Dominique Guillet en remet une seconde couche

Dans un commentaire au papier précédent, Dominique Guillet rapporte quelques chiffres généraux sur les nécrocarburants. Je rappelle que Dominique a créé une association d’une qualité exceptionnelle, Kokopelli (ici) et qu’il sait de quoi il parle. J’ai souhaité (re)publier ce texte, que certains d’entre vous auraient fatalement manqué. Il dit tout. Il montre l’ampleur planétaire du drame en cours, que la (presque) totalité du mouvement écologiste de France ignore honteusement. Lisez donc, car pour l’heure, je ne sais plus quoi faire d’autre. Lisez.

LE TEXTE DE DOMINIQUE GUILLET, DE KOKOPELLI

Pour rebondir sur nécro-carburants et crise alimentaire, quelques chiffres :

En 2009, ce sont 104 millions de tonnes de céréales qui seront brûlées pour fabriquer de l’éthanol pour les véhicules des Occidentaux. Ces 104 millions de tonnes pourraient nourrir 100 millions de citoyens US qui consomment un peu plus d’une tonne de céréales par an. Les mêmes 104 millions de tonnes pourraient nourrir 700 millions de personnes en Inde ou en Afrique qui consomment 150 kg de céréales par an. Nous répétons : 700 millions de personnes en Inde ou en Afrique durant une année.

Au Brésil, en 2009, ce sont 7,7 millions d’hectares de canne à sucre qui vont être récoltés dont 55 % sont consacrés à la production d’éthanol. Ce sont donc, pour la seule canne à sucre au Brésil, 4,2 millions d’hectares de terres arables qui vont produire 27 milliards de litres d’éthanol.

En 2009, en sus de la surface utilisée pour récolter 104 millions de tonnes de céréales, combien de dizaines de millions d’hectares ont-ils été réquisitionnés pour cultiver de la canne à sucre, du soja, du tournesol, du palmier à huile, pour la fabrication d’éthanol et d’agro-diesel sur toute la planète ?

Nous l’avons affirmé à maintes reprises : nous pouvons, dans les régions chaudes du globe, avec de l’eau, nourrir 20 personnes par hectare, et par an, en régime végétarien avec des techniques agro-écologiques intensives. Chaque dizaine de millions d’hectares de nécro-carburants correspond donc à l’alimentation potentielle de 200 millions d’êtres humains.

Voilà la vérité toute nue.

À propos des nécrocarburants (une fois de plus)

Je pressens que vous ne lisez pas tous le quotidien économique Les Échos. Pardon aux fidèles lecteurs du titre, mais je vais faire comme si personne n’avait lu cela. Je résume pour ceux qui n’ont pas le temps. La France des lobbies – et croyez-moi, celui des biocarburants est sacrément puissant – a réussi à extorquer à l’État 100 millions d’euros pour des études sur les nécrocarburants de deuxième génération. Ceux qui existent, les seuls qui existent, dévastent les forêts tropicales, affament les peuples, aggravent la crise du climat. J’en ai fait un livre, La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard). Malgré le désastre global et planétaire en cours, les gros céréaliers français ont réussi à décrocher la timbale. Et nous paierons donc tous pour permettre à l’industrie de répondre aux critiques que les labos travaillent, sérieusement, sur une deuxième génération. Laquelle, par miracle, règlerait tous les problèmes.

Je n’ai ni le temps, ni le goût de détailler une fois de plus. Mais je vous glisse tout de même cette phrase impayable de Nathalie Kosciusko-Morizet au printemps 2008, alors qu’elle était secrétaire d’État à l’écologie : « Le problème [ des biocarburants de seconde génération ], c’est que ces techniques ne seront au point que dans dix à vingt ans ». Or donc, on entend faire passer l’horrible pilule des nécrocarburants actuels au nom de chimères qui ne verront peut-être jamais le jour. L’argent public ne coûte rien, saviez-vous ?

