Cette vie si étrange (un avion s’abat sur les élections)

Au moment où j’écris ces lignes, il y a une semaine que le vol AF-447 Rio-Paris s’est terminé tragiquement pour les occupants de l’avion. Et le moteur de recherche « Google Actualités » dénombre la bagatelle de 1 150 articles consacrés à cette affaire dérisoire. J’écris dérisoire, car elle l’est vraiment. Elle est à ce point insignifiante qu’elle confine en effet à la moquerie pure et simple. Sauf qu’elle est aussi infiniment sérieuse.

Il va de soi que je plains les victimes et leurs proches. Mais il est certain que ce drame privé n’a pas la moindre raison d’occuper les télés, les radios, les journaux de manière obsessionnelle. J’ajouterai le mot obscène, car nous ne sommes guère loin de la pornographie de l’âme. Le nom des morts, leur passé connu ou inventé, les larmes des vivants, le soulagement d’une paire de miraculés, tout cela ressortit à l’immondice et donne la nausée. Ce qui fut un grand journal – Le Monde – aura accordé sa une et une large photo à ce fait divers. Les autres ont fait pire, à peine pire.

Je ne sais pas, dans les détails, ce que cela veut dire. Mais je sens que ce signe est d’une rare gravité. Un peuple qui s’enivre de la recherche de bouts de bidoche et de carlingue est mûr pour les aventures extrêmes. Tous les signaux s’allument. Tous les signaux sont allumés. Tous les voyants clignotent. Et ce n’est pas le grand succès télévisé du film Home – France 2 a réuni plus de 8 millions de téléspectateurs vendredi – qui y changera quoi que ce soit. Je ne critique pas, en l’occurrence, Yann Arthus-Bertrand. Cet homme dont je suis si éloigné a l’étonnante capacité – que je n’aurai jamais – de parler à des millions d’êtres de choses sérieuses. Tout le reste est second. Y compris ses financements, et donc toutes ses ambiguïtés.

Mais au fond, que penser de ce grand spectacle, que je n’ai d’ailleurs pas vu, faute de télé ? D’un côté, on peut estimer à bon droit qu’il aura fait œuvre de pédagogie. D’un autre, on ne peut qu’être frappé par la multiplication des alertes du même type. Hulot le fait – très bien – avec Ushuaïa, et tant d’autres les ont précédés que je vous en épargne la liste. Vous voulez mon avis ? Quelque chose ne tourne pas rond. J’ai le sentiment d’un simulacre. D’un dispositif par quoi des millions de gens font semblant. D’être au courant. De commencer à faire quelque chose.

Je n’écris pas pour le plaisir du paradoxe. Et sachez que je souhaite vivement me tromper. Vivement. Mais enfin, depuis combien de lunes nous répète-t-on que le compte à rebours a commencé, et qu’il ne reste plus que tant de jours, de mois et d’années avant que tout ne soit foutu ? Arthus-Bertrand, après une flopée d’autres, déclare devant tous les micros qu’on lui tend : « On a dix ans pour changer ». Le croit-il ? Croit-il qu’on peut changer de direction motrice en s’appuyant sur la BNP – qui le finance – et d’autres sponsors qui ont tous intérêt à ce que dure ce développement suicidaire ?

Je me répète : je n’écris pas pour le plaisir du paradoxe. Ni pour celui de la solitude dédaigneuse. Seulement, je ne veux plus composer avec ces illusions constantes que la doxa – cet ensemble formant confusément l’opinion du jour – nous impose. Si je suis moi dans la répétition, d’autres sont dans le radotage, qui croient, après Fairfield Osborne, Roger Heim, Rachel Carson, le Club de Rome, René Dumont, les engagements de Rio (etc) qu’il suffit de parler. Eh non ! Il faut défier, il faut désigner les points nodaux, puis s’en emparer, et donc agir, comme jamais. Non pas surfer sur le Net, mais affronter le réel, enfin. Et ce sera bien plus dur que de gagner quelques sièges de députés européens.

