Les (très) rares fois où je vote, je suis victime d’une malédiction. Je ne peux pas tout vous raconter, mais c’est vrai. Disons qu’en ces occasions-là, je me retrouve à voter pour des candidats baroques. Baroques à mon goût profond. Il est vrai que je n’adhère ni de près ni de loin à quelque parti que ce soit.
Pour les Européennes, je peux avouer que j’ai failli – une seconde, guère plus – voter pour le NPA de Besancenot et Krivine. Mais si. Pour une raison sans noblesse, mais que j’exprime sans honte : je voulais signifier aux classes dirigeantes de ce pays, de gauche comme de droite, qu’elles peuvent aller se faire rhabiller chez Plumeau. Je sais, cette expression sent la naphtaline. Mais leur monde aussi.
J’ai donc failli, puis je suis passé à autre chose. C’est-à-dire que j’ai décidé, comme à mon habitude, de ne pas aller voter. Nombre d’entre vous trouveront cela déplorable, et je comprends aisément leur point de vue. Mais je ne voterai pas. Et à coup désormais certain, pas pour le NPA, dont un militant m’a donné un tract voici une paire de jours à l’entrée du métro.
Ce tract est une merveille que je vais, je crois, conserver. Car il dit des choses décisives sur l’état mental, psychologique, intellectuel d’une force qui se prétend en rupture avec le monde tel qu’il va. Il rapporte bien entendu que la crise en cours est celle du capitalisme et que les riches devront en payer les frais. Qu’il convient d’interdire les licenciements et de créer un smic européen à hauteur de 1500 euros nets. Voilà une première folie, qui en appelle bien d’autres. Mais voyons donc celle-ci. 1500 euros nets par mois. L’Union européenne compte 460 millions d’habitants. Donc 1500 euros nets au minimum, distribués à cette imposante masse d’humains, dont la plupart sont vautrés dans le gaspillage des biens matériels depuis des décennies.
Concrètement, il faut bien voir ce que signifierait un tel afflux numéraire. Dans l’univers de supermarchés où nous sommes, il est certain que cet argent relancerait la consommation tous azimuts de bagnoles, de télés, de lecteurs de DVD, d’iPod, de produits alimentaires cancérigènes, de vacances frelatées, etc. J’imagine mal quelqu’un pouvoir contester cela. Si deux plus deux égalent quatre, alors le NPA revendique la fuite en avant dans la consommation de masse de produits qui, fatalement, viendront en très grande part de Chine, où les ouvriers sont des esclaves et où l’on fourre de la mélamine dans le lait des bébés. Je crois que c’est intéressant à noter.
Quant à la crise écologique stricto sensu, le NPA y consacre un encadré sur les six qu’il a retenus dans son tract. Dans l’ordre d’édition, le quatrième. Et là, mes aïeux, c’est à pleurer. Car le NPA ne sait pas qu’il y a crise, même s’il utilise cette expression comme d’autres celle de développement durable. Cela commence comme cela : « L’Europe est une énorme consommatrice d’énergie, produisant des déchets nucléaires et dégradant le climat. C’est le capitalisme qui est responsable de la crise écologique et sociale. Le paquet climat-énergie de l’Union européenne comporte des objectifs inférieurs aux recommandations des climatologues ».
Je ne sais pas qui a pondu ces lignes, mais franchement ! Pas un mot sur le sud du monde, qui devrait pourtant être notre nord à tous. Pas un mot sur les forêts, la biodiversité, les océans, les biocarburants, l’agriculture bio, la télé, la pub, l’aliénation par les objets, le téléphone portable, l’apparition si inquiétante de limites physiques infranchissables à tout projet humain. L’auteur du tract s’en fout. Il s’intéresse à l’écologie comme la LCR le faisait dès les années 70. En la considérant comme un élément de plus. Un grief supplémentaire à mettre au débit du capitalisme. Il n’y a pas l’ombre d’une réflexion et, partant, pas l’ombre d’une véritable action. Le NPA est ailleurs.
Ailleurs, c’est-à-dire avec tous ceux qu’il prétend si fort combattre. Car le seul point concret qui est évoqué est celui de l’industrie automobile. Une question décisive, on le sait, pour tout écologiste. Or le NPA ne remet nullement en cause le modèle de la bagnole individuelle, qui est en train de détruire à la racine la Chine et menace l’Inde rurale avec la voiture Nano. Oh non ! Nos révolutionnaires écrivent que des « collectifs de travail », probablement à l’issue d’une crise politique qui aurait rebattu toutes les cartes, devraient « assurer la production de véhicules moins polluants… ». Ainsi donc, et sans conteste, le NPA accepte l’existence d’une industrie automobile folle à lier, acharnée à rendre désirable la fin du monde, et fragmentant à l’infini, en attendant, les habitats écologiques sur quoi repose la biodiversité. Il l’accepte et la défend. Pensez-vous que, lorsque la révolution sera venue, il sera possible de brutalement tenir un autre discours à ceux qui, par hypothèse, se seraient soulevés ? Je voudrais bien voir cela.
La vérité est triste, mais elle demeure la vérité. Le NPA ne veut pas changer le monde et le sauver de crises extrêmes. Il entend que le pouvoir passe de certaines mains à certaines autres. Il n’a strictement rien compris à la nouveauté radicale des événements en cours. Il ne voit pas le caractère réellement inédit, dans l’histoire des hommes, de la destruction massive des écosystèmes, base de la vie sur terre. Et s’il est à ce point aveugle, c’est que reconnaître le principe de la limite commanderait ipso facto de s’attaquer à un siècle et demi de tradition théorique et philosophique. Non, contrairement à ce que pensait Marx, contrairement à ce qu’ont pensé ses successeurs les plus présentables, et qui appartiennent au Panthéon du NPA, l’abondance matérielle n’est pas et ne sera pas au rendez-vous.
Il faudrait au NPA une capacité qui n’appartient à aucune institution humaine : celle de se nier en détricotant les mailles de la mythologie qui l’a fait ce qu’il est. Le NPA continuera donc à rêver d’une grande explication avec les riches du monde – que je souhaite ardemment -, oubliant qu’il faudrait aussi, surtout, envisager le grand face-à-face avec nous-mêmes. Aussi bien, malgré mon plaisir à déconner quand l’occasion se présente, le NPA n’aura pas mon vote en juin. Ni personne.
PS : Je ne suis ni sourd ni complètement aveugle. Je sais bien que des gens souffrent en France de ne pas pouvoir acheter tel ou tel objet. D’être pauvre. Mais il n’y aurait rien de pire que de poursuivre dans la voie du délire matériel. Cela ne veut pas dire ne rien faire. Cela implique à mes yeux, dans un pays comme la France, un partage des richesses, volontaire ou contraint. Mais n’oublions jamais que le monde réel, qui n’est pas le nôtre, est celui où un humain doit se débrouiller avec un dollar par jour. Deux s’il a beaucoup de chance. Qu’on le veuille ou non, que cela soit plaisant ou insupportable, il n’y a PAS ASSEZ DE RESSOURCES sur terre pour offrir à tous le niveau de gaspillage occidental. Selon moi, qui défend le smic à 1500 euros nets en France nie l’égalité fondamentale entre tous les habitants humains de cette terre. Et je ne parle pas des autres êtres vivants, qui comptent tant à mes yeux. Le NPA n’a pas même entendu parler de leur existence.