J’ajoute qu’un responsable national écologiste – que j’apprécie – m’a demandé aujourd’hui même ce que je pensais de l’article des Échos. Et du rôle attribué aux carburants végétaux dans cette crise alimentaire qui n’en finit pas. Ne disposant que de très peu de temps, je lui ai fait la réponse suivante :

XYZ,

Je ne vais pas être long, car aux dernières nouvelles, tout est abondamment contenu et référencé dans le livre que j’ai écrit sur le sujet.
On ne comprend rien, réellement rien, à la question des biocarburants si l’on oublie cette évidence qu’un puissant lobby industriel est à l’œuvre dans le monde entier, à l’appui d’une production en tous points désastreuse. Un, les biocarburants ont joué un rôle majeur dans l’explosion du prix des denrées alimentaires depuis deux ans. De très nombreuses études l’attestent. Je te glisse un échantillon rapide de citations des années 2007 et 2008.

*Pour le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, « les biocarburants sont sans aucun doute un facteur important dans l’accroissement de la demande en produits alimentaires », le prix du maïs ayant ainsi doublé en deux ans. 2008

 *John Lipsky, numéro deux du Fond monétaire international (FMI) a estimé jeudi 8 mai 2008 que le développement des biocarburants serait responsable à 70% de la hausse récente des prix du maïs et 40% de celle des graines de soja.

* La FAO, à l’automne 2008 : «  Les consommateurs urbains pauvres et les acheteurs nets de denrées alimentaires dans les zones rurales sont tout particulièrement menacés. Une grande partie des pauvres de la planète dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour s’acheter de la nourriture.“Les décisions liées aux biocarburants devraient tenir compte de la situation de la sécurité alimentaire, mais aussi de la disponibilité de terres et d’eau”, selon M. Diouf. “Tous les efforts devraient être ciblés sur la conservation du but suprême consistant à libérer l’humanité du fléau de la faim”. »

 *Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, en 2008 : « Les objectifs ambitieux en matière de production de biocarburants que se sont fixés les Etats-Unis et l’Union européenne sont irresponsables. La production de colza, l’huile de palme, qui détruit les forêts en Indonésie, l’utilisation d’un quart de la récolte de maïs aux Etats-Unis, c’est un scandale, qui sert uniquement les intérêts d’un petit lobby, avec l’argent du contribuable. J’appelle au gel de tout investissement dans ce secteur ».

 *Rapport de l’OCDE, septembre 2007 : « The current push to expand the use of biofuels is creating unsustainable tensions that will disrupt markets without generating significant environmental benefits »

*Stephen Corry, directeur de Survival, en 2008 : « Le boom du biocarburant n’a pas seulement de graves conséquences sur l’environnement, la hausse du prix des denrées alimentaires ou la survie des orang-outang – il a aussi un impact dévastateur sur les peuples indigènes. Les compagnies qui promeuvent cette industrie ont réellement la volonté de se débarrasser des peuples indigènes afin d’accaparer leurs terres ».

*Au cours d’un Forum pour la souveraineté alimentaire, en marge de la conférence de la FAO à Brasilia, le mouvement paysan international Via Campesina a condamné la production de biocarburants. « Le problème, c’est non seulement l’utilisation de produits agricoles à des fins autres que l’alimentation mais aussi la quantité d’eau que l’on utilise, les pesticides et la monoculture qui finit par tuer la terre », a ainsi déclaré Juana Ferrer, la représentante de la Confédération nationale des femmes paysannes de la République Dominicaine (2008).

Je te le répète, il ne s’agit que d’un maigre échantillon. J’aurais aisément pu montrer la même chose à propos des atteintes à la biodiversité par destruction de forêts tropicales ou de milieux aussi riches que le cerrado brésilien. J’aurais pu, de même, citer quantité de grands noms de la science – Paul Crutzen, prix Nobel de chimie – qui jugent le boom mondial en faveur des biocarburants responsable d’une hausse considérable des émissions de gaz à effet de serre. Notamment au travers du drainage des tourbières d’Asie.

Franchement, le dossier est clair, net et sans bavure. Il faut et il suffit de rassembler les informations disponibles. Pour ce qui concerne la France, le lobby est celui de l’agriculture industrielle et des grandes coopératives céréalières. Faut-il faire un dessin ? Quant aux biocarburants de seconde génération, ils servent essentiellement d’argument publicitaire en faveur de ceux réellement existants. Il s’agit essentiellement de propagande qui permet de faire passer le bilan dévastateur de ceux de première génération. En somme, demain, on rasera gratis.

Est-ce qu’il t’en faut davantage ? Bien à toi,
Fabrice

Si seulement je voulais devenir riche (ahimé !)