Un mot sur ces élections d’hier. Le succès d’Europe-Écologie n’est pas la bonne nouvelle que certains imaginent. En tout cas, telle est mon opinion. Car elle relance la machine à fabriquer des billevesées. Elle laisse croire qu’une avancée réelle pourrait passer par un gain ridicule dans des élections sans enjeu véritable. Franchement, je suis partagé entre  le rire et les larmes. Où l’on revient à l’incroyable vide de l’information et de ceux qui s’en disent les maîtres inspirés. Des centaines, demain des milliers d’articles sur le crash du vol Rio-Paris. Et de même des centaines, suivis de milliers de commentaires sur ce presque rien électoral, qui devient brutalement tout.

Moi, j’ai fait un calcul à la louche – à l’instant – du vrai résultat des élections d’hier. Sarkozy, qui tient tous les pouvoirs en mains, a réuni un peu moins de 12 % des électeurs inscrits. Un vrai triomphe. Cohn-Bendit autour de 7 %. Mélenchon et ses nouveaux amis communistes, 3 % environ. Telle est la base véritable à partir de laquelle nous pourrions commencer à analyser les chiffres. Mais nul ne le fera bien sûr. Car dans la société des décideurs de tout poil – médias inclus -, la réalité n’est plus que représentation et spectacle, théâtre d’ombres et manipulation. Non, je crois devoir vous dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Laquelle ressemble de plus en plus à celle du film d’Autant-Lara, tourné en 1951. Dans L’Auberge rouge, les voyageurs sont plongés dans une mortelle croyance. Ils pensent atteindre au repos, ils croient qu’on les nourrira bien et qu’ils pourront reprendre la route dans de meilleures conditions. Ils me font penser à quelqu’un. Ils me font penser à nous.

PS : Je sais bien que nombre d’entre vous ont voté. Je sais bien que nombre d’entre vous souhaitent pour une fois se laisser bercer. Et je le comprends d’autant plus facilement que, sans ironie, j’ai toujours aimé les comptines. Mais mon rôle, et je n’y puis rien, est de vous dire ce que je pense, sans tenir compte du reste. C’est mon destin. Mais vous l’avez sûrement compris.

Comment j’ai fait affaire avec un curé (sur les Cahiers de Saint-Lambert)

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(Le texte qui suit se lit mieux après celui qui précède, mais le diable est dans les détails, et charité bien ordonnée commence par soi-même. À moins que vous ne me donniez le bon Dieu sans confession, ce que je refuserai, soyez-en tous certains.)

Un jour, j’ai rencontré Dominique Lang. C’était il n’y a pas bien longtemps, car j’étais déjà vieux. Mais j’ai été vieux très jeune. Dominique est un prêtre catholique qui doit approcher de quarante ans, à moins qu’il ne les ait eus depuis notre rencontre. Nous nous sommes vus pour des raisons professionnelles, et puis la roue a heureusement tourné. Je veux dire que nous nous sommes parlé. Il faut répéter, si nécessaire, que tout nous sépare. Presque tout.

Dominique appartient à la congrégation des Assomptionnistes et vit dans un monastère non loin de Paris, entouré d’une trentaine d’hectares de bois, Saint-Lambert. Le temps ayant fait son office entre nous, il est arrivé qu’on parvienne à l’essentiel, qui est, comme vous le savez, l’incroyable crise de la vie sur terre. Chez les catholiques, cet incessant ravage devrait, pense-t-on, soulever les cœurs. Car enfin, la Créature – l’homme – n’est pas tout. Dieu ne lui aurait-il pas, par hasard, offert en même temps les splendeurs de la nature, c’est-à-dire la Création ?

D’une manière qui me demeure incompréhensible, les cathos, qu’ils soient de droite ou de gauche, semblent dans leur immense majorité indifférents à la mort des espèces, à la disparition des espaces, à la dislocation des écosystèmes. Mais dans le même temps, et malgré tout, l’Église catholique reste en France une puissance spirituelle et temporelle d’une rare force. Qui influence de toute façon des millions de personnes chez nous, et des centaines de millions ailleurs. Malgré la désertion des églises le dimanche. Malgré les divorces. Malgré ce pape aussi théologien qu’insupportable. Malgré tout.

