Sciences Po. Et en 1998, alors qu’il n’a pas trente ans, il entre au ministère des Affaires étrangères.

Passons sur les détails : il accroche son char à celui de Villepin, et va le suivre partout jusqu’à Matignon, quand son héros devient le Premier ministre de Chichi en 2005.

Et c’est alors qu’il se fait branler. Mais voilà qu’on a brûlé une étape. Bruno le fringant épouse en 1998 Pauline Doussau de Bazignan. Venue de la haute bourgeoisie, elle ne semble pas avoir attendu trop souvent les soupes des Restaus du Cœur. On la retrouve avec surprise assistante parlementaire de son mari entre 2007 et 2013, à plein temps (https://www.mediapart.fr/journal/france/061013/lemploi-flou-de-lepouse-de-bruno-le-maire?onglet=full). Comme un Fillon ? Tout comme. On ne sait toujours pas ce qu’elle a fait, et son mari de ministre, sans doute par souci de discrétion, l’aura toujours présentée, pendant ces années, comme artiste-peintre et mère de ses quatre fils.

Mais revenons à la branlette. En 2004, Bruno le frétillant publie le récit de quelques années passées à cirer les chaussures de Villepin. Il est très heureux et se laisse aller à quelques confidences dans son livre-récit, Le ministre, dont celle-ci, qui se passe dans un grand hôtel de Venise : « Je me laissais envahir par la chaleur du bain, la lumière de la lagune qui venait flotter sur les glaces de la porte, le savon de thé vert, et la main de Pauline qui me caressait doucement le sexe ».

C’est l’extase. Certains pisse-froids de droite, comme l’immense Hervé Mariton, crachent : « Je ne raconte pas comment ma femme me caresse le sexe ». Et Sarkozy lui-même (https://www.lejdd.fr/Politique/Trierweiler-Le-Maire-Wauquiez-son-rapport-a-l-argent-les-confidences-gratinees-de-Nicolas-Sarkozy-698764) lâche : « Le pauvre, il écrit des livres que personne ne lit. Ah si, il y en a un que j’ai lu, c’est celui où il se masturbe ! ».

Mais chez tant d’autres, on crie au génie, au retour de Stendhal. Plus tard, Le magazine Charles (http://revuecharles.fr/bruno-le-maire-le-plus-proustien-des-republicains) écrira : « Bruno Le Maire, le plus proustien des Républicains ». Le notable fantaisiste Frédéric Mitterrand, ira encore plus loin : « C’est le seul lettré. C’est une dimension que les autres n’ont pas. Pour faire de la politique, il faut être un artiste. Churchill et de Gaulle l’étaient. Bruno Le Maire les rejoint dans ses origines sociales et sa pratique de l’État » (https://www.marianne.net/politique/frederic-mitterrand-le-plus-mitterrandien-cest-bruno-le-maire).

C’est très vrai, tout ça. Et pour s’en convaincre, les plus masochistes iront regarder de près ou de loin le gigantesque programme officiel de Bruno pour les élections de 2017. On s’en souvient peut-être, à l’automne 2016, un merveilleux combat au couteau a opposé, dans les primaires de la droite, les grands personnages que sont Juppé, Sarkozy, Fillon, Copé, Poisson, Kosciusko-Morizet.

L’arme fatale enrayée de Le Maire, c’était son génial programme en 1000 pages, encore accessible en ligne (http://yeswesign.fr/wp-content/uploads/2016/11/BLM-contrat-presidentiel.pdf), il y a trois ans et demi. Ça se lit avec un grand plaisir macabre, car tout est dit (ou presque). De façon tout à fait arbitraire, car il faudrait en fait citer les 1000 pages, signalons que Bruno le charmant veut :

  • « L’assouplissement des normes d’hébergement » pour les saisonniers agricoles venus du Maroc, de Pologne ou de Roumanie, car elles sont « trop contraignantes » ;
  • La réduction des dépenses publiques ;
  • La retraite à 65 ans dès 2020 ;
  • 10 000 places de prison supplémentaires ;
  • L’augmentation des prélèvements en eau de l’agriculture industrielle ;
  • « Évacuer la ZAD de “Notre-Dame-des-Landes” par une opération d’envergure » ;
  • « Durcir drastiquement les conditions du regroupement familial » ;
  • « Accroître le délai de rétention administrative [des migrants] jusqu’à 120 jours » ;
  • « Faire primer les accords d’entreprise » sur tous les autres, contrat de travail inclus. Etc, etc.