Ce monde m’enchante chaque jour un peu plus. Je vous laisse lire ce que je viens de recevoir. Faut-il vous préciser que le monsieur ne recevra pas de réponse ? Je ne pense pas. Sachez que de très nombreux blogs accueillent en cachette des mots clés publicitaires censés influencer le comportement des acheteurs. Cela rapporte en fonction de l’audience. Vous lisez un truc, qui se révèle être un hameçon, et vous voilà ferré. Vous ne le sentez pas, car vous ne le savez pas.

Notez avec moi que le petit mot dégueulasse qui suit est également la preuve que vous êtes de plus en plus nombreux sur Planète sans visa. Je le confirme : de plus en plus nombreux. Merci !

De :       manu@promo-wise.com
Objet :     concernant votre site https://fabrice-nicolino.com/
Date :     8 octobre 2009 14:14:34 HAEC

Bonjour,

J’aimerais vous faire une offre commerciale à propos de votre site Web, qui pourrait très fort vous intéresser.

En effet, ma société Promotion-Time, souhaiterait vous rémunérer pour la diffusion d’une petite annonce textuelle sur votre site pour un de nos clients.

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N’hésitez pas à me contacter je suis à votre disposition.

Bien à vous,
Emmanuel XXXX
manu@promo-wise.com

De l’art d’enfoncer une porte ouverte (sur le Kazakhstan)

Kazakhstan, Qazaqstan, morne plaine, vaste steppe. Disons que c’est au milieu, mais de quoi au juste ? Ce pays est aussi grand que cinq France entières, mais ne compte que 15 millions d’habitants, compte non tenu des innombrables troupeaux de brebis, d’ânes, de chevaux, de vaches, de chameaux. Où est-ce ? Du côté de la Russie, bien entendu. Mais avec une large fenêtre sur la mer Caspienne à l’ouest, et des frontières qui lient ce pays de pasteurs à la Chine, à l’Ouzbékistan, au Kirghizistan, au Turkménistan, et à la Russie donc.

Du temps de Staline et des sbires qui lui succédèrent, la steppe eut deux avantages considérables. On y installa des îles de l’archipel du Goulag, sachant que d’éventuels évadés ne trouveraient pas le moyen de revenir vers Moscou. Et d’autre part, comme il était aisé d’écraser une population de bergers disséminés, le régime décida, dès 1949, de faire du Kazakhstan la capitale nucléaire de la soi-disant Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Dès 1949, les ingénieux ingénieurs firent exploser la RDS-1, une bombinette de 22 kilotonnes. Où ? À Semipalatinsk, pays perdu, pays maudit, pays martyr de l’industrie militaire nucléaire.

Semipalatinsk, ce n’est pas qu’un point sur la carte. C’est une immensité de 18 000 km2 abritant un polygone d’essais inouï, où auront explosé au total 460 bombes nucléaires A et H. Vous imaginez ? Moi non plus. C’est dans ce riant pays que notre bien-aimé président Sarkozy vient de faire une visite d’amitié au satrape en place, Noursoultan Nazarbaev. Ce dernier est en place depuis que l’Union soviétique a disparu, en 1991, et il pourrait fort bien rester au pouvoir vingt ans encore. Car il n’a que 69 ans. Et toutes ses dents, ou presque.

Notre bien-aimé, notre si bien-élu président chéri avait emmené dans ses soutes de grands philanthropes, comme Total et GDF Suez (ici), qui auront fait sur place de considérables affaires et pris de grosses participations dans des entreprises kazakhs propriétaires de gisements gaziers. Car, nous y voilà bien sûr, le satrape est cousu de pétrole, de gaz et d’uranium. Évidemment ! Sinon, Notre Sarkozy n’y serait pas allé. Sinon, le Kazakhstan serait traité comme la dictature d’opérette qu’il est. Sinon, il aurait droit aux foudres de Bernard Kouchner, le preux. Pensez.