Dominique Lang, qui a obtenu dans une vie précédente un doctorat scientifique, s’intéresse pour de vrai à cette crise multiforme dont je vous rebats tant les yeux. Nous en avons parlé. Nous avons imaginé ensemble – qui a pensé ceci, qui a dit quoi et à quel moment, je ne m’en souviens nullement – divers projets. Plutôt de douces rêveries qui deviendront peut-être de vrais projets. Ainsi, dans nos esprits, le monastère de Saint-Lambert s’est changé en un clin d’œil en une magnifique vitrine écologique. La forêt alentour, si malmenée, est devenue en un éclair un paradis de la biodiversité revenue. Saint-Lambert s’est changé en une sorte de Communauté de Sant’Egidio de l’écologie.  Sant’Egidio, groupe catholique italien né en 1968, se veut un état d’esprit. Qui a permis de servir de médiation dans d’atroces conflits entre humains. Sant’Egidio a ainsi pu réunir des adversaires mortels pour parler du Kosovo, de l’Algérie, du Guatemala, de la Palestine. Entre autres. Inutile de préciser que, le plus souvent, cette médiation n’a pu régler le conflit.

Bref, une communauté de Sant’Egidio de l’écologie où, le temps d’une halte dans l’affrontement, des ennemis pourraient se parler. L’idée est là, à portée de mains, dans nos cerveaux. Et resurgira probablement. En attendant, nous avons décidé de créer une revue. Modeste mais fière. Petite mais ambitieuse. Les Cahiers de Saint-Lambert ont un sous-titre sans équivoque dont je ne suis pas peu satisfait : « Ensemble face à la crise écologique ». Ce n’est donc pas une énième ritournelle reprenant je ne sais quel oxymore bien connu. Comme ce soi-disant « développement durable ». Cette revue a un socle : la crise écologique. Elle a un objectif : réunir ceux qui s’ignorent encore. Et elle se donne comme moyens la pensée, le débat et l’action. La priorité sera donnée, toujours plus, aux initiatives de terrain, concrètes aussi bien qu’exigeantes.

Pour l’heure, et pour ne rien vous cacher, nous sommes essentiellement trois. Dominique Lang, qui fait office de directeur. Moi qui joue le rédacteur-en-chef. Et Olivier Duron, un ami de très longue date qui se trouve être un graphiste de grand talent. La forme – que personnellement j’adore – de cette revue, c’est lui. J’ajoute qu’il est un écologiste. Un écologiste qui pense. Cette étonnante rareté était nécessaire, essentielle même à notre aventure.

Vous êtes, ou plus sûrement vous n’êtes pas catholique, du moins pratiquant. Mais vous m’honoreriez en allant visiter le site de notre si fragile revue. On peut, entre autres, y feuilleter électroniquement (ici) le numéro 1. Car nous en sommes au numéro 2, même si personne ne le sait. Je vous prie donc sincèrement d’y aller voir et de donner votre avis, même s’il est négatif. En revanche, si le ton vous plaît, si vous y voyez un intérêt, sachez que nous sommes à la recherche de 500 abonnés très, très vite. Faute de quoi nous disparaîtrons. C’est dit. Vous pouvez aussi faire circuler cette information dans tous vos réseaux personnels ou sociaux. Et prévenir directement ceux de vos proches qui pourraient se montrer intéressés.

J’en ai fini. Planète sans visa va avoir deux ans, et reçoit de plus en plus de visiteurs. J’en suis très heureux. Ce lieu demande du travail, comme vous l’imaginez sans doute. Mais les informations y sont gratuites, ce qui est pour moi une chose importante, à laquelle je tiens. Il n’empêche que cette fois, sans l’ombre d’une hésitation, je vous demande un franc coup de main. Ne faites pas l’imbécile. Ne détournez pas le regard. C’est à vous.

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Patience et suspense (à propos de quelque chose)

Navré de jouer les imbéciles, à moins que cela ne soit pas un jeu. Vous jugerez. Je ne vous dirai pas aujourd’hui de quoi je veux vous parler au juste, car j’ai pensé qu’il me fallait une introduction de nature un peu personnelle. Le tout, malgré les apparences qui suivent, a un rapport vivant avec la crise écologique. Je vous l’assure.

