Besancenot, le NPA et le Smic à 1500 euros (nets)

Les (très) rares fois où je vote, je suis victime d’une malédiction. Je ne peux pas tout vous raconter, mais c’est vrai. Disons qu’en ces occasions-là,  je me retrouve à voter pour des candidats baroques. Baroques à mon goût profond. Il est vrai que je n’adhère ni de près ni de loin à quelque parti que ce soit.

Pour les Européennes, je peux avouer que j’ai failli – une seconde, guère plus – voter pour le NPA de Besancenot et Krivine. Mais si. Pour une raison sans noblesse, mais que j’exprime sans honte : je voulais signifier aux classes dirigeantes de ce pays, de gauche comme de droite, qu’elles peuvent aller se faire rhabiller chez Plumeau. Je sais, cette expression sent la naphtaline. Mais leur monde aussi.

J’ai donc failli, puis je suis passé à autre chose. C’est-à-dire que j’ai décidé, comme à mon habitude, de ne pas aller voter. Nombre d’entre vous trouveront cela déplorable, et je comprends aisément leur point de vue. Mais je ne voterai pas. Et à coup désormais certain, pas pour le NPA, dont un militant m’a donné un tract voici une paire de jours à l’entrée du métro.

Ce tract est une merveille que je vais, je crois, conserver. Car il dit des choses décisives sur l’état mental, psychologique, intellectuel d’une force qui se prétend en rupture avec le monde tel qu’il va. Il rapporte bien entendu que la crise en cours est celle du capitalisme et que les riches devront en payer les frais. Qu’il convient d’interdire les licenciements et de créer un smic européen à hauteur de 1500 euros nets. Voilà une première folie, qui en appelle bien d’autres. Mais voyons donc celle-ci. 1500 euros nets par mois. L’Union européenne compte 460 millions d’habitants. Donc 1500 euros nets au minimum, distribués à cette imposante masse d’humains, dont la plupart sont vautrés dans le gaspillage des biens matériels depuis des décennies.

Concrètement, il faut bien voir ce que signifierait un tel afflux numéraire. Dans l’univers de supermarchés où nous sommes, il est certain que cet argent relancerait la consommation tous azimuts de bagnoles, de télés, de lecteurs de DVD, d’iPod, de produits alimentaires cancérigènes, de vacances frelatées, etc. J’imagine mal quelqu’un pouvoir contester cela. Si deux plus deux égalent quatre, alors le NPA revendique la fuite en avant dans la consommation de masse de produits qui, fatalement, viendront en très grande part de Chine, où les ouvriers sont des esclaves et où l’on fourre de la mélamine dans le lait des bébés. Je crois que c’est intéressant à noter.

Quant à la crise écologique stricto sensu, le NPA y consacre un encadré sur les six qu’il a retenus dans son tract. Dans l’ordre d’édition, le quatrième. Et là, mes aïeux, c’est à pleurer. Car le NPA ne sait pas qu’il y a crise, même s’il utilise cette expression comme d’autres celle de développement durable. Cela commence comme cela : « L’Europe est une énorme consommatrice d’énergie, produisant des déchets nucléaires et dégradant le climat. C’est le capitalisme qui est responsable de la crise écologique et sociale. Le paquet climat-énergie de l’Union européenne comporte des objectifs inférieurs aux recommandations des climatologues ».

Je ne sais pas qui a pondu ces lignes, mais franchement ! Pas un mot sur le sud du monde, qui devrait pourtant être notre nord à tous. Pas un mot sur les forêts, la biodiversité, les océans, les biocarburants, l’agriculture bio, la télé, la pub, l’aliénation par les objets, le téléphone portable, l’apparition si inquiétante de limites  physiques infranchissables à tout projet humain. L’auteur du tract s’en fout. Il s’intéresse à l’écologie comme la LCR le faisait dès les années 70. En la considérant comme un élément de plus. Un grief supplémentaire à mettre au débit du capitalisme. Il n’y a pas l’ombre d’une réflexion et, partant, pas l’ombre d’une véritable action. Le NPA est ailleurs.