Pendant que nous ne faisons rien, le Kazakhstan, qui fournit déjà 10 % de l’uranium destiné à nos centrales, se prépare à terme à devenir notre premier fournisseur. On le sait, le Niger et ses maudits Touaregs ne sont plus aussi sûrs que par le passé. Il faut trouver ailleurs. Au chapitre des questions, j’en poserai une : quel est le deal ? Pensez-vous sérieusement qu’un pays comme le Kazakhstan fournirait gaz, pétrole et uranium sans quelque immense contrepartie, éventuellement secrète ? Notez qu’il ne s’agit que d’une question. Dans les années 80, la France socialiste et cocorico de Mitterrand a aidé le Pakistan à se procurer la bombe avec laquelle il menace l’Inde – et le monde – de désintégration. Nul n’a alors songé à protester, intérêt national supérieur oblige. Eh bien, je constate que nous remettons le couvert. Motus, bouche cousue. C’est exactement comme cela que se préparent les guerres. Et qu’elles se perdent

La Très Grande Bibliothèque de l’écologie

Il existe en France l’une des plus belles bibliothèques européennes consacrées à l’écologie, et personne ne le sait ! Elle a été créée par un homme à part, qui fut le secrétaire de Robert Hainard. Je le connais bien, il s’appelle Roland de Miller. C’est davantage qu’un passionné, davantage qu’un collectionneur, davantage qu’un lettré. Son joyau contient près de 60 000 ouvrages, 1000 collections de périodiques français et étrangers et un énorme fonds d’archives et de documentation.

Ses livres furent longtemps disséminés dans les ruines d’un château des Alpes-de-Haute-Provence, dont la silhouette, par soir de pleine lune, évoquait tantôt la Transylvanie de Dracula, tantôt le Nom de la Rose, d’Umberto Eco. Je ne dresserais pas ici la liste innombrable, innommable d’ailleurs, des emmerdements subis par Roland. Car s’il est un génie du livre, il s’en faut qu’il le soit également de la vie quotidienne.

N’importe. La plus belle bibliothèque de France. L’une des plus belles de notre vieux continent. Et alors ? Alors, rien ne va plus, du tout. Roland occupe depuis quelques années un local de la ville de Gap (Hautes-Alpes), en vérité indigne d’un tel trésor. Mais de toute façon, il lui faut faire ses balluchons, et repartir sur les routes avant le 26 décembre 2009, sous peine d’astreinte journalière. Avec 400 m3 de livres et de textes sous le bras. Sa situation est affreuse, car il est à peu près seul. Le déménagement, à lui seul, coûterait 10 000 euros, compte non tenu de l’emballage, qu’il souhaite organiser avec des bénévoles, des tonnes d’ouvrages.

Ensuite ? Il y a des pourparlers avec la ville d’Arles, mais même s’ils aboutissent, ce ne sera pas avant des mois, sinon des années. En attendant, il faudra, il faudrait stocker. Comble peut-être, Roland doit rembourser avant février 2010 un dette privée d’environ 30 000 euros qui ajoute au désastre annoncé. Notez qu’il dispose d’un fonds de librairie estimé à 100 000 euros, qui pourraient servir à gager un éventuel emprunt. Car Roland est aussi libraire, sans aucun doute l’un des tout meilleurs dans son domaine, l’écologie. La dette n’a pas de rapport avec la bibliothèque, mais elle empoisonne évidemment l’esprit de Roland, qui n’a pas besoin de cela en ce moment.

Faisons le compte ensemble. Il faut trouver environ 40 000 euros, dont les trois quarts gagés. Et une petite armée de bénévoles pour mettre en cartons la bibliothèque. Mais au-delà ? Au-delà, je rêve, moi, d’un grand mouvement public d’aide et de solidarité. Demain – disons après-demain – cette bibliothèque peut devenir le centre intellectuel incontesté du mouvement écologiste, toutes tendances confondues. Un lieu de rencontres, de colloques, d’étude, de réflexion, d’action. Ce serait audacieux, mais tellement beau !

Qu’en pensez-vous ? Qu’en dites-vous ? Il va de soi que Gap est loin, et que la plupart d’entre nous sont déjà bien occupés ailleurs. Mais peut-être aurez-vous des idées ? Mais peut-être voudrez-vous participer à ce qui peut devenir une grande aventure intellectuelle et morale ? Qui sait ? Je vous laisse, en confiance, l’adresse électronique de Roland de Miller : roland.demiller@free.fr. Je vous en prie, ne le dérangez pas pour rien, car il croule sous les difficultés. En revanche, si vous tenez un truc, un truc concret, pratique, solide, envoyez-lui un message. Cet homme admirable a besoin de nous. Et nous avons tous le grand besoin d’une Très Grande Bibliothèque. Il me semble.