Je ne vois pas qu’on puisse mieux faire. Montrer avec autant de (bonne) grâce et de force qu’on se fout du monde. Non, vrai, je crois que madame Bachelot donne à tous ses amis – qui ne ne sont pas les miens, je le confesse – une leçon d’efficacité indépassable.
D’abord, qui est madame Bachelot ? On ne sait plus très bien. Notons qu’elle est docteure en pharmacie et qu’elle fut ministre de l’Environnement, déclarant alors, un jour, que le « le nucléaire est l’industrie la moins polluante ». Le mot est connu, davantage que cet autre, qui n’est pourtant pas si mauvais : « Garer sa voiture à l’ombre évite d’avoir à mettre la clim trop fort ». Madame Bachelot est en ce moment ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. Je vous assure que ce titre existe, et j’ai dans l’idée qu’il vaut mieux s’en souvenir quand on est en face de madame. Malgré ses rires et ses tailleurs, malgré sa fantaisie, peut-être un tantinet surjouée.
Ministre en tout cas. De la santé. Dans un pays où l’obésité est devenue un drame. Les chiffres sont à peu près fiables : chez nous, en France, un adulte sur deux pèse trop lourd et un sur six est obèse. Avec un peu de chance, 30 % des Français seront obèses en 2020. 8 % des dépenses de santé publique seraient liées au phénomène. Faut-il insister ? Il est peu de sujets qui lient aussi clairement la santé, l’alimentation, l’avenir, la joie de vivre et même, sans se forcer, les grands équilibres écologiques. Car évidemment, la manière de s’alimenter d’un peuple riche comme le nôtre a des conséquences planétaires. La viande industrielle, pour ne prendre que ce seul exemple, oblige d’importer massivement du soja, devenue nourriture de base de notre bétail, au détriment des forêts et des cultures vivrières.
En bref, pour une docteure en pharmacie consciente de ses responsabilités publiques, la lutte contre l’obésité a quelque chose d’obligatoire et de gratifiant. Appelons cela du nanan. Sauf que la dame s’en moque, vu qu’elle est aussi une responsable de l’UMP. Pensez, lecteurs, le monde n’est-il pas à feu et à sang à cause de la crise financière ? Voudrions-nous risquer la splendide carrière de SAS (Son Altesse Sérénissime) Nicolas Sarkozy en adoptant des mesures pour une fois efficaces ? Voyons, ne déconnons pas avec les choses sérieuses.
Je résume. Le 30 septembre 2008, la «Mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité » présente 80 propositions pour lutter contre le fléau. Valérie Boyer (UMP), présidente de cette mission, explique dans la foulée qu’ « une pomme devrait être moins taxée » que des produits agro-industriels. Dingue. D’autant qu’elle ajoute, façon Al-Qaïda : « Il faudrait augmenter la TVA sur certains produits comme les barres chocolatées et la faire baisser sur d’autres, comme les fruits et légumes ».
À cet instant surgissent sur la scène des comiques-troupiers d’une telle qualité qu’ils ne seront jamais au chômage. Jamais. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand : « Je n’y suis pas favorable, parce que vous savez ce qui se passerait ? Cela augmenterait les prix, et je ne suis pas sûr que ça change les comportements ». Ah, ah ! Xavier, as-tu déjà pensé à faire de la scène ? Roselyne arrive à la suite – c’est moins drôle, nous sommes dans le comique de répétition -, la main sur le coeur, le nez dans les sels qui l’empêchent de s’effondrer à la renverse. Qu’entends-je ? Une TVA ? Des taxes ? Mes sels, mes sels, vous dis-je.
La ministre, ayant retrouvé ses esprits, lance sur la radio Europe 1 – je ne peux, hélas, vous offrir son ton navré d’apprentie tragédienne – cette phrase sublime : « La démarche est intéressante [mais] nous sommes dans une période difficile sur le plan économique et taxer un certain nombre de produits reviendrait à taxer les plus faibles ».
Voilà. Flagrant délit. Flagrant délire indiscutable. L’industrie agroalimentaire ayant actionné les circuits d’influence qui ont fait son succès et sa renommée, le pouvoir politique se couche et meurt. Le choeur des pleureuses, ayant été retardé sur l’autoroute par une opération des routiers en colère, n’est même pas là. On aperçoit Carla Bruni, en ombre chinoise, qui soutient son pauvre petit mari. On ne sait plus trop s’il faut rire ou pleurer, cela devient gênant. Heureusement, cela sera bientôt terminé. Il me semble, en tout cas.