Donc, moi. Je n’ai jamais été baptisé, et à bien des égards, je suis un parfait mécréant. J’ai longtemps vu les institutions religieuses du monde comme autant d’instruments de pouvoir temporel, comme des ennemies de la liberté, comme des alliées de l’obscurantisme. Au reste, il ne faut pas me pousser beaucoup pour que je retrouve ce qui ressemble bel et bien à une culture profonde. Vue de ma fenêtre personnelle, lorsque j’étais enfant, l’église catholique était une inconnue qui sentait fort, et mauvais. Je ne veux blesser personne, mais telle est la vérité. Les rares hommes en noir que j’apercevais dans ma banlieue me faisaient peur. Mais le plus souvent, je m’en foutais royalement. Sauf quand ils nous couraient aux fesses, bien sûr.

Dans ma banlieue, ou on faisait le con, ou on jouait au foot. Certes, il arrivait qu’on fît les deux. Mais en général, ces deux activités majeures étaient séparées. Dans les années 60 du siècle enfui, les enfants d’une cité HLM de banlieue ne savaient pas, le plus souvent, où trouver un terrain digne de courses folles et de tirs tendus. Il y avait certes la cour de notre immeuble, où nous nous battions autour de balles en papier renforcé par du scotch. Mais comme nous beuglions et devenions aveugles à tout ce qui n’était pas l’affrontement « sportif », les voisins se mêlaient de la partie en hurlant. Tantôt le père Odelli. Parfois madame Dubois. De temps à autre, les Fabre, les Benoît et peut-être madame Liévaux. Possible.

De toute façon, rien ne valait le terrain de foot de l’école Saint-Louis. Une école privée. Catholique. La preuve manifeste qu’un autre monde est possible. Le jeudi, l’école faisait relâche, mais pas nous. Et ce terrain de foot était si tentant que nous prenions des risques mesurés, mais réels, pour nous en emparer. Il fallait escalader, sauter deux grillages, cabrioler un petit peu avant de se retrouver à pied d’œuvre. Une fois franchis les obstacles, nous étions d’un coup et d’un seul les rois de la piste, et pour des matinées entières. Je vous décris : un vrai terrain de foot – modèle réduit, tout de même -, au beau milieu de la cour de récréation de l’école catho. On voyait derrière un préau et même, comme en ombre chinoise, le clocher de l’église.Vous souvenez-vous qu’on peut brûler ses poumons sans s’en rendre compte ? Le rire aux lèvres au cœur aux pattes ?

Bon, par ailleurs, ce terrain de foot et d’aventures est toujours resté pour moi un mystère. Un mystère, car jamais au cours des ans nous n’avons vu personne. Les gosses de la Catho devaient rester chez eux, le jeudi, à manger du chocolat en récitant des prières. Sûrement, car ils n’étaient JAMAIS en train de taper dans la balle. Quant aux curés, nib. J’écris nib non pour épater le bourgeois, qui s’en fout, mais parce qu’il est venu spontanément. Nib. On ne voyait non plus les hommes en noir. Peut-être ai-je oublié un épisode ou deux. Il n’est pas exclu que nous ayons été poursuivis par l’un d’entre eux. Maintenant que je me concentre, je revois les grandes enjambées d’un prêtre et son doigt menaçant. Oui, je revois la scène, et nos sauts de cabri par-dessus le grillage pour tenter de lui échapper. Avec cette trouille au ventre qui nous aurait changés en champions olympiques de saut en hauteur.

La vérité, c’est que nous n’avons jamais été chopés. En peut-être cinq ans de squat acharné du terrain de foot. L’heure étant à la prescription, je dénonce formellement mes complices. Il y avait mon grand frangin Régis, cela va de soi. Il était très bon dans les buts, mais il faut dire que, vu sa taille, il était aidé, le salaud. Il y avait les frères Hanck. Il y avait une flopée d’Odelli, dont Serge et Boudou. Il y avait bien entendu Bouboule Méchiche et son frère Jacky. Et plus rarement Serge Juteau. Sans compter les occasionnels. Un jour, Jean-Pierre Lemonnier est parvenu à entrer dans l’école avec sa grosse mobylette pétaradante. Une Flandria. Elle me semblait un monstre. Elle l’était, avec son siège passager qui permettait à Jean-Pierre d’emmener les filles en goguette. Mais ce garçon à bottines était un blouson noir, et je m’égare.

