Je pressens que vous ne lisez pas tous le quotidien économique Les Échos. Pardon aux fidèles lecteurs du titre, mais je vais faire comme si personne n’avait lu cela. Je résume pour ceux qui n’ont pas le temps. La France des lobbies – et croyez-moi, celui des biocarburants est sacrément puissant – a réussi à extorquer à l’État 100 millions d’euros pour des études sur les nécrocarburants de deuxième génération. Ceux qui existent, les seuls qui existent, dévastent les forêts tropicales, affament les peuples, aggravent la crise du climat. J’en ai fait un livre, La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard). Malgré le désastre global et planétaire en cours, les gros céréaliers français ont réussi à décrocher la timbale. Et nous paierons donc tous pour permettre à l’industrie de répondre aux critiques que les labos travaillent, sérieusement, sur une deuxième génération. Laquelle, par miracle, règlerait tous les problèmes.
Je n’ai ni le temps, ni le goût de détailler une fois de plus. Mais je vous glisse tout de même cette phrase impayable de Nathalie Kosciusko-Morizet au printemps 2008, alors qu’elle était secrétaire d’État à l’écologie : « Le problème [ des biocarburants de seconde génération ], c’est que ces techniques ne seront au point que dans dix à vingt ans ». Or donc, on entend faire passer l’horrible pilule des nécrocarburants actuels au nom de chimères qui ne verront peut-être jamais le jour. L’argent public ne coûte rien, saviez-vous ?
J’ajoute qu’un responsable national écologiste – que j’apprécie – m’a demandé aujourd’hui même ce que je pensais de l’article des Échos. Et du rôle attribué aux carburants végétaux dans cette crise alimentaire qui n’en finit pas. Ne disposant que de très peu de temps, je lui ai fait la réponse suivante :
XYZ,
Je ne vais pas être long, car aux dernières nouvelles, tout est abondamment contenu et référencé dans le livre que j’ai écrit sur le sujet.
On ne comprend rien, réellement rien, à la question des biocarburants si l’on oublie cette évidence qu’un puissant lobby industriel est à l’œuvre dans le monde entier, à l’appui d’une production en tous points désastreuse. Un, les biocarburants ont joué un rôle majeur dans l’explosion du prix des denrées alimentaires depuis deux ans. De très nombreuses études l’attestent. Je te glisse un échantillon rapide de citations des années 2007 et 2008.
*Pour le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, « les biocarburants sont sans aucun doute un facteur important dans l’accroissement de la demande en produits alimentaires », le prix du maïs ayant ainsi doublé en deux ans. 2008
*John Lipsky, numéro deux du Fond monétaire international (FMI) a estimé jeudi 8 mai 2008 que le développement des biocarburants serait responsable à 70% de la hausse récente des prix du maïs et 40% de celle des graines de soja.
* La FAO, à l’automne 2008 : « Les consommateurs urbains pauvres et les acheteurs nets de denrées alimentaires dans les zones rurales sont tout particulièrement menacés. Une grande partie des pauvres de la planète dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour s’acheter de la nourriture.“Les décisions liées aux biocarburants devraient tenir compte de la situation de la sécurité alimentaire, mais aussi de la disponibilité de terres et d’eau”, selon M. Diouf. “Tous les efforts devraient être ciblés sur la conservation du but suprême consistant à libérer l’humanité du fléau de la faim”. »
*Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, en 2008 : « Les objectifs ambitieux en matière de production de biocarburants que se sont fixés les Etats-Unis et l’Union européenne sont irresponsables. La production de colza, l’huile de palme, qui détruit les forêts en Indonésie, l’utilisation d’un quart de la récolte de maïs aux Etats-Unis, c’est un scandale, qui sert uniquement les intérêts d’un petit lobby, avec l’argent du contribuable. J’appelle au gel de tout investissement dans ce secteur ».
*Rapport de l’OCDE, septembre 2007 : « The current push to expand the use of biofuels is creating unsustainable tensions that will disrupt markets without generating significant environmental benefits »
*Stephen Corry, directeur de Survival, en 2008 : « Le boom du biocarburant n’a pas seulement de graves conséquences sur l’environnement, la hausse du prix des denrées alimentaires ou la survie des orang-outang – il a aussi un impact dévastateur sur les peuples indigènes. Les compagnies qui promeuvent cette industrie ont réellement la volonté de se débarrasser des peuples indigènes afin d’accaparer leurs terres ».
*Au cours d’un Forum pour la souveraineté alimentaire, en marge de la conférence de la FAO à Brasilia, le mouvement paysan international Via Campesina a condamné la production de biocarburants. « Le problème, c’est non seulement l’utilisation de produits agricoles à des fins autres que l’alimentation mais aussi la quantité d’eau que l’on utilise, les pesticides et la monoculture qui finit par tuer la terre », a ainsi déclaré Juana Ferrer, la représentante de la Confédération nationale des femmes paysannes de la République Dominicaine (2008).
Je te le répète, il ne s’agit que d’un maigre échantillon. J’aurais aisément pu montrer la même chose à propos des atteintes à la biodiversité par destruction de forêts tropicales ou de milieux aussi riches que le cerrado brésilien. J’aurais pu, de même, citer quantité de grands noms de la science – Paul Crutzen, prix Nobel de chimie – qui jugent le boom mondial en faveur des biocarburants responsable d’une hausse considérable des émissions de gaz à effet de serre. Notamment au travers du drainage des tourbières d’Asie.
Franchement, le dossier est clair, net et sans bavure. Il faut et il suffit de rassembler les informations disponibles. Pour ce qui concerne la France, le lobby est celui de l’agriculture industrielle et des grandes coopératives céréalières. Faut-il faire un dessin ? Quant aux biocarburants de seconde génération, ils servent essentiellement d’argument publicitaire en faveur de ceux réellement existants. Il s’agit essentiellement de propagande qui permet de faire passer le bilan dévastateur de ceux de première génération. En somme, demain, on rasera gratis.
Est-ce qu’il t’en faut davantage ? Bien à toi,
Fabrice