Ailleurs, c’est-à-dire avec tous ceux qu’il prétend si fort combattre. Car le seul point concret qui est évoqué est celui de l’industrie automobile. Une question décisive, on le sait, pour tout écologiste. Or le NPA ne remet nullement en cause le modèle de la bagnole individuelle, qui est en train de détruire à la racine la Chine et menace l’Inde rurale avec la voiture Nano. Oh non ! Nos révolutionnaires écrivent que des « collectifs de travail », probablement à l’issue d’une crise politique  qui aurait rebattu toutes les cartes, devraient « assurer la production de véhicules moins polluants… ». Ainsi donc, et sans conteste, le NPA accepte l’existence d’une industrie automobile folle à lier, acharnée à rendre désirable la fin du monde, et fragmentant à l’infini, en attendant, les habitats écologiques sur quoi repose la biodiversité. Il l’accepte et la défend. Pensez-vous que, lorsque la révolution sera venue, il sera possible de brutalement tenir un autre discours à ceux qui, par hypothèse, se seraient soulevés ? Je voudrais bien voir cela.

La vérité est triste, mais elle demeure la vérité. Le NPA ne veut pas changer le monde et le sauver de crises extrêmes. Il entend que le pouvoir passe de certaines mains à certaines autres. Il n’a strictement rien compris à la nouveauté radicale des événements en cours. Il ne voit pas le caractère réellement inédit, dans l’histoire des hommes, de la destruction massive des écosystèmes, base de la vie sur terre. Et s’il est à ce point aveugle, c’est que reconnaître le principe de la limite commanderait ipso facto de s’attaquer à un siècle et demi de tradition théorique et philosophique. Non, contrairement à ce que pensait Marx, contrairement à ce qu’ont pensé ses successeurs les plus présentables, et qui appartiennent au Panthéon du NPA, l’abondance matérielle n’est pas et ne sera pas au rendez-vous.

Il faudrait au NPA une capacité qui n’appartient à aucune institution humaine : celle de se nier en détricotant les mailles de la mythologie qui l’a fait ce qu’il est. Le NPA continuera donc à rêver d’une grande explication avec les riches du monde – que je souhaite ardemment -, oubliant qu’il faudrait aussi, surtout, envisager le grand face-à-face avec nous-mêmes. Aussi bien, malgré mon plaisir à déconner quand l’occasion se présente, le NPA n’aura pas mon vote en juin. Ni personne.

PS : Je ne suis ni sourd ni complètement aveugle. Je sais bien que des gens souffrent en France de ne pas pouvoir acheter tel ou tel objet. D’être pauvre. Mais il n’y aurait rien de pire que de poursuivre dans la voie du délire matériel. Cela ne veut pas dire ne rien faire. Cela implique à mes yeux, dans un pays comme la France, un partage des richesses, volontaire ou contraint. Mais n’oublions jamais que le monde réel, qui n’est pas le nôtre, est celui où un humain doit se débrouiller avec un dollar par jour. Deux s’il a beaucoup de chance. Qu’on le veuille ou non, que cela soit plaisant ou insupportable, il n’y a PAS ASSEZ DE RESSOURCES sur terre pour offrir à tous le niveau de gaspillage occidental. Selon moi, qui défend le smic à 1500 euros nets en France nie l’égalité fondamentale entre tous les habitants humains de cette terre. Et je ne parle pas des autres êtres vivants, qui comptent tant à mes yeux. Le NPA n’a pas même entendu parler de leur existence.

Arrêter cette main criminelle (sur le soja)

 Les 26 et 27 mai aura lieu au Brésil la quatrième « conférence internationale pour une culture responsable du soja ». Le paravent industriel « Round Table on Responsible Soy Association » (Association pour une culture responsable du soja, RTRS, ici) y tentera de vendre par la désinformation une soi-disant norme acceptable pour la culture du soja, qui est un vaste crime contre l’homme et la nature. Sachez que le monde se mobilise (ici) dans une lettre ouverte retentissante de 60 organisations du monde entier. Le monde se mobilise, mais pas la France, à l’exception des Amis de la terre (ici), dont les moyens sont hélas limités. Greenpeace-France a davantage à faire du côté des officiels et des décideurs, surtout depuis que Robert Lion préside une association jadis combative. Le WWF international – surtout sa branche brésilienne – est engagé de longue date dans des discussions indignes avec RTRS. Le WWF-France de Serge Orru, sur une autre ligne, se montre étonnamment embarrassé, sans que nul média ne s’intéresse pour le moment à cette question clé (ici). Moi, je continue mon bonhomme de chemin, et vous propose une plongée dans ce monde que nous ne voulons surtout pas voir. Bienvenue chez les salopards. 