Notre blond Génie de Saint-Louis-de-Gonzague ne trouve pas moyen, en revanche, de parler de la crise écologique qui ravage le monde, France comprise. Sur les 281 entrées qu’on vient de compter une à une, pas une sur le dérèglement climatique qui menace de dislocation toutes les sociétés humaines. Pas une sur la sixième crise d’extinction des espèces, la pire depuis au moins 65 millions d’années, au temps de la disparition des dinosaures. Mais des odes à la bagnole et au nucléaire.

Bruno, si tu permets qu’on t’appelle Bruno pour finir, d’autres que Charlie finiraient par penser qu’un homme politique qui nie le réel fondamental avec autant de vigueur est tout simplement un con. N’hésite pas à poursuivre devant un tribunal ceux qui oseraient pareil attentat à ministre en exercice. On te soutiendra. Nous, nous sommes confiants. Quand tu décides de refiler 7 milliards de nos euros à Air France, on sait que tu fais cela pour le bien commun. N’as-tu d’ailleurs pas déclaré que grâce à ton engagement écologiste de toujours, Air France allait devenir « la compagnie aérienne la plus respectueuse de l’environnement de la planète » ? Ah Bruno, quelle classe ! Quel proustien ! Quel Stendhal !

In memoriam Ursus arctos

Ce n’est qu’un petit hommage à une bête sauvage : l’ours. Dieu du ciel, on en a compté 52 dans le massif des Pyrénées, ce qui n’était pas arrivé depuis des dizaines d’années. Ainsi qu’on verra peut-être, ce n’est qu’un tout petit début, le combat continue (air connu). Il faudrait en effet 50 adultes reproducteurs, et une plus grande variabilité génétique, pour pouvoir enfin être sûr que la nouvelle population des Pyrénées est viable.

Il n’empêche ! 10 oursons sont nés en 2019 (chiffres 2020), ce qui mérite champagne au frais. Vous le savez – ou non -, mais sans les efforts colossaux de quelques allumés, on ne parlerait plus d’ours dans cette partie de notre monde. Je veux citer, car je l’ai connu – il en est d’autres, désolé – Roland Guichard. Avec l’aide d’une entreprise de vente par correspondance – la Maison de Valére -, il a inlassablement défendu la cause de l’ours dans les années 80, quand les derniers autochtones disparaissaient de France. D’autres ont pris le relais. Les célèbres duettistes Alain Reynes et François Arcangeli, auprès de qui nous avons tous une dette écologique et morale, et bien entendu les amis de Ferus, Jean-François Darmstaedter, Sabine Matraire, Sandrine Andrieux, Patrick Leyrissoux, mon cher Patrick Pappola.

Grâce à eux, grâce à d’autres – j’insiste -, la décision a été prise de réintroduire des ours venus de Slovénie à partir de 1996. Si l’on n’avait pas fait ainsi, il n’y aurait plus aucun ours dans les Pyrénées. Aucun ! L’histoire de l’ours se compte en millions d’années, et du temps où n’étions que des groupes épars, toujours inquiets, toujours aux aguets, jamais certains de la simple survie, l’ours régnait. Et il régnait partout, jusque dans les plaines. L’historien Michel Pastoureau en a tiré un livre merveilleux, Histoire d’un roi déchu (Seuil), que j’ai lu avec un grand bonheur. Aux temps historiques encore, l’ours était le roi des animaux et de la forêt chez nous.

Il était l’un des vrais dieux païens, avant que le christianisme ne s’impose. Et de quelle manière ! Il fallait en effet éradiquer des centaines de cultes rendus à l’animal, dont la toponymie garde encore quantité de traces. Et pour cela, le diaboliser. Je crois me souvenir – si je me trompe, mea culpa – qu’un concile a même été organisé pour transformer l’ours en belzébuth. Si ce travail, étendu sur des siècles, n’avait pas été entrepris, ce n’est évidemment pas ce roi de remplacement qu’est le lion qui serait notre monarque du sauvage, mais l’ours, bien entendu. Il le mérite.

Moi, je me dis : comment est-ce possible ? Comment des humains aussi minuscules que nos ancêtres ont pu chasser pareille merveille au point de la faire disparaître ? Ce serait bien le moment de clamer le droit immémorial des ours à vivre, respectés, dans un territoire qu’ils habit(ai)ent depuis bien plus longtemps que nous.