Or donc, le foot clandestin à l’école Saint-Louis. Et à part cela ? Je l’ai dit, je n’ai pas été baptisé. Mais curieusement, ma sœur Annie a fait sa communion solennelle. En l’église Saint-Louis, pardi. C’était avant les années foot, car moi, je n’avais guère que cinq ans, par là, et je n’ai pas tout compris de l’extraordinaire événement. Mon père vivait encore – cela ne durerait plus beaucoup -, et ce que je retiens du jour de fête est l’interminable ennui du repas, cette insupportable obligation de rester à table. Et les bonbons. Ne crachons pas sur les bonbons.

Il y a bien d’autres choses dans les soutes surchargées de ma mémoire, mais certaines d’entre elles me feraient passer pour un tel voyou que je préfère en rester là, pour le moment en tout cas. Tout ce qui précède n’a en vérité qu’un but caché : montrer sans détour que le monde catho et moi, cela fait deux. Plus que deux, si ça se trouve. Disons dix. Et pourtant, il m’est venu une idée que vous découvrirez demain, mais qui commande encore quelques mots. La crise écologique frappe la vie et les êtres maintenant. Je ne doute pas une seconde de la prophétie du vieux Léo (Ferré) : « Il n’y a plus rien/Et ce rien, on vous le laisse !/Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,/Nous, on peut pas./Un jour, dans dix mille ans,/Quand vous ne serez plus là,/Nous aurons TOUT/Rien de vous/Tout de nous/Nous aurons eu le temps d’inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse,/Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles,/Le sourire des bêtes enfin dé-traquées (…)/NOUS AURONS TOUT/Dans dix mille ans ».

Je suis sérieux autant que sincère. Aux plus opiniâtres d’entre vous, je le dis sans hésitation : rendez-vous dans dix mille ans. Mais en attendant ? Je vois comme vous qu’il faut imaginer des formes d’action et de rapprochement qui n’ont encore jamais été tentées. Je vois comme vous que nous devons par force trouver un terrain commun avec des gens qui ne nous ressemblent pas. Que, dans une autre vie, nous aurions probablement ignorés. Mais je vous parle de cette vie-là. De notre vie commune qui file si vite. Et je sais que si nous ne parvenons pas à parler à d’autres que nous-mêmes, nous serons perdus à jamais. Aujourd’hui, dès aujourd’hui, il faut abolir certaines frontières mentales que je n’aurais jamais franchies, fût-ce clandestinement, il y a quelques années. Nous sommes en face d’une peste noire planétaire. Nous sommes devant un gouffre sans fond. Moi, je ne veux pas tomber dedans avant d’avoir essayé ce que je pouvais.

Et vous saurez donc la suite demain ou après-demain au plus tard. À ce moment, vous aurez le droit de me critiquer ou de vous détourner. Au moins, j’aurai pris soin de m’expliquer. Pues, compa, claro que nuestros enemigos serán barridos por los anarquistas. Mais dans dix mille ans seulement. Alors.

Une lettre de Serge Orru (directeur du WWF France)

Ceux qui me lisent régulièrement savent que je critique souvent le mouvement écologiste français et ses diverses composantes. Durement à l’occasion. Je l’ai fait dernièrement à propos du soja et de l’attitude du WWF (ici). Je viens de recevoir une réponse du directeur du WWF en France, Serge Orru, que vous pourrez lire plus bas. Un mot sur Serge : nous sommes et resterons différents l’un de l’autre. Mais j’ai une amitié vraie pour cet homme. Je crois en sa sincérité et même, si j’osais – j’ose -, en la beauté profonde de sa personne. Que les rieurs rient. Comme on voit, cela ne m’empêche pas de polémiquer publiquement. Mais voici sa réponse.