Le 28 juillet 2008 au matin, un groupe d’Indiens guarani du nord de l’Argentine, dans la province de Jujuy, se réveille comme chaque jour dans le campement appelé Jasy Endy Guasu, c’est-à-dire en français Lumière de la grande lune. Plutôt, ils sont réveillés par un peloton de 50 soldats armés, qui accompagnent les employés d’un des rois locaux du soja, un certain Roberto Strisich. Les bulldozers conduits sur place détruisent les cabanes en bois. Les animaux des Indiens sont tués. Ce qui résiste encore est brûlé. Les soldats sont porteurs d’un ordre d’expulsion signé et contresigné par un juge de la ville. Une loi, des lois fédérales protègent en théorie les Guarani, qui sont tout de même l’un des peuples autochtones de l’Argentine. Chiffons de papier. La communauté Jasy Endy Guasu doit faire place nette au soja transgénique et à ses fabuleux profits.

Autre lieu, au Paraguay voisin. « San Vicente es un importante centro agrícola en el Departamento de San Pedro, en el norte de la Región Oriental de Paraguay ». Il n’est pas nécessaire de traduire, et je résume le reste : cette région, jadis d’élevage extensif, est envahie jour après jour par le soja, souvent transgénique. On déforeste, on ruine pour des décennies, sinon des siècles, le fragile équilibre écologique d’une zone longtemps tranquille. Les habitants de San Vicente ont perdu la forêt, les animaux qu’ils y chassaient, les poissons qu’ils pêchaient dans les rivières. Ils ont en échange des fumigations massives de ce que les Latinos appellent agrotóxicos, les pesticides. Beaucoup de malades, qui n’iront pas à l’hôpital.

Bref. Le 18 août 2007, quatre paysans sont partis chasser là où, de tout temps, ils l’ont fait. Une petite montagne désormais encerclée par le soja, à l’intérieur d’une grande propriété qui était hier une forêt de 93 000 hectares. Le propriétaire brésilien, qu’on appelle là-bas un « absentéiste », vit à Sao Paulo, dans une maison qu’on imagine cossue. La forêt a disparu, mais il reste au milieu des champs une butte boisée où les petits paysans viennent chasser quelques animaux survivants. Et ce 18 août, au moment où les quatre hommes, dont deux adolescents, redescendent, ils sont tirés comme des lapins. Les gardes du propriétaire leur ont tendu une embuscade. Pedro Antonio Vázquez, 39 ans, meurt. Cristino González, 48 ans, meurt. Les plus jeunes, blessés, se traînent jusqu’au village.

Et voici maintenant l’histoire de Tekojoja (Paraguay), telle que rapportée par l’anthropologue canadien Kregg Hetherington (ici). Nous sommes le 24 juin 2005, il est cinq heures, la communauté paysanne de Tekojoja dort encore. Entre 100 et 120 policiers armés débarquent et jettent hors de leurs lits les paysans, malgré une loi explicite qui interdit toute action avant l’aube. Environ 130 paysans, dont des femmes et des enfants, sont emmenés vers la prison dans des camions. Pendant que les soudards œuvrent, deux bandes de malandrins au service de propriétaires brésiliens – le Brésil est proche – détruisent les maisons avec de gros tracteurs, volent ce qui les intéresse, et brûlent ce qui brûle.