Cette Chine qui résume notre immense folie

Depuis combien de temps ? J’ai beau chercher, je ne sais pas. Mais j’ai un point de repère ancien : le livre Who will feed China ?. Autrement dit : Qui nourrira la Chine ? Écrit par l’agronome américain Lester Brown, il marqua une date, et pas seulement pour moi. Paru en 1994, il raconte à sa manière la révolution écologique, économique, sociale et politique que subit la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978.

Je ne retrouve pas le livre, qui est là pourtant, mais un article que j’ai écrit dans l’édition du 6 octobre 1994 de l’hebdomadaire Politis sur Brown. J’en extrais ceci : « Trois causes essentielles pourraient conduire la Chine à une gigantesque impasse alimentaire dans les prochaines décennies : l’augmentation de la population, l’augmentation des revenus monétaires et la disparition accélérée des terres agricoles ». Ainsi qu’on voit, cette prophétie ne s’est pas réalisée. Mais patience. En tout cas, ce petit livre a fortement inquiété la bureaucratie totalitaire chinoise, conduisant, on l’a su, à plusieurs réunions au sommet. Car en effet, il y avait problème : une bouteille de bière supplémentaire par an et par habitant contraignait le pays à trouver 370 000 tonnes de céréales.

Est-ce à cette occasion que j’ai commencé à comprendre le drame biblique qu’allait connaître cette Chine assoiffée de consommation et de pouvoir ? Plus tôt ? En tout cas, pas plus tard. Ensuite, je n’ai jamais cessé d’écrire sur le sujet, partout où je le pouvais. Je ne me souviens pas d’avoir croisé grand-monde sur ce chemin-là. En 2005, je crois bien avoir été le seul, de nouveau, à évoquer la sensationnelle interview donnée à l’hebdo allemand Der Spiegel par le vice-ministre de l’Environnement chinois, Pan Yue. Excusez-du peu, il déclarait : « [Le miracle chinois] finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Il y a quinze ans. Et vingt-six ans pour l’avertissement de Brown. Et la Chine est toujours là. Ils se sont trompés ? Oui, mais surtout non. Assurément, cela ne pouvait pas durer comme ça. Cela, les bureaucrates post-maoïstes l’avaient bien entendu compris. On ne peut tenir une croissance annuelle à deux chiffres quand on compte – les chiffres sont actuels – 21% de la population mondiale, mais 9% des terres agricoles de la planète seulement. Sauf à provoquer un immense chaos social, il fallait donc s’étendre. Capturer par la persuasion, l’argent, la contrainte des terres agricoles et des ressources énergétiques ailleurs. Il fallait une politique impériale, pour ne pas dire impérialiste. Une vulgate française voudrait que la Chine n’est pas un pays conquérant. Maldonne ! L’histoire de la Chine, depuis le roi des Qin – 221 avant JC – n’est faite que d’agrandissements par la force, de la Mandchourie au Tibet, de la Mongolie-Intérieure au Xinjiang. Le saviez-vous ? La Chine a même occupé le Vietnam actuel pendant…1000 ans, à partir de 111 avant JC.

Donc, expansion. En une trentaine d’années, profitant de ressources financières croissantes et comme ensuite illimitées, la Chine s’est emparée d’une bonne part de l’Afrique, d’une manière bien plus complète que ne l’aurait seulement rêvé la Françafrique. De nombreux États sont désormais à sa botte. Ainsi que de considérables forêts et terres agricoles. Ainsi que le pétrole, le gaz, les minerais. Et d’autres régions du monde sacrifient – par exemple – leurs forêts primaires : l’ancienne Indochine française – Vietnam, Laos, Cambodge -, la Sibérie, le Guyana, etc. Même la France exporte des hêtres centenaires bruts vers les ports chinois, qui reviennent sous la forme de meubles.

C’est ainsi, pas autrement, que la Chine totalitaire a pu démentir Brown et Pan Yue. Par le pillage, par un désastre écologique planétaire. La croissance chinoise – peut-être 33% de la croissance mondiale -, c’est notre niveau de vie abject. Nos portables et ordis, nos bagnoles, nos vacances à la neige ou au soleil, nos machines et engins, nos gaspillages sans fin. La croissance chinoise, c’est la destruction du monde. Et nous militons chaque matin, par nos achats compulsifs, à l’emballement de la crise écologique. C’est chiant ? Oh oui, atrocement. Mais c’est vrai.

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