Cher Fabrice,

Voici ma réponse suite à tes affirmations.

Tout d’abord concernant l’implication du soja dans la déforestation, le WWF-France demande à ce que la France ne participe plus d’ici 2015 à la déforestation liée au soja ni au développement du soja OGM en développant les protéines végétales locales et en pérennisant des importations en soja responsable Non-OGM.

Quant à la question des OGM , le WWF ne soutient pas les OGM et demande un moratoire sur les plantations en plein champ. Sur ce dossier, les demandes du WWF sont claires et explicites : en accord avec le principe de précaution, tout projet d’introduction d’OGM dans la nature doit être précédé dune étude d’impact complète et transparente, prouvant l’innocuité environnementale globale, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.

Dans le cas particulier du soja génétiquement modifié (70% de la production mondiale de soja), sachant dune part que ce dernier est déjà largement cultivé sur une majorité du continent américain, et d’autre part que la culture du soja est fortement impliquée directement ou indirectement, en repoussant le pâturage vers la forêt, dans la déforestation en Amérique du Sud, il est apparu nécessaire au WWF d’étudier l’établissement de critères de soja responsable qui s’appliquent à l’ensemble des cultures de soja. Dans cette optique la table ronde pour le soja responsable (RTRS) a été mise en place avec les multiples acteurs du soja dont le WWF. L’objectif final de la RTRS est de développer une filière de soja responsable.

Selon le WWF, le point essentiel dans la problématique du soja est de faire obstacle à l’avancée inexorable du soja et de l’élevage à l’intérieur des habitats naturels et de réduire l’empreinte globale des industries du soja et de l’élevage à travers le développement à grande échelle dune filière de soja responsable.

Suite à l’accord des industries du soja d’adopter des garanties environnementales qui pourront encore être améliorer d’ici 12 mois, le réseau du WWF poussera encore les membres exécutif de la RTRS afin d’obtenir des critères de biodiversité les plus solides tout en demandant la mise en place d’un groupe de travail visant à l’établissement dune filière RTRS Non-OGM.

Le WWF-France ne soutiendra la certification RTRS auprès des entreprises et du grand public qu’à partir du moment où il sera possible de différencier la certification d’un soja OGM ou non et que des critères solides concernant la protection de la biodiversité seront inclus.

Jusqu’à présent, dans le site www.protegelaforet.com , 10000 personnes ont signé la pétition demandant aux entreprises de s’engager contre la déforestation via notamment leur inscription à la RTRS et la RSPO. En attendant que nos demandes soient atteintes le WWF-France promulguera la certification selon les critères de Bâle (Non-OGM avec des critères biodiversité robustes)

La France étant le plus gros consommateur du plus gros importateur de soja au monde l’Europe, le WWF-France a ainsi décidé de faire du soja une de ses priorités en terme de programme de conservation. Ainsi, nous avons publié une étude intitulée « Plus d’indépendance en soja d’importation dans l’alimentation animale en Europe – Cas de la France ». Cette étude est l’occasion de mettre en perspective que réduire la dépendance au soja d’importation à l’échelle de notre pays permettra de réduire l’empreinte écologique de la France.

En France justement, avec la mise en place des alternatives proposées dans l’étude, il est en effet possible de remplacer les 50 % de soja importés actuellement par des protéines produites localement, d’en économiser 15% via la désintensification de l’élevage et d’en remplacer 35% par du soja certifié. L’ensemble de ces alternatives peut être garanti 100 % non OGM et n’impliquerait plus la France dans la déforestation en Amérique du Sud.

En outre le WWF-France exige que soit indiqué sur l’étiquette des produits carnés et dérivés l’allégation « nourri sans OGM » pour valoriser les éleveurs faisant l’effort de nourrir leur bétail sans OGM et donner plus d’information au consommateur. Cette allégation a reçu le 19 Mai 2009 l’avis favorable du conseil national de la consommation.

A ta disposition pour débattre,

Serge Orru

Mais où est passé le coucou gris ?

 Qui ne connaît le coucou (gris) ? Je vais poser la question autrement : qui n’a jamais entendu son chant, annonciateur du printemps ? Même le plus indifférent sait que le coucou pond dans le nid d’un autre oiseau et lui laisse le soin d’élever sa progéniture. Vu de plus près, c’est stupéfiant, car la femelle coucou revient chaque année dans la zone qui l’a vue naître, retour de son exténuant périple africain. Sur place, on se doute bien qu’elle fornique un peu, activité heureuse et réparatrice, comme chacun sait. En tout cas, vers la fin mai, lestée d’une dizaine d’œufs, elle se livre à un rituel sidérant.

Un à un, elle dépose un œuf et un seul dans le nid d’une autre espèce – essentiellement des passereaux plus petits qu’elle -, profitant d’une absence momentanée des parents. À toute vitesse, madame pond son œuf et jette par-dessus bord l’un de ceux déjà déposés. Ni vu ni connu. Neuf fois, dix fois, le même processus. Je ne vous raconte pas tous les détails, qui sont pourtant incroyables, et passe directement à la naissance de l’intrus. Ce qui suppose bien sûr qu’il n’a pas été repéré avant. Après, c’est trop tard : le coucou se change en tyranneau, car il devient plus gros que ceux qui l’ont nourri. Au point que certains « parents-passereaux » se mettent sur son dos pour pouvoir continuer à lui enfourner sa ration. Laquelle doit absolument être à base d’insectes. Si la mère dépose un œuf dans le nid d’une espèce granivore, le petit meurt d’inanition.

Ne nous égarons pas, même si ce chemin est saturé pour moi d’odeurs, de saveurs, de couleurs et de musique. Ne nous égarons pas. Je viens de découvrir une nouvelle très rude : le coucou gris entre dans la Liste rouge des espèces les plus menacées en Grande-Bretagne (ici). David Rosane m’avait signalé il y a quelques semaines les inquiétudes autour du déclin de cet oiseau merveilleux, mais cette fois, officiellement, la sinistre Liste Rouge (ici). Le coucou est accompagné, en direction de la tombe, par des oiseaux jadis aussi communs que le vanneau huppé ou la bergeronnette printanière. 52 des 246 espèces communes d’oiseaux de Grande-Bretagne sont désormais, comme on dit là-bas, « red-listed ». 52, soit 21 % de l’ensemble. En 2002, ils n’étaient que 40, soit 16 %.

Je ne reviens pas sur la multitude de causes croisées qui expliquent très probablement le drame en cours. Vous les connaissez plus ou moins. Qu’elles tiennent à nos pratiques criminelles ici – les pesticides -, aux changements globaux – le climat – ou aux bouleversements dans les zones de migration saisonnière, surtout en Afrique. Je n’y reviens pas. Juste un mot sur la Grande-Bretagne. Ce pays si proche est la patrie de l’immense Royal Society for the Protection of Birds (RSPB, ou Société royale pour la protection des oiseaux), fondée en 1889. Les élégantes de l’ère victorienne avaient pris la détestable habitude d’orner leurs chapeaux et même certains de leurs vêtements de plumes de grèbes. Surtout de grèbes huppés, alors menacés d’extinction. Jetez un œil sur la petite illustration du bas de cet article. L’on y voit des manifestants d’il y a plus d’un siècle protester contre le commerce de plumes d’oiseau. Je l’aurais bien mise ici, en regard de ce que j’écris, mais un mauvais sort technique m’en empêche.

C’est sans importance. Mon propos d’aujourd’hui est simple. Je ne sais aucun autre pays que la Grande-Bretagne où le sort des oiseaux soit à ce point cause nationale. La RSPB rassemble plus d’un million de membres, gère près de 170 réserves, sur plus de  1150 km2. Notre LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), vaillante pourtant, en compte autour de 40 000. Les birdwatchers, ceux qui observent les oiseaux, sont chez nos voisins (presque) aussi nombreux que les sarkozystes chez nous. Et pourtant, le coucou. Ce coucou qui, depuis le début des civilisations humaines, annonce le printemps et fait chanter les cœurs. Annonçait le printemps et faisait chanter les cœurs. Désolé, je n’ai pas envie de rigoler.

Protest against the plume trade, London 1911
Protestors against the plume trade