Plus tard dans l’après-midi, les spadassins se mettent à tirer sur les paysans, évidemment désarmés, ce qui est à la fois plus drôle et plus facile. Il y a des blessés. Et deux morts : Angel Cristaldo et Leoncio Torres. Mais le soja est passé, ce qui est bien l’essentiel. Autre péripétie d’une tragédie que personne ne veut considérer en Europe, où les supermarchés débordent de viande « nourrie » avec le soja transgénique débarqué à Brest, Lorient, Anvers ou Rotterdam : le cas Agripina. Le journaliste Philippe Chevalier raconte dans le quotidien suisse Le Courrier (ici) comment cette mère de famille s’est retrouvée encerclée par le soja.

Agripina Britez vit avec ses onze enfants et ses deux nièces sur une propriété agricole de dix hectares, dans le département paraguayen de San Pedro. Elle y cultive, à la manière ancienne, sésame et maïs. Au milieu de 3 000 hectares de soja transgénique. Chaque mois, et à quatre reprises, un avion largue des fumigations chimiques dont nul ne sait rien précisément. Agripina, en tout cas, rapporte qu’elle a le côté droit à moitié paralysé. Deux de ses gosses, Carolina (18 ans) et Carmén (6 ans) se plaignent depuis deux ans de nausées et de maux de tête. Ce doit être psychologique.

Au début des années 70 du siècle passé, le soja était inconnu au Paraguay. En 1991, il occupait (Ministerio de Agricultura y Ganadería, 1994) 552 456 hectares. En 2 000, 1 175 000 hectares. En 2 006, 2 429 800 hectares. Plus du tiers de la surface cultivable du pays est désormais dévolu à la culture d’une plante inconnue il y a seulement vingt ans – le soja transgénique -, sous contrôle d’entreprises étrangères pour lesquelles le Paraguay est à peine un point sur le planisphère.

Dans l’Argentine voisine, c’est pire. Cela ne veut rien dire, bien entendu. Comment cela pourrait-il être pire ? Au début des années 70, le soja couvre moins de 100 000 hectares. En 2 000, plus de 10 millions. Et 14 millions d’hectares en 2003. Et 16 millions d’hectares en 2007, ce qui représente environ 60 % des surfaces cultivées de ce pays géant.

Au Brésil, au cours des soixante dernières années, l’agriculture du soja s’est étendue de zéro à plus de vingt et un millions d’hectares de terre cultivée. Le Brésil est le deuxième exportateur mondial, et sera bientôt le premier, devant les Etats-Unis. Il pourrait même exporter deux fois plus que le géant du Nord en 2015 ! Car sa progression est fulgurante, inouïe : il représente déjà, avec environ 62 millions de tonnes par an, le quart de la production mondiale. Et ce n’est qu’un début.

Car à l’autre bout de la chaîne, il y a nous, tout simplement. Une étude du WWF (ici) rappelle opportunément cette réalité qu’il ne faut surtout, surtout pas voir : « Un Français mange en moyenne 92 kg de viande, 250 œufs et une centaine de kilos de produits laitiers chaque année, ce qui nécessite une surface cultivée en soja de 458 m2 par habitant pour répondre aux besoins en alimentation animale. La France fait partie des principaux responsables de cette tragédie. Elle est en effet le premier consommateur européen de soja, principalement originaire du Brésil (22 % du soja exporté du Brésil arrive en France) ».

Arrêtons de lire une seconde.  Faisons semblant de croire qu’il existe sur terre une seule et même humanité. Une seule. Eh bien, une partie – nous – utilise sans s’en soucier 458 m2 par tête d’une terre fabuleuse à tous points de vue pour parachever l’alimentation du bétail industriel qu’elle ingurgite. Question stupide, qui nous fait aussitôt redescendre sur terre : que fait, plutôt que ne fait pas le mouvement des consommateurs français ? A-t-on le droit de se regarder dans la glace sans penser une seconde aux innombrables sacrifiés de cette sinistre histoire ?

250 000 gazelles d’un seul coup d’oeil !

À bas ! À bas ce monde aveugle et imbécile ! À bas tous ces foutus crétins qui parlent, écrivent et décident sans rien savoir de la beauté et de l’harmonie profonde des montagnes et des plaines, des pâturages et des bêtes. Je plains ceux qui nous font tant de mal. Et je me félicite comme au premier jour de savoir regarder en tremblant une image aussi simple que celle que vous allez découvrir.

Où sommes-nous ? En Mongolie. En septembre 2007, des scientifiques du Smithsonian Institute suivent dans l’est du pays des gazelles de Mongolie, qu’ils ont équipées d’un GPS. Bon, je reconnais que le GPS est de trop. Mais on lui doit l’extraordinaire vision qui suit. De temps à autre, les biologistes croisent des troupeaux de 2 000 animaux libres, ce qui est déjà une merveille. Mais un jour, vers midi, alors qu’ils atteignent le haut d’une colline, ils découvrent une steppe sans limites où paissent environ 250 000 gazelles. 250 000 !

Commentaire de Kirk Olson, de l’université du Massachusetts (ici) : « Je garderai à jamais dans ma mémoire la vision de cet immense rassemblement de gazelles ». Qui ne le comprendrait, parmi les hommes simples et vrais ?

PS : Les gazelles de Mongolie sont des antilopes.

Largest ever herd of Mongolian gazelles (Copyright: Thomas Mueller)

Mais qui connaît Lucien Chabason (et Mousel, et Brodhag, et Antoine) ?

Qui connaît Lucien Chabason ? Moi. Et qui Michel Mousel ? Moi. Et qui Christian Brodhag ? Moi. Et qui Serge Antoine ? Moi. Moi. Moi. Mais attention, je ne sais rien d’eux sur le plan personnel. Peut-être – je le leur souhaite – sont-ils, ont-ils été, d’excellentes personnes privées, de bons parents, des époux parfaits, des amis irremplaçables.

Mais il y a le plan public, et sur ce terrain, j’ai mon mot à dire. Je vous les présente en quelques phrases sèches, et donc injustes. Chabason est un expert multicartes depuis des décennies. Il a été sous-préfet à Ussel dès 1971, après avoir été administrateur civil au ministère de l’Intérieur, en 1968. En 1968. Il a par la suite été conseiller de Jacques Chirac – alors Premier ministre – en 1974, puis celui de Raymond Barre après 1976. Après une longue carrière au ministère de l’Environnement, il s’est nettement rapproché de Brice Lalonde quand celui-ci devint secrétaire d’État à l’Environnement, et surtout fondateur de l’éphémère Génération Écologie.

Et ? Chabason, je l’ai dit, est expert. International. Je vous passe la liste, qui comprend, entre beaucoup d’autres machins,  l’OCDE et le PNUE. Il a été coordinateur du plan d’action pour la Méditerranée des Nations Unies entre 1994 à 2003, et demeure président du Plan bleu. Je vous recommande ce dernier, car il existe depuis 1975, avec pour but officiel de sauver la mer Méditerranée des pollutions qui la tuent d’année en année.

Comme le résultat est émouvant, quand on pense au sort du thon rouge ! Et c’est Serge Antoine qui a eu l’idée de ce vaste plan si utile. Qui l’a proposé à des pays riverains « inquiets de voir se dégrader la mer qui constitue leur lien naturel ». Autant vous dire que Chabason et Serge Antoine se sont très bien connus. J’utilise le passé, car Serge Antoine, né en 1927, est mort en 2006.Qui était Antoine ? Un haut-fonctionnaire, tout comme Chabason. Tout comme un Robert Lion, président du conseil d’administration de Greenpeace (ici), Serge Antoine a eu pour le moins deux carrières. Conseiller de l’Euratom – la Communauté européenne de l’énergie atomique – au début des années 1960, il aura été l’un des piliers, pendant quinze ans, de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar), entre 1963 et 1978. Il y aura travaillé avec des responsables gaullistes aussi recommandables qu’Olivier Guichard – ancien maire de La Baule – ou Jérôme Monod, ci-devant patron de la Lyonnaise des Eaux.

Ensuite, indiscutablement, Serge Antoine, convaincu de l’existence d’une crise environnementale, a changé de voie. J’écris volontairement environnementale, mot que je déteste et tente de ne pas utiliser, car il est évident pour moi que Serge Antoine ne considérait pas la crise écologique. Ce qui comptait, c’était l’environnement. L’environnement des hommes. Mais baste, il fut l’homme du développement durable en France, et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité (ici). J’ajoute qu’il fut vice-président du Plan bleu de Chabason. Logique.

Poursuivons avec Michel Mousel, que j’ai croisé il y a une vingtaine d’années, et avec qui je me suis copieusement engueulé. Qui est-il ? D’abord un politique, passé par le PSU « autogestionnaire », « écologiste » et même « révolutionnaire » de l’après-68. Tout le monde s’en fout à juste titre, mais Mousel fut le secrétaire national du PSU après 1974, quand Rocard lâcha ses petits amis – il dirigeait alors ce parti, mais oui, les jeunes ! – pour se rapprocher de la grande tambouille socialiste.

Ensuite, Mousel fut de tous les cabinets, ou presque. On le vit chez Bouchardeau, devenue secrétaire d’État à l’Environnement après 1981, chez Lalonde, etc. En récompense de quoi il devint président de l’Ademe, tout comme madame Chantal Jouanno le fut. Sur ordre politique. Il fut ensuite, par la grâce de Jospin, qui régnait à Matignon, président – encore un ! – de la Mission interministérielle de l’effet de serre (MIES) jusqu’en 2001. Il a également créé l’association 4 D (ici), durable, forcément durable. Il est de tous les colloques, comme on peut se douter.

J’ ai plein d’autres noms dans ma besace, dont ceux de Laurence Tubiana (ici) et Pierre Radanne (ici), mais je n’écris pas un livre, et vais donc m’arrêter à Christian Brodhag. Porte-parole national des Verts entre 1989 et 1991, conseiller régional, il a quitté ce parti pour se rapprocher de la droite. Laquelle s’est montrée généreuse. Brodhag a été « président de la Commission française du développement durable » entre 1996 et 1999 – défense de glousser -, puis délégué interministériel au développement durable entre 2004 et 2008.

Voilà. Ouf. Je me repose une seconde. Quel est le lien entre ces braves sentinelles ? Mais le fiasco, bien entendu. L’incroyable, l’extravagant échec de leurs sempiternelles (pré)occupations bureaucratiques. Ils n’auront jamais cessé, pendant des décennies, de radoter. De pleurnicher, de demander pardon à tous les pouvoirs en place qui, au reste, les employaient. Quelle bête serait assez sotte pour mordre la main qui la nourrit ?

Tandis que la planète flambait, ces messieurs-dames péroraient, prétendant trouver pour nous les solutions justes et parfaites. On voit, on a vu les résultats. Je pourrais me contenter d’en rire, car il y a bien de quoi. Exemple : Athènes. Une milliardième conférence s’y est tenue fin avril 2009, organisée je crois – et je m’en fous – par le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE).Vous savez quoi ? On y a appris que l’Union européenne se montrait et se montrerait incapable de stopper « l’érosion de la biodiversité ». En résumé non euphémisé : l’Europe continue à détruire la vie comme si de rien n’était, y compris en mer (ici).

La mer. Chabason. Le plan bleu. 1975. Chabason était à Athènes en avril dernier, et voici ce qu’il a cru pouvoir déclarer concernant la biodiversité : « Nous n’avons pas un indicateur simple – la hausse des températures ou la concentration du CO2 dans l’atmosphère – pour nous alerter. Nous n’avons pas non plus de scénarios nous mettant en garde contre les risques à franchir certains seuils. Enfin, nous n’avons pas encore vécu d’épisodes comme Katrina ou la canicule de 2003 pour aider à la prise de conscience du problème ».

C’est-y pas génial ? Après quarante ans de blabla, l’un de nos grands lutteurs de foire reconnaît qu’il n’en fout pas une rame. Qu’il se contente, comme dirait l’autre, de pures « paroles verbales ». Je vous résume mon sentiment à propos de cette petite armée de professionnels qui s’est emparée de quelques expressions clés, comme développement durable, effet de serre, ou encore biodiversité. Ils ne sont évidemment pas une aide. Ils sont même à coup certain des « retardateurs ». Leur omniprésence et leur totale impuissance à créer du mouvement nous font perdre des années qui ne reviendront pas. Oserai-je ? Ils ne sont pas de mes amis